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3 Cette 'même vué d’éteindre les partis fut celle
que fe propofèrent Oélavien Frégofe, gouverneur
de la ville de Gènes pour Louis X I I , roi de
France ; Henri, dans le douzième interrègne de
Bohème ; Piafto, onzième-prince de Pologne ;
Jean Huniade, gouverneur de la Hongrie pour
le roi Ladiffas , & Grégoire; David premier St
'David ièéond ,* rois d’Ecoffé. ;
Ce n’eft pas affez d’appaifer à demi les dillecitions
domeiiiques , il farte en arracher julqu a la
moindre racine ; è’eft ce que nous enfeigne 1 exemple
de Numa Pompilitis, qui défendit qu a Kome
on nommât comme auparavant les uns Sabins , les
antres Romains, les autres de Romulus, Sec., afin
que même les.noms des anciennes factions n en
pèrpétuaffent pas le fouvenir.
Je n’ai ahpuyé monfentiment fur tant d exemples
, què parce que plufieurs'écrivains font d une
opinion contraire ; entre autres Malvezzi 8c de
Ville veulent qu’on entretienne la diviùon entre
le peuple. Par là ils prétendent que le prince aura
moins à craindre d’une révolte ; car les deux corps
étant défunis , auquel qdè les troupes du fouveraiq
fe ioienent, èlles feront fupérieures au parti ennemi.
Cette maxime me paroit impie ^Sc dange- '
reufe , parce que le parti des mécontents tâcheron
auffi de fe renforcer par le fecours de quelque
prince voifin, comme je l’ai précédemment prouve.
Si vous me répliquez qu’avant que les mécontents
cherchent un fecours étranger, vous appatferez la
diffention, je vous demande quelle affurance vous
avez de pouvoir y réuflir ? Il n’eft pas toujours-facile
à celui qui,uniquement pour fe chauffer, fait
Ai\ feu au milieu d’un bois fec , d empecher les
flammes de s’étendre au fouffle d un vent impétueux
& foudain , St de brûler toutes les plantes ,
& peut être même celui qui avoit a lume le feu.
« Il ne dépend pas , dit Strada, de celui qui a mis
le feu*a une maifon , de preferire des bornes aux
flammes, le feu le plus léger s’éteint avec peine ,
lorfqu’il a commencé de devenir violent ». .
Félix & Ventidius ne piirent jamais appaifer la
diffention qu’ils avoient eux-mêmes excitée entre
le* Samaritains & les Galiléens ; c’eft la remarque
de Tacite. K . .
Ordinairement nous nous en prenons a la pierre
qui nous a fait broncher, quoiqu’elle foit moins la
caufe. de notre chûte que notre inadvertance. Il eft
encore plus naturel que les fujets irrités contre le
prince, s’uniffentenfemble pour fe révolter contre
lui , dès qu’ils viendront à s’appercevoir du motif
qui lui faifoit fomenter la diyîfion. C’eft la pen-
fée de Commines , confirmée par 1 exemple de
Fercade ïer , roi d’Ecoffe , qui fema la divifion
entre la nobleffe pour pouvoir la mieux dominer; ;
mais les nobles du royaume ayant reconnu 1 intention
de leur prince , fe lièrent touts contre lui y &
le mirent dans une prifon , où il devança la fin de j
fes jours, par la mort qu’il fe donna lui-même de 0$ propres mains„
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« Jufte-Lipfe, qui eft entièrement oppoféau fen-
timent de ceux qui veulent qu’on fomente la divifion
parmi les fujets, dit que le fouverain qui met
en pratique cette maxime trouble la tranquillité
dé fes états dans l’unique vue de tirer avantage
de la divifion , ne doit pas être regardé
comme un bon prince. Cette opinion eft conforme
à celle d’Ariftote , q u i, dans fon Traité de la politique
, veut qu’un prince règle & dirige toutes
fes àéiïons à Futilité de fes fujets.
Je dirai pourtant dans la fuite en quel temps & |
de quelle manière il faut femer des divifions. J’avertis
par avance, qu’alors je ne parle point des
fujets fidelles & fournis, mais feulement des rebelles
qui en viennent aux armes , & chacun fent
que les règles que l’on donne à l’égard des bons
fujets , doivent être différentes de celles qu’il faut
mettre en ufage contre ceux qu’on doit regarder
comme ennemis.
