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Si la révolte eft fi confidérable , que vous puîA
fiez croire que ce fanglant exemple ne fuffiroit pas
pour l’éteindre , n’ulez point de cette rigueur ,
parce que les autres révoltés feroient le même
traitement à vos prifonniers , & dans peu on ne
verroit plus qu’une guerre fans quartier entre les
troupes & les habitants , ainfi que nous en avons
été témoins , il n’y a pas encore longues années,
dans la Catalogne, & lorfqu’ils ont fait pendre un
officier, la vengeance eft petite de faire pendre
enfuite vingt payfans. Pour confirmer ma penfée ,
je pourrois rapporter un exemple bien perfuafif
arrivé il n’y a pas plus de douze ans ; mais j’appréhende
qu’un généraWne s’en offenfe. Plufieurs
perfonnes fe fouviennent encore de l’écriteau que
les Miquelets mirent aux officiers qu’ils firent
pendre dans l'hôtellerie de Sainte-Lucie.
Au refte, par ce que je viens de dire , je ne
prétends pas vous porter à être cruel envers les
autres ennemis.
I l ejl avantageux de réprimer une révolte par la force
lorfqu élle ejl excitée par la populace.
J’ai prouvé qu’une trop grande douceur à l’égard
du peuple a des fuites dangereufes ; 8c je dis
à préfent que fi la fédition eft élevée par la feule
populace, s’il n’y a pas de la juftice dans ce qu’elle
demande, & fi l’on voit qu’elle cherche à fe choisir
un autre maître, vous devez plutôt employer
la force & la rigueur que la tolérance & la diffimu-
lation. Faites attention aux raifons de l’exemple
Juivarit.
En 1647, le marquis de Los Rios, vice • roi de
Sicile, ne put jamais pacifier entièrement le tumulte
du peuple de Palerme, nonobftant toute
la complailaace dont il ufoit à fon égard. En 1648 ,
le Cardinal Triulce, fon fucceffeur en la vice-
royauté, appaifa non-feulement ces troubles ,
mais il déîarma les Palermitains , leur ôta le privilège
qu’ils avoient de garder les baftions , & en fit
conftruire de nouveaux pour les tenir en bride ; il j
y réuffit en faifant voir qu’il étoit extrêmement attentif
& févère, & toujours prêt à fe fervir des
armes pour foumettre les rebelles, fans craindre i
leurs menaces. Comme c’étoit la coutume des
vice - rois, en arrivant à Palerme, d’aller au château
de Caftelamare ; ceux qui étoient attachés au
parti du roi, & qui, dans des felouques, étoient ;
allés à la rencontre du cardinal, lui confeillèrent de
fuivre cette coutume pour ne pas s’expofer aux in- !
fuites d’un peuple à^qui fon prédécefteur n’avoit
jamais ofé fefierrc’eft pour cette même raifon,
répondit le cardinal, que je ne veux pas aller au
château , mais au palais ; comme il y fut effeâive-
ment, pour donner à connoître qu’il ne craignoit
pas la canaille foulevée.
Le duc de Guife , averti par fes amis de ne pas
s’expofer aux infultes du peuple de Naples, qui
s’étoit foulevé tant de fois contre les gouverneurs,
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le u r répondît q u e les hommes d e b ie n portoîent fur
leur vifage un certain air qui faifoit trembler les
méchants.
Loriqu'onfe fert de la vive force pour étendre les
tumultes , il ne s’en forme pas enfuite de nouveaux
avec la même facilité que fi l’on avoit employé
la douceur ; ce qui eft encore plus vrai à l’égard
du peuple, qui eft affez méchant pour devenir plus
orgueilleux par la complaifance dont on ufe à fon
égard ; s’il quitte les armes , lorfqu’on lui accorde
ce qu'il prétend, il eft certain, qu’à l’ombre du
moindre prétex;e , il les reprend , dans la défiance
qu’il a qu’on ne lui tienne pas tout ce qu’on lui a
promis, ou parce qu’il veut qu’on lui accorde encore
mille autres chofes, auxquelles il n’auroit jamais
penfé, fi on ne lui avoit pas accordé la première
prétention. On évite ce péril quand ©n emploie
la force pour réduire les rebelles, parce
qu’alors on punit les chefs ; on défarme les habitants;
on garnit les poftes qui peuvent mieux dominer
les lieux ; enfin , on arrache la racine de
la révolte 9 & on en détruit la femence, ainfi que
je le prouverai dans la fuite.
