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duc d’Urbin , qui fe trouva avoir de moins pour
fa défenfe les troupes qu’il avoit données à Céfar
Borgia. Il y a de l’indignité à fe fervir de ce
moyen , lorfqu’au lieu de le mettre feulement en
ufage contre des rebelles, on l’emploie contre un
prince à qui on manque de foi.
Si les peuples ne font pas fur le point de fe révolter,
ils ne refuferont pas le fecours dont je
viens de parler , de peur que leur défobéiffance ne
fit foupçonner leur infidélité ; & s’ils font prêts à
fe foulever, ils feront charmés peut-être d’avoir
cette occafion d’introduire dans votre armée ou
dans vos places ceux de leur parti, afin, par leur
moyen, de marcher plus furement dans les pre-
miers’pas de la révolte.
Acilius A vida, aidé des fecours que quelques
feigneurs des Gaules lui donnèrent, fournit les rebelles
de Tours , qui n’attendoient qu’une occafion
favorable pour fe foulever.
Fernand Gortez ayant eu connoiffance de l’horrible
confpiration que les peuples de Cholula tra-
moient contre lu i, leur demanda deux mille hommes
pour renforcer fa petite armée Efpagnole.
Solis , qui le rapporte , dit qu’ils s’empreffèrent de
lui donner ce fecours pour mieux cacher leurs def-
feins ; que Cortez l’avoit demandé pour défünir
le«rs forces , & avoir en fon pouvoir une partie
des traitres , qu’il vouloit châtier ; & que les
Caziques l’avoient offert pour faire paffer dans
l ’armée des Efpagnols des ennemis fecrets, & s’en
férvir lorfque l’occafion fe préfenteroit.
Si vous croyez que ce n’eft pas affez de défar-
mer une partie des habitants de la manière qu’on
vient de dire , & fuvous trouvez du danger à les
appeller touts en campagne pour une revue générale
, parce que fans dégarnir vos places vous ne
pourriez' peut-être pas affembler une armée fupé-
rieure au grand nombre des habitants qui s’y ren-
droient, divifez vos troupes , & faites-les entre*
dans vos .places les plus grandes & le s mieux garnies
; quelques jours après, convoquez les milices
de chaque lieu, ou de trois ou quatre , fuivant
que ces lieux auront plus ou moins de miliciens ,
que vous défarmerez à mefure qu’ils arriveront.
Ayez foin de faire tenir les portes fermées pendant
tout le temps que durera l’expédition , &.
d’empêcher que perfonne ne forte de la place ,
afin que ceux qui doivent venir les jours fuivants
n’ayent pas avis de ce qui fe paffe ; vos fentinelles
ne permettront pas qu’aucun habitant monte fur
les murailles, ou s’approche de trop près de la
porte, de peur que par quelque figne les miliciens
qui continueront d’arriver , ne foient avertis
de ne pas entrer & de fe retirer. On peut aufli
mettre des patrouilles hors de la place & dés rondes -
fur la muraille , afin qu’aucun habitant ne puiffe
s’échapper pour en aller porter la nouvelle aux
autres lieux. Il feroit pourtant plus à propos de ;
défarmer toutes les milices en un même-temps ,
iorfcu’oB a plu fieu r s places do.m les garflifons font <
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fortes, parce qu’il n’y a point de fecret qui ne
tranfpire pendant un intervalle de plufieurs jours
& quand il n’y auroit rien autre que de vo ir , que
de touts ceux qui font entrés le premier jour dans
la place , aucun n’eft revenu, cela feul fondera le
foupçon des autres, qui refuferont de fe mettre en
chemin fans avoir auparavant éclairci le myftère.
Les habitants venant à reconnoître que vorre
deffein eft de leur ôter les armes, pourroient peut-
être, dans l’efpérance d’être fecourus &. foutenus
par leurs vôifins, fe fervir de ces mêmes armes
contre les troupes de chaque place où vous voulez
les défarmer, & quoique je fuppofe que dans
toutes, la garnifon eft fupèrieure aux milices, cependant,
comme tout tumulte eft fuivi de morts &
de pilleries , il faut chercher un moyen pour réuf-
fir Cit éviter en même-temps ces malheurs. L’auteur
du Dialogue entre le grand capitaine & le. duc
de Naxara , propofe celui-ci, qui eft de donner à
entendre aux habitants de chaque lieu , que ce
défarmement s’exécute feulement à leur égard,,
afin que, perfuadés que les autres n’ont pas le
même fujet de fe plaindre, ils n’en efpèrent pas
du fecours.
