
le loifir & la faculté de s’ébattre ; c’eft qu’on a '
pris pour du génie l’invention de lignes & de
contours extraordinaires. Alors on a vu 1 art des
plans devenir, comme l ’art de la marqueterie,
un affemblage de combinaifons purement fantastiques
, dont la nouveauté faifoit le feul mérite :
citer les édifices dont le caprice a ainfi diCté les
plans, ce leroit faire for tir de l’oubli des monu-
mens que le mépris y a condamné depuis long-
tems. Je me contenterai d’avoir indiqué la caufe
de ces caprices de plan , que le crayon trop fertile
de quelques architectes a fi fort multipliés ; j’aurai
occafion d’obferver ailleurs combien l’architeCture
séduite à n’ètre que l’art de delfiner les édifices ,
s’eft appauvrie & dégradée ( Voyt^ Dessin &
Dessiner ) , & l’on verra que l’abus dont on vient
de parler n’eft que le moindre de ceux qui réful-
tent de cette méthode. Je paflé aux caprices d’ornement
& de décoration, qui font fans compa-
raifon les plus nombreux de tous.
On a vu dans l’article précédent que le caprice
ne devoir fe confidérer que comme l’abus du plaifir,
& que l’ornement étant la partie de l’architeCture
la plus dépendante du plaifir des y e u x , e’étoit
aufli celle où le caprice diétodt le plus impérieu-
fement fes loix arbitraires.
C ’eft bien dans cette partie qu’on trouvera le
plus de ces inventions qu’on appelle des caprices.
Et comme fi l’on n’eutpas dû affez compter fur la
malheureufe fécondité des hommes médiocres,
quelques hommes de génie » à la tête defquels on
peut mettre Michel-Ange, ont fanCtionné de leur
imposante autorité ces abus de l’imagination.
On doit attribuer au goût immodéré de l’àra-
Befque, le goût & l’invention des caprices dont
je parle depuis long-tems. L’efprit d’imitationl’oubli
des fymboles & des allégories antiques avoient
réduit l’ornement à n’être qu’un langage infigni-
fiant & muet pour l’efprit. Si l’on eonfidère les
m<?Dumens du bas âge & ceux qiïi reçurent les
premiers rayons de l ’art renaiflant, on y verra
l ’ornement, dans l’état que je viens de dire. Le
mélange auïïi indifcret qu’abfurde des fujets &
des détails les plus incohérens entre eux , le prouve
de refie. Le renouvellement du goût arabefque
devoit introduire en ce genre plus d’agrément,
mais non plus de difcernement. Alors on fit un
art de goût de ce qui eût dû être un art de rationnement.
On ne vit plus l’ornement que fous
\& rapport qu’il pouvoit avoir avec l’agrément des
y e u x , & comme aucun genre d’utilité ne pouvoit
en circonfcrire les formes & les obligations ,
tout fut facrifié aux convenances vagues & indéterminées
du plaifir.
De-là font réfultés ees caprices d'ornement que
leur emploi aufli indifcret que bannal a rendu bientôt
infipides. Il a fallu, pour réveiller l’attrait du
plaifir , paffer du capricieux au bifaire ; & toutes
ses reflburcfis épuifé.es.,, l’architeClure devait tome
ber dans un autre excès, celui d’une pauvreté qui;
pour fuir tout vice, n’eft pas un moindre vice
elle-même.
Tel fera toujours par rapport à l’ornement l’état
de l’architeCture, jufqu’à ce que Celui-là ramené
aux vrais principes de fon inftitution, & dégagé
de tout ce qu’un mélange impur de formes purement
capricieufes , d’allégories ingénieufes &. d’énigmes
inexplicables , y a accumulé d’incohérence
& de monftruofité, puiffe enfin devenir ce qu’il
n’auroit jamais dû ceffer d’être , une écriture dont
les caractères, fans manquer de plaire aux yeux,
parlent intelligiblement à l’efprit.