Le peuple de Naples"s’étant foulevé à caufe de
quelques nouveaux impôts, offrit de quitter les
armes, fi on vouloir les leur ôter, & renouveller
les privilèges que l’empereur Charles V avoit accordés
à cette ville. Le duc d'ArcOî, qui étoit vice-
roi , le leur promit, & il réuffit ainfi à appai-
fer le tumulte. Peu de jours après les écoliers
firent une émeute , &. demandèrent la confirmation
de leurs anciens privilèges ; en même - temps des
garçons, qui prenoient l'aumône dans un couvent,
excitèrent un fécond trouble ; & les armes à la
main, vinrent demander je ne fai quelles extravagances
: enfin, tout le peuple, orgueilleux de la
capitulation qu’il avoit faite avec le duc d’Arcos,
fe fouleva fous les plus légers prétextes, reprit
très fouvent les armes , & chaque fois ces mutins
prétendoient quelque chofe de nouveau. Cela leur
étant accordé , & la paix faite , ils fe foulevoient
encore jufqu’à vouloir enfin qu’on ôtât à la no»
: bleffe la plus grande partie des privilèges, dont
j elles ayoient toujours joui; que le peuple mît garni-
fon dans un des châteaux de Na pies,(k autres chofes
extravagantes, qui firent comprendre au duc d’Arcos
que la douceur dans la pacification des révoltes
eft un remède qui ne fait que pallier le mal pendant
quelques jours, pour le faire paroître enfuite
avec plus de violence; alors , changeant de méthode
, il fe fervit de l’armée navale & des troupes
de dom Juan d'Autriche, & de la nobleffe du
royaume pour réduire le peuple par la force.
En parlant des foulèvements des troupes, je
dirai qu’il faut üfer de douceur avant que d’en
venir à la force, pour donner aux .rebelles le temps
de connoître leur crime , pour juftifier enfuite la
rigueur des châtiments qu’il faudroit exercer fur
les obftinés, & pour ne pas laiffer dans l’efprit des
fu jets u n trifte fouvenir d e s m alh eu rs d ’u n e défaite»
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Cette maxime paroît contraire à ce que je viens
de dire , mais on doit faire.attention qu’il s’agit ici
d’une populace ; & quoique je parle ailleurs d’un
foulèvemént de foldats , comme la profeffion des
armes les a annoblis & les a aguerris dans les combats
, on doit attendre d’eux un plus prompt repentir
de leur faute. Il faut auffi faire attention que
les fuites peuvent être plus dangereufes à vouloir
les foumettre par la force , que u on avoit à faire
avec des habitants, qui, par leur peu d’éducation ,
n’ont que des fentiments bas , & dont on a moins
à craindre par leur ignorance à favoir combattre ;
enfin , les exemples que je rapporte , en l’un &
l’autre cas , font voir , par le fuccès , la raifon de
différence ; d’ailleurs, je nè prétends pas empêcher
qu’on fufpende pendant quelque temps la rigueur
contre touts les rebelles qu’on croit pouvoir
foumettre par la raifon , & contre ceux dont
il faut avoir des preuves plus claires , afin que le
châtiment ne paroiffe pas trop prématuré ; mais ce
retardement demande une affurance bien certaine ,
afin de ne pas tomber dans touts les inconvénients
à craindre, lorfqu’on fe laiffe endormir par de
feintes propofitions de paix que font les ennemis.
De la temporifation.
Si, n’ayant pas de forces fuffifantes pour réprimer
l’infolence d’un pays révolté, vous en attendez
bientôt, ou fi vous avez befoin d’un peu de
calme pour garnir les places qui, dans l’imprévue
bourrafque d’un foulèvement, fe trouvent dépour-
! vues, il faut condefcendre à ce que les habitants
exigent de vous , à l’exception néanmoins de leur
[ remettre des places, de peur qu’en attendant ce
renfort de troupes, les rebelles ne maltraitent ceux
de votre parti , & ne s’emparent de vos places mal
1 gardées. Seïon les livres facrés, u il y a un temps
pour fe taire, & un temps pour parler ».
