
fauroit en douter , reprit le Romain ! voilà' les
quatre faifons , fyoebolè des âges de la v ie que
nous avions coutume de repréfenter fur nos far-
cophages. L ’E g y ptien nous dit depuis qu’une efpèce
de preirentimentTavoit avertit que ce pouvoir êtr-e
une fontaine.
« C ’en étort une, en e f fe t , quoiqu’il n’y eût aucune
apparence d’eau , ni rien dansl’architefture qui
eût rapport à un ré fe rvo ir , à un château-d’eau.
» Quand nous fûmes que l’ufage du pays étoit
de faire des fontaines fans eau-, nous trouvâmes
moins extraordinaire d’en vo ir qui étoient réellement
fort logeables intérieurement, a vec des fenêtres
, des balcons extérieurs , & dont les habi-
tans n’étoient rien moins que des nymphes.-
» Je cherchois vainement dans cette ville pin-
fleurs monumens dont les noms avoient plus d’une
fois retenti parmi nous. L ’acadétnie , ce lieu fi
v a n té , où fe raflemblent les favans d’élite de tour
le royaume , je ne l’eufle jamais vue fans les bons
offices d’un inconnu à qui je m’adreffai , & qui
eut la complaifance de nous conduire par un petit-'
& très-obfcur efcalier dans une pièce qui fait partie
des ruines d’un ancien palais. On me montra pour
le muféumr qui n’étoit qu’en p ro je t , un corridor
prefque auffi long 8c auffi large que l’aqueduc de
l heUalonique. Les gymnafes , les exhèdres ou
Fieux d’ènfeignement public & d’éducation', je ne
pus réuffirà en voir un feu l, car je ne pus jamais
déterminer mes collègues à entrer dans quelques-
uns de ces bâtimens qui nous offroient l’afpeâ
de prifons; & cependant je rencontrois des édifices
avec des portiques, de spérifiyle s , des colonnades;
j'en v o y c k que je prenois pour des temples , pour
des monumè'ns publics, mais dont le : caratlère fe
trou voit démenti par le nom du propriétaire inf-
erit au-deflus de la porte. Un feul homme à qui
je communiquai mes remarques fur bien d’autres
difparates, m’en donna cette raifon. Jufques ici,,
me d it- il, aucun efprit public n’a animé cette nation
; la vanité feule des riches a été la mefure des
entreprifes de l’art : voilà pourquoi tout ce qui eft
d’utilité publique eft fi c h é t i f , & tout ce qui eft
particulier vous parok démefuré & fr plein de
c.ontre-fens. L ’opinion, plus que la raifon , a toujours
été la reine de ce pays , qui n’a encore ni
connu , ni employé fes forces. Si vous pouviez
revenir au monde dans un fiècle vous trouveriez
tout bien changé -};.
L à finit, autant que je me Te rappelle, le récit
d*Ariftarque ; il fut convenu que tout refteroit dans
le même ordre entre les ombres ; que les Grecs
jouiroient de la même préfeance , & qu’on ne pour-’
ro it reveiller cette queflion qu’au bout de cent
an«.
C a r a c t è r e . ( ja rd ina g e ). On peut appliquer
à 1 art des jardins une partie des principes & des
ebfer valions de l ’article précédent. Je me garderai
donc de les répéter dans celui-ci. La feule divifion
qui me paroiffe effentidle à faire obferveri eftcelle
du caratlère des jardins , relativement aux Cantons
& relativement à leur deftination particulière.
La théorie du car attire envifagè par rapport aux
cantons , embraffe les règles générales de l’art du
jardinage, en tant que cet art peut éveiller en nous
les mêmes id ées , & porter dans notre ame des
fenfations égales à celles de la nature ; & cette
théorie fe fonde fur la connoiffance de la nature
& des moyens variés qu’elle emploie pour nous
émouvoir dans les tableaux qu’elle nous préfente,’
La théorie du caratlère envifagè par rapport à la
deftination particulière des jardins , fe fonde fur
les convenances partielles de ceux pour qui on les
compofe fur la nature des édifices dont ils dépendent
, des befoins qui doivent en régler la dif-
pofition , des ufages publics ou privés , & des
commodités fociales.
Quelques obfervatîons fur ces deux genres de
carattire compoferory: cet article. O n renvoyé
pour le furplus le le&eur aux mois Canjon , Jal;
din, & c .
