
prochés les uns des autres, & oiftribués avec a r t,
pour ajouter à la beauté de tous les points de vue
fous lesquels on lès- voyoit. D’autres étoîent ifolés
dans des vallées délicieufes, ou comme abandonnés
dans des foliîudes ruftiques & fauvages. Tout le
refte étoit aflbrti à cette magnificence, à un tel
point que, fous l’empereur Yang-Ty , on fuppléoit
par des feuilles & des fleurs de foie à celles qui tom-
boient des arbres, & , pour tromper tous les feus à la
fois, par des parfums.
.. Ces jardins, qui avoient englouti les trefors de
l’état, furent dévoués à la deftruction & à l’anéan-
tilTement. Depuis le feptièmé fiècle jufqu’àu quatorzième
, les empereurs ne cherchèrent a effacer le
fouvenir des jardins des dynafties précédentes, que
par le choix des ornemens & par le bon goût de
leur diftribution, par la beauté des fleurs & la rareté
des arbres, par le fpeSacle des eaux, & par toutes
les autres inventions d’un luxe étudié & délicat.
L’Europe ne diftinguoit pas encore les jardins de
plaifance des vergers, que déjà l’envie de plaire aux
empereurs, ou de partager leurs plaifirs, avoit fait
imaginer dans la Chine d’élèver de Amples plantes
au rang des arbriflêanx , & de leur en prociirer la
durée & la beauté; tantôt de conduire lés plantes
les plus fauvages à une prééminence & à une fupé-
riorité d’agrémens qui effaça celle des fleurs les
plus renommées ; tantôt enfin de travailler fur le
fond & fur le développement de la végétation,
pour varier, embellir, perfectionner la conffitution
des arbres & des plantés, & fe donner, dans une
feule efpèce, toutes les beautés des autres*
Les jardins de plaifancé des particuliers ne furent
pas moins un objet de cunofité & d’admiration que
ceux deS^émpereurS. Les noms féuls de jardins des
plaifirs s de vallées d'or, de parfum du printemps, de
parterre des eaux, de bois des pêchers, de plaine des
baffins, de théâtre des matricaires, & mille autres
femblables, annoncent' * quel point étoit porté le
luxe public dans cette partie. Nos Lucullus modernes,
en Occident, font encore bien au-deflbus
des foins , des vigilances* des précautions, des
ménagement, des régimes, des attentions & des
rafhnemens qu’imaginèrent alors les millionnaires &
les amateurs, pour fe procurer ou pour- conféré er
ces fleurs de fantaifie, de mode ou de vanité qui
faifoient la gloire de leurs jardins.
On en vint enfuite à vouloir faire de tous les mois
un printems continuel, & à avoir chaque jour les
fleurs de toute l’année. Les àrbres qu’on avoit forcés
à croître dans des v'afes, & à y donner de plus belles
fleurs & de plus gros fruits qu’en pleine terre-, encouragèrent
à de nouvelles entreprifes. On les
contourna d’une manière plus bizarre que curieufe.
Les cèdres & les fapins furent' rapetifles dans des
proportions les plus gracieufes & les plus iiîtérëf-
fantes. On parvint à les réduire à quelques pouces
de hauteur, & à les perpétuer fous cefté forme par
les graines qu’ils portoient. Tout le refte,* dans
ççs jardins, étoit proportionné à cçs raffinement, Lefr
nappes d'eau devinrent des tapis de fleurs qui le
difputoient de beauté aux parterres ; les bords des
fontaines & dès ruiffeaux furent émaillés de coquillages
& couverts d’un fable choift, ou efcarpés par
des rochers bizarres; les bofquets forent remplis
d’oifeaux remarquables par l’éclat de leur plumage.,
ou par la beauté de leur chant ; les- folituuës 8c les
précipices y devinrent des fpe&acles ; le gazon
même qu’on fouloit aux pieds étoit remarquable par
fa verdure ou par fa bonne odeur.
Les jardins étoient ce que les Chinois avoient de
plus précieux. Les Tartares s’étoient déjà emparés
de la moitié de la Chine, & une nouvelle matri-
caire étoit un grand événement dans la .capitale. Orç
fe confololt d’une défaite, en difputant fur la prééminence
d’un théâtre de fleurs. On craignoit plus
un orage fatal à quelques arbres de mode, que
l’invafion d’une province. Enfin, on faifoit entrer
dans les articles de la capitulation, que le foldat, a
qui on abandonnoit les greniers, les trefors & des
villes entières , refpe&eroit les jardins & les par-
terres.
