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Pour que cette entreprise pût «a'reir une neu-
reuie réuffite, il falloir qu’elle fût exécutée avec
beaucoup de diligence & de jufteffe dan? les me-
fures prifes , parce que M. de Savoye pouvoit ,
en peu d’heures , raffembler beaucoup plus de
troupes pour venir Secourir Vedlane , qu on ne
pouvoit y en avoir mené pour 1 attaquer. Ainfi ce
fut le manque de jufteffe dans le moment de 1 exe*
cution qui fut caufe que l’entreprife ne réuffif pas.
La difpofitien de M. de Catinat étoit telle que
ie vais le dire : les deux corps qui partoient de
Suze 8c de Pignerol marchoient par deux cotés fi
différents , que ne pouvant fe communiquer ni
dans leur marche ni lur le point de commencer
leur attaque , ils dévoient touts deux 6c en meme»
temps attaquer Veillane à la pointe du jou r , parce
qu’il ne falloit pas par une attaque fucceffive ,
donner le temps à ce régiment de dragons que
l ’on vouloit enlever dans la 'ville, de le retirer
dans le château. f
Je me rendis à l’heure qui m avoit été marquée ;
j’attaquai 8c emportai la ville de Veillane de mon
côté | qui étoit celui de Turin 8c le plus éloigné
du château ; mais M. de Catinat s’étant amuie en
chemin à faire relever ufee de Ses pièces de canon
qui avoir verfé, 8c ne slétant pas trouvé à l'heure
marquée pour attaquer par le cotéde^Suze, une
partie des dragons logés du côté du château eurent
le temps d’y entrer avec leurs chevaux , 8c la gar-
nifon du château de prendre les armes ; de forte
que l’exécution de l’entreprife tirant en longueur, \
& M. de Savoye ayant eu le temps d’y arriver
avec un corps confidérable fur les quatre heures
du foir , il fallut fe retirer , après avoir été maîtres
de la ville pendant feptà huit heures.
Je fus même obligé de ms fervîr de la nuit pour
paffer avec mes troupes au travers de la ville fous
le feu du château , 8c de reprendre ma marche à
Pignerol par la montagne , parce que M. de Savoye
me barroit le retour par la plaine.
Cet exemple,fera connoùre que dans l’exécution
de cette efpèce d’enlèvement de poftes, qui ne fe
peut faire que par des troupes qui partent de différents
endroits > 8c qui ne peuvent fe communiquer
pendant leur marche , ni même dans le temps
qu’elles doivent commencer de concert l’attaque
du pofte qu’on veut enlever , il faut être exaâ à
ne point manquer à fe rendre au lieu 8c au moment
marqué pour celui de l’attaque, façs quoi il
eft prefque fûr que l’entreprife ne peut avoir un
heureux fuccès.
J’ai fouvent vu prendre des poftes pour affûter
des convois ; mais comme ces poftes fe doivent
toujours couvrir de l’armee & ne doivent jamais
être hafardés , je n’en ai point vu enlever.
Le pofte de Popérinque pris en l’année 1708
par quelques bataillons de l ’aTinée de M. de
Marlboroug, pourrait être de cette efpèce ; il étoit
fort hafardé, auifi fut-il enlevé.
SUR
Sur prifes de place.
Une place de guerre eft très rarement emportée
de vive force par furprife , foit par efcalade , foit
par pétards , loit enfin par quelque .autre manière;
mais elle fe peut dire fwprife y fi elle fe trouve in-
veftie ou dans un temps que fa garnifon aura été
confidérable ment affoiblie par la fortie de fes
troupes pour quelque expédition , ou par la foi-
blette de la garnifon , ou par les maladies qui y
régnent, ou par le manque de munitions de guerre
ou de bouche, ou par l’éloignement ou l’iinpoffibi-
lire du fecours, ou lorfqu’elle eft enfin attaquée
dans un temps où elle manque des chofes effen»
tielles à une bonne défenfe, 8c dans une conjoncture
qui n'aura pas été prévue.
