
différence de deftinée. O n abattoit les flatues ; on
effaçoit les images ; on convertiffoit en mon-.ioies le
bronze & le métal des Dieux. Mais le culte pouvoir
changer dans les temples, fans qu'il en changea les
fo rmesô les memes colonnes s'employoient à de nouveaux
édifices dont elles faifoient le plus grand prix :
enfin l’on 11’avoir plus befoin de ftatues 5 mais il
falloit toujours conftruire des édifices. Telles furent
les caufes' principales de cette inégalité dans la durée
de ces arts.
Mais un fort commun devoir bientôt les enfévelir
dans la même nuit : la tranflation du fiége de l ’empire
à Bizance , en divifant les richeffes de Fart , &
les forces de l’état, porta le coup mortel à l’un & à
l ’autre. Vainement Conftantin voulut élever cette
nouvelle métropole à la gloire de Rome qu’il ffépouil-
Joit j tous les efforts qu'il fit pour l’embellir des plus
fomptueux monumens , prouvèrent que les arts ne
font pas toujours fournis à la puiflànce des rois.
L ’Italie abandonnée à la fureur des V ifîg o th s , fe
dépeupla, de tout ce que Conftantin y avoit laiffé.
Une ruine générale fit rentrer dans la pouffière les
monumens de l’orgueil de Rome. T o u s les édifices
conftruits depuis , le furent des débris précieux que
l’ignorance & l’avarice raffémbloient de toutes parts.
U n oubli honteux des proportions, des formes , des
convenances & de la deftination de ces fragmens, occa-
ftonna la conru-fîon de tous les membres de Y architecture
, 8c acheva par ce.mélange d ’en dénaturer l’efi-
fence. On aiïembla les colonnes ,. & l’on en fît des
piliers fùr lefquels fe trouvèrent étendus confufément
des entablemens renverfés au hazard. On fit fupporter
des arcades aux colonnes , pour fuppléer au défaut des
plate-bandes, 8c. à l’impuiflance'où l’on étoit d’en
tailler. L ’architecture perdit aihfi les divrfîons qui en
conftituoient la nature ; &, d’abus en abus, elle abandonna
jufqu’à l’idée , jufqu’au fôuvenir des types. Il
n’y eut plus alors de remède : elle tomba dans un
véritable cahos. De cette fubverfion tota le, naquit en
grande partie, ce qu’on appelle le goût G othiqu e,
fruit d’un conflit de goûts oppofés, ( Voye^ A rchitecture.
G othique. | d’où font refultees desnuances
& des variétés importai, es à connoître & à diftin-
guer î mais dont les monumens ne tiennent point à
l ’hîftoire de l’art.
Ici commence une efpèce d’ interrègne dans l’hiftoire
de l'iirchiteChire. Semblable à ces fleuves qui difpa-
roiffent quelque tems 3 cachés fous terre , & qui n’en
reflortent que pour reprendre un plus vafte cours,
l’art de l’architecture, enfoui pendant les fiècles d’igno-
xance, fe remontre enfin pour donner la. loi aux peuples
mêmes qui l’ont anéanti fon empire va. s’étendre
fu t toute l'Europe.
Àu milieu de la nuit dont l’ ignorance a voît, pendant
plufieurs fiècles, couvert les plus belles contrées
de la. terre , quelques rayons de lumière nous laiffent
entrevoir que l’ancien goût de bâtir ne s’étoit pas
jantièiemsnt perdu. L ’amour du grand & des vaftes
entreprifes ne s’éteignit pas tout-à-fait en Italie r ï’osrf
attentif qui parcourt ces régions défertes de l’hiftoire
des arcs , y apperçoit toujours, mais de loin en loin,
tels que des fignaux placés d ’efpace en efpace fur
de hautes montagnes, pour guider le voyageu r, des
monumens qui pourraient en quelque forte remplir
cette lacune de Y archite&ure.
D e ce nombre eft l’églife. de Ste Sophie bâtie par
Juftinien dans les fixiéme & feptiéme fièclës : ce fut
le chef-d’oeuvre du Bas-Empire , 8c l’on peut dire le
feul qu’il ait produit. (V o y e z Baftique 8c Conjlan-
tinople.)
Les dixiéme & onzième fiècles virent renaître dans
l’églife de St Marc à Venife , les premières lueurs du
jour qui alloit reparaître. Ce monument dû à des
artiftes Grecs, eft un des plus précieux pour l’hiftoire
de Y architecture : il étonne encore aujourd’hui par la
conception 'du p lan , par les grands reffouvenirs de
l’antique magnificence, & par un choix de belles
proportions.