Le duc d’Arcos , vice • roi de Naples, accorda
tout ce que demandoit ce peuple , qui, dans un
efpace de peu de jours, s’étoit foulevé pour la
\ quatrième ou la cinquième fois , à la réferve néanmoins
du château Saint-Elme. La fin du duc , dans
I cette condefcendance , fut de gagner du temps
pour garnir les châteaux, & attendre l’armée navale
de dom Juan d’Autriche qui ne tarda guères
d’arriver.
Quelques généraux, après avoir reçu les troupes
I dont ils avoient befoin, ont tâché indireélement
& adroitement de donner aux rebelles un nouveau
fujet de la défobéiffance, afin d’avoir un
pretexte de prendre une autre réfolution, pour ne
Pas manquer ouvertement à la capitulation. Pour
qui regarde la confcience, comme la théologie
R eft pas ma profeffion, j’ ignore s’il y a du danger
dans une femblable pratique ; je fais pourtant que
Thomas dit: «que la loi qui n’eft pas proportionnée
à la vertu, n’eft pas une loi » ; ainfi il me
parou que ce traité, que des fujets, les armes à la
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main , ont forcé le fouverain de conclure, ne doit
pas fubfifter , parce que , bien loin d’être proportionné
à la vertu , il renferme trois nullités confi-
dérables ; la première eft que ce traité n’a pas été
libre; raifon qui difpenfe même des voeux ; la fécondé
, que ce traité n’a pas été fait pour un plus
grand bien , puifque je le fuppofe injufte; la troisième,
que les rebelles ont violé le précepte de
l’obéiffance due au fouverain, ayant dérogé en
prenant injuftement les armes aux droits facrés
de la légitime fouveraineté.
Nonobftant ce qu’on vient de dire, j’aime encore
mieux m’en tenir aux moyens que je vais
bientôt propofer.
On regarda comme quelque chofe de peu convenable
à la générofité du duc d’Arcos, d’avoir
confeillé à dom Juan <f Autriche , que fans autre
prétexte que celui de la force, il rompit la paix qui
venoit d’être conclue avec les Napolitains , & de
faire canonner Naples par l’armée navale & les
châteaux ; ce qui fut ainfi exécuté, les Efpagnols
ayant dans cette occafion furpris les portes de Médina
& du S. Efprit, & les poftes de Pizzofalcone
& de Sainte - Marie la neuve.
En 1526 , Antoine de Léiba & le marquis Del-
Vafto , a yant fait entrer dans Milan les troupes de
l’empereur Charles V , pour attaquer le château ,
voulurent défarmer la ville qui conimençoit à faire
quelques remuements. Comme ils cherchoient un
prétexte peur mettre à couvert leur parole fur
certaines capitulations nouvellement conclues avec
le peuple , ils firent un jour tuer en leur préfence
deux ou trois Milanois, en fuppofant qu’ils n’a-
voient pas ôté leur chapeau en paffant devant eux.
Ce fanglant châtiment ayant fait foulever le
peuple, les deux. généraux prétendirent, qu’attendu
la nouvelle fédition, ils n’étoient plus obligés à
accomplir ce qu’ils avoient promis ; & faifant entrer
dans Milan le refte de l’infanterie Efpagnole
qui s’étoit approchée, ils défarmèrentles Milanois 5
ce prétexte me paroît trop cruel.
Chriftierne I I , roi de Dannemarck, pour rompre
la trêve qu’il avoit faite avec les Suédois, donna
ordre fecrètenaent à fon amiral, que fous quelque
prétexte il infuîtât les premiers vaiffeaux de Suède
qu’il rencontreroit. L’amiral obéit, & les Suédois
fe reffentirent de cette injure, qui futfuivie d’une
guerre entre ces deux couronnes comme Chriftierne
le fouhaitoit.
Les raifons que fa i alléguées en faveur de la
bonne - fo i, font tant d’impreffion fur moi, que
malgré les exemples contraires que f^i rapportés ,
je fuis de l’avis de Jufte-Lipfe, qui veut'« qu’on ait
de la bonne- foi envers ceux - mêmes qutfen manquent
». Je dis donc que, fans engager votre parole
, vous pouvez entretenir les rebelles pâr l’ef-
pérance de leur accorder des capitulations s/vanta-
geufes,en différant adroitement de les contlure,fous
prétexte d’attendre la confirmation du prince, ou
en demandant du temps pour réfoudre fur certains