
viéVoire , en les obligeant de fuivre le chemin le
plus propre à les y conduire ; le.fecond, eft de les
faire vivre pendant la paix de manière à ce que ,
loin d’être à charge à la nation , ils lui (oient utiles ;
& le troifième , eft de les rendre auffi heureux
qu'ils peuvent l ’être, en les obligeant à agir félon
leurs véritables intérêts. Tout ce qui peut éloigner
les guerriers d’un de ces trois objets , eft manifef-
tement vicieux , & doit par conféquent être abrogé
ou modifié. Ainfi, toutes les loix militaires doivent
réunir les caraélères fuivants :
f î Elles doivent être jufi.es ; c’eft-à-dire conformes
autant qu’il eft poftible aux loix de la nature & à la
conftitution de l’homme; Si le lègiflateur donnoit
aux militaires des loix qui choquaffent les principes
. delà nature , de la morale, du droit des gens ou
de la religion , il infpireroit contre les réglements
qu’il auroit faits , l’horreur la plus grande.
2. Elles ne doivent rien ordonner d’ impratiqùable.
Dès que les militaires auroient reconnu qu’il leur
eft pbyfiquement impoflible de faire tout ce
qu’exigent les loix auxquelles ils font fournis, ils
coneevroient contre elles une grande défiance; &
pour une feule difpofition fautive qu’ils auroient
rencontrée , ils fe croiroient autorifés à difcuter
toutes les autres. Les loix d’une exécution trop difficile
, ne font propres d'ailleurs qu’à compromettre
l ’autorité.
- 3. Les loix militaires doivent être nécejjaires, & j
ne prefcrire rien d’ inutile. Toute loi inutile eft perni-
cieufe : elle gêne le mouvement de la fociété. C ’eft
ainfi que dans une machine bien faite , une roue de
plus ne feroit que retarder la rotation des autres.
Les guerriers ne doivent, comme le refte des citoyens
, façrifier inutilement aucune partie de leur
liberté; & ils la perdroient en vain cette liberté,
s’ils étoient obligés à faire de telle ou telle manière
une exécution indifférente en elle-même :&
d’ailleurs, les loix inutiles ou indifférentes , n’àf-
\foibliffent-elles point les loix néceffaires» ? Comment
la loi qui ordonne une chofe inutile, ou qui
prefcrit des règles fur une aélion indifférente , fe-
rôir-elle aimée & refpeélée , & par conféquent accomplie
avec exaâitude ? Elle n’eft aux yeux des
guerriers , qu’un joug pefant impofé par un maître
tyrannique, capricieux ou barbare.
4. Elles doivent être folennellement notifiées. Si je
ppis ignorer les volontés des loix, je ne fuis point
coupable lorfque je les enfreins ; & fi elles ne
m’ont pas été notifiées d’une manière folen-
n e lle , elles n’ont fait fur mon efprit & fur mon
coeur qu’une impreffion légère.
5. Les loix militaires doivent être accompagnées
dune fanêlion convenable. C ’eft parce qu’elles pref-
crivënt des chofes difficiles , & qu’elles défendent |
des aélion s agréables, quelles ont befoin d’une
grande fanâion. Nous examinerons dans le paragraphe
quatrième, fi cette fanâion doit confifter
dans la promeffe d’une récompenfe ou dans la me-
p«ce d’une peine.
LOI
6. Elles doivent être telles que les militaires fe
portent dé eux-mêmes 1 à leur obfervation. Toutes les
fois qu’il faut employer fans ceffe la contrainte pour
qu’une loi foit conftamment obfervée , on peut af-
furer qu’elle eft vicieufe. Souvenons-nous que les
Ephores enjoignoient aux citoyens , non d’obéir
aux loix , niais de les aimer. Donnez-donc des
loix douces , équitables , qu’on puiffe aimer , elles
fe foutiendront d’elles-mêmes : fi vous nous donnez
au contraire des loix dures ou tyranniques ,
vous ferez bientôt obligé de les abolir ou de les
modifier , ou de les laifler tomber en défuétude.
7. Les loix militaires doivent être univerjelles. Je
ne déciderai point fi le préfident Hénault a eu tort
ou raifon , de dire que l’uniformité des loix civiles
eft un projet rempli d’inconvénients ; niais je crois
pouvoir affirmer que les loix militaires de chaque
peuple doivent être une : c’eft de l’unité.que naît
l’harmonie , & c’eft de l’harmonie que naît la force.