Ainfi je ne propoferai point ici de maniérés
pour parvenir à \a furprife d’une place de guerre,
autres que celles dont je viens de parler , qui ]
tombent dans le cas de pouvoir faire dire quune
place de guérre a étë furprife y parce qu’elle a été
attaquée dans un temps de quelques-uns des be*
foins dont je viens de parler«
Que fi pourtant un gouverneur étoit affez né*
gligent dans la garde de fa place pour s’expoferà
laiffer furprendre une porte après fon ouverture,
ou à y laiffer attacher un pétard' pendant la nuit,
ou à etre emporté d’efcalade , où par le fecours
d’une rivière , ou par quelque foutër.rein qui n’eft
point gardé , voici à-peu-près la conduite qu’il
faut tenir dans l’exécution de tontes ces différentes
manières de iurprendre une place de1 guerre.
En général rien ne doit être tenté fans une cer- ]
titude prefque fure de réuffir. Il faut donc avoir j
exaéfement fait reconnoître par des efpions fidelles
8c capables , le terrain des environs de la place &
touts les manquements dans fa garde.
Voici les fautes qui fe peuvent commettre dans!
, la place à l’ouverture des portes : fi elles font ou*
; vertes trop matin ou avant la chute d’un grand j
f brouillard ; fi on baiffe les ponts-levis 8c qu’oiJ
ouvre les barrières fans les refermer après qu’on
aura fait fortir des gens, tant à pied quà cheval,
pour faire une foigneufe découverte ; fi la garde de
la porte ou celle de la place a pofé les armes au
corps-de-garde avant le retour des gens fortis pour,
la découverte y fi on ne laiffe pas la nuit un pofte
dehors dans l'ouvrage qui couvre la porte; fi la
garde d’infanterie de la place n’eft pas fous les
armes , & celle de cavalerie à cheval, jufqu à ce |
que toutes les clefs des portes foient revenues
chez le gouverneur, & qu’on, lui ait rendu compte
du dehors de la place fi les jours de m a r c h é s on
laiffe entrer en foule les gens qui viennent auffitot
après l’ouverture des portes* & fi pendant que le
marché tient toutes les gardes ne font pas fous les
armes.
En tout« ces cas en peut exécuter une furpnj*
de vive force , en faifant, à l’ouverture des portes $
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entrer aftez de gens déguifés pour fe faifir^ d’une
porte 8c la tenir ouverte, jufqu’à ce que qu’on ait
introduit dans la place un affez gros corps pour
y être plus fort que la garnifon, en cas que le
terrein des environs ait donné le moyen de tenir
ce corps à couvert proche de la place.
Que fi cette place n’a point d’ouvrages extérieurs
gardés de nuit qui en couvrent la porte, 8c
qu’elle n’ait point de foffés , qu’enfin on puifie
aborder la porte fans être découvert par les fenti-
neltes , on peut attacher un pétard dont 1 effet peut
être fuivi par une colonne d’infanterie partagée par
divifions, avec des officiers furs à latêre.de chaque
divifion , qui auront été inftruits des poftes auxquels
ils doivent marcher, 8c les occuper à mefure qu’ils
entreront dans la place. On doit , à la tête de
chaque divifion , placer des foldats avec des haches
& des ferpes , pour couper ce qu’il fera néceffaire
de couper, comme herfes ou autres empêchements.
Il faut auffi empêcher qu’aucun foldat ne
quitte fon rang ou fe débande pour piller.
Que fi par quelque endroit cle la place négligée
pour la garde, on peut approcher de la muraille
affez baffe pour êt*e efcaladée, ce lieu étant reconnu
pour la hauteur des échelles par le dehors
8c le dedans pour la commodité de fe mettre en
bataille , il faut arriver de nuit avëc^ un grand
filence, placer les échelles le plus près les unes,
des autres qu’il eft poffible ; faire monter avec di-\
ligence ; fe former fur le terrein reconnu en dedans
de la place ; avoir fes troupes partagées par
divifions comme il a été dit, 8c les faire toutes
marcher en même-temps pour occuper les poftes
nèceffaires à l’exécution de l’entreprife ; le faifir
de la porte la plus voifine , l’ouvrir aux troupes
qui feront reftées dehors, empgcher qu’elles ne fe
débandent en y entrant, 8c les conduire avec ordre
8c filence fur les places de la ville où elles doivent
fe former , pour empêcher la garnifon qui voudra
prendre les armes , de fe former 8c de fe communiquer.
