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à Bramarite. C e que je dois dire eiiCore, c’eft qilè
l ’exécution de cette idée fait plus d’honneur à
Michel-Ange, qui ne la conçut p a s , que fa conception
n’en doit faire à Bramante qui ne l’exécuta
point ; & vo ic i pourquoi. Bramante, auteur
du proje t, en avoit eu, quoi qu’on en puiffe dire, les
élémens & des modèles dans les coupoles de
Sainte-Marie-des-Fleurs à Florence ( voye^ Bru-
neleschi & dans celle des Auguftins à Rome
(voye% C ou po l e ). Ce tte idée n’avoit de nouveau
que la hardieffe , la grandeur & la difficulté.
Mais Bramante fit trop v o i r , par les défauts &
les foibleffes de fa conftruélion, auxquelles Michel-
Ange dut remédier, qu’en architecture fur-tout,
le vrai génie n’eft pas celui qui a de grandes
idées , mais celui qui a de grands moyens. On
peut affirmer que Bramante, auteur d’une grande
idée , n’auroit pas été capable de l ’exécuter ; mais
qui pourroit affirmer que celui qui l’exécuta avec
tant de fu c c è s , n’eût pas été capable de l’en-
ïanter ? ,
Mais le mérite de la conftru&ion, fans doute
le plus important de tous i c i , comme dans tous
les édifices, ne fait encore qu’une partie du mérite
d’exécution que demandoit ce grand ouvrage.
Je v eu x parler de fa difpofition & de fa déco- |
ra tion -C ’eft encore-là qu’avoit échoué San-Gallo,
fucceffeur de Bramante ; & l’on doit le d i r e , ce
devoit être l’écueil de tous ceux qui n’apportent
dans l’archite&ure que le favoir de la compofi-
t io n , & dont l’ame divifée par les combinaifons
de l’a r t , n’arrive à l’enfemble que p^r les détails,
©u q u i, trop préoccupés des reffources de l’a r t ,
en affeétent une ambitieufe oftentation, & fubfti-
tuent l’intérêt de l’artifte à celui du monument.
C ’eft ee qu’avoit fait San-Gallo :> il avoit voulu
tou t dire dans cet édifice ; il avoit fongé à to u t ,
excepté à l’unité. Une grande penfée alloit fe
trou ver diffufe dans toutes les richeffes de l’art.
L e laconifme de Michel-Ange lui rendit toute fon
énergie. O u i , Michel-Ange a plus fait dans ce monument
par tout ce qu’il s’eft abftenu d’y fa ire ,
que par tout ce qu’il y a fait.
On pouvoir peut-être amonceler à une plus
grande hauteur, fur une plus vafte fuperficie,
une plus grande quantité de pierres & d’ornemens.
M a is , de tant de parties coloffales, compofer un'
enfemble qui ne paroiffe que grand ;.de tant de
parties magnifiques & éclatantes faire un monument
qui ne paroiffe que fiche-; & de tant de
parties faire un feu! tou t, e’eft-là le chef-d’oeuvre
de l’art & l’ouvrage de Michel-Ange.
Q u e d’autres y admirent le prodigieux méca-
nifme de conftru&ion, qui mit en équilibre tant
& de fi grandes forces ; l’intelligence qui fut calculer
toutes ces maffes, fans préjudicier à leur proportion
; le favoir profond qui affigna la mefure ,
l ’ordonnance & le plan de toutes les parties, &
fut en deviner les rapports. Q u e d’autres y adÈ
u ô
mîre'flt la bêauté du ioubaffement, la pfoponîo.
des croifées & des ordres, le julle rapport du tambour
avec la courbe extérieure, la grandeur de
celle-ci & la jufteffe de l’intérieure, la belle exécution
de tous les dé ta ils , & la dimenfion de
tous les profils. Q u e d’autres s’attachent aux grands
partis de décoration ; qu’ ils en admirent la fage
& riche économie; qu’ils admirent l’artifice ingénieux
qui fut rendre la décoration même utile à
la con ftru â ion , & déeuifer les points d’appui fous
des motifs d’embelliflement, mafquer enfin des
contre-forts par les colonnes du tambour. Mot
ce que j ’y admire, c’eft ce principe d’unité qui
eft comme l’ame de ce grand corps.
