
l ’apprécier. & la diriger, eft-tout ce qu’on peut faire.
Sans doute on doit rejetter cette autorité aveugle,
autant qu’infenfée , qui fait tout adopter fans choix ,
qui exclut farts réflexion, ne connaît de juge que la
paflion ou l’ignorance, & qui iroit jufqu’a entreprendre
fur les droits de la raifon même. L 'autorité
doit fervir à nous appuyer, mais non pas à nous
conduire. L a raifon doit être notre guide : l'autorité
fert à nous affûter que ce guide ne nous égare pas.
Nous devons fuivre l’une , & confulter l’autre.
Les arts , comme on l ’a d i t , quoi qu’affujettis à
une imitation pofitive de la beauté vifîble & matérielle
, n’en font pas moins fournis à toute l’incertitude
du goût. C e beau qui fait, leur règle , n’en eft
pas moins un problème pour l’imagination qui s’égare
dans fa recherche.- Les ouvrages de l’a r t , où ce beau
fe trouve imprimé, éprouvant moins de contradiction
, fervent à fixer l’idée du beau plus puiffamment
que ne le peuvent faire les variables ouvragés de la
nature. À in f i, rien de plus précieux que ces monu-
mens durables, où le génie a fçu rendre à jamais
immuables les règles du beau. Rien de plus raifon-
nable en même-tems, que cette autorité fondée fur
le fuffrage de tant de générations & de tant de peuples
divers.
M a is , s’il eft un a r t , dont les principes de beauté
aient à craindre toute la mobilité de la mode, toutes les
variétés de l’opinion, c’eftfans doute Tarchiteéture. C ’eft
suffi.dans cet art cnitY autorité bien entendue, peut exercer
l’empire le plus utile. L ’architecture n’ayant point de
modèle vifible dans la nature, elle ne fonde fon imitation
, 8c les principes de fa beauté, que fur lés rapports
, les analogies qui affeéient agréablement notre
-âme par l’entremife dé la vue. Les moyens qu’elle
employé , pour nous faire éprouver les fenfations qui
dépendent d’elle, font fouvent indirects; & comme fon
pouvoir fe fonde fur la coîinoiffance de notre âme,
elle ne fauroit trop en confulter les affections , en
interroger les reflorts dans le plus grand nombre des
hommes. Le beau effentiel ne pbuvant être déterminé
en architecture , le fecret de Cet art eft , en quelque
forte , de juger du beau par ce qui p la ît , & d’en établir
les règles fur la certitude de nos plaifirs.
Cette méthbde, fans doute , eft périlleüfe : l’art
qui eft forcé de la fuivre fera le plus expofé à toutes
les révolutions du goût. On le verra fouvent s’égarer
en rte cbnfiilrant’que l’imprèffion du petit nombre ,
au lieu de celle de la multitude, & en prennant,
mal-à-propos, pour le fentiment du plaifir, ce qui
n’étoit que Terreur d’an caprice local 8c momentané,
C e t examen , ce difcernement eft le plus difficile de
tous, parce que f architecture ne fauroit le rapporter à
un modèle confiant & uniforme ; 8c que lors même
qu’ëlle a fàifi la vérité dans lés analogies que la
nature lui préfênte , elle n’eft pas' Sure que les yeux
du peuple pour qùi plié travaille, fautont Tâpperce-
yoir & Ia ;gdurer.
Sans doute le beau en architecture- ne feroit plus
un fujet de difpùte, fi Part pôüvoit interroger tous
les peuples. Le point où fe réuniroient tous les honv»'
mes de tous les tems & de tous les pays, feroit indubitablement
celui qui fixeroit Part à jamais : mais
comment efpérer cette réunion générale de toutes
les voix ? A fon dé faut, l’art a dû fe contenter de
la pluralité. On eft convenu que ce qui , pendant un
grand nombre de fiècles , avoit été trouvé beau par
un très-grand nombre d’hommes , devoir l’emporter
fur les exemples éphémères d’un ufage lo c a l, qui
n’ont point e u , & ne fauroient avoir l’avantage de
s’étendre & de fe perpétuer.
L 'autorité en architecture ne doit donc être autre
chofe que la certitude' de la pluralité des fuffrages
fur les matières du goût & fur celles du beau. Mais,
lorfqu’à cette réunion de voix la plus confidérable
poffible, à cette approximation la plus vraifemblable
de Tuniverfalité des opinions , fe joint encore la qualité
des fuffrages, \il femble qu’il ne fauroit plus y
avoir de rifque à fuivre Y autorité , qu’une faine critique
a éclairée j & qu’on ne fauroit rien trouver qui
répugne à la raifon dans cétce fubordination bien
entendue.
