
ma v u e ! Il me femble voir ces anciens tableaux,
dont les figures, fans mouvement & fans caratfère ,
avoient befoin , pour l’intelligence du fu je t, qu’on
leur fit fortir de la bouche des légendes 6c des
inscriptions.
L ’emploi desattributs offre à l’architeâe le champ
le plus vafte & le plus illimité pour caraétérifer les
monumens ; car l’invention des attributs n’a pas
plus de bornes que l’art de l’allégorie. O n peut
les changer , les modifier , les renouveller fous
toutes fortes de formes : le g én ie , feul maître en
cette partie , ne peut craindre que de les rendre
obfcurs à force de combinaifons nouvelles. Il
eft en ce genre des tempéramens à conferver : il
faut prendre garde d’onrir des énigmes au peuple
en place d’infcriptions. Il eft des formes données,
il eft certaines attributions convenues qu’il faut
ménager : il y a même des préjugés qu’.ii faut
refpe&er en en tirant parti. Mais il faut fur-
tout obferver le plus grand difcernemént & la
plus grande retenue, tant dans la répartition des
attributs & leur convenance entre eux , que dans
l ’application qu’on en fait aux édifices, pourquoi
ces fphinx à une fontaine pour en jetter l’ eau ?
pourquoi ces lions à la porte d’un particulier ?
pourquoi ces atlantes en Hercule fous ce balcon?
pourquoi des trophées fans monument triomphal?
pourquoi ces candélabres , ces brafiers au-deffus des
toits & des portes ? pourquoi ces fymboles éternels
des quatre arts, des quatre vertus à l’extérieur des
maifons qui ne renferment ni arts, ni vertus ? pourquoi
des tritons à l’avant - fcène d’un théâtre ?
pourquoi ces fignes du zodiaque dans fa voûte ?
Combien de pourquoi n’y auroit-il pas à dire en
ce g en re , & combien enauroit dit ce Grec dans
le vo y ag e imaginaire qu’il fit chez les modernes ,
& dont j’ai extrait une partie de ce qu’on vient de
lire ! HJ
On fu p p o fe, dans cette fi&ion que j’ai lue jadis ,
& dont je ne me rappelle que les traits qui avoient
rapport à l’architedure , que de grands débats
s’étôient élevés dans l’empire des ombres entre les
anciens & les modernes. Chaque jour y amenoit
de nouvelles ombres modernes d’un pays fur-tout
qui fe difoit furpaffer en urbanité , en goût , en
é lég an ce , en inverition , en cara&ère, les Grecs
même. Long-tems ceux-ci avoient méprifé de pareilles
ja&ances. Car , dans le royaume fouter-
rein , chaque peuple occupe le rang qu’il a tenu
fur la terre , & la préféance n’avoit jamais été
contcftée à celui de la Grèce. Cependant les réclamations
de la part du peuple rival devenant plus
fréquente s, il fut réfolu que chacune des nations
les plus célèbres enverroit un député fur la terre ,
pour vifiter l ’état aftuel du goût & des arts , fur-
tout ch ez le peuple réclamant , & en rendre
compte à Paffemblèe des étatsfouterreins. L ’Egypte,
R om e , la^prèce en choifirent chacun un. Le député
de la Grèce étoit , fi je me le rappelle bien ,
Ariftarque,
J’a i' oublié toutes les remarques critiques que
chacun des députés fit fur la partie qui lui étoit
confiée dans l’infpeétion qu’ ils dévoient faire ; car
ils dévoient rendre compte de l’état des moeurs,
des connoiffances humaines , des fciences, cle la
légiflation , des arts & même des inventions
mécaniques dans toute l’Europe. Je me rappelle
feulement que l’Egyptien ne s’étonnoit que de
trouver le genre humain plus ignorant qu’il ne
l’avoit laiffé. Le Romain n’avoit rien trouvé de
nouveau que l’ufage de la poudre à canon , 8c
regrettoit fort que cette invention fût venue fi
tard. Le G re c rendoit plus de juftice à certaines
inventions j il regrettoit fur-tout que l’ufage de
l’imprimerie n’eût pas confervé aux générations venues
depuis , une foule de connoiffances dont les
modernes n’avoient pas même l’id é é , une foule
d’autres dont on leur conteftoit la p ropriété, & bien
d’autres encore qui tenoient à des procédés particuliers
que le hafardfait trouver quelquefois plutôt
que l’expérience,
En fait d’art 9 de tableaux , de ftatues , ils
rioient tous à l’envi , de fe voir ajuftés , habillés
dans une mode à eux inconnue ; ils prenoient
fouvent ces repréfentations pour des parodiesou des
charges dont ils s’amufoient les premiers. L e Romain
reconnut cependant quelques traits de fon
hiftoire fans le fecours de perfonne. Le Grec eut
un feul moment d’illufion devant les tableaux d’un
feul peintre. L ’Egyptien ne concevoit pas d’où
venoit cette bifarrerie de vouloir repréfenter des
hommes qu’ils n’avoient jamais vus & qu’ils necon-
noiffoient pas, au lieu de fç peindre eux-mêmes.
