
fo i r , & étoient moins incommodés de la chaîeïir.'
Brunelefchi jouiffoit enfin d’une gloire que
l’envie ne pouvoit plus lui difputer. Son fecret
étoit devenu celui de tout l’univers. A u fli fon
modèle étoit expofé à tous les y e u x . O n ne fe
lafloit point d’y admirer cette incroyable prévo
y an c e qui avoit embrafTé depuis les plus vaftes
rapports jufqu’aux plus minces détails, cette rare
intelligence q u i, combinant les plus grandsbefoins
a vec les plus légères commodités, avoit fi préci-
lement calculé d’avance les dégagemens, les ouvertures
pour l’a ir , les conduits pour les e a u x , les
mon tées , les rampes, les tenons néceffaires, &
ceux mêmes qui n’étoient que de fimple précaution.
Mais quand on pàffoit à l’examen en détail
de les différentes coupes de p i e r r e d e leur en-
caffremenr, de leur liaifon, du jufte équilibre des
forces qui , fe combattant pour s’ac corder, produi-
foient la foüdité de ce grand to u t , on concevoit à
peine comment lé génie d’un feul homme avoit
pu embraffer tant de cliofes diverfes.
Mais déjà 1: ouvrage étoit affez avancé pour
qu’on pût admirer dans la réalité tout ce que le
modèle n’offroit -qu’en ébauche. Brunelefchi eut ,
■ avant de mourir , la fatisfaâion de vo ir fa coupole
a ch e v é e , à la rèferve de l’extérieur du tambour,
pour la décoration duquel il avoit laiffé des deffins
qui fe perdirent , & de la lanterne qui devoit
fervir de couronnement à l’édifice. Un des articles
de fon teffament portoit qu’on fe conformât
exactement au modèle qu’il laiffoit de cette lante
rn e , que fur-tou* on la chargeât de blocs de marbre
, pour la rendre-folide & empêcher la coupole
de s’ouvrir. I l penfoit que cette voûte étant en
tiers-point, pouffoit néceffairement vers le haut.
Depuis on a reconnu que le poids des lanternes
contribuoit à la ruine des dômes, en augmentant
confidérablement leur pouffée latérale.
La coupole de Sainte-Marie del Fiore a de diamètre
dans le v i f du tambour environ cent trente pieds j
de hauteur depuis la corniche du tambour jufqu’à !
l ’oeil de la lanterne environ cent vingt-cinq ; du fol
de l'églife jufqu’à la croix environ trois cens trente.
A v an t elle il ne fut rien conffruit en Fair d’auffi
grand en ce genre : le dôme de Saint-Marc à V en ife
& celui de Pîfe ont auffi peu de rapport a v e c fa
conflru flion, qu’ils en diffèrent par la hardieffe de
l’élévation. Elle ne le cède en grandeur qu’ à la
coupole de Saint-Pierre de Rome. Ii eff probable
encore qu’elle a fervi de modèle à Mich el-Ange
pour l’idée des deux coupoles emboîtées l’ une
dans l ’autre, telle qu’il l’exécuta dans la Bafilique du
Vatican. On fait affez. quel refpeét ce grand
homme avoit poijr le chef-d’oeuvre de Brunelefchi.
I l avoit coutume de dire qu’il étoir difficile de
l ’im ite r , impoffible de le furpaffer. Michel-Ange
pouvoit feul faire mentir fon proverbe.
Mais il faut confidérer de plus près c e vaffe
monument q u i, s’élevant fur les reftes du gothique
(te Sainte - Marie del Fiore, comme fur une bafe
formée des armés d’un ennemi terraffé & vaincu ’
rappella par fa forme fimple & majeftueufe !£«
beaux temps de la Grèce , & annonçaà l’Europt
la renaiffance du bon goût. D eu x points de vue
principaux s’offrent ici aux regards de l’artifte, ]‘a
forme & la conftruélion de l’édifice. Sa décoration
prefque nulle ne mérite pas gu’on s’y arrête.