D é jà deflruélion des bandits,
Les troupes de bandits qui fe retirent fur les
montagnes pour tâcher de tirer quelque forte de j
' vengeance , & .celles qui fe forment pour vivre de
vols, peuvent donner lieu à de très cruelles fuites,
parce que ces fortes de gens , qui craignent le châtiment
, etnbraffent le parti des premiers rebelles,
ou du premier fouverain qui leur offre de la pro-
teélion ; on ne doit donc pas perdre dii temps à lés
détruire ou à leur pardonner , s’il n’y a pas d’autre
remède'. ■
Salufte parlant de ceux qui avoient fuivi le parti
de Catinat, « dit que touts ceux que des crimes
avoient chaffé de leurs maifons, étoient venus le
joindre » ; & Tacite parlant de la confpiration de
Flôrus & de Sacrovir, nous apprend h que touts
ceux qui craignoient la punition de leuçs crimes,
avoient embraffé leur parti, parce qu ils fe voyoient
forcés de tout rifque ».
En Sicile, où le grand nombre de bandits a
obligé de chercher des expédients extraordinaires
pour les exterminer , on obferve depuis longtemps
/ ]a loi par laquelle un bandit qui remet un de fes camarades
entre les mains de la juftice, eft pardonné;
d’où il arrive fréquemment que les troupes de ces
fofl!es de gens fe dérruifent , foit parce que ces
bandits s’affaâinent entre eu x , foit parce que fe
défiant dans p'eu les uns des autres , ils fe réfugient
dans des églifes , & ils font folliciter leur pardon.
Vous m’objeâérez peut-êtrè que nonobftant la loi
dont je viens de parler, on voit toujours en Sicile
quantité de bandits ? Je réponds que fans cette
lo i, on y en verr.oit infiniment davantage. Le marquis
de Vïllens & le comte d’Altamira, l’un vice-
roi de'Sicile & l’autre de Sardaigne /vinrent à bout
de les détruire prefque entièrement, en tâchant
de découvrir quels feigneurs du pays les prote- ■
geoient, & en ordonnant à cés leigheurs ou de
leur faire quitter les armes,ou de les faire arrêter,
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à peine d’ une amende très confidérable , fi., dans'
un certain temps preferit, ils n’exécutoientpas 1 un
ou l’autre. - , . I I
Je parlerai plus bas des moyens pour éviter les
vols des payfans qui fe font révoltés, & les courfes
des petits partis. Quelques-uns de ces moyens
pourroient suffi fervir à détruire les bandits & les
voleurs d’un pays qui ne s’eft pas encore-foulevé.
Des divertijprnents quil faut donner aux peuples.
Il n’eft pas naturel que de la joie que donnent
les divertiffements , on paffe tout d’un coup à la
fureur des féditions ; par cette rai fon , on a mis
t?ès fouvent en pratique la maxime qui veut qu’on
divertiffe les peuples par des fêtes. Par-là on .peut
efpérer qu’en banniffant l’oifiveté, on éloigne ce
qui peut donner lieu à l’imagination de former fes
chimères. , .
L’empereur Caligula au commencement de, fon
règne , donnoit dans Rome des fêtes continuelles ,
afin que l’efprit des Romains diverti par les lûtes ,
; les comédiesJk: les autres réjouiffances, ne penfàt
pas à la révolte. Canut I I , roi d’Angleterre , en ufa
ainfidans la même vue, de peur que fes cruautés
ne fiffent foule ver les Anglois,
Comme dans toutes les fêtes publiques chacun
des principaux feigneurs veut fe diftinguer par fa,
magnificence , ils.font infenfiblement beaucoup de
dépenfe, & cet argent fe partage entre les mar-
i chands, les ouvriers & autres perfonnes. Par-là
i vous empêchez le feigneùr , qui n’eft plus fi puif-
fant, de pouvoir faire un parti, & vous ôtez au
peuple le défir de lèfuivre ; & l’un & l’autre de-
; meurent dans ce jufte milieu que S. Thomas croit
i fi utile pour qu’un pays fe conferve peuplé.
Marc-Céfar Albrige remarque que les arrifans,
i de Rome étoient contents fous Néron, parce que
I ce prince répandant l’argent avec profufion , ils
: travailloient touts & ils étoient riches.