Le Grec lui répondit, en jettant les y e u x fur les
habits de ceux qui l’entouroient : vous faites leur
é lo g e , c’eft la feule p reuve qu’ils ont encore un peu
de goût. L ’Egyptien ne comprit point cette réponfe.
Mais la partie du récit d’Ariftarque que j ’ai le
mieux retenue, & qui d ivertit le plus fes auditeurs,
fut celle qui avoir rapport à l’architefture & à
l’entrée qu’ils firent dans la v ille qu’ils avoient le
plus d’intérêt de connoître. En voici quelques
traits.
« D es routes d’une largeur extraordinaire, fans
aucun abri contre les intempéries perpétuelles de
toutes les faifons, qui ne femblent en faire qu’une ;
des routes dont le6 deux côtés rapporteroient en
grains’, s’ ils étoient femés , de quoi nourrir l’Ât-
t ique , & dont le milieu eft toujours peuplé d’hommes
occupés à leur réparation, & qui vivent fur
les grands chemins pour que d’autres y paffent;
un amas confus de maifons, fans forme , qui ref-
femble dans le lointain aux champs lapidéens ; une
vapeur épaiffe comme celle qui couvre les forêts
de l’Ellithie,nous apprirent que nous étions voifins
de la ville.
» Nous y étions déjà même entrés fans nous
eh être apperçus ; car cette ville n*a point de m urailles
; elle n’a point non plus de portes qui en
indiquent & en annoncent l’entrée. Ce ne fut que
dans la fuite çflie j’appris ce qui lui tient lieu des
unes & d e s autres’, en m’informant de ce qui nous
étoit arrivé en y entrant. En effe t, j’avois apperçu
un temple d’ordre dorique périptère & en tout fem-
blable, aux proportions & à la beauté p r è s , a
ceux de la G rè c e , à ceux fur-tout des grands dieux
& de Jupiter Olympien. Je nedoutois point, à la
forme & au ftyle majeftueux de l’ordre en quef-
tion , à la fituation de l’édifice fi voifin de la v i l le ,
que ce ne fut un temple dp Jupiter prote&eur des
villes. J’invite mes compagnons de vo y ag e d’y
entrer. Q u elle eft notre furprife ! A u lieu de ftatuè,
d’au te l'& de prêtres, de trouver une petite chambre
obfcure & enfumée, où des hommes d’affez
mauvaife mine, nous demandent ce que nous avons
à déclarer. Sur l’embarras de notre réponfe , ils
nous offrent d’entrer en compofition félon ce que
nous voudrions donner. Nous comprimes qu il
s’agiffoit d’offrande. Nous n’avons que de l’ argent,
dit le Romain , à offrir au dieu : en v o ic i ; con-
duifez-nous an temple. C ’èft bien ce qu’il nous
faut, dit un d’èux , en prenant les pièces d’argent.
Il n’y a point de temple i c i , mais à qifctre cens
pas vous allez le trou ver; il nous indiqua, je ne
fais quel édifice , qui teffembloit à une tnaifon
ordinaire ; par égard , & pour ne pas paroître trop
étrangers, nous fîmes femblantde le v o ir : ce qu’ il
y a de fûr , c’èft que nous ne le vîmes plus en
paffànt d e van t, & croyant en être déjà fort loin ,
nous n’ofâmes plus J e demander.
w Queftgnifie c e c i , me difois-je en moi-même ?
prend - on plaifir à abufer de l’ignorance des
étrangers pour rire à leurs dépens ? C e genre de
d’incivilité ne fut jamais le propre d’un peuplepoli
& hofpualier : tout ici me femble démentir un tel
foupçon , ou. cette ville feroit - elle une colonie
d’Alabandins ? f e u s b ien tô t , dans le féjour que
nous y f îm e s , l’explication de cette première nié-
prife.
