
tion pouvoient devenir pour l’arc une chaîne q u i, en
arrêtant Tes écarts , en fit un efclave. Les Grecs comprirent
que ces proportions & cès mefures ne dévoient
être qu’une barrière oppofée aux excès de l’imagination.
Ils fendirent q u e , fi elles acquéroient dans tous
les cas une autorité exclufive & fans bornes , l’art
languiroit fous les entraves qu’il s’étoit données. Il
n’appartenoit, fans doute , qu’aux Grecs de difcerner
le degré de liberté qui convenoit à l’architecture , 8c
de lui donner cette neureufe conftitution, également
éloignée de la licence de l’Afie ( Voye^ A rchitecture
A siatique ) , & du defpotifme de l’Egypte.
(Voyc{ A rchitecture Egyptienne.) Mais ce judicieux
tempérament devoit être le fruit du concours
fortuné des meilleures caufes morales & phyfiques;
& la perfection de cet art devoit dépendre de la perfection
même du peuple qui l’inventa.
L ’architecture, comme on l’a vu , ne dépendant
que d'un fyftême volontairement é tab li, & d’une imitation
, fi l’on peut dire , métaphorique , pouvoit par
cela même fe trouver aflujettie à des loix q u i, peur
être arbitraires , n’en feroient devenues que plus
tyranniques. Mais on obferva que îa Nature elle-
même fe foumet à des exceptions , & n’exclud point
la variété. L ’on comprit que les règles puifées dans
la Nature & appliquées à l’art ,-pourroient également
fe modifier dans leurs détails. On remarqua que les proportions
du corps humain , quoique fixes'& immuables
dans, le genre * étoient fujettes à beaucoup de
variations dans l’çfpèee ; & la fculpture , dans fon
imitation la plus raifonnée , s’étoit foumife à ces
variations. Il étoit bien plus du génie de l’architecture.
de fuivre l’efprit de la Nature, que de s’aftteindre à
une fervitude dont la Nature fembloit devoir encore
plus la difpenfer qu’aucun autre art. On vit que toutes
les règles de la modinature & des proportions relative
s , dévoient être fubordonnées aux maximes d’un
ordre fupérieur ; & qu’elles n’étoient que des moyens,
loin de pouvoir devenir des principes. ( J^oye^ M o d i-
nature. )
En fe comparant toujours à la Nature , l ’art en
devina les fecrets