
pratiques de l’enfeignement, dans les refforts dé*
feélneux d’une émulation mal entendue , dans
1 habitude de fe me fur er toujours avec fes-égaux ,
dans le defpotilme moral de l’opinion mal di-
rigee , dans la méthode exlufive des procédés
auxquels la pareffe de l’efprit en foumet toutes
les opérations , dans l ’empire de l’imitation mal
conçue comme mal exécutée , dans une fou-
xniffion aveugle des élèves envers leurs maîtres ,
qui comprime l’effor de la pcnfée & produit une
fucceffion d’artiftes abâtardis, parmi lefquels aucune
phyfionomie Individuelle ne fauroit fe faire remarquer.
Je dirai qu’en dégageant le génie de toutes
les entraves qui le chargent , on verroit fans
doute de plus grands écarts , mais auffi de plus
beaux effors ; qu’au milieu d’égaremens nombreux
, on verroit s’ouvrir de nouvelles routes ;
que chacun étant libre d’être ce qu’il veut être ,
on verroit des hommes devenir tout ce qu’on
peut ê t r e , & qu’il tient aux peuples, plus qu’on
ne le penfe, de donner à leurs ouvrages ce caraElere
d originalité , indépendant de celui qui appartient j
à l’être colleélif qu oh appelle peuple ou la na- :
tion. Mais le détail & le développement de tous '
ces moyens trouvera fa place aux articles E gole ,
O r i g i n a l i t é , M a n i è r e , S t y l e . ( Voye^ ces
Hnois, )
Caractère ejjentiel, ou de force & de grandeur.
C e qu’on exprime par le mot caraElere dans les 1
édifices, quand on dit du caractère, c ’eft cette vertu I
qui conftitue particuliérement ce que nous avons
appellé le caraElère ejjentiel, & qu’on a dit être fyno-
nyme de force, de puiffance & de grandeur.
L’on a appellé Ce car a fier e effentiel , foit parce
qu’ il tient à l’effence même des jobjets , & qu’il
réfuite ordinairement de l’expreffion des qualités
inhérentes à leur nature , foit parce qu’il eft le plus
important & le premier de tous dans l’ordre des
diftérens caractères. C ’eft- auffi pour cela qu’on l’a
appelié caractère par excellence. Et quel autre peut
prétendre à cette dénomination que celui qui renferme
en foi la lignification ou l’énohciàtion dés
idées de force & de grandeur?
Si je vouTois dire maintenant à quoi l’on doit
attribuer , dans chaque pays , la préfence ou l'a
privation de ce caractère , il ne me fer oit pas difficile
, d’après tout ce qui a précédé, d’en indiquer
Si d’en faire toucher les caufes ; & fans doute on
convicndjoit fans peine que ce caractère de puiffance
& d ’énergie i\e fauroit fe développer dans un art
le u l , fans le concours des autres. On coovien-
droit que ce caractère , dans les arts , eft le réfultat
immédiat, ou de l’influence des caufes naturelles
qui réagirent d’une manière inconteftablé fur
l ’imagination dès hommes , on -des caufes (péll-
iiques 8c morales qui portent les hommes à s’a-
grsr.tlir dans leurs o u v ra g é s , en y imprimant le '
feniiment de leur o rgu e il, ou de l’opinion qu’ils
ont cTeux-mèmes, ou des caufes matérielles qui
favorifent, dans l ’architeéhire fur-tout , 8c d’une
manière plus particulière que dans aucun autre
art , le développement des qualités qui font la
bafe du caractère ejjentiel.
Mais laiffant à chaque peuple le foin de fe me-
furer lui-même fur ces o b je ts , fans prétendre appliquer
à aucun la m efure, je paffe aux moyens
que la théorie nous préfente d’arriver à cette ex-
preffion importante dans l’architeâure que nous
profeiTons.
L ’expreffion énergique de la force & de tous
les fentimens qui fe lient à cette vertu effentielîe
dépend fur - tout de l’expreffion même de l’ef-
. fence de l ’architeélure ou des types qui lui ont
do nné l’être. C ’eft pour cela que des trois ordres
tl’architèÛnre, celui qui paffe pour avoir , & qui
réellement a le plus de carattire, eft le dorique,
c’eft-à-dire , l’Ordre primitif, où l’expreffion de la
charpente 8c des types conftitutifs de l’art eft
énoncée & rendue avec le plus de force & d’évidence.