Marc Caton mit en ufage l’expédient contraire :
il fit en même-temps rafer les murailles de di-
verfes places d’Efpagne qui lui étoient fufpeftes ,
fans que les habitants ofaffent s’y oppofer , parce
que touts croyoient que l’ordre avoit déjà été exé*
curé dans touts les autres lieux , & par conféquent
que ce feroit feulement expofer leur ville au ref-
fentiment de Caton , de vouloir tenter de prendre
des mefures avec les habitants de.*« autres places.
Lorfque c’eft une ville feule que vous voulez
défarmer, il fuffit, fous prétexte de paffer les habitants
en revue , de les faire fortir de la place ,
& de les pofter entre un plus grand nombre de vos
troupes dès qu’ils feront arrivés en pleine campagne
; alors ils n’oferont pas fi aifément fe révolter,
comme ils pourroient le faire à l’abri de leurs
maifons & aux clameurs de leurs familles ; leurs
femmes & leurs enfants qui feront demeurés dans
la v ille , ferviront comme d’ôtages de ceux que
Vous prétendez défarmer.
Il n’y a que peu d’années que le prince Pio le
pratiqua de cette manière.
Il me femble qu’on pourroit de trois manières
défarmer un corps confidérable d’habitants avec un
nombre inférieur de troupes, en les faifant trouver
ensemble en pleine campagne , fous prétexte
d’une revue , d’un exercice d’un fecours, &c;
•La première eft , lorfqu’en faifasit faire l’exercice
aux milices à leur manière^, elles làiffent leurs
armes à terre, & fe mettent à courir à ce qu’elles
appellent la fafeine ; car alors les.troupes n’ont
qu’à marcher promptement pour fe fa-fir de leurs
armes. Pour cela il eft à propos de choifir un endroit
un peu éloigné de tout bois 8i dé toute
brouffaille, afin que ces miliciens s’écartent davantage
pour la fafeine; car j’ai toujours remarqué
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qu’ils n’ont pas de plus grand plaifir que celui de
revenir avec un rameau ou quelque autre chofe
de pareu.
Une fécondé maniéré feroit de choifir un grand
jour de pluie pour la revue ou l’exercice des habitants
& de tenir à couvert les armes & les munitions
de vos troupes dans leurs barrâques, ou leurs
tentes, jufqu’à ce que les fufils & la poudre des habitants
ayent été bien mouillés ; alors vous ferez
marcher contre eux vos troupes , qui leur donneront
par force la lo i , qu'ils ne voudroient pas recevoir
de bon g ré , fur - tour fi vous avez quelque
cavalerie, dont les fabres ne font pas moins tranchants
un jour de pluie.
La troifième manière eft de faire former les habitants
de telle manière que le premier mouvement
de vos troupes , rangées en bataille, les mette
néceffairement en défordre , ou , fous prétexte de
les voir défiler, leur faire préfenter le flanc à vos
régiments qui, de front & en bon ordre , tomberont
fur eux ; mais j ’ai traité plus amplement cette
matière, en parlant de la manière d’attaquer les
ennemis en flanc dans une bataille rangée, ou en
fortant d’une embufeade.
Avant de mettre à exécution les expédients pro-
pofés , vous témoignerez d’être content des habitants
, parce que s’ils s’appercevoient de votre défiance,
ils pourroient rendre inutiles vos ftratagêmes
par les nouvelles précautions qu’ils ne manque-
roient pas de prendre; & s’ils venoient à découvrir
votre intention , ils fe déclareroient. ouverte
ment ennemis , & vous n’auriez plus d’autre voie
pour les réduire que la vive force : c’eft ce qui
arriva au duc d’Alençon à l’égard des Flamands ,
après avoir manqué fon coup dans la prétendue
furprife d’Anvers. En mettant quelqu’un de ces
expédients'en pratique, prenez bien vos premières
mefures; car autrement les fécondés ne
réuffiront jamais.
