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par des irrigations , foit d’un côté , foit de l’autre,
l ’oit par-tout à la fois.
» Je vous aurois depuis long-temps fait grâce de
tous ces détails, 8c me ferois peut-être épargné
le reproche de minutieux, fi mon deffein n’avoit
été de vous faire parcourir dans cette lettre juf-
qu’aux moindres coins de ma maifon. J’ai efpéré
de même vous faire lire fans ennui ce que vous
verriez je crois fans déplaifir, penfant bien d’ailleurs
que vous feriez cette promenade à plufieurs
reprifes , 8c pourriez , dans la leéture de cette
le t t r e , faire à votre gré plus d’une paufe. Je vous
avouerai cependant que je me fuis un peu livré
à mon inclination favorite ; car j’ai un goût particulier
pour cette maifon , que j’ai terminée, 8c
dont je fuis prefque entièrement le créateur. Enfin,
. (& vous verrez fi je me trompe ou n o n ) je crois
que le premier devoir d’un écrivain efi de fe bien
pénétrer dé fon o b jet, de fe demander à lui-même
quel efi le fujet qu’il prétend tra iter, 8c de l'avoir
qu’on efi toujours concis quand on s’y renferme ,
è c prolixe quand on s’en écarte. V o y e z combien
de vers emploient Homère 8c V irg ile pour décrire
les armes d’Achille 8c d’Enée ; ni l ’un ni l ’autre
cependant ne font diffus, parce qu’ils ne font que
remplir leur objet. A v e c quelle minutieufe exactitude
Aratus compte 8c raffemble les plus petites
étoiles \ cependant il ne fort point des bornes de
la convenance ; cette longueur n’eft pas de fon
f a i t , elle efi de l’effence de l’ouvrage. A in f i , pour
comparer les petites chofes aux grandes, m’étant
donné pour objet de mettre fous v o s y e u x ma
maifon toute en tiè re, fi je n’ai point mêlé de
digreflions étrangères, ne dites pas que la def-
cription efi longue , mais que la maifon décrite«
eft grande. Je reviens à mon fu je t , de peur que
/ d’après ma propre lo i cette digreffion même ne
me condamne.
» V ou s favez maintenant pourquoi je p r é fé r e r a
maifon de Tofcane à celles de T u fcu lum , de Tibur
& de Prænefte. Outre tous,les avantages dont je
v ou s ai p a rlé , j’y goûte un repos plus profond,
un loifir plus calme 8c plus folitaire. ‘Point de
néceflité de porter la to g e , point de client importu
n dans le voifinage. T o u t y porte l’empreinte
du bonheur 8c de la tranquillité*. Un climat fain,
un ciel pur , un air v i f 8c léger , tout fortifie en
moi la famé du corps 8c de l’efprit : j’exerce l’un
par la chaffe & l’autre par l’étude. T o u t mon
monde fe porte ici mieux que par-tout ailleurs ; je
n’a i , jufqu’ à préfent ,, perdu aucun de ceux que j ’amène
avec moi. Veuillent les dieux conferver à
c e lieu les mêmes avantages, 8c à moi ce bonheur!
Ad ieu ».
P l i n e à G a l l u s . -
« V o u s êtes étonné., cher G a llu s ,. que mon
Laurentin ait pour moi tant de .charmes ; vous
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cefferez de l ’être, quand vous connoîtrez tous les
agrémens de cette maifon de campagne, les avantages
de fa fituation 8c l’étendue de fon rivage
Je fuis à dix-fept milles de Rome ; fi bien qu’a-
près avoir fait les affaires à la v i l le , on y arrive
fans rien prendre fur la journée. D eu x routes
conduifent à ma maifon : la voie Laurentine 8ç celle
d’Oftie. Mais il faut quitter la première au quatorzième
m ille, 8c l’autre au onzième; toutes deux
tombent à un chemin fablonneux en partie, un
peu long 8c rude pour les v o itu re s , mais doux
8c bientôt fait à cheval. Rien de plus pittorefqüe
8c de plus varié que cette route : tantôt elle fe
refferre entre des bois, tantôt elle s’ouvre à travers
de vaftes prairies, où de.nombreux troupeaux
de boe ufs , de chevaux & de brebis defeendus des
montagnes au fortir de l’h iv e r , retrouvent dans
la bonté des pâturages 8c la douce chaleur du
printems, leur embonpoint 8c leur beauté première.
