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lui livrèrent quelques-uns des principaux complices.
Germanicus, apprenant que la première & la
vingtième légion s’étoient révoltées , écrivit à Cé-
cinna , officier de fa confiance, & lui marqua qu’il
fe mettoit en marche avec une puiffante armée,
dans la ferme réfolution de faire paffer touts les
rebelles au fil de l’épée , fans en excepter aucun, fi
avant fon arrivée ils ne châtioient pas eux-mêmes
les principaux coupables. Cécinna lut ces lettres
aux premiers officiers , & à ceux qu’il favoit n’avoir
pas confenti à la fédition ; il leur perfuada d’éviter
la mort & d’épargner l’infamie du fupplice à leurs
camarades, en leur repréfentant que dans la paix
an écoute les raifons, mais que dans la guerre les
innocents périffent comme les coupables.
Ces officiers, pourfuit Tacite, fondent les fol-
dats quils croyent propres à l’exécution de leur
tleffein, & voyant que la plus grande partie des
légions eft toute dilpofée à rentrer dans fon devoir
, ils conviennent avec Cécinna du temps qu’on
choifira pour égorger les principaux féditieux. Le
fignal donné , ils tombent fur eux , les paffent au
fil de l’épée dans leurs tentes , fans que perfonne ,
excepté les complices & les exécuteurs du carnage ,
fâche par oii a commencé le maffacre.
Fracheta, qui dit que touts les rebelles qui fe
perfuadent que leur crime ne mérite point de pardon
font ©bftinés dans leur révolte s le prouve par
l ’exemple des Capouans, qui refusèrent de paffer
dans le camp des Romains , quoiqu’ils euffent été
abandonnés par Annibal, & que le vice - conful
Fiaccus les en priât. Bonini fait la mèmè réflexion.
Fracheta tint pour maxime qu’un général doit
faire femblant d’être perfuadé que dans une révolte
le crime ne tombe que fur peu de perfonnes : c’eft
ce qu’il prouve par l’exemple de Caefar.
En parlant des révoltes des peuples, j’ai rapporté
divers exemples qui peuvent auffi fervir dans le
cas préfent.
- Comme je traite ailleurs fort au long de la manière
de fufciter des divifions parmi les ennemis ,
je dis feulement ici en générai que vous devez fe-
mer la difcorde & la défiance entre les troupes fou-
levées , & faire en forte, par des dons & des offres,
de détacher du parti révolté autant d’hommes qu’il
. vous en faut pour que le vôtre devienne fupérieur
au leur;
L’armée de Jean Cafimir, roi de Pologne, s’étant
foulevée en Lithuanie , ce prince fe prévalut de la
divifion qui étoit entre les féditieux, qui s’étoient
féparés les uns à la droite & les autres à la gauche ,
& fe trouvant par - là fupérieur en force , il attaqua
avec fucçès ceux de la droite.
Le confeiller Bruflel, un des chefs des rebelles
fous Louis XIV , abandonna le parti des révoltés
par l’offre qui lui fut faite de la part des Royaliftes
du gouvernement de la Baftille. pour fes fils. Par
une femblable voie un feigneur de diftinélien fe
détacha du parti des mécontents.j
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Punition des rebelles objlinèsi
Lorfque vous vous trouvez plus fort que les fé;
ditieux , ayant rangé vos troupes en bataille devant
eux , dites leur que vous êtes perfuadé que ce font
leurs chefs qui les ont trompés , 8t par conféquent
que touts ceux qui fe repentent de leur légèreté
précédente, ayentà paffer de votre côté : cela fait,
difpofez toute chofe, afin que les chefs, & ceux
qui font demeurés avec eux foient punis par la
main même de ceux qui avoient fuivi leur parti,
afin que dans la fuite perfonne n’ofe plus fe mettre
à la tête d’un foulèvement, & afin que vous ayez
la gloire d’avoir ramené la tranquillité fans avoir
encouru la haine que le châtiment peut attirer;
puifque par le fervice que les révoltés vous rendent
, en devenant eux - mêmes les exécuteurs de
la punition des autres , vous vous trouvez difpenfé
de châtier ceux qui reviennent à vous de bonne-
foi , & qui rachètent leur vie par la mort qu’ils donnent
aux autres. Faites attention à l’exemple fuir
vant. •