Ce n’eft point à cette article qu’eft réfervée
cette théorie. ( Voyeç Ornement ). Je n’ai fait
ici qu’indiquer la fource des caprices de l’ornement,
& je ne m’occuperai pas en ce moment des moyens
qu’on pourroit employer pour tarir cette fource. Mais
en condamnant également tout ce qui dans ce genre
s’écarte des principes de la raifortil y auroittrop
de févérité à ne pas établir quelques degrés de
différence , & des mefures d’indulgence pour des
compofiiions qui peuvent appeller de ce jugement
au tribunal.du goût.
Ainfi, en ne confidérant ici l’ornement & toutes-
fes formes, que comme des caractères dont on
peut faire emploi fans en connoître la valeur, il
refte toujours à juger la configuration de ces caraélères
, & le plus ou le moins de licence qu’on,
peut fe permettre en ce genre.
Comme l’ornement, ainfi qu’on l’a déjà dit &
qu’on le dira encore ailleurs, repofe fur deux bafes,
l’imitation des types delà charpente & l’allégorie,
celte première & fimple divifion fixe à cet égard
une règle que Fon peut provifoirement établir,
& que le goût lui-même indique. Çeft qu’il ne
peut dans aucun cas être permis d’abufer des formes
efîentielles qui conftituent les membres de
l’architeélure, pour les pervertir au grédu caprice
& les faire fervir au jeu de l’ornement..
De grands architectes fe font permis, je le fais,
beaucoup trop de femblables licences. Florence,
cette ville qui a le moins à rougir des abus de.
l’imagination dans l’architeCture, Florence elle-
même n’eft pas exempte de reproches à ce fujer.
Que dis-je ? c’eft chez elle, qu’à l’abri de la grandeur
impofante & de la majeftueufe ftructure de
fes édifices fe font introduits ces premiers écarts
dont l’exemple devoit produire de fi dangereufes
conféquences. Baldinucci nous apprend dans la
vie de Buontalenti ( voyc% l'a vie de cet artifle ) l
que cet architecte Florentin fut le premier à introduire
fur les corniches & architraves des frontons
dont les chevrons font retournés à Fenvers.
Cette confufion une fois établie entre les parties
caraCtériftiques de la charpente dans les édifices
j & les jeux indéterminés de la décoration , devoit
; produire une efpèce de diffol.Htkm entre eux. H
• devoit en= réfultec ce qu’une funefte. expérience
«e nous a que trop démontré; le défaccrird total
des principes , l’oubli des types primitifs & des
convenances les plus Amples de l’ornement.
La «partie de l’ornement, qui dans les édifices
dérive de l’imitation des types , ne fauroit, fous
aucun prétexte, fe prêter aux inventions capricieufes
du plaifir. Ces formes-font trop déterminées
par le befoin pour pouvoir être perverties,
contournées ou changées au gré de la fantaifie ;
elles peuvent recevoir des ornemens, mais elles
ne peuvent fe convertir en ornemens proprement
dits : ainfi le goût lui-même, de concert avec la
raifon, condamnera tous les caprices d’ornement
qui tendroient à introduire le moindre équivoque
en ce genre. '
La même févérité, on l’a déjà dit, ne~ïauroit
avoir lieu relativement à l’autre partie de l’ornement
proprement dit.
L’ornement, cela eft trop clair, ne devroit être
qu’un affemblage de caraélères intelligibles & ex-
preflifs, capables de rendre les idées de celui qui .
les emploie. Si-tôt que celui-ci ceffe d’en comprendre
le fens , on devine aifément à quel degré
cle puérilité l’ornement fe trouve réduit. C’eft
cependant dans cet état de chofes qu’il faut que
le goût fe conftitue fon juge.
Mettant donc à part tout motif d’utilité relatif
à l’objet pour lequel il eft vifible que l’ornement
a été inftitué , le goût n’exigera pas moins en premier
lieu un autre genre d’utilité ou de convenance
; & c’eft d’abord, en ne confultant que le
plaifir des yeux & l’harmonie générale, la né-
ceflité d’introduire l’ornement fur telle ou telle
partie ; c’eft; fur la difpenfation économe, jufte
& agréable de tous les objets qui compofent l’ornement,
qu’il appartient au goût de prononcer; &
à cet égard l’on peut dire que le caprice eft un
des plus ! grands ennemis du plaifir.