» Ma maifon eft fpacieufe 8r commode, fans être
d’un trop grand entretien. On trouve en premier
un veftibule ou atrium, qui n’eft ni fomptueux
ni trop fimple , enfuite line cour petite mais riante,
environnée de portiques circulaires dans la forme
d’un O . C ’eft un excellent abri contre les mauvais
tems : on eft défendu par des vitreaux 8c encore
par l’avance des, toits qui la couvrent. Du
milieu de ces portiques, vous paffez dans une
grande cour fort g a ie , 8c dans une belle falle de
feftiris, qui s’avance fur le rivage de la m e r , dont
les vagues , pouffées par le vent d’Afrique 8c
déjà b rifées , viennent doucement mourir au pied
du mur. D e toute part cette pièce eft percée de
portes 8c de fenêtres égales à des portes, de manière
qu’en face 8c de deux côtés ,.il femblé qu’on
ait vu e fur trois mers différentes. A l’oppofite
l’oeil retrouve la grande jco u r , la petite environnée
de portiques, les portiques de l'atrium, 8c
dans le fond lçs forêts 8c les montagnes lointaines.
A la gauche de cette falle 8c un peu en
retraite eft une chambre fort grande fui vie d’une
pareille , percée de deux cô té s , de manière à
recevoir les premiers rayons du fo le i l, 8c à jouir
a uflî de fes derniers regards. D e celle-ci on jouit
aufli. de l’ afpeél de la m e r , de moins près à la
v é r ité , mais d’une manière plus calme. Cette
chambre 8c la falle à manger forment un angle
où le foleil fe concentre 8c double fa chaleur.
» C ’eft l’endroit que mes gens fréquentent l’hiv
e r , 8c dont ils font leur gymnafe. C e lieu d’exercice
ne connoît d’autres vents que ceux q u i, par
quelques nuages, troublent plus la féré-nité du
c ie l, que le calme dont on y jouit. A l’angle eft
pratiquée une charribre ronde 8c voûtée , dont
les fenêtres fuivent le ;cours du foleil. Dans l’é-
paiffeur des murs font des armoires en forme de
bibliothèque , qui renferment une colle&ion choi-
fie de mes livres les plus ufuels. D e- là vous paffez
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dans des chambres à coucher , par un corridor
dont le plancher fufpendu eft formé de dalles.
Par ce fouterrein , circule 8c fe communique de
toute part la chaleur du feu qu’on y entretient,
& qui fie trouve heureufement tempérée. Le fur-
plus des chambres de cette aile eft à l’ufage des
affranchis 8c des efelaves : la plupart font d’une
fi grande propreté qu’on en feroit des chambres
d’ami.
» L’autre aile eft compofée d’une fort belle
chambre, d’une fécondé qui peut fa ire , ou grande
chambre, ou moyenne falle d’affembléè; celle-ci
reçoit la plus grande clarté des rayons du foleil
& de la réverbération de la mer : vient enfuite
uneanti-chambre, qui donne entrée dans une grande
pièce très-exhauffée', bien c lo fe , ab r ité e , 8c par
là aufli fraîche l ’été que chaude en hiver. Ces
deux pièces fe trouvent répétées 8c féparées par
une cloifon commune. On paffe de-là au bain
froid. C ’eft une grande 8c vafte falle ; de chaque
côté' du m u r , & en face l’un de l ’au tre, font
pratiqués deux grands baflins circulaires, où l’on .
peut nager, fi l’on v e u t , fans aller plus loin. T ou t
auprès eft l’étuve pour fe parfumer, 8c la chambre
tiède. "Viennent enfuite deux autres falles plus
élégantes que riches, 8c attenant à elles. Le bain
chaud eft fiavantageufeiiient frtué, qu’en fe baignant
on' découvre la mer. A ffez près de là eft le jeu
de paume, expofé à la plus grande ardeur du
foleil couchant. D ’un c ô t é , s’élève une tour qui
contient deux cabinets au rez-de-chauflee, deux
autres femblables dans l’étage fupérieur, 8c au-
deffus une falle d’affemblée, d’où l’on découvre
la vafte étendue de la m e r , toute la longueur
de la c ô t e , 8c les charmantes maifons qui l’em-
belliffent. D e l’autre c ô t é , une tour femblable contient
une chambre percée au levant 8c au couchant
; dans le haut une ferre très-ample 8c un
grenier qui occupent le deflùs d’une grande falle
de feftins, où le bruit de la- mer agitée fe fait
entendre à la v é r it é , mais bien affoibli par l’éloignement.
j) Cette falle a vu e fur les jardins 8c fur les
■ allées qui régnent tout autour. Les allées font
bordées de buis 8c de romarin ; car le buis fe
plaît 8c verdit abondamment dans les lieux abrités;
pais il craim le v en t 8c le grand air ; 8c pour
peu qii’ il reçoive de l’eau de mer, il fe fane 8c
fe deffèche. U n jeune plant de vigne ombrage la
partie comprife entre les allées 8c le jardin fruitier.