La nature, d’après les lo ix éternelles de k beauté
& de la variété qu’elle fuit toujours , a départi
aux payfages une grande diverfité de caratlères , 8c
l'on diroit- qu’en faifant ainfi elle a eu égard à la
diverfité de goûts & de peneha-ns des hommes
deftinés à habiter: ces lieux. Celui-ci chérit des
attraits paifibles & des fentimens calmes , celui-là
des fcènes éblouiffanfes 8c animées* La nature
fatisfait tous les tempéramens-, tous les penchans
même par les caratlères variés des cantons. Et nous
pouvons flatter nos goûts dans nos jardins d’une
manière toute auffi variée & même plus riche
que dans les d ivers genres de peinture & de poéfie.
C ’efi pourquoi la nature elle-même donne à tout
homme qui fe fait un jardin le droit d’en choifir
le caratlère } fuivant le penchant de fon goût individuel.
Q u oiqu e les nuances de la nature , dans les
cantons & dans les jardins , foient fort nombreufes,
on en réduit cependant à un afl’ez petit nombre les
principanx caratteres. ( P'oye^ C a n t o n . )
• L ’agréâbl’e , le gai & le riant ne diffèrent, par
exemple , entre eux , que du plus au moins. Il
n’efi pas rare , dans les fcènes naturelles de ce c a -
r a tiè r e , de les voir fe fondre tellement l’urt dans
l’autre, qu’on ne peut plus en remarquer les limités*
Ee ffie , la liaifon des objets , & mille aceidens
varies , font naître fouvent ces différences , d’une
maniéré fi délicate & fi prompte , les rendent fi
tranchantes entre elle s , fr Taillantes , & enfuite fi
peu vifibles , que l’art de l’obfervateur s’efforce en
vain d’en rangçr toutes les variétés dans un ordre
fixe. Cependant , quoique nous ne puiffions pas
entreprendre de déterminer exa&ement tout ce qui
dépend du f ite , des liaifons 8c des aceidens, on
peut défigner quelques-uns des objets qui nuancent
ce caratlère. C ’eff ainfi que la nature nous
fournit pour le caratlère de l’agréable 2 des montaarnes,
des collines , des vallons , des prairies ;
des bois. Des lacs , des rivières , des grouppes •!
d’arbres, des bofquets-& des vues'qui s’étendent
fut les objets changeans 8c animés du p a y fa g e,
tels que pâturages couverts de troupeaux , ports
& rivages remplis de barques ou de pêcheurs ,
élèvent ce caratlère jufqu’au gai. Des gazons v e r - ;
doyans, les fleurs d’arbriffeaux champêtres des !
grouppes légers d’arbres & de buiffons à feuillage
clair v& aérien , des ruiffeaux , des cafcades qui fe
jouent au travers des arbres , achèvent de le rendre
riant. Mais il eft d’autant moins poffible d’pb-
ferver toutes ces nuances dans un jardin artificiel
qu’elles font toujours entremêlées dans la nature.
Le caratlère de l’agréable eft répandu dans la
nature avec beaucoup de profufion & de v ar ié té ,
& c’eft avee raifon qu’on fait la plupart des jardins
en ce genre. Dans un dçffin dont l’ agréable
fait le caratlère, on fuppofe le&çnêlange d’une foule
d'inégalités & d’élévations d^jjfol , de petites co llines
8c de vallonsl L’art de les mettre en fcène
confifte principalement à les lier enfemble , en-
forte qu elles produifent tout l’effet que peut produire
un tableau harmonieux , à y planter d.$
bocages , des bofquets 8c des grouppes de fleurs ,
d’arbriffeaux & d’arbres , à les parer d’un beau
gazon , & à les animer par des eaux courantes 8c
tombantes, par des ponts*& des fabriques. Beaucoup
de contraftes piquans dans les effets du jour
& des ombres, des- maffes 8c des percés , beaucoup
de variétés & d’attraits dans les afpe&s qu’offre
-le pay-fage d’alentour , font les attributs de ce
genre de caratlère.
La fécondé efpèce de caratlère eft le férieux ou
le mélancolique : l’art des jardins doit étudier dans
la nature les moyens que celle-ci emploie pour
le produire.
La nature nous livre pour les fcènes de ce caractère
des enfoncemens profonds, desfentes dans
de hautes montagnes & dans des rocs , des recoins
cachés dans des endroits montagneux, des lieux
incultes & touffus & des déferts boifés. Rien de
tout ce qui annonce de la vivacité ou un mouvement
aétif ne peut entrer dans cette efpèce d ’ordonnance.