‘ S ° it que la difpofxtion de la bafe ne permît point
a * architecte de donner à fa coupole la forme
fpherique du Panthéon, foit qu’ il préférât la forme
angulaire, parce qu’elle étoir plus difficile quoique
moins b e lle , *Brunelefchi fit fa coupole oétogone ou
a huit pans , tant la voûte que le tambour ; il donna
allez peu de hauteur à ce lu i-ci, eu égard à celle de |
la v o û te , & il y ouvrit dans chaque pan une
xenetre en oeil de boeuf. En cintrant les voûtes il
les rétrécit par le h aut, de façon qu’elles s’éloignent
de l’o v a le , & fe terminent un peu en pointe. Il
n orna l’extérieur ni de. colonnes, ni de pilaftres
ou parce qu’il ne le put pas, ou parce qu’il crut
qu a une fi grande hauteur ce feroit des ornemens I
perdus. Si l’on en croit V a fa r i, les defïïns qu’il
avoit fait pour la décoration de l’extérieur du i
tambours’étoiem perdus. Baccio d’Agnolo (voyez
la vu de cet artifle ), chargé de.réparer cette perte,
le difpofoit à Fenvironner d’une galerie. Michel-
A nge rompit par une plaifanterie l’exécution de
ce p ro je t, qui d e v o it , d i fo i t - i l , faire de cette I
coupole une cage à moineaux. La comparaifon ne
pouvoit erre plus vraie. Pour en comprendre la
ju fle f fe , il fuffit de penfer au peu de hauteur du
tambour ( qui n’eft qu’une efpèce d’attique ) par
rapport à la grande voûte , au peu de profondeur
qu’auroit eu cette galerie, à la mefquinèrie de
1 ordonnance qui 1 eut compofee-, & à la maigreur i
qui enfu tré fu lté e .O n aura peine à concevoir qu’un
projet de cette nature eût été celui de Brunelefchi.
Quelles que puiffent être les conje&ures à cet
ég a rd , ott a fans doute mieux fait d’y renoncer en
entier, que de rifquer un embelliffement, qui pou-1
voit bien n’avoir jamais été dans les vues de
l’inventeur.
Ce tte privation de galerie extérieure ou d’une
ordonnance quelconque autour du tambour du
d ôm e , donne peut-être à notre coupole un défa*
vantage, fi on la compare à beaucoup d’autres dont
cette décoration pompeufe fait fouvent le principal j
mérité. Mais on fait auffi quel eft l’artifice de Far*
chite&e dans l’emploi fi fouvent parafite de ce
genre de décoration. Les colonnes n’y font le plus
fouvent que des contre-forts déguifés. L e point
d’appui fe cache fous le prétexte de Fembelliffe-
m en t, & le befoin de renforcer les mu rs , ou de
ménager une b u tté e , fut prefque toujours le fecret
motif de ces fortes de compofitions.
C e que Brunelefchi perd donc ici du côté de la
décoration , fe compenfe par le mérite très-particulier
de la conftruâion. Sa coupole eft la feule
qui exifte dans ce genre fans aucune efpèce de
conçre-forts réels ou & &ices, ap pareil oudiffi-.
uuilês. Un des autres avantages de fa conftmâîorî
efi de porter de fon d s , c’eft-à-dire , que les murs
en font la bafe & le fou tien , tandis que les autres
coupoles font portées fur les quatre arcs des -nerfs,
& fur les pendentifs qui les uniffent.
Brunelefchi, dans les inflruélions qu’il rédigea
lui-même pour les chefs de la fabrique, a laiffé par
écrit les divers procédés de conftru&ion dont le
temps a fuffifamment juftifié l’excellence. C ’eft
de—là que je, vais extraire le peu de remarques qui
termineront la defeription de cettç coupole. .
L ’èpaiffeur de la voûte intérieure doit être dans
le bas de fix pieds cinq p o u c e s , & dans le haut de
deux pieds un pouce.
La voûte extérieure doit avoir par bas quatre
pieds trois pouces, dans fon fommet un peu plus
d’un pied.
Huit ;côtés en manière d’éperon fortifient les
huit angles de la voûte ; entre chacun de ces huit
éperons, il s’en trouve deux autres qui diminuent
pyramidalemenr, & forment la mufculature, ou
l’offature principale, de la conftru&ion.
Toute cette conftru&ion repofe fur un mafiifde
pierre de taille grife appellée à Florence macigno ,
& les pierres dans toute la. circonférence.font liées
par une chaîne de fer étamé qui retient les joints
& çonfolide le tout.
. Cette conftruâion en pierre de taille ainfi co n -
folidée, s’é lève jufqu’à la hauteur de quarante-deHx
pieds.
Entre chacun des montans ou contre-forts, que
j’ai appellés éperons, font des arcs renforcés par
des pièces de bois de chêne , qui tient les maffifs
ou pleins à chacun des montans.
Tous les montans font de pierre ; mais lés intervalles,
à compter d e quarante pieds , font formés
d’une maçonnerie en briques du poids de vingt-cinq
à trente liv res , affemblées en forme d’é p is , ou de
ce que les Italiens appellent fpina pefee, C ’éft
l'opus fpicatum des Romains.
Il faut avoir examiné par foi-même l’artifice auffi
fimple qu’ingénieux de cette vafte conftruéfion,
pour en connoître le-, mérite & la folidité. Les
deferiptions font toujours-infuffifantes fur cet objet.