C ’eft pour cela que l ’archite&ure grecque ,
où cette expreffion domine effentiellement, a plus
de caractère que i’architeâure romaine , dans laquelle
l’empreinre caraétériftique de ces types
commence à difparoître & à fe confondre. C ’eft
pour cela' que l’archite&ure moderne a toujours
été en perdant du caraElère , à mefure que cetfe
imitation fidelle des types de la charpente a été
en s’effaçant, en s’altérant, au point de devenir
méconnoiffable. Voulez-vous donc rendre à vos
ouvrages cette Vertu cara&ériftique ? A y e z toujours
lés y e u x fixés fur le modèle réel ou idéal
qui a donné l’être à l’architeéhire ; que toutes lés
parties conflit utives de vos édifices foient prononcées
d’après cette intention de les rendre, le
plus qu’il fera poffible, conformes aux parties du
modèle qu’elles représentent ; ne perdez jamais de
vue leur o r ig in e lle s befoins^ qui en motivent la
conformation , enfin la réalité' des objets dont vous j
ne faites que rend re, en quelque forte, l’image. Ce
modèle primitif , doht vous n’êtesque le copifte ,
vous détournera de toutes ces bizarreries d ’enfem-
ble & de détail qui ^atténuent & affoibliîfent l’apparence
8c l’effet des édifices : il vous préfervëra
de ces formes, équivoques & bâtardes qui biffent
rèfprit 'dans un doute pénible fur leur utilité ; de
ces formes molles indêcifés dans lefqueTlés aucun
deffin , aucun motif n'e ’femble avoir pu fe
faire fentir : il vous éloignera fur-tout de toüs
ces contre-fens de Formes & d’prn e mens qui-agff-
fent en fens contraire a v ec Tes formes -irnpérieufes
'de la conftruélion , établiffent des démentis continuels
entre l’apparence & la réalité des objets.
T o u t édifice conftruit 8c dïfpofé d’après ces
principes & dans cet e fp r it , atfta néceffairemênt du
*carâBère, c’eft-à-dire une apparence de Force & de
'grandeur , quand bien même fés maffes ou fés
' dirn en fions ne fô'r tir oient pas ides mefures ordinaires,
Confidérez les temples de la G r è c e , qui
font les pVus hautes leçons qu’on putffe propofer |
; n ce genre : comme ils paroiffem grands , & pouf
oinfi dire eigantefques ! comme toutesleurspan.es
nntun air coloflale ! comme ils femblent vous
ècrafer de leur puiffance & de leur force impos
e ! & cependant ils le cèdent prefqne tons en
erandenr linéaire à nos moyennes églifes. Changez
cette auftérité de formes , dégnifez l’apparence
des types qui en font la bafe , arrondiffez ces
contours , diminuez ces faillies, variez & adou-
clffez ces membres, élargiffez ces efpaces, vous
n’aurez qu’un chétif édifice , dont la foible im-
preffion laiffera votre ame indifférente , c i ne fauroit
même arrêter vos y e u x . .
S’il eft important pour l’expreffion du cnradtre
elfemiil de rendre ferifibles les types de la char-
pente , fur lefquels fe fonde l’ellence de notre
architeélure , cette imitation bien reffentie contribue
encore à renforcer ce caraElere, par la liai-
fon naturelle qui fe trouve entre e l l e -& 1 apparence
d é .la. folidité , néceffaire à l’indication des
idées de force & de grandeur. „
Un édifice peut être folide fans le paroitre ; mais
celui qui , fans Vôtre autant , paroîtroit 1 être
plus f auroit l’avantage du caraElere dont il s agit en
cet inftant; car il confîfte autant dans l’apparence
nue dans la réalité de la folidité. Cependant ,
comme il eft rare que la véritable folidité ne fe
manifefte pas à l’extérieur des édifices , on peut
affirmer que cette qua lité, îorfqu’elle eft portée a
un très-haut degré , eft un des plus énergiques
moyens qu’ait l’architeae pour rendre fenüble e
caraàere de grandeur & de force. Aucun peuple
ne l’ a porté plus lom que les Eg yp tien s, 8c c eft
chez eux qu’on peut fe former l’idée la plus julte
de fa valeur & de toutes les caufes qui concourent
à fa formation.. .
En vénérai , on remarque que c eft fur - tout
dans l’enfance des fociétés & chez les peuples
qui paffent pour avoir formé l’enfance du monde ,
que ce caraElere s’eft manifefté par les lignes les
plus impofans , & par les moyensTes plus oùen-
fibles d’une folidité inimaginable ;& cela doit avoir
été ainfi. A cette époque , les hommes moins travaillés
par l’a&ion de la civilifation , reçoivent plus .