| En effet-, ayant apperçu du haut de la rnaifon
où nous étions lo g é s , un grand édifice circulaire :
mes amis , nous dit le Romain avec tranfport,
nous fomniesheureufement tombes dans ce lo g is ,
nous vo ic i près de l’amphithéatre ; il nous en fai—
foit voir les dimenfions : elles approchoient de
celles des petites villes ; mais il y en aura plusieurs
pour les différentes efpèces de jeux. I l étoit impatient
de fortir & d’y aller dès le matin. L note
à qui je m’informois de l’heure ufitee pour les jeux
de théâtre , me dit que c’étoit de nuit qu’ils com-
mençoient. Cette réponfe , qui me parut encore
une attrape , ne put modérer l’ impatience qu’avoit
le Romain de fe voir au milieu d’une arène. Nous
fortons ,& l’édifice lui-même nous fert de guide.
Déjà le Romain expliquoit à l’Egyptien la ftruc-
ture de ces fortes d’ édifices dont il n’a y oit pas
l’idée. Cès grilles que vous appercevez feront les
loges des animaux. Ces arcades font numérotées
comme à Rome ; cette couverture convexe
qui furmonte le milieu de l’édifice ? c’eft une
toile pour garantir les fpe&ateurs des injures de
l’air ; je n’en avois cependant pas vu de cette
forme. Ces hommes fi forts que je v o i s , feront
fans doute des lutteurs & des gladiateurs. Noirs
entrons. Ici Ariftarque interrompît fon récit. L'e
fouvenir de la furprife dont le Romain fut frappé en
entrant, renouvella le rire qui l’avoit fiiffoqué alors.
Il eut beaucoup de peine à faire entendre & concevo
ir aux auditeurs que les gradins qu’avoit apperçu
le Romain étoient des facs de farine ; que les athlètes
étoient les porte-faix ; que l’amphithéâtre enfin
étoit un horreum , & qu’on les avoitpris pour des
boulangers*
» Je fus b ien tô t , reprit-il , que ces jeux n’étoient
point en ufage dans le pays ; mais j’avois entendu
parler des pièces de théâtre , & je mourois d’envie
de voir & d’entendre dans une langue étrangère
les héros d e là G rè ce . Pour n’avoir plus à endurer
de nouvelles méprifes, je me fis enfeigner d’un©
manière préc'ffe la route qui conduit au théâtre
principal , & j’achetai un plan de la ville avec
lequel je ne devois plus avoir befoin de guidei
Nous étions dans la rue à laquelle il fait face , &
quand mon plan ne m’en éût pas affuré , l’empreffe-
ment de ceux qui y affluoient ne devoit pas m e laiffer
de doute. Cependant mes compagnons de voyag e
ne pouvoient encore y croire , & je ne pouvois les
déterminer à avancer. L ’expérience du paffé lés
avoit rendus méfians , une forte de mauvaife
honte les mettoit en garde & les roidiffoit contre
mes preuves. Je n’ irai pas plus loin , difoit le R o main
, affurément vous vous trompez. C e monument
ne fauroit être un théâtre ; fa forme quarrée
& fon grand toît indiquent un grenier, ou plutôt
c’eft un caflellum aquarium, je n’ en faurois douter ;
v o y e z des deux côtés ces arcs d’aqueducs qui y
conduifent l’eau. Pour m o i , difoit l’Egyptien , fi
je me reffouviens encore de Memphis, il y avoit
des édifices de ce genre ; ce que vous appeliez un
toit me paroît une pyramide., & je' juge que c’eft
un tombeau' auquel on aura peut-être joint un
temple dans ce petit périftyle. H eureufement, pour
vaincre leur réfiftance. & terminer leurs débats ,
j’apperçus fous ces petites colonnes une infcrip-
tion. V ou s av ez perdu tous les deux , leur dis-je ;
lifez ces cara&ères, ils n’ont pas été mis là pour
nous tromper.
« Il nous fallut encore plufieurs équivoques du
même genre pour nous familiarifer avec le ftyle
de ce pays , & nous donner l ’intelligence & la
c lef de fes monumens. Par exemple , nous paf-
fions dans une rue. Un monument orné de figures
en r e lie f, frappe nos regards. Voilà fans d o u te ,
me d is - je , un cénotaphe ou monument honorifique
élevé à quelque Reine de ce pays. O n ne