Je ne faurois mieux terminer celle-ci que par les
paroles de Vafari. Se puo dir certo che glï antichi non
andarono mai tanto alto con le lor fabriche, ne f i meffono
a un nfico tanto grande , ehe eglino volejjîno combattere
col ciclo , corne par vcrânien te cliella combattu, veg-
gendof ella efiollere in tant' aliéna che i monti intorno
a Fioren^a paiono Jimili a lei. E nel vero pare, che i l1
ctelo ne abbia invidia poiche di continuo le faette tutto
d giorno la percuotono : « On peut affirmer que les
» anciens ne s’élevèrent jamais à une fi grande
” hauteur dans leurs édifices, & ne fe rifqiièrent
» jamais à combattre, fi Fon peut d ire , a v ec les
cieux comme il femble que le faffe cette cou-
n wM? Sa hauteur égale le fommet des montagnes
w dalentour, & comme fi le ciel en étoit ja lo u x ,
w u la bat fans ceffe, & la foudtfc & tous les élémens
>> femblent fe déchaîner contre-elle. Cépendant
w elle refte inébranlable ».
L ’entreprife de,ce grand ouvrage d evoit occuper
la vie entière de Brunelefchi,, & comme fi le deftin
de l’un eût été attaché à celui de l’autre, ce grand
homme vécut affez pour le voir terminer. Mais fon
génie auffi fécond qu’ infatigable ne s’étoit pas
borné'à cette feule produâiqn, Il paroît que Brw-
nelefchi n’entendoit pas moins bien Farchite&ure
militaire que la c ivile . Appellé à Milan par le duc
Philippe-Marie, i l donna le plan d’une fortereffe»
Ce lle de Viçp Pifano, les deux citadelles de Pife ,
dont l ’une eft nommée la vieille , & Fautre la
n e u v e , les fortifications du Ponte-à-Mare & la
fortereffe du port de Pefaro , qui furent auffi
conftruires fur fes deffins, font la preuve d®
l’étendue comme de la diverfité de fes taiens.,
L e grand: duc Côme de Médipis l’occupoit encore
à bâtir , à .Fie foles; Fabbaye; d,es: chanoines
réguliers, qui lui coûta çent.mille écus romains ,
ainfi que l’apprend une infeription placée fur les
murs de cette maifon. Notre archite&e profita
habilement' de la montagne fur laquelle cette abb
ay e eft fituée , pour,y réunir à la décoration & à
la magnificence, tous les genres de commodités
&. d’agrémens dont cet. édifice étoit fufçeptible*
Dans le même temps à-r.p.eü p rès. ..s’élevoit-
l’églife de S. Laurent de F loren ce , fur les-deffins
d’un homme plus verfé.dans les lettres que dàns
les arts, & fur-tout dans, Farchite&ure. Jean de
Médicis, voulut avoir fur cet éd ifice . l’avis de
Brunêlefchi. L ’intérêt des arts & l’amour de la
vérité, ne. lui permirent pasjde .diffimuler ce qu’il
en penfoit; la fupériorité de fes tajen.s & de jfa,
réputatiôn.lè 'forcèrent^ d’-en accepter la conduite.
Cette bafilique, qui eft prefqu’entiérement fon pu*
vrage quant à FinventiOn ; a plus d’un défaut qu’on
doit attribuer à l’ignorance & à la jaloufie des ar-
liftes qui Font conduité -après lui. D eu x ..rangs .de
colonnes la partagent en trois nefs. Outre la
beauté du plan on ÿ admire la belle proportion des
colonnes, la pureté des profils >& des entàblemens*
Cependant Brunelefchi né termina que laTacriftie.
Mais on lui doit encore l’idée de la grande coupole
qui termine le fond de l’é g l i f e ,.& qui eft
devenue le tombeau des grands-ducs.
Côme de Médicis chargea Brunelefchi de lui faire
le plan d’un magnifique palais. I l accepta a v ec
tranfport cette commiffion honorable. Bientôt fortit
de fes mains un fuperbe modèle. Notre artifte n’en
avoit mefuré la: magnificence que fur la grandeur
de fon • génie & la richeffe du propriétaire. L e
projet parut trop» vafte à Côme de Médicis. C e fut
moins la dépenfe que la crainte • de réveiller la
jaloufie de fes compatriotes ■ qui l’en dégoûta.
Furieux de vo ir fon travail inutile, Brunelefchi
brifa fon modèle. Dans la fuite , Côme fe repentit
d’avoir fu iv i un autre deffin pour la conftruâion
de fon palais. Perfonne ne fentoit mieux que iu i
la perte qu’ il ayoit faite; il difoit n’avoir