Immédiatement de la nature les grandes impreffions
oui réfuirent du fpeéhcle de fes ouvrages ; il lem-
ble qu’alors ils veuillent lutter & rivahfer avec
elle , & que toutes leurs conceptions , tous leurs
efforts dans tous les g en re s, tendent a fe montrer
au niveau de ce grand modèle. T e lle eft une des
caufes de ce caraElere fier & hardi qui femble être
celui des premiers effais du génie primitif Je
l’homme. Mais il en eft une autre plus partieulie ,
rement relative au caraElère de force de gran-
deur, qui , bien certainement , a toujours été celui
des premières cor.ftri.ftiohs chez les peuples naif-
'fans. C ’eft la timidité même de l’art 8c l’inexpe-
rience des reffources que l’nfage , le calcul & l in-
duftrie raifonnêe parviennent infenfiblement a
fubftituer aux procédés fimples , & prefquc g reffiers
, de l’indufirie naturelle & naiffante. A lors
tontes les qualités de l’art de .bâtir font des qualités
pofitives. Aucune moralité ne s’y mele. La
grandeur confifte moins dans les proportions que
dans les dimenfions. La force gît dans une folidité
maffive , la hardieffe dans un exhauffement déni
e fur é , la beauté dans l’éclat des matières , la
richeffe dans leur prix & lê»r rareté. Aiors^ les
•inventions inconnues de l’art de conftruire n o n t
point encore appris aux hommes à produire a moins
de frais la même apparence, à écooomifer les.matériaux
, à ménager les bras 8c les refforis de l.in-
duftriê, à multiplier les matières précieufes pour
n’en faire qu’une montre trompeufe , à calculer
avec le te ms les forces qu’on peut lui oppofer, à
compofer avec les moyens de defiruftion. A lo rs
tout fe fait avec excès: une forte d’mftmét puit-
fant déploie dans tous & s ou v ra g e s , une redondance
de moyens 8c de vertu ; & c eft par les
édifices conftruits dans ces fiècles qu’on pourroit
juftifier la croyance de ces races gigantesques
d’hommes dont la fable a pris phifir à peupler
toutes les avenues de l’hiftoire du genre1 humain»
On appelleroit prefqce ce fiy le primitif de l’ar-
chiteaure , l e f t y l e héroïque ; & rien n y répond
mieux que le caraElere des moeurs des premiers
âges , auxquelles on donnera même qualification.
Comme l’effet de la fociété & des progrès de la
civilifation eft de tempérer en les dirigeant, & de
diminuer dans les hommes, cette aflion impetuenfe
des paflions , ce reffort violent d’affeâtons^ qm
ri’obèit qu’à la main delà nature ; de même 1 effet
de l’expérience , des obfervations fucceffives , de
toutesles combinaifons qui viennent a -produire c e
q\i’on appelle un a r t , parvient également à remplacer
, par des qualités morales & inteUeauelles.,
ces qualités, pofitives & materielles auxquelles les
fens avoient plus de part que le fentiment. Mais
bientôt trop de raffinement dans les equivalensique
l’art cherche à multiplier, trop de reffources com-
pofées , trop de moyens fùélices pour fuppleer à la
réalité, trop-d’art enfin nuit à la r t lu i -m em e .,
& de-là la perte de ce caraEtère ds force .& de
grandeur qui diminue 'fenCibleraient ,■ en raifon du
progrès de la fcience de la conftruaion. Tou« les
moyens économiques , tous les procèdes •mécaniqu
es, toutes les inventions du calcul , tous les-
fnoplémens ingénieux d’une heureufe induftrre ,
toutes les découvertes -par lefquelles on croit enrichir
cét art , lui font perdre enfin cet extérieur
dVne folidité fimple & impofante.; & quand même
on prouverait que la folidité ne perd rien a v e c
ces reffources économiques , elle en-perd toujours
l’apparence : en quoi confifte particulièrement l e
caraElère dont il s’agit.
A u d é fa u t d e c e s m o y e n s im m e n f e s , q u e t o u s l e s
p a y s & t o n s t e s f iè c l e s n e f o n t p a s e n é t a t d ’ e m -
-ployer y& qui dépendent moins encore du pouvo
ir 8c du génie de l’homme qui les met en oeuvre^