Germanicus acheva le difcours qu’il adreffoit à
la première & à la vingtième légion foulevées, en
leur difaat qu’il s’appercevoit déjà que plufieurs fe
repentoient de la faute qu’ils avoient commife ; &
qu’ainfi , pour lui donner une marque fincère de
leur regret, & un témoignage authentique de leur
i fidélité , ils euffent à s’éloigner des féditieux. Alors
ils vinrent en foule fe jetter à fes pieds, avouant
leur crime, demandant la punition des auteurs de
! la révolte, & priant Germanicus de ne pas envoyer
hors du camp Agrippine ni Caligula : à quoi Germanicus
répondit qu’il vouloir bien leur accorder
la grâce de leur laiffer Caligula , mais que c’étoit à
eux à exécuter le refie ; leur donnant à entendre
par ces paroles que le châtiaient des principauxfédi^
tieux les regardoit. Alors, pourfuit Tacite, ils vont
fe faifir de touts ceux qui étoient les plus féditieux,
& les amènent liés devant le Cétronius , commandant
de la première légion, qui rendit juftice de
cette manière ; Les légions étoient au tour de fon
tribunal, ayant touts l’épée à la main ;un tribun
montroit d’en haut le foldataccufé, & fi l’affenjblée
le déclaroit coupable, on le pouffoit en bas pour
être livré à la mort, & chacun fe faifoit un plaifir
d’égorger fon camarade , comme fi c’eût été par-là
fe rendre innocent. Germanicus ne difoit pas une
parole à tout cela ; & ne leur ayant rien commandé
»toute l’horreur du maffacre retomboit fur ceux
qui l’exécutoient. ' ;
Chimar s’étant foulevé contre le calif Moftadi
Affan, le calif repréfenta aux troupes révoltées l'in»
juftice de Chimar, & leur ayant offert le pillage
de fes biens, elles pourfuivirent elles-mêmes Chi*
mar, dont elles favorifoient auparavant le parti J
de forte que Moftadi, ayant fait châtier ce rebelle
par la main de ceux qui avoient fuivi fa révolte,
fut difpenfé de faire aucun autre exemple. Ayant
témoigne
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témoigné i ’é tre ïa t i s f a i t , il le s a ffermit d an s {on
fervice. , , ,
Quand ces troupes foulevees vous ont donne
la fatisfaâion dont je viens de parler , vous ne devez
nas les réformer , fous quelque prétexte que ce
puifle être , parce que fi vous faifiez voir dans cette
occafion que vous n avez pas pardonné de bonne-
fe i, il arriveroit dans la fuite qu’en pareil cas les
troupes fouleyées perfifteroient dans leur perni-
eieufe obftinarion. J’en ai déjà rapporté divers
exemples ; il faut pourtant les tirer de l’endroit ou
le crime a été commis , & où leurs camarades ont
reçu leur châtiment, afin que le fouvenir de leur
faute & la vue du lieu ne perpétuent pas en eux un
fujet d’affl âion & de crainte.
Tacite nous apprend que Germanicus en avoit
ufé de la forte, à l’égard de la première & vingtième
légion, pour les éloigner d’un camp dont la vue
leur faifoit horreur par le fouvenir du crime, & par
h violence du remède : ce font les paroles de
Tacite.
Des troubles qui tendent à une révolte formelle.
Les foulèvements commencent fouvent par des
mutineries qui dégénèrent enfuite en des révoltes
dangereufes ; ainfi, lorfque vous vous apperce-
vez que certains remuements , & les mutineries de
vos troupes tendent à un foulèvement formel, ou
par la haine qu’elles ont contre votre prince, ou
parce que leurs chefs font fubornés par les ennemis
, ménagez - les par des grandes , mais ambiguës
promeffes ; tâchez adroitement de ramener à
votre obéiffance autant de rebelles que vous pourrez
; demandez au prince de vous envoyer des
troupes des autres provinces , qui, par des marches
fecrettes , ou fous prétexte d’une autre expédition,
fe joignent à vous , afin de furprendre les révoltes ,
lorfque l’occafion favorable fe préfentera ; car il
eft à croire que les rebelles fufpendront en attendant
l’exécution de leur deffein , foit par l’efpé-
rance de recevoir les récompenfes promifes, foit
parce que n’ayant pas pris toutes les mefures né-
ceffaires , ils croiront qu’il y a encore trop de péril
pour eux de faire éclater leur infidélité.