Dans toutes les furprifes il faut, le plus diligemment
qu’il fe peut, fe faifir de la perfonne du gouverneur,
des officiers-majors 8c commandants des
corps, dont il faut favoir les demeures bien préci-
fément, parce qu’eux pris, il ne fe pourra plus
donner d’ordres pour repouffer les troupes entrées.
Lorfque la furprife eft faite à la faveur d’une rivière
ou des conduits fouterreins , le même ordre
pour les mouvements doit être tenu. Si on arrive
par eau , il faut, en approchant, fe laiffer aller au
courant, fans ramer que pour aborder.
Si c’eft par des fouterreins, il faut avoir par des
intelligences dans la place , quelque grand couvert
où l’on ait pu faire entrer un nombre d’hommes à
la fortie du défilé, pour delà les faire marcher aux
lieux qui leur auront été ordonnés, comme il a été
dit ci-deffus. Que fi la garnifon eft logée dans des
corps de eafernes , c’eft là où les troupes entrées
doivent marcher d’abord, & s’en rendre maîtreffes,
S U R 605
J’ai dit qu’une place de guerre pouvoit être fur-
prifç de plufieurs manières : foit de vive force,
lôrfquela fortification ne la met pas hors d’in-
fulte, ou que quelque accident imprévu a détruit
une partie de fa fortification ; foit par des intelligences
avec le dedans de la place ; foit enfin païf
la négligence du fervice o.u lorfqu’elle fe trouve
inveftie dans un temps où elle manque de garnifon
fuffiiame pour la défendre, de vivres ou de muni»
tioiis de guerre.
J’ai propofé des maximes certaines pour fe garantir
dçs furprifes.■ , autant qu’il eft poffible à un
gouverneur de ie faire par fes attentions pour le
dedans ou pour le dehors de fa place. Ainfi je ne
rapporterai ici que quelques exemples qui feront
connoître quelles ont été les fautes qui , de mon
temps , ont été faites contre les règles que j’a.1
propofées pour fe garantir de toutes les efpèces de
furprifes dont je viens de parier.
Les places les plus expofées à être infultées de
vive force , font celles dont les fortifications ne
font point revêtues , parce que fi la fortification de
terre n’eft point entretenue , & que les foffés n’en
foient pas à fond de cave , ou fort fangeux, il
n’eft pas impoflible de furprendre ces places de
vive force, lorfqu’on peut fe porter devant avec
affez de fccret pour que l’ennemi ne foit point
averti de l’entreprife.
Surprife de Loo en 1676.
Le premier exemple que j’ai vu d’une pareille
entreprife heureufement exécutée , eft celle qu’en
1676 M. de la Brétefche, alors colonel d’un régiment
de dragons en garnifon à Maëftrich , fit fur
Loo , place Espagnole fur le Démer.
Il favoit que la garnifon de cette place de terre
étoit affez foible, & qu’elle fe négîigeoit dans fa
garde du dedans 8c fur les attentions du dehors ,
fe confiant en l’éloignement où elle fe trouvoit de
f nos places, 8c dans les eaux dont elle étoit entourée.
Sur toutes ces connoiflànces, M. de la Brétefche
forma fon projet 8c fa difpofitipn. Il arriva avec
fes troupes avantée jour autour de la place ; entra-
dans leS^chemin couvert; mit dans le foffé de petits
bateaux d’ofier , ou plutôt de grandes mânes couvertes
de toiles cirées , & fit paffer une partie de
fon infanterie , réfervant le refte pour faire feu
fur la garnifon qui voudrait s’oppoièr à cette attaque.
L’infanterie paffée coupa la fraife Sc monta fur
le haut du baftion. L’ infanterie reftée paffa , dès
qu’elle vit que celle qui étoit paffée étoit maùreffii
du haut du baftion ; après quoi M. de la Brétefche
étant plus fort dans le dedans de la place que la
garnifon qui avoit été furprife , il s’e.n rendit fe
maître, & çonfervala place au roj j.ufg.u’à la p^.ix
de Nimègue.
Cet exemple de la furprife d’uae place 4 e guerre