La raifon d’état veut quelquefois qu’on appau-
vriffe un fujet trop riche dont la fidélité eft fuf-
pefte ; je dirai plus bas en quel temps & de quelle
i manière il faut le faire.
\ L’argent e ft, dans une monarchie , ce que le
| fang eft dans le corps humain. Le corps eft malade
K dès que le fang ne circule pas.; ainfi quand le
I prince devrôit, à fes frais , entretenir ces fêtes &
[ ces réjouiffances publiques que je confeille, il peut
[ regarder cette dépenfe comme bien employée.
L’argent qui refte dans fes coffres eft un véritable
préjudice a fes propres intérêts , parce que les fu-
I jets qui affe&ent d’imiter jufqu’aux vices de leur
f fouverain , ainfi que je l’ai prouvé , fe feront un
. écrite de régler leur économie fur celle du prince,
I qui j alors -, retirera moins de fes fermes, & verra
i diminuer le commerce^ les fabriques de fes états,
a proportion que la confomraation des fujets fera
I moindre. C ’eft pour cette raifon que plufieurs i Pnnces permettent l’ufage de diverfes ehofes qui 5
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n’étànt p2S néceffajres pour la décence, ne fervent,
qu’à une magnificence fuperflue.
Sous Flieureux règne de Louis XIV , touts les
canaux du gouvernement économique étoient fi
bien difpofés, que touts les dix ans les revenus
que produifoit toute la France eniroient dans les .
coffres du roi ; & quand fes minifires lui repié-
fentèrent qu’après les frais immenfes des précédentes
guerres, il ne convenoit pas de s’engager
dans des dçpenfes aulîi grandes que celles que de-
mandoient les ouvrages de Marly & de Ver {’ailles,
& ç ., fa majefté très chrétienne leur répondit que
ces ouvrages donneroient à vivre à. lin igrand
nombre de perfonnes qui, peut-être finis cela »
quitteroient le 1 royaume , faute de trouver le
moyen d’y fufefifter ; que d’ailleurs il étoit toujours
maître de faire entrer dans fes coffres l'argent
de fes fujets.
Ce qui me paroît le plus difficile à des peuples
qui veulent fe foulever, eft de s’affembler en. affez
grand nombre pour pouvoir foutenir le commencement
de la révolte. Ainfi on ne doit pas permettre
ces divertiffements pubjics dans les places,
mal gardées , & autres lieux où l’on peut craindre-
quelque furprife, parce que, fous prétexte de ces
fêtes, il pourroity venir un trop grand concours
de peuple ou d’étrangers déguifés pour furprendre
ces places ,1a tête d’un pont, l’endroit des ma-
gafins, ou un petit corps de troupes qui campe..
Ces grands concours de peuples font auffi dangereux
lorfque la fidélité des fujets eft fufpeéle , que
les divertiffements que je propofe font utiles à
l’égard des fujets fidelles ; ainfi fi le pays eft porté
à la révolte, il faut, « félon S. Thomas , pour
conferver la paix, éviter ce qui peut donner lieu à
un trop grand concours du peuple ».
Les Mexicains ,'dans leur conjuration contre
Pierre d’Albarado , avoient choifi un jour où ces
barbares avoient coutume de s’affembler pour faire
leurs danfes à l’honneur de leurs idoles ; & Solis
remarque qu’ils ayoient pris ce jour , parce qu’ils
fuppofoient que les Efpagnols ne regarderoient pas
ce concours des Indiens comme une nouveauté.
Quelques Suédois fous Guftave Vafa , leur roi,
mécontents du gouvernement, & ayant deffein de
fe révolter , ne trouvèrent pas , peur exécuter leur
projet, de lieu plus propre qu’Upfal ^dans un certain
jour de foire où un grand concours de monde
avoit coutume d’arriver de toute part, parce qu’ils
pouvoient ainfi, fans aucun empêchement, s’unir
pour la révolte , qu’ils mirent réellement à exécution
avec affez de fuccès.
Des privilèges!
Les trop grands privilèges font Técueil oiftêt ou
tard la fidélité des provinces vient échouer. Les
peuples enorgueillis par ces fortes d’exemptions,
afpirent à une indépendance qui les rend infq-
léxjts. Jaloux, de leurs privilèges , ils. courent aux