Combien il eft difficile en tout genre de lan-»
gage de ne dire que ce qu’il faut & de le dire
comme il convient I Michel-Ange a certainement
fait l’un & l’autre dans la coupole de Saint-Pierre;
& ceux qui connoiffent toutes les difficultés du
, langage de l’archite&ure ; ceux q u i , par la com-
paraifon de c e monument & d e tous les autres
auxquels il a fervi de m o d è le , voudront voir de
combien de manières il étoit poffible de s’égarer
dans l’exécution d’un fi grand ouvrage ; combien
les plus légères fautes feroient devenues d’énormes
erreurs fur une fi vafte échelle , s’étonneront fans
doute de la nature & de l’étendue du génie de Michel-
Ange , qui fans modèle & du premier coup fut
atteimdre le but qu’ont manqué prefquê tous ceux
qui Pont fuivi. Quand je dis fans m odè le, c’eft
que la coupole de Sainte-Marie-des-Fleurs à Florence
n’étoit qu’un monument de conftru&ion ;
c’eft que l’ouvrage, de Brunelefchi avoit pu donner
l’idée de la; coupole de S a in t-P ie r re , mais
»’avoit pu rien apprendre à Michel Ange dans toutes
les parties de diipofition & de décoration, tant
extérieure qu’intérieure ;. c’eft qu’il n’exiftoit pas
avant Michel-Ange de coupole qu’on pût regarder
comme un monument régulier de l’a r t , comme-
un ouvrage complet d’architeâure. Le coup d’effai
de Brunelefchi fut fans doute un chef-d’oeuvre ;,
mais le chef-d’oeuvre de Michel-Ange n’eft pas
moins un coup d’effai.
Michel-Ange vouloir ramener toute l’églife de
Saint-Pierre à ce grand principe d’unité par lequel
il avoit réformé la coupole & Tavoit agrandie.
I l vouloir que le temple réfidât tout entier dans
la coupole. A cet effet il avoit réduit le plan de
Bramante, de croix latine en croix grecque, dont
les branches dévoient fe terminer par des portions
circulaires, excepté celle qui auroit été en face
de l ’autel. Par ce moyen la coupole devenant le
centre & le point milieu de l’é g life , on l’eût
apperçue de l’entrée. L ’impreffion eût été une. Les
quatre nefs n’auroient été que les acceffoires de la
coupole ; elles n’euffent été , fi l’on peut d ire, que
les préludes du temple. La coupole qui n’eft aujourd’hui
qu’une partie du tou t, auroit été le tout.
En revenant au plan de Bramante, on eft revenu
au plan des anciennes bafiüques* Je l’ai fait voir
1 Cl mot ( voye[ Basilique ) ; mais on a admis
dans cette égUfe deux genres de grandeur qui fe
nuifent & f e combattent. La longueur de la grande
nef nuit à l’effet de la coupole. Saint-Pierre exiite
deux fois dans Saint-Pierre : l’une dans 1 immenfite
de fa n e f , l’autre dans l’immenfitè de fa coupole.
J’éprouve en y entrant deux impreffions fuccel-
five s tie ne vois d’abord qu’une grande n e f ; je
ne vois enfuite qu’une grande coupole. Michel-Ange
ne vouloir qu’un feul m o t if, & l’on doit dire a
cet égard q u e , fi l’unité, eft le premier principe
de toute grandeur, Saint-Pierre , en perdant par
le plan de Michel-Ange de la grandeur linéaire , y
eût fans doute gagné de la grandeur proportionnelle.
V oilà ce que Michel-Ange vouloit faire.
; Il vouloit de plus qu’un feul & même ordre
ie pilaftres corinthiens régnât tant au-dedans qu’au-
dehors de cette vafte églife. L’ordre de la façade
devoit être le même que celui de l’intérieur, &
avoir la même élévation. Ce tte façade étoit décorée
, félon ce p ro je t , de huit grands pilaftres
corinthiens , avec trois portes & quatre gr_an<Jes
niches. Une colonne répondoit a chaque pilaftre
du côté de la place ; ce qui devoit former un
portique de fept entre-colonnemens de front. O n
peut douter que leur différente largeur eût produit
un bon effet dans l’exécution. Les trois entre-
colonnemens du milieu etoient répétés ; c e qui
formoit un double portique dans cette p a rtie, fur
lequel on devoit mettre un grand fronton. On
peut encore douter du bel effet que devoit produire
ce petit portique qui fortoit de l’alignement
de la façade. L ’églife entière devoit enfin fervir
de foubaffement à la grande coupole^ qui auroit
été accompagnée de quatre petits dômes.
Je ne m’arrêterai pas davantage à faire comprendre
tout ce qu’a perdu ce monument, en
perdant Michel-Ange. Je ne relèverai pas ic i non
plus tous les défauts que la critique lui reproche
dans Pajuftement de beaucoup de parties, & dans
les détails de décoration fur lefquels il feroir difficile
de l’excufer. Il vaut mieux en connoitre la
raifon. J’ai diftïngué en lui deux genies dans 1 architecture
, celui de l’enfemble & celui des details.