Les mêmes femences du bon goût commençoiènt a
germer dans d’autres villes de l’Italie : en 10 1 3 , on
pofa à Florence les fondemens du temple de St Miniar.
Mais le plus rare monument de ce fiècle fut la cathédrale
de Pife bâtie l’an 1 o 1 6 , par l’architeéte Grec *
Bofchetto de Dulichium. Ce t édifice , revêtu de
marbre en-dedans & en-dehors, eft foutenu par quatre
rangs de colonnes de la même matière. Les Pifans
s’étoient procuré, toutes ces richeffes ,' en envoyant
leurs vaiffèaux naviguer & commercer dans le
Levant , dans les ifles & fur les côtes de l’Afie mineure
, de l’Egypte & de l’Afrique. Ils y portoient
des denrées & des marchandafes 5 &r. au retour , ils
leftoient leurs vaifleaux avec les marbres les plus précieux.
Ils appliquèrent ces richeffes à ce vafte monument
qui devint par là une efpèce d'école de Y architecture
antique. Les peintres & les fculpteurs qu’ils
avoient appellés de la Grèce contribuèrent aufli' à-
répandre les principes d’un meilleur goûtv On peut
croire que la cathédrale de Pife eut décidé l’entier
rérabliffement de la bonne- architecture en I ta lie ,'fi
fon auteur eût affez vécu pour former des élèves ;
mais il ne paraît pas qu’il en ait e n , & cette réforme
devoir être encore différée..
Dans le douzième fiècle on éleva auprès’de la cathédrale
de Pifé une haute tour pour fervir de clocher.
Elle eft affez connue par la fingularité de fon incli-
fon due à l’affaiffement du. terrain. L ’on n’y" remarque
point que Y architecture eût fait de grands progrès.
Au treifiéme fiècle , l’arclntefte Lapo ou Jacobo de
Florence bâtit en Tofcane l’églife -rie Notre-Dame
d’A f lî fe , dite communément de la-, Portiuncule. F ucîq ,
aufli Florentin, fit à Naples le château de TCEuf. Nicolas
de Pife. du même pays , & du même âge, élevoic a
Bologne,. à Padoue , à V enife plufieurs édifices efti-
mabLes. Le clocher des Auguftins dans la première de
ces trois v ille s , offrirait a un architeéle des détails
inftruélifs. Sa plus grande entreprife fut l’églife de-
■
Padoue dédiée au patron de cette ville : elle eft encore
moins remarquable par fon architecture , que par les
fcùlptures en bas-relief q u i , pour la plupart, font
de la main de cet architecte. Cependant l’églife de la
Trinité à Florence , fut le monument de Nicolas de
Pife le plus eftimé par Michel-Ange , un des grands
admirateurs des talens de ce célèbre anilter U architecture
fecouoit encore avec peine les chaînes de la barbarie
& de l’ignorance. Arno/phodi Lapo bâtie l’églife
de Ste Croix a F lorence, & donna les plans du magnifique
temple de fanta Maria de Fiori. Il ne reftoit plus
que quelques efforts à faire. Une noble émulation
iembloit animer à la fois'toutes les villes de r ita lie :
l’églife de fanta Maria formofa conftruiteà Venife par
Paulo', Barbet ta , prefqu’entièrement dans le goût antique,
plufieurs monumens de Bologne, la belle chapelle
en marbre de l’églife de Ste Marie majeùre à Rome,
bâtie vers l’an 1 z 1 6 , par Marchione fculpteur &
architecte, tout à cette époque , indique un concert-
de toutes les forces pour faire triompher Y architecture.
Mais ces étincelles du bon goût ne s’étendoient
point au-delà de l’Italie. Dans tous les vaftes bâti—
mens qu’élevoit alors le refte de l’Europe , on
ne voit qu’une paillon démefurée pour le merveilleux
, une confufion d’ornemens, fans choix , fans
règle & fans goût. On n’en exceptera point la cathédrale
de Strasbourg , ouvrage du treizième & du
quatorzième fiècles, & l’un des plus grands édifices
qui ayent été entrepris alors. Irwin de Stànback en
fut l’architeCte. C e monument paffe pour le chef-
d’oeuvre du genre Gothique léger. On fut un fiècle
a le bâtir. Le portail & l’églife foilt d’un prodigieux
exhauflement : l’intérieur & l’extérieur ne font chargés
que de détails minutieux : le tout préfente un
enfemble , dans lequel on ne fauroit fe lafl'er d’admirer
l’étrange union des idées les plus grandes 8c les
plus puériles en même tems.
Le quatorzième fiècle vit cependant s’élever en
France & en Angleterre quelques monumens , pré-
cutfeurs de là révolution qui le préparait en Italie.
