
& dans leurs mouvemens & dans leur draperie ;
autant qu’on peut en juger par le petit deffin de
M. le Roi, q u i , ayant trouvé , lors de fon voyage
à A th èn e s , ces figures embarraffées dans l’èpaif-
leur d’un mur moderne, n’ a pu fatisfaire entièrem
en t, fur cet o b je t , la curiofité des amateurs
de l’ antique. Les recherches dilpendieufes de M.
de Choiieu l-Gou ffier, & (on zèle infatigable vont
nous faire jouir de ces beautés attiques, qu'il a
eu le fecret d’arracher à la barbarie des Turcs.
J’apprends qu’en ce moment ces figures moulées
fur les originaux font parvenues au port de Mar-
feilie. Nous devons donc fufpendre, fur cet o b je t ,
toute efpèce de conjecture, de critique ou de com-
paraifon.
Si le mot de caryatides femble défigner ordinairement
des (lames de femmes,' c’eft à l’hiftoire
rapportée plus haut qu’il faut attribuer cette opinion
, démentie par l’hiftoire mêm e, autant que
par le fait. Un trait entièrement pareil au premier ,
& rapporté auffi par'Vitruve, p rou ve , indépendem*
ment des exemples qu’on citera, que les ftatues maf-
culines furent condamnées au même genre de fouf-
france. ( Voyc^ Persique statue. )
Parmi les bâtimens publics & les tribunaux
dont la principale place de Lacédémone étoit en-
v tron n é e, on diftinguoit fur-tout le portique des
Perfes , foutenu par des effigies de captifs. L’en-
ablement n’y repofoit pas fur des colonnes ordinair
e s , mais il étoit immédiatement fupporté par des
dames coloffales. de marbre blanc, qui repréfen-
toient les principaux officiers de l’armée de Xer-
x è s , pris ou tués à la bataille de Platée. Mardonïus
y paroiffoit dans l’altitude humiliante des captifs,
& vêtu félon le coflume afiauque , ufité parmi les
(atrapes de la Perfe ou ce la Médie. Les architectes
de cette partie du Péloponnèle étoient,félon toutes
les apparences, les véritables inventeurs de.ce genre
de punition & de l’application des captifs au iapport
des édifices ; car les caryates tiroient leur
nom d’une bourgade de Laconie. 11 paroît qu’ils
affeâèrent , en plus d’une rencontre, d’employer
cette efpèce d’ordre par préférence aux autres.
Mais ce qui p rouveroit que ce t emploi de figures
fupportantes tenoit encore en Grèce à des principes
autres que ceux de la politique & de la vengeance
publique qu’on a rapporté , c’eft qu’on en v o yo it
dans un autre genre au trône d’Apollon à Amyc ies .
Les Grâces & les Heures personnifiées fouienoient
la partie la plus lourde de ce grouppe immenfe ,
furchargé de figures & d’ornemens en bronze , de
façon que la lég è re té ,q u i eft le premier apanage
des Grâces & des Heures , paroiffoit s’y changer
en une attitude & un état d’effort contraire à la
sature de c e genre de fymbole.
Pour revenir aux figures v iriles caryatides, au xquelles
, d’après V itru v e , on donnoit le nom de
figures perjîques , j ’obferverai qu’on s’eft trompé
$n rangeant dans leur çlaffe certaines ftatues d’ef-
çiaves Parihes qu’on vb it en divers lieux à Rome.
Aucune autorité rte prouve que les Romains , 'du
refte fi faftueux dans leurs triomphes, fi ingénieux
& fi prodigues en tout genre d’aLufions humiliantes
pour leurs ennemis, aient pouffé auffi loin que les
Grecs rinjurieufe hyperbole de l’allégorie contre
les peuples vaincus. Nul refte de chapiteaux ou de
forme qui eût pu en tenir lieu , n’indique que ces
effigies de princes détrônés & captifs aient été
preffées du poids d’une outrageante architeéftire.
Elles ornoient l’attique des arcs de triomphe fans
en foutenir l’entablement , & ceux qui , comme
Daniel Barbaro , Chambrai & plufieurs autres, les
ont appliquées dans leurs deffins à un pareil mi-
niftere, ont égaré les artiftes & l’ont été éux-'mêmes
par l’effet de quelque rajuftement moderne.