Il étoit réfervé à la grande dynaftie des Ming, de
voir les jardins de plaifance avec les yeux dune
politique éclairée & bienfaifante, & d’en fixer pour
jamais l’idée & lé fort dans l’empire Chinois. Celle
qui règne aujourd’hui en a adopté les principes, &
a réufli à ramener les jardins de plaifance à la fia
de leur première inftitution , encore plus par la
forme naturelle & agréable qu’ils ont prife, que
par le peu de foin & de depenfe que demande leur
entretien. - ' >. j A
La conftitiitioti du gouvernement aéhiel de la
Chine y a tellement fixé la deftination des terres,
arrangé le partage des héritages, trace les limites
dès pofleftions privées, combiné la proportion des
fortunes, & dirigé toutes les idées nationales vers
le bien public, que les befoins de l ’agriculture, pour
fûfltre à la fubfiftancè d’une population immenfe,
ont rendu odieux au peuple tout ce qui peut diminuer
fes feffôurces ou embarrafler fon travail. Aufli ;
fi* l’on en excepte l’empereur, les princes & les
grands officiers dé l’empire, prefque tous ceux qui
ont de vrais jardins, ont pris le biais d’en faire une
appartenance de leur fèpulture, afin de leur meiiager
la fauve-gaMe du refpeâ antique pour la demeure
éternelle des morts.
La réputation que fe font acquis les jardins qui
forit aéhiellement ôn Chine , le dëfir devenu pref-
qu’univerfel de les imiter, & les fauffes idées qu’on
a pu en prendre, nous font-une loi'de les faire con-
noître d’une manière particulière. Nous rapporterons
d’abord la defcription qu’en a faite fur les
lieux même Châmbefs, architecte du roi d?Angleterre.
'
u La nature, dit-il, eft le modèle des Chinois, 8t
leur bût eft de l’imiter dans toutes fes belles irrégu-
. larifés. D ’abord ils examinent la forme dû terrein t .
s’il eft uni-ôu en pente ; s’il y a des collines ou de9
montagnes ; s’il eft étendu ou reffèrré, fec ôu mare*
cageux ; s’il abonde en rivières. & en four ces, ou fi 1
le manque d’eau s’y fait fentir. Ils choififlent les arran- 1
gemens qui conviennent le mieux avec la nature du I
terrein, exigent le moins de frais, cachent fes défauts,
& mettent dans le plus beau jour tous ces avantages.
» Comme les Chinois n’aiment pas la promenade
, on trouve rarement chez eux les avenues ou
les allées fpacieufes des jardins de l’Europe. Tout
le terrein eft diftribué en une variété de fcènes ; &
des paflages tournans ouverts au milieu des bofquets,
vous font arriver aux différens points de vue
dont chacun eft indiqué par un fiege, par un édifice,
ou par quelqu’autre objet.
jj La perfection de leurs jardins confifte dans le
nombre, dans la beaute STla diverfite de ces fcenes.
■ Les jardiniers Chinois, comme les peintres Européens
, ramaffent dans la nature les objets les plus
agréables , & tâchent de les combiner de maniéré
que non-feulement ils paroiffent féparêment avec le
plus d; éclat, mais même que par leur union, ils
forment un tout agréable oc frappant. ^
„ Leurs artifles diftinguent trois differentes efpeces
de fcènes, de riantes, d’horribles & d’enchantées.
Cette dernière dénomination répond à ce qu'on
nomme fcène romanefque, & les Chinois fe fervent
de divers artificeS-pour y exercer la furprife. Quelquefois
ils font palier fous terre une rivière ou un
torrent rapide, dont le bruit fourd furprend d autant
plus l’oreille, qu’elle ignore d’ou tl vient.
D’autres fois ils difpofent les rocs, les battmens, oc
les autres objets qui entrent dans la compofition, de
manière que le vent paffanfaü travers des îufterf-
tices 8c des concavités qui y font menagees pour ce.t
effet, forme des fons étranges 8cfinguhers. Iis mettent
dans ces compofitions les efpeces les plus
extraordinaires d’arbres, de plantes 8c de fleurs ; ils
y forment des échos artificiels 8c compliques, St y
tiennent différentes fortes d’oifeaux 8c d animaux
monftrueüx. • , , . r .