Toute loi militaire qui n’eft point générale , eft
donc vicieufe. D’après ce principe inconteftable ,
le lègiflateur donnera à toutes les parties femblables
la même forme, le même vêtement, les mêmes
armes ; & fi la néceffité le force à faire des exceptions
, il les motivera de la manière la plus claire.
J’entends encore par le mot univerfclle * qu’elles
doivent également obliger les grands & les petits ,
les puiffants & les foibles. Dès qu’elles arrachent
leur bandeau pour diftinguer ceux qu’elles tient
fous leur empire , dès qu’elles foibliffent avec un
feul , elles perdent leur autorité. Sur-tout, fouve-
nons-nous d’Ofiris , de Charondas, de Zaleucus ,
Junius Brurus, d’Epaminondas , de Manlius Tor-
quatus , de Pofthumius Tiburtus , de Flavius
Flaccus.
8. Elles doivent s’entraider mutuellement. Ainfi
l’obfervation de l’une prépare celle de l’autre , &
la rend plus facile ; ainfi, toutes les contradiâîons
difparoiffent, & jamais on ne voit les fujets incertains
de ce qu’ils doivent faire.
9. Il doit régner le plus grand accord pojfible entre
les loix militaires 6* les loix civiles. Les loix inférieures
doivent concorder avec les fupérieures ;
c’eft un axiome dont tout le monde convient. Or ,
les loix militaires ne font que des loix inférieures :
elles ne doivent donc prefcrire rien de contraire à
ce qu’ordonnent les loix fupérieures. J’appelle loix
fupérieures, les loix fondamentales & conftitutives
de l’état ; celles qui font relatives au droit public
& au droit des gens : je donne le même nom aux
loix civiles qui règlent les fucceffions, les partages ,
les ventes, &c.
10. Les loix militaires doivent être claires. Toute
loi équivoque eft injufte : elle frappe fans avertir.
11. Le fiyle des loix militaires doit êtrefitnple 6*
précis. Si , au lieu de l’expreffion direéle, elles
fe fervent d’une expreflion réfléchie , elle peuvent
n’être point entendues , ou peuvent l’être mal.
. 12. Les loix militaires doivent commencer direêle-
ment par les termes de jujfion,- Si la loi eft mauvaife ,
îe préambule cherchera en vain à la juftifier ; fi
elle eft bonne, elle n’a que faire d’apologifte. La
mauvaife foi du lègiflateur qui veut juftifier une loi
vicieufe , eft bientôt reconnue ; & la défiance ou
le mépris naiffent promptement de cette connoif-
fance. Si le lègiflateur croit devoir rendre raifon
d’une partie des ordres qu’il donne, il faut que
ces raifons foient vraies, 8c dignes de la loi.
13. Il ne faut point que les loix militaires permettent
de changer ce qu elles ont décidé, ni d’y faire
la plus petite addition , fur tout pendant la paix.
Dès que l’on permet à un homme , quel qu’il foit,
de faire fubir à la loi le changement le plus léger,
on fait renaître le pouvoir arbitraire , qu’on avoit
détruit en créant des loix : 8c perfonne n’ignore
que le plus grand des maux, c’eft d’être fournis à un
pouvoir de ce genre. O u i, je penfe , avec un des
magiftrats les plus éloquents de notre fiècle , qu’il
vaut mieux être gouverné par ' les loix les plus
dures , que par la volonté de l’homme l'e plus
doux. La loi ne change jamais : on peut, avec une
attention fuivie , fe mettre à l’abri d’une loi ,
quelque violente qu’elle foit ; mais les partions
peuvent corrompre la volonté de l’homme le plus
doux ; & cela, dans des circonftances fi imprévues
, qu’on n’eft jamais lur de ne point rencontrer
un tyran barbare,; là où on avoit laiffé un maître
auffi facile qu’humain.
Ce que je viens de dire des additions , eft égale*-
ment applicable aux modifications : modifier une
loi, c’eft véritablement lui donner une étendue
plus ou moins grande que celle qu’ elle avoir ; c’eft
par conféquent faire une loi nouvelle ; & ce
droit facré n’appartient qu’au lègiflateur lui-même.
Il en eft encore^des interprétations comme des
additions : il n’y a que les loix obfcures qui ont
befoin d’être interprétées. O r , quand une loi préfente
l’ efprit de plufieurs fens à la fois , il n’y a que
le lègiflateur lui-même qui puiffe déclarer quel eft
celui qu’il a en vue. Je fçais bien que pendant la
guerre, il n’eft point toujours poftible de recourir
au lègiflateur ; auffi ai-je prévu cette circonftance
cruelle , & en ai-je fait une exception à mon principe.