Tèllé eft Y autorité de l’antique, & celle que les
Grecs exercent dans Tarchiteéture. Il eft naturel qu’on
ait donné une entière confiance aux inventions des
fiècles éclairés & des nations perfectionnées par le
concours de tous les arts, ce Les Grecs plus voifins de
m la nature , apperçurent, dit Ch amb ra i, bien plus
» . nettement les chofes que nous n’entrevoyons qu’a-
» vec peine , après une longue étude de l’archi-
m te dure antique. » Auffi leurs ouvrages font - ils
devenus. ;p.our nous, l’équivalent de la nature même.
C ’eft Y autorité dè Tàntiqiie qui a foiitenu le goût
d’architecture que nous avons conftamment luivi
depuis le renouvellement des.arts. Une efpèce de pré- i
jugé , mais qui pourtant ceffe d’en être un , a per-
fuadé qu’on ne pouvoit rien ajouter, rien ôter , rien
changer au fyftême que fes ingénieux- inventeurs ont
f ç u , en quelque forte , faire adopter à la nature.
L ’expérience des tems modernes n’a que trop prouvé,
par tous fes effais infructueux, la néceffité de cette
autorité. Perfonne n’a pu , jufqu’à préfent , s’y fou-
ftraire, fans s’expofer au mépris inévitable des âges
fùivans. L ’efprit de caprice peut bien, pour un tepis >
accréditer des nouveautés , mais le jugement prompt
ou. tardif de la poftérité , ne manque jamais de les
défavouer, 8c de vanger la raifon des injures de la
mode.
Cependant'Tautorité de l’antique veut être appréciée
, xlifcutée, modifiée par la faine critique,
par la connoiiTancè approfondie des monumens,
àinfi que des peuples qui les érigèfent, des fiècles ou
ils furent, élevés , 8c des caufes qui purent influet
fur leur goût. ( Koÿéç A ntique 6* A rchitecture-)
Il eft peu d’abus que Y autorité mal-entendue d®
l’antique , appliquée fans .choix & fans difcernement,
ne puiffe juftifier bu accréditer. Sans les principes qui
doivent régler la mefure de fon p o u v o i r o n par-
viendroit à changer en loi? les exceptions . 8c a traust
. forme?
S former en régies l’abus même des règles. Avec Yart-
■ torité, dit Algarotti , il n’y a rien qu’on ne puiffe
I exeufer , il eft peu de fyftême, fi vicieux qu’il foie,
■ qui ne puiffe trouver en fa faveur un exemple dans
■ les relies de l'antiquité. Ceux qui mettent des denti-
| cules dans la corniche D o riqu e, ont pour eux les
I thermes def Dioclétien, & même le théâtre de Mar-
■ cellus. L ’arc de T ra jan ’ nous fait voir des modifions
■ qui ne répondent point au centre des colonnes,: & le
I temple de Nifmes-en préfente qui font placés à contre-
■ fens. Qui çhercheroit un architrave coupé par un arc,
I en trouveroic à l’amphithéâtre de.Poia. Le Panthéon
B offre une arcade qui coupe l’qrdre fupérieur, ou
■ Tattique, qui règne dans fon intérieur. Il n’eft pas
B jufqu’à la perpendicularité des colonnes , qu’on ne
B puiuer attaquer par l’exemple des colonnes inclinées
■ du tombeau de T éron à Agrigente. Enfin les frontons
B brifés, ou en reffauts , les tranfpofitions de parties,
B & la confufion des ordres , tout peut s’ étayer de
B <yiz\qa' autorité , fur-tout dans les monumens des bas-
B fiècles. C ’eft par de tels moyens que berlio , & bien
B d’autres architeétes, ont réuffi à accréditer les licen-
B ces & les nouveautés les plus bizarres. C ’eft par
B l’antique qu’on a cru juftifier les inventions les pliis
B contraires au véritable efprit de l’antique.
Que prouvent ces exemples ifolés qu’on veut
B oppofer aux principes généraux & au fyftême uni-
B verfel de T antique ; Que prouvent-ils en faveur de
B ces innovations ? Rien.
| N il agit ad caufam , lïtem , quoi lite refolvit.
Deux caufes contraires ont introduit le même
B genre d’erreur , & ont favorifé ces abus de Y autorité
B bans Tarchiteéture : le mépris de l’antique , & fon
B eftime outrée.