» Les fcènes d’horreur prefentent des rocs iuf-
pendus des cavernes oblcures, 8c d’impétueufes
ratarafres, qui fe précipitent de tous les cotés du
haut des montagnes. Les arbres font difformes 8c
femblent brifés par la violence des tempetes. Ici
l’on en voit de renverfés, qui interceptent le cours
des totrens , 8c paroiffent avoir été emportés par a
fureur des eaux, l à , il femble que, frappes de la
foudre ils ont été brûlés 8c fendus en pièces. Quelques
uns de ces édifices font en ruines; quelques
autres confumés à demi par le feu ; 8c quelques chétives
cabanes.difperfées çà 8c la fur les montagnes,
femblent indiquer à la fois ,1’exiftence 8c la mtsere
des habitans. A ces fcènes,il én fuçcède communément
de riantes. Les artifles Chinois faventavec
quelle force l’ame eft affeftée par les contraftes, 8c
ils ne manquent jamais dè ménager des tranfitions
fubites 8c de frappantes oppofittons de fermes, de
couleurs 8c d’ombres. Ainft, de vues bornées , ils
vous font paffer à des perfpeffiyes étendues , des
objets d'horreur aux fcènes agréables, 6c des lacs SC
des rivières aux plaines, aux coteaux 8c aux bois.
Aux couleurs fombres & triftes, ils en oppofentde
brillantes, & des formes Amples aux compliquées ;
diftribuant, par un arrangement judicieux, les
diverfes maffes d’ombre 8c de lumière de telle forte ,
que la compofition paroît diftinéte dans fes parties 8c
frappante en fon . tout.
». Lorfque le terrein eft eteitdu, 8c qu on y peut
faire entrer une multitude de fcènes,; cliacune eft
ordinairement appropriée à un feul .point de vue.
Mais quand l’efpace eft borné, 8c ne permet pas
affez de variété, on tâche de remédier à ce défaut,
en difpofant les objets de manière qu’ils produifent
des repréfentations differentes, fuivant les divers
points de vue-, 8c fouvent l’artifice eft pouffé au
point que ces repréfentations n’ont entre elles aucune»
reffemblance. .
» Dans les grands jardins, les Chinois fe ménagent
des fcènes différentes pour le- marin, le midi
Bclefoir, 8c ils élèvent aux points de vue convenables
des édifices propres aux diverriffemens de
: chaque partie du jour. Les petits jardms, où, comme
nous l’avons v u , un feul arrangement produit plu-
fieurs repréfentations, offrent de la meme maniéré,
aux divers points de- vu e , des batimens, qui, par
leur u fage, indiquent le tems du jour le plus propre
1 à jouir-de-la fcène dans fa perfe&ion.
» Comme le cbmat de la Chine eft exceffivement
chaud, les habitans emploient beaucoup d’eau dans
leurs jardins. Lorfqu’ils font petits 8c que la fitua-
rion le permet, fouvent tout le terrein eft mis fous
l’eau 8c il rfy refte qu’un petit nombre d’îles 8c de
en rocs. On fait entrer dans les jardins fpacieux des
bcsiétendus, des rivières 8c des canaux. On imite
la nature en diverfifiant, à fon exemple, les bords des-
rivières 8c dès lacs- Tantôt fes bords font arides 8c
graveleux, 8c tantôt couverts de bois jufqu’au bord
de l’eau. Plats en quelques endroits , 8c ornés
d’arbriffeaux 8c de fleurs, ils fe changent ailleurs
rocs efcarpés, qui forment des cavernes où une
partie de l’eau fe jette avec autant dé bruit que de
Violence. Quelquefois vous voyez des prairies couvertes
de bétail, ou des champs de riz qui s’avancent
dans des lacs, 8c laiffent entre eux des paflages pour
des vaiffeaux': d’autres fois ce font des bofquets,
pénétrés en divers endroits par des rivières 8c des
ntiffeaux capables de porter des barques. Les rivages
en font couverts d’arbres, dont les branches s’étendent
, fe joignent, 8c forment en quelques en-
drdits des berceaux, fous lefquels les bateaux paf-
fent. Vous êtes ainft d’ordinaire conduit à quelque
objet intéreffant, à un fuperbe bâtiment placé au ,
fommet d’une montagne coupée en terraffe, à
une cafline fituée au milieu d’un lac, à une caf-
cade à une grotte^divifee en divers appartemens,
à un rocher artificiel, ou à quelqu’autre compofition
femblable;
» te s rivières fuîvent rarement la ligne droite ;
i elles ferpentent, 8c font interrompues par diverfes
irrégularités; Tantôt elles font étroites, bruyantes 6c