Chriftierne I V , roi de Dannemarck, voyant que
quelques - uns, parmi une partie de fes troupes fou-
levées , s’obftinoient à vouloir qu’on leur accordât
certaines demandes, leur donna à entendre qu’il
fouhaitoit les fatisfaire en tout. Pour le leur mieux
perfuader, comme il étoit extrêmement familier
avec les foldats, il alla boire avec eux , ainfi qu’il
l'avoit déjà fait plufieurs fois ; mais quand il les
eut ennivrés, ce qui étoit la fin qu’il fe propo-
foit, il les fit arrêter. 8t punir.
Pendant que les Janiffaires d’Amurat, empereur
des Turcs , mettoient en pièce un françois fon
favori, ce prince faifoit femblant de prendre plaifir
a ce fpeélacle ; mais ayant peu après , fous je ne fais
quel prétexte, fait entrer dans Conftantinople un
A r t m ilita ir e . T om e I I I ,
R Ê V m
rros corps de cavalerie, il tomba fur ces infolents
faniffaires, qui éprouvèrent que la main d’Amurat
étoit auffi rude que fadiffimulation avoit été gnnde.
J’ai déjà dit comment on doit temporifer avec
les rebelles , & furprendre ceux dont la révolte n’eft
pas encore déclarée.
Lorfque vous aurez fournis par la force les foû*
levés, qui étoient venus à une révolte formelle,
c’eft affez leur garder la foi promife, que de leur
fauver la vie ; car il eft à préfumer que vous ne
leur ayez pas offert davantage. Mais comme les
membres de ce corps horrible ne doivent pas ref-
ter unis , congédiez les foldats qui le compofent,
ou difperlez - les dans differentes provinces & dans
divers régiments , afin de rompre par ce tranfplan-
temenc les mefures que les ennemis pourroient
tenter de vouloir prendre de nouveau avec eux.
Fabius Valcus crut qu’il devoit difperfer les cohortes
tumultueuses des Bavarois qui étoient dans
fon armée ; & 5®)æfar ne trouva pas moins nécef-
faire de féparer les troupes qui s’étoient foulevées
dans la Campanie.
Dés que l’empereur Sévère fut monté fur le
trône , il dégrada & exila à cent milles au tour de
Rome touts les foldats des cohortes Prétoriennes ,
q u i, dans la précédente confpiration , avoient
donné la mort à l’empereur Pertinax.
Si touts les moyens que j’ai propofés ont été inutiles
pour appaifer la révolte , & fi les.habitanrs ont
des forces fupérieures aux vôtres , faites éloigner
vos troupes d’eux , de peur quelles ne foient fur-
prifes ou entraînées par le mauvais exemple.
De la préfence du prince pour appaifer le foulèvement;
Le prince ne doit pas venir en perfonne appaifer
le foulèvement des troupes, excepté qu’il
n’ait des forces pour pouvoir furement y réuf-
fir, parce qu’outre la honte qu’il y auroit pour
un fouverain d’être vaincu dans les différents qu’il
a avec fes fujets , les foulevés pourroient fe
faifir de fa perfonne ; & fi une fois , d’une manière
ou de l’autre , ils lui ont manqué de refpeél
face à face , la grandeur de la faute ne leur laiffant
plus efpérer de pardon , il ne faut plus s’attendre
à un repentir ; quand même la préfence du prjnce
auroit réduit le plus grand nombre des féditieux ,
il y auroit encore à craindre pour dernier malheur
que le plus vil d-entre eux n’ofèt fe porter à la
plus infigne atrocité ; car, comme Jauregni l’a traduit
, fi ma mémoire ne me trompe :
L ’énormité du crime eft fouvent un a ttra it, '■
Quand on c roit devenir fameux par le forfait.
Luçain.
Le prince ne doit doncpas expofer fa perfonne
dans un foulèvement de troupes , excepté dans
une dernière extrémité où il n’y a pas d’autre
moyen d’appaifer l’armée, &. de conferver le
I royaunje, parce qu’alors la néceffité difpenfe le
A a a a
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