Le fol en eft léger 8c très-doux , même pour
marcher nuds pieds. Les arbres qui réufliflent le
mieux dans le pays , font le figuier 8c le mûrier ;
aufli font-ils le principal ornement de mon jardin.
Un falon jouit de cet afpeét qui le cède peu en
agrément à celui de la m e r , dont il eft .éloigné.
Celui-ci eft accompagné par-derrière de deux pavillons
dont les fenêtres donnent fur le veftibule
la maifon 8c fur le jardin potager. D e ce
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côté s’étend le chryptoportique, ou galerie fou-
terraine, ouvrage qui tient de la beauté 8c de
la magnificence des monumens publics. Il eft perce
de fenêtres des deux côtés , mais en plus grand
nombre du côté de la mer que fur le jardin. Il
y en a aufli quelques-unes de plus élevées. Quand
le tems eft calme 8c ferein , on les. ouvre toutes.
Si le vent donne d’un c ô té , on ouvre les,fenêtres
de l’autre. Un parterre parfumé de violettes eft au-
devant de la galerie , q u i , par fa réverbération
augmente l’ardeur du foleil qui s’y con cen tre,
en même tems qu’elle le garantit des vents du
nord. Au fli y fait-il aufli chaud par-devant, que
froid par - derrière. Le vent d ’Afrique fe trouve
rompu par e lle ; enforte que de tout côté elle
vous offre un abri contre les vents diffère ns.. T e l
eft l’agrément qu’on y trouve l’hiver ; mais il eft
encore plus grand l ’été : car jufqu’à midi elle porte
ombre fur le parterre , 8c après-midi fur les allées
8c les autres endroits du grand jardin qui s’en rapprochent
; 8c l’on vo it croître 8c fe raccourcir cette
ombre félon la longueur des jours. Cependant la galerie
nereçoit jamais le foleil dans fa plusgrande ardeur,
c’eft-à-dire , lorfqu’ il eft d’ à-plomb au-deflùs
du faîte. Alors les fenêtres s’ouvrent 8c y reçoivent
de tou.te part l’haleine des zéphyrs qui y renouvellent
l’a i r , 8c par une agréable agitation entretiennent
fa falubrîté.
« A l’extrémité du parterre 8c au bout de la
galerie , on trouve le pavillon du jardin : c’eft un
petit bâtiment détaché qui fait mes délices : j.e
l’appelle ainfi , car je l’ai conftruit moi-même. Là
eft une pièce , dont le foleil qui y entre de toute
part fait une étuve : elle a v u e , d’ un c o t e , fur
le parterre ; 8c de l’autre , fur la mer. Son entree
répond à une chambre v o ifin e , 8c une de fes fenêtres
donne fur la galerie. Un .cabinet particulie
r , élégamment o rn é , fe joint à.c ette pièce du
côté de la m e r ; de manière q ue , par des portes
vitrées 8c par des rideaux qu’on ouvre 8c qu’on
fe rm e , tantôt le cabinet ne fait qu’un avec la
chambre, 8c tantôt il s’en fépare. Il y a place
pour un lit 8c deux chaifes. D u cote où le lit eft
adoffé, on voit les maifons de la côte ; à vos pieds
vous découvrez ,1a m e r , 8c du c h e v e t , les forêts
voifines. Autant de fenêtres , autant d’afpeéts dif-
férens, qui s’unifient 8c fe partagent comme 1 on
veut.
» L’on paffe de là dans la chambre de n u it , def-:
tinée au fommeil. Rien de plus calme que cet
endroit. Les vo ix des efelaves ne fauroient y parvenir
: on n’y entend ni le mugiffement de la
m e r , ni le fifflement des v e n t s , ni le fracas des
orages : la lueur des éc la ir s, ni la clarté du jour
ne fauroient y pénétrer, a moins qu*on^ n ouvre
les croifêes. La raifon d’une tranquillité fi pro--
fonde , c’eft qu’entre le mur de cette chambre
& celui du jardin , eft le quartier des hommes
dont la cour affez fpacieufe diflipe tout le brui»