Tullus Hoftilius, voulant défarmer les troupes
d’Albe, alliées de Rome, ne fit pasfemblant d’être
irrité de l offenfe que les Albanois lui avoient
faite , ni de la trahifon qu’ils avoient tramée ; au
contraire ; il leur fit un très bon accueil, & leur
ayant fait favoir que le lendemain il offriroit un
facrifice, il. leur donna ordre.de venir dans le
camp des Romains pour y aflifter. L’armée d’Albe
y vint fans défiance, & elle fut inveftie & dé-
farmée par les troupes d’Hoftilius.
Quand vous êtes fupérieur en force aux habitants
de là place que vous voulez défarmer , dif-
pofez vos troupes de la manière que je l’ai dit
précédemment ; faites enfuite publier un ban par
lequel fous peine de la v ie , il fera ordonné à
touts les habitants de porter leurs armes pendant
tin efpace limité d’un certain nombre d’heures,
dans un lieu déterminé où il y aura des coinmif-
faires de guerre , & des officiers d’Artillerie , ou
des gardes - magafins quides recevront > & atta-
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cheront une carte à chauue arme, où fera écrit
le nom de celui à qui elle appartient.
Ce terme d’heures preferites étant paffé, vous
ferez vifiter les endroits les plus fecrets des maifons
, tels que font les galetats ,les caves, les tonneaux
, les armoires, les puits , qu’il faut fonder
avec des crochets , les paiilaffes & les traverfins des
lits, les coffres, les tuyaux de cheminée , &c. ;
vous punirez , avec rigueur, le maître delà mai-
fort où il fe trouvera quelqu’arme cachée. Vous
choifirez pour ces vifites des officiers incapables de
fe laifler luborner. Peu de jours après vous ordonnerez
une fécondé vifite , & on examinera les murailles
nouvellement bâties, & qui fonnent creux ,
& les terres qui paraîtront nouvellement remuées.
Je ne. voudrois pas ôter à un gentilhomme n*
fon épée , ni un fufil de chaffe , parce que les épées
& ce petit nombre de fufils de chaffe ne fauroient
nuire beaucoup à des troupes armées de gros fufils
& de bayonnettes. La défenfe de porter l’épée caufe
à un gentilhomme , ou à un citoyen , qui avoit accoutumé
de la porter , une forte de honte publique
, qu’à quelque prix que ce foit il fouliaite
de voir finir.
Après vous être ainfi rendu maître de toutes les
armes , vous donnerez à entendre que vous êtes
perfuadé que la plupart de ceux qui ont été dé-
farmés font des fujets fidelles à votre prince ; mais
qu’on a cru néceffaire de fe faifir en général de
toutes les armes, foit pour ne pas offenfer quelques-
uns d’eux en particulier, foit parce qu’il en manque
dans les arfenaux du roi ; que dès que vous n’aurez
plus lieu de craindre un fiège, ou que vous aurez
éclairci qui font ceux que vous favez confnfément
machiner une confpiration contre le fouverain ,
vous rendrez aux autres leurs armes ; que c’eft
pour cela que , fur un papier attaché â chacune,
vous avez fait écrire le nom de celui à qui elle appartient.
Pour le mieux faire croire, vous rendrez
peu à peu les armes à ceux que vous connoiffez attachés
à votre prince, fans les rendre pourtant à ceux
dont le zèle & la fidélité pour le prince font d’une
notoriété publique , afin que les autres à qui on ne
les rend pas , ne puiffent pas s’imaginer qu’on les
traite comme rebelles. Parmi ces fujets fidelles , à
qui vous ne reftituerez pas leurs armes , vous en
choifirez quelques-uns des principaux, capables
du fecret, pour les inftruire du.motif qui vous fait
agir ainfi à leur égard ; & prétextant enfuite avoir
de nouvelles raifons pour craindre quelqu’entre-
prife delà part des ennemis , vous difeontinuerez
de rendre des armes, donnant toujours à entendre
que cela ne fera que pour peu de temps.
Je parlerai dans la fuire des ordres que vous devez
donner après avoir défarmé les habitants.
Des officiers & garnifons des places ou les mécontens
ont des intelligences.
Si tou s apprenez que les ennemis ont des inteî