Point d’afpeft animé , point de riante
pelou fe, point de parterre de fleurs brillantes,
point de lac découvert. La felitu d e, la c lô tu re ,
î’obfcurité & le calme „doivent régner ici par-tout
& y produire -fur Famé leurs puiffantes impref-
fions. S’il s’y trouve de l’e a u , elle fera dormante,
ou n’aura qu’ une marche infenfible , elle fera
embarraffée de ro fe au x, & s’enfoncera fous les
ombres d’arbres penchés fur fon l i t , ou bien elle
difparoîtra dans un épais buiffon & invitera l’imagination
à fuivre fon cours myftérieux dans l’ob-
feurité.
Afin de détourner la -lumière & de renforcer
les ombres, les plantations néceffaires confifteront
en landes touffues, en grouppes ferrés ou en bofquets
fermés ; les arbres 8c les arbriffeaux auront
«fi feuillage abondant & d’un verct foncé ; de
longues allées d’arbres élevés & touffus , garnies
de buiffons q u i, en augmentant la clôture de ces
lie u x , en augmentent auffi les ténèbres 8c le fiJence,
ces a llées, femblâbles aux voûtes d’antiques cou-
vens 8c d’ églifes gothiques , font ici très-convenables
& invitent l’ame à la méditation.
'Les ouvrages d’architeélure qui conviennent
aux jardins du caratlère mélancolique, 8c qui en
renforcent les effe ts, font des hermitages, des
maufolées, des ruines. La fculpture fournit des
moirumens , des urnes, des colonnes & d’autres
marques de fouvenirs confacrés à l’amitié ou aux
triftes regrets d’un objet aimé. La poéfie nous '
offre des inferiptions attendriflanres q u i , en rap-
pellant la fragilité des chqfes mondaines, donnent
encore des préceptes de fageffe. Les inferiptions
paroiflent fur-tout indifpenfables dans les'jardins
du caratlère dont il s’ agit. Elles mettent ou du
moins entretiennent l’ame dans la difpofition analogue
8c convenable. Mais ces . objets 8c ceux
dont on vient de parler perdroient bientôt tout
leur effet s’ils étoient trop répétés ; ils demandent
beaucoup de diferétion dans leur em p lo i, beaucoup
de difeernement dans leur choix.
L ’art ne peut prendre que peu de part à la troi-
fième forte de caratlère , 8c qu’on appelle le ro-
manefque. C e caratlère, qu’on a déjà tracé à l’article
C a n t o n ( voye^ ce mot) , eft prefque entièrement
l’ouvrage de la nature. Celle-ci le compofe
non-feulement de cantons montueu x, dé
rochers, de cavernes , de g ro tte s,d e cafcades , de
cataraéles, mais elle emploie encore des liaifons'
8c des oppofltions extraordinaires, des irrégula-'
rités étranges dans leurs combinaifons 8c dés har-
dieffes frappantes dans les contraftes. I l faut q r e
la nature ait totalement préparé le lieu où doit
s’offrir un jardin romanefque ; toutes les imitations
de l’art n’aboutiroient ici qu’ à de ridicules'
bagatelles. Mais auffi la nature montre tant de
variété dans ce caratlère, qu’ on peut imaginer une
fuite de deffins & de jardins romanefques, tous
diftingués l’un de l’autre par des coups de pinceau
fortement prononcés. Cependant c’eft ic i où
tout dépend à-peu-près du caprice de la nature,
queTartifte a le moins le droit de prétendre qu’elle
réuniffe précifément dans l’emplacement choifi,'
tous les traits du romanefque dont elle parfeme
j fes tableaux.
L e quatrième caratlère , qui eft le fublirae &
le plus majeftueux, ne fauroit fe créer par l’art des
plantations. I l s’écouleroit plus d’une génération
avant que des arbres nouvellement plantés , quoique
d’une végétation prompte & d’ un accroiffe-
ment rapide , fe fufient revêtus d'une apparence
propre à caufer le fentiment qui doit réfulrer de
ce caratlère ; mais la nature y a pourvu par les
chênes & les hêtres élevés , refte du premier âge
du monde que nous trouvons dans nos forêts. O n
choifira donc -pour les jardins auxquels on voudra