Les caprices d’ornement que le goût fe hâtera
de profcrire encore , feront ceux qui, tranfportant
dans l’ornement fculpté les délires de l’arabefque,
expoferoient aux yeux des affemblages trop monf-
trueux, des combinaifons trop informes, ou des détails
dont l’incohérence acquiert encore plus de difformité
& de déraifon parla privation de couleurs à
laquelle eft réduit l’ornement en fculpture. Oncon-
çoit que la fculpture matérielle & palpable, donne à.
tout ce qu’elle produit une exiftencepius réelle que la
peinture, & que par conféquent elle s’accommode
moins bien de toutes ces combinaifons fantaftiques
auxquelles la magie des couleurs & la légèreté du
pinceau favent donner de la vie , fans, pour ainfi
dire, leur donner de corps.
Le goût prefcrira encore tous ces capricieux
mafcarons, dont les grimaces rebutantes ne font
propres qu’à effrayer les enfans. Les Florentins
ont été féconds en ce genre d’inventions, qui
ne laiffent pas de déparer la gravité de leur architecture
, en y imprimant quelquefois le contrafte
d’un ridicule porté jufqu’à la caricature.
Les caprices d’omemen;t fconfiftênt aufli dans une
forte d’agencement çpj fort des règles & des
mefures ordinaires, de la variété qui doit y être
admife. C’eft omis ce genre fur-tout que fe font
diftingués fioronflai & tous ceux qui ont fuivi
fon goût. On doit ranger dans cette claffe tous
ces cartouches chantournés , tous ces feuillages
bâtards, toutes ces concrétions abfurdes de coquilles
, d’écuffons, de palmes & autres mefqui-
neries qui ont fi long-tems inondé FarchiteCture,
& dont le dégoût eft enfin venu purger les mo-
numens plus modernes. C’eft à tous ces objets
capricieux que le goût ne fauroit faire grâce ; je
penfe qu’il doit fumre d’avoir .indiqué dans cette
matière ce qui eft vicieux & condamnable , fans
qu’il foit néceffaire d’anticiper fur des notions
qui rentrent naturellement dans d’autres articles.
Je dirai aufli ailleurs jufqu’à quel point les écarts
de.l’imagination par rapport à l’ornement, peuvent
iufluer fur le goût total des édifices & la réputation
des architectes , qui, dans cette partie plus
que dans aucune autre , femblent obligés de céder
à l’influence de leur fiècle.
CAPUA, Capoue. Cette ville principale de la
Campanie , dont les anciens nous ont vanté le
luxe & la molleffe fi perfides à Annibal, a éprouvé
plus d’une fois tous les ravages de la guerre. Elle
fubfifta cependant jufqu’au tems des Lombards,
qui la détruisirent complètement. Ceux-ci rebâtirent
la ville de Capoue actuellement exiftante
fur les ruines de Cajilinum, fituée à une demi-
lieue de l ’antique Capua,
La ville moderne qui porte ce nom renferme
dans fa nouvelle enceinte peu de veftiges d’antiquités.
Gn doit pourtant y diftinguer le pont
bâti fur le Vulturne, le ftylobate fur lequel s’élève
Féglife moderne de l’Annunziata ; les colonnes &
les débris de tout, genre dont eft compofée U
cathédrale, les tombeaux, vafes & bas-reliefs qui.
en font l’ornement, les marbres & infcriptions
employés à la conftruCtion d’un grand nombre
de maifons ; des têtes de bas-relief placées furies
clefs des arcades d’entrée de la maifon de ville, des
bornes faites au dépens des plus belles colonnes ,
des pierres Sépulcrales même réduites à ce vil
emploi, tout annonce la grandeur & la magnificence
de l’ancienne Capoue.
Elle étoit à quatre milles de diftance de celle
qui exifte aujourd’hui, & dans le lieu appelle
Santa Maria di Capua , ainfi que l’atteftent encore
les ruines de fes édifices, & fur-tout les refibs
de fon amphithéâtre , prefque aufli grand que le
. coiifée de Rome.
Malgré l’état de deftruCtion où eft depuis long-
tems ce grand édifice, il a été poflible d’en lever
un plan géomètral qu’on trouve avec les autres
planches de defcriptions dans le voyage pitto-
refque de Naples & de Sicile. On y voit non-
feulement fa forme générale, mais tous les détails
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