C e fut dans ce fiècle, que Charles V fit travailler àu
Louvre , commencé par Philippe Àugufte 5 & qu’il
entreprit le château de St Germain-en-Laye , que les
Anglois augmentèrent & embellirent fous le règne de
Charles V I . Il faut citer aufli du même fiècle, l’An-
■ glois Guillaume W ick am , favant dans plufieurs genres
, mais fur-tout dans le deflin & Y architecture. I l
plut au roi Edouard I I I , auquel il fit agréerXes projets
pour la conftruétion du château de Windfor. Il
enrichit aufli de^ magnifiques édifices la ville d’Oxford
ig&gl regardoit comme là patrie, parce qu’il y avoit
été élevé. Sa faveur ne dura pas autant que fa vie.
I l fe retira dans le diocèfe de W inchefter où l’on pro-
fita de fon féjour. Il y vfit bâtir une cathédrale qui
pafle, après St P a u l, pour la plus belle églife de la
grande Bretagne.
* >eyn I talie *Yarchitecture marchok à grand pas
a Ion entière reftauration. Jean de P ife , en T o fc an e ,
fils de Nicolas dont on a parlé, préparait à fa Nation
la route vers cet heureux rétabiiffement. Il travaillai
à orner & décorer dans fa v illç le CampoSanto , ou
le cimetière public. C e monument , quoiqu’encore
dans le goût G othique, eft remarquable par la beauté
du plan , la grandeur de l ’invention, la vérité du
caraétère , & Y élégance des détails. Il peut fervir de
modèle aijx édifices de ce genre , & d o it ,. dans 1-hif-
taire de Y architecture , fe regarder comme un anneau
de là chaîne qui en lie les différentes .époques. Nous
approchons de la renaiflance de Y architecture 8c de
tous les autres arts, L e quinziéme fiècle devoit en être'
l ’époque. Les villes dévaluées par les troubles qui
avoient agité l ’Europe fe rétablirent à l ’envie. L a
tranquillité permit d’entreprendre de nombreux bâti-
mens. On fe reffoùvint des monumens de l’antiquité,
8c Brunnelefchi parut.
Brunnelefchi, le plus grand-homme peut-être qu’aie
eu *Yarchitecture moderne , fut le premier qui parcourut
les ruines de l ’ancienne R ome, l’échelle & le compas
à la main. Après avoir elfayë fon talent fur diffé-
rens arts , après s’être formé l ’efprit & le goût par
l’étude des anciens auteurs, il entreprit de faire revivre
les maximes de Y architecture antique , & de les faire
fortir des ruines où le tems & la barbarie fembloient
les avoir enfevelies- pour toujours. Il reconnut &
diftinguales ordres , & fut le prerfiier q ui, après avoir
retrouvé ces loix précieufes , en fit à fes ouvrages de
juftes applications. Il fçut allier la théorie à Ta pratique.
L ’écudé profonde qu’il fit des monumens de l’antiquité,
le conduifit aux vrais principes de la faine
conftruéïion , fans laquelle Y architecture ne fauroitr
s’élever à rien de grand, & qui foit digne de la n o -
bleffe de cet art.
L e grand édifice commencé à Florence, en partie
fuivant le goût Gothique , par Arnolphe , & la coupole
que ce dernier avoit projettée , étoient encore
des problèmes don* 1a folütion étoit réfervée à Brunnelefchi.
L a hardieffe du génie en avoir enfanté le
plan mais le défaut de pratique , le peu de connoif-
fance des reffources de l’a r t , le manque d’application
des mathématiques a Y architecture, avoient arrêté
jufqu’alors l’exécution de ce projet. L a timidité des-
efprits le rejettoit dans la claffe des chimères , ou
-de ces frétions qui pouvoient embellir les romans &
les récits des poètes , mais qu’ il falloir défefpérer de
voir jamais feréalifer. Cependant Brunnelefchi réuflit
à l’exécuter avec cette facilité qui ôte , prefqu’en un
moment, aux entreprifes les plus hardies le mérite
& la difficulté qu’elles o n t , & que les ignorans fur-
tour ne veulent plus y reconnoîcre. L e propre de
l’ignorance & de la foibleflVeft de croire;impraticable
ce qu’elles ne peuvent faire, & de ceffer enfuite de
trouver étonnant , ce q ui ceffe de leur paraître im~
poflible.
Quoiqu’il en f o i t , la coupole de Ste Marie de-
Fiori ouvrit la route à toutes les vaftes entreprifes-
de Y architecture moderne : & ce monument qui faifoic
l’admiration de Michel-Ange , étonnera toujours ceux
qui fauront apprécie! le mérite des inventeurs 8c
la difficulté attachée aux premiers pas daes chaque