Il me refte à parler de ce dernier.
Si Michel-Ange n’eût pas produit la coupole de
Saint-Pierre, dans laquelle la grandeur & la beaute
de l’enfemhle le difputent à la corredion & au
bon goût des détails, j’avoue qu’on auroit quelque
peine à le placer au rang des plus grands ar-
chitedes modernes. I l s’en faut de beaucoup que
fes autres ouvrages répondent à l’idée qu’ il a donnée
de lui dans'ce monument & dans fes ouvrages
de peinture & de feulpture. Michel Ange a eu des
enthoufiaftes outrés ; il a eu des détracteurs in juftes :
ni les uns ni les autres ne doivent être crus.
Mais il a eu des uns & des autres, parce que
fon génie offre des contradictions , & que les hommes
aiment mieux tout louer ou tout blâmer ,
que de prendre la peine de rechercher les caufes
de ces contradictions apparentes.
V ou s avez vu que Michel-Ange con n u t, étudia
l’an t iq u e , fans jamais chercher à l’imiter. V o u s
a v ez v u que dans toute fa v ie , dans toute
fa conduite, dans toutes fes études , dans le goût
de fon deffin & de toutes fes compofitions, il
règne un principe d’auftérité , de rudeffe , d’origin
alité, de bifarrerie. Eh bien ! voilà ce qui vous
explique les caprices de Michel-Ange dans l’archi-
teCture.
I l y a cette différence entre les caprices de
Michel-Ange dans cet a r t , & ceux de plufieurs
architectes qui l’ont imité par l’endroit précifé-
ment qu’il talloit fu i r , que ceux-ci ont fait par
ignorance ce que Michel- Ange fit par orgueil. La
preuve que Michel-Ange pouvoit être fage & régulier
dans tous les détails de ParchiteCture , vous
l’a v ez dans la coupole de Saint-Pierre ; mais vous
l’aurez en c o re , fi vous voulez confronter tous fes
ouvrages & les comparer entre eux.
La facriftie de Saint-Laurent vous offre de ces
contraftes. Vous y v o y e z des niches d’une forme
fimple , d’une proportion heureufe & d’une décoration
fage. A co té , vous en v errez dont les formes
font compofèes , dont les dimenfions font outrées
& dont les ornemens font tout-à-fait capricieux.
Les fenêtres du rez-de-chaufféedu palais Riccardi à
F loren ce , font d’une pureté remarquable. La niche
du revêtiffement extérieur de Saint-Pierre eft du
ftyle le plus grandiofe ; & la porte Pie eft une
agrégation de formes bâtardes, de parties mef-
quines, de membres b r ifés, de détails tout-à-fait
v icieu x & répréhenfibles. L e grand entablement
extérieur du palais F a rn è fe , eft du caraCtère le
• plus énergique, le plus r ich e , de la proportion la
mieux étendue ; la corniche de l’intérieur de la
^ cour & le troisième ordre font remplis de peti-
teffes &. de maigreurs. Le chapiteau des pilaftres
corinthiens de Saint-Pierre peut fe comparer aux
plus beaux chapiteaux antiques. Les chapiteaux de
l’ordre bâtard de la facriftie de Saint-Laurent eft
digne de Boromini. Michel-Ange lui-mème avouoit
fes caprices dans la lettre qu’ il écrivoit à Vafari au
fujet de l’efcalier d e là bibliothèque de S. Laurent.
I l me revient %ien , lui dit-il, dans l’ efprit un certain
.efcalier, mais c'ejl comme un fonge , & je n’ofe
propojer mes idées, parce que je les trouve grotesques ;
cependant y puifque vous C exigeç , je vais écrire ce
que je me rappelle, & c . Mi torna ben nella mente,
corne un fogno una certa Jcala ma non credo cht fia
appunto que lit che io p en fa i allora , perche mi torna
cofa gojfa. Pure la ferivero q ui, & c .
V o u s -n e pouvez donc expliquer Michel-Ange
dans ParchiteCture, qu’en fuppofant en lui deux
hommes : l’un vraiment grand & or ig in a l, lorf-
qu’il ne prétend pas à l’être ; l’autre qui ceffe
de l’ê t r e , dès qu’ il v eu t le paroVe.
O u i , Michel Ange n’eft vraiment grand & original
, que dans les ouvrages où il n’a rien ajouté