Les détraéteurs de l’antiquité ont employé des
B moyens différens pour parvenir à leurs, fins. Tantôt :
B on les a vu , dans leur admiration exclufive , dimi-
B rtuer le • nombre des ; chefsTd’oeuvre', & borner leurs
B hommages à une feule idole , pour, fè ménag-er la
B-facilitéde renverfer le culte d’un feulcoup. D ’autres
B Fois, on les v o it , admirateurs hypocrites , lui porter
B des coups fecrets & détournés , employer les déo-ui-
B femens de la ru fe , & les rafinemens d’une adulation
B perfide. D ’autant . plus à. craindre qu’on les craint
■ moins, ces ennemis fecretsde l’antiquité, enveloppés B “ JJ11 refpeét, paroiffent adorer tout & fans
Breferve : mais leur perfide vénération ne tend qu’à
B diminuer l’hommage dû aux chefs-d’oeuvre , .en le
I partageant aux objets qui en font indignes. Dans
Bleurs louanges, fans mefure & fans proportion , ils
I veulent moins rehauffer ce qui eft petit, que rabaiffer
I ce qui eft grand ; 8ç ce niveau qu’ils veulent établir,
I ne tend qu’ a déprimer la hauteur à. laquelle ils ne
I peuvent atteindre. C e refpeét affeété pour des objets
I r\T l\ en Wrn Pas <^ignes ’ ne carde pas à devenir
I r F V * comme «ne fauffe eftime avôit tout
I tl 1 ? n ^eferédit général fe communique indi-
I «mélement à tout. . 1
•drchiucture. Tome 1,
zélateurs outrés de l’antique ne contribuent
quelquefois pas moins à décrier fon autorité, ou à la
rendre injufte 8c illufoire. Sans doute , on ne fauroit
trop raffembler d’exemples 8c de faits dans un art de
raifonnement, où le goût, comme on l’a d i t , fe doit
décider à la pluralité des voix j Ton ne fauroit réunir
trop 6.'autorités 3 mais, farts doute auffi ,. le poids doit
quelquefois l’emporter fur le nombre. Oublieroit-oii
que les monumens du bas â g e , parce qu’ils font de
plufieurs fiècles moins' anciens, nous font parvenus
en plus grand nombre 3 & que bien d’autres raifons
doivent entrer dans la balance où fe pèfent les auto-
ru és. Quelques qu’elles fo ien t , la raifon doit toujours
préfider à l’application qu’on en peut faire. On doit
refpeéter Y autorité de l’antique , mais plus encore
celle de la raifon, dit Filander : Antiqui'.atem quidern
certè veneratnur 3fed ea tenus , f i non nimium improbèa
& contra ratibnem faciet.
Pour fixer les bornes de Y autorité dans l’architecture
, il convient de fixer les principes de cet?
art. De cette’ connoiffànce réfulte çejles des ca£
où Y autorité eft applicable , & où elle doit avoir plut
ou moins de force.
L a théorie de Tarchiteéture nous conduit à y recon-
noître trois efpèces de principes :
Les premiers,fondés fur la nature même des chofes,
fur le befoin 8c fur les fenfations les plus groffières,
font les principes de (plidité ou de néceffité, tels
que la perpendicularité des colonnes, le parallelifme .
dès-etages, la fymétrie naturelle , 8c autres chofes
du même genre. Ces principes doivent être de tous
les tems, de tous les pays , & communs à tous les
hommes.
Nous appelions les1 féconds, principes de beauté
& de convenance : ils dérivent de la connoiffance de
notre ame, & des proportions analogues à *nos conceptions
perfeétionnées.
Ceux de la troifième efpèce s’appellent principes
de goût : ils ont plus rapport à la partie de l’ornement
& aux détails de la décoration.
Nous ne développerons point ici ces principes :
Ç. Voye{ P r in c ip e . } nous ne les avons retracés que
pour en tirer-Jes conféquences relatives au pouvoir
de Y-autorité fur eux.
Les principes de la première claffe , comme l ’on
v o i t , ne font point fournis à Y autorité , puifqu’ils
tiennent à des caufes-qui , loin de dépendre d’elle,,
lui donneroieut au contraire la loi. Vautorité d’ailleurs
leur feroit mutile , puifque c’eft la force & la
néceffité des chofes qui en tait la bafe 5 & que pofant
fur la nature & fes loix phyfîques , ils font de tous
les tems, de tous'les pays , & .communs à tous ,les
hommes. Qu el que puiffe erre l’exemple qui en con-
trediroit l’évidence , il ne mériteroit d’ê tre, ni pro-
pofé ni combattu.
Si Y autorité eft inutile pour les principes de foli-
dité , elle eft plus que raifonnable , & doit avoir
une force très-grande dans les principes du fécond.
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