Cependant on v it à Rome des figures viriles faire
la fondion de caryatides. La rotonde ou le panthéon
d’Agrippa en offroit un exemple. Ces figures
étoient l’ouvrage de Diogène d’Athènes. Elles
étoient du nombre de celles que les Romains nom-
moient Telamones. Winkelcnann a cru voir , dans
la figure vulgairement appellée pcrjîqui du palais
F a rn è fe , une de celles qui purent avoir fervi à
cette décoration. Comme ces caryatides dévoient
être placées au-deffus de la colonnade du temple,
& tenir lieu d’un fécond ordre à la place de l’attique
qu’on y voit aéfiiellement fubftitué depuis
quelques années à un autre qu’on a détruit, on a
cru trouver un rapport de hauteur entre cette
figure demi-tronquée & la proportion de l’attique.
Ce tte conjedure s’eft fortifiée encore par le lieu
où fut trouvé ce beau torfe ; car ce fut dans le
voifinage du panthéon. Il etoit endommagé dans
plus d’un endroit ; les bras & les jambes lui manquent
abfolument. Sa tête porte un chapiteauTait en
forme de corbeille | autour de laquelle on àpper-
çoit encore les reftes des feuilles d ’acanthe qui
i’ombrageoient. Sa hauteur, lorfqu’il étoit en tie r,
étoit de feize pa mes romaines ( environ neuf
pieds ) , mefure qui fe rapporte à celle de l’attique
du panthéon. Cependant ces figures faillantes & de
ronde bofle auroient-elles produit dans cet endroit
un bien bon effet , & celles dont Montiofius fait
mention n’ auroient-elles pas mieux convenu à la
place en queftion ? C et antiquaire qui travailla beaucoup
à retrouver les veftiges des caryatides du panthéon
, rapporte qu’en l’an 1580 , il en découvrit
quatre enterrées jufqu’aux épaules , du côté droit
du portique. Elles étoient en bas-relief, & foute-
noiem fur leur tête une manière d’architrave taillée
dans la même pierre.
Les caryatides àu panthéon, telles que les décrit
Montiofius , auroient eu beaucoup de reffemblance
avec celles de l’édifice antique de Bourdeaux .appelle
les Tutelles , & qui malheureufement détruit
dans le fiècie dernier , auroit été entièrement perdu
pour les arts, fi Perrault ne nous en avoit confervé
un deffilî. ( Voye^ Bo u r d e a u x . ) On y voit au-
deftus de l’architrave qui faifoit un reffaut d’environ
fix pouces au droit de chaque co lon n e, des
fiîrores caryatides en bas - r e lie f , de dix pieds de
! hauteur , adoffées contre les pieds-droits des arcades
qui r ê g n o ie n t au-deiTus'de l’architrave. Ces
fleures , au refte , ne font furmontées d’aucune
forte de chapiteau, & leur tête porte immédiatement
les importes des arcades. A u - defltis de
chaque importe eft un vafe dont le pied fe termine
en pointe , à la manière des urnes ou hy'dria , dans
lesquelles les anciens renfermoient le vin. Ces
i caryatides étoient au nombre de trente - quatre.
Elles étoient fculptées tant en dedans qu’au dehors
de l’édifice.
Dans le tombeau de l’affranchi de Sextus Pom-
peius, fur la voie Appienne , on vo it le double
exemple réuni des caryatides de l’un & de l’autre
fexe Elles font de bas - relief , & décorent plus
qu’elles ne fupportent les différens étages du colum-
barium. Le premier ordre eft de figures de femmes
drapées , dont les bras étendus foutiennent un
grand voile qui les environne en entier & leur fur-
monte la tête. Elles ne portent point de chapiteau,
mais leurs pieds font montés fur un petit focle.
Les caryatidei (apérieures font d’une efpèce parti-
I culière & d’une invention affez capiicieufe. On
i diroit que le décorateur ait eu en idée de faire parla
rhiftoire ou la critique des caryatides. C e font
des figures d’hommes nuds, dont la tête furmon-
tée d’un chapiteau porte la corniche j des deux
mains ils tiennent une colonne perpendiculaire
qui ne fupporté rien. C e badinage femble avoir
donné lieu à un autre plus bifarre encore qu bn
attribue à Daniel de Volterre , & qu’ il amis en
oeuvre dans fa chapelle de la Trinité du M on t,
où l’on vo it des figures fourenant d’une main un
chapiteau , & tenant de l’autre la colonne qui
doit s’y adapter.^
Ces jeux de l'imagination , il n’eft pas befoin d en
avertir, ne font tolérables que dans 1 arabefque.