Le général doit dans les camps , jouir d’une
autorité femblable à celle dont les di&ateurs étoient
revêtus. Les loix doivent quelquefois fe taire pour
un moment devant les volontés du chef de l’armée
; mais il faut que leur filence foit néceffaire ,
& que le diélateur, en le leur impo.fant, fe prépare
à leur rendre, quand leur règne fera revenu ,
un compte détaillé de fa conduite.
14. Les loix militaires doivent tout prévoir. Je
fçais bien que ce principe n’eft point inconteftable,
& qu’on a dit que les loix ne doivent contenir que
des décidions générales. J’adopterois peut-être ces
réflexions , fi j’écrivois fur les loix civiles ; mais je
ne le dois point en parlant des loix militaires : les
cas dont ces loix ont à juger , ne font, ni auffi multipliés',
ni auffi variés que ceux des /oix- civiles ; 8c
il eft poftible , 8c même facile de les prévoir touts.
LOI
Les loix civiles ont pour interprètes , des hommes
exercés dès longtemps dans l’art de rendre la juf-
tice ; & le s loix militaires, des hommes qui n’ont
point été initiés dans la fcience des loix, & à qui
leur efprit général eft peu connu. Que les loix militaires
prévoient donc touts les cas, ou bien les
juges fages recourront fouvent au lègiflateur ,
tandis que ceux qui ne le feront.point, tomberont
dans des erreurs funeftes. Ce principe eft particulièrement
applicable aux loïx pénales : les détails
qui feroient fuperflus dans les alnres7<s>ix , font in-
difpenfables dans celles-ci. Laiffons donc aux magiftrats
le foin de comparer les faits omis avec les
faits indiqués , & nous militaires , ne jugeons que
fur la lettre de la loi.
1- . Les loix militaires d’un peuple confidérable ,
qui efl formé depuis longtemps, doivent différer de celles
d’une nation qui a le défir ou le befoin de s’aggrândir.
Les loix qui font qu’un peuple fe rend maître des autres
ne peuvent être les mêmes que celles qui maintiennent
fa puiffance. L’exemple d’un grand nombre
de peuples nous prouve la vérité de ce principe..
16. Le lègiflateur militaire doit révoquer exprejfé-
ment les loix qui ne doivent ou ne peuvent plus, être
obfervèes. En laiffant fubfifter des loix mortes , ou
tombées en défuétude , on affoiblit les loix vivantes/,
& celles dont l’obfervation eft effentielle.
17. Le*.loix militaires doivent être conformes ait
génie , aux moeurs , au caractère , aux manières , aux
ufages y aux opinions, & fur-tout aux préjugés de la
nation pour laquelle elles font deflinées. Il eft abfoïu-
ment poftible de donner à une nation de bonnes
loix civiles , quoiqu’on ne connoifle point parfaitement
fon génie ; quelques villes de l’ancienne
Grèce, & quelques républiques d’Italie en font la
preuve : mais il eft prefqu’impofîible qu’un étranger
, bu même qu’un homme qui a vécu longtemps
fous un climat lointain , puiffe donner à un peuple
de bonnes loix militaires. Le code de quelques1
pniffances modernes en fait foi. C ’eft en effet des
loix militaires qu’on doit dire ce que Solon difoit
des Tiennes : Je n’ai point donné aux Athéniens les
meilleures /<?/# poftihles , mais les meilleures qu’ils
puffent recevoir. C ’eft fur-tout pour régler les
récompenfes & les peines , & la manière de combattre
, que cette connoiffance eft effentielle. Si
l’on fait jamais un traité fur les loix militaires ,
chacun des mots génie, moeurs, préjugés, &c. fera
certainement le fujet d’un long chapitre : il en f e r a
de même de ceux qui font compris dans le n°. 18,
18. Le lègiflateur militaire doit avoir égard à
Vétendue du pays que poffèdela nation pour laquelle
il travaille , à fa population , à:la nature de fon fol &
de fes frontières^ à fon commerce, à fes richejfesi
Quelle foule de eombinaifons ce peu de mots
n’offrent-ils point ? Quel géniepne faut-il pas avoir
pour pefer, calculer, embraffer d’un; feul’ coup»
d’oeil tours ces objets divers ? Il eft fans doute.bien
difficile• dé gouverner , de conduire une: grande
armée ; mais 'i l d’eft infiniment plus de lùl.diffur