Ceft-là qu’on pourroit faire un ample recueil de
tontes les figures que la fantaifie de ,1a décoration
a appellèes de toute part à la fon&ion de caryatides
dans l’empire des chimères. Mais laiffons danyleur
domaine tous ces êtres aériens qu’anime un fouffle
invifible , & q u i , doués d’une vertu magique , ont
avec l’apparence des corps toute la légèreté des
efprits. Gardons-nous de vouloir en tranfpoier le
preftige dans la matérielle réalité de l’architec-
türe.
Je ne mettrai point non plus au rang des caryatides
toutes ces compofitions de génies ailes , de
termes , de griffons & de tant d’autres efpècesd animaux
fantaftiques, qui font le charme & femblent
être le fuppott des autels , des trépieds, des vaies
& d’une multitude de meubles & uftenfiles antiques.
Tou s ces objets fournis par la réalité de la
fculpture & la convenance des ufages auxquels us
s’appliquent, àp lusderaifonnement , de fuite , de
liai fon s & de v r a i f e m b l a n c e q u e le s f o n g e s de 1 arajbefque
, ne fauroient cependant plus qu eux s ailo-
’ cîer aux graves inventions de l’architedure. C eft
pour n’avoir pas apperçu les limites refpe&ives de
tous ces produits de l’imagination, en raifon de la
mefure de vraifemblance que comporte chaque
partie des arts qui fe les approprient, que les caryatides
, qui ne font elles-mêmes , comme on le
dira , qu’une licence dans l’arch ited ure, font devenues
, fous le cifeau des modernes , & par un
emprunt irréfléchi des caprices de 1 arabefque ou
de l’ornement, des abus intole;ables & indignes de
l’ indulgence de la raifon la moins févère.
Je ne fuis pas étonné que les modernes n’aient
rien inventé dans les arts. Les Grecs aboient tout
dit avant eux ; mais je fuis étonné qu’ils aient fi
mal redit en prefque tous les genres. Leur v an ité ,
je p en fe , en à été la caufe. Ils ont voulu dire plus,
pour ne pas paroîtfe dire la même chofe , mais
femblable à l’écho qui affoiblit les fons qu’il multiplie
, leur imitation a toujours dégrade les idees
fi m pies qu’elle ne pouvoit traduire. C e que l’on
obferve dans une infinité d ’autres objets , fe remarque
particuliérement par rapport à la forme & à
l ’emploi des caryatides. Pour y avoir mis trop de
v é r it é , on en a ôte la vraifemblance. G eft ce que
je prouverai dans la fécondé partie des cet article.
Les premiers cependant qui renouvellèrent dans
leurs monumens cette forme de fupports, ne fauroient
encourir ce rep ro ch e.il faut rendre à 1 immortel
Jean Goujon la juftice de dire qu’ il a con çu,
dans les belles caryatides qui fupportent la tribune
de la falle des gardes du_Louyre (aujourd’hui la
falle des antiques ) la plus jufte , la plus véritable
comme la plus grandiofe idee de ce ftyle de décor
ration.
L ’on ne fauroit dire jufqu’à quel point cet exce llent
fculpteur profita des ftatues caryatides du temple
de Minerve-Poliade à Athènes. Il faudrôit lavo
ir jufqu’à quel point il en eut connoiffance. S ’il
les a ignorées , le mérité de 1 invention & de la
compofition font le plus grand honneur, a fon génie.
Mais quand il les auroit connues, une imitation
de c e genre feroit le plus grand éloge de fon
! goût, fans rien ôter au mérité de 1 ajuftement & de
l ’exécution qui lui appartiendroient toujours en
propre. En e ffe t, ces coloffes caryatides de douze
pieds de h au t, qui déjà , par leur volume & leur
hauteur, furpalTent de beaucoup les ftatues athéniennes
, ne s’en rapprochent.que pur la penfée générale,
par leur difpofition fymmétrique, & fur-tout
par les bras tronqués exprès par le fculpteur moderne
à rinftar de ceux que le tems a mutilés , dans
les caryatides antiques. Mais le parti des draperies
eft diffé ren t, & entièrement de 1 invention de Par-
tifte qui ex celle it en ce genre. Le chapiteau qu’elles
ont fur la tête s’emboîte avec moins de g râ c e, &
s’a jufte moins agréablement que celui d’Athènes.
L e fculpteur moderne n’a point prétendu identt-
fier le chapiteau avec la tête ; il a cherché plutôt
à i ’ ifoler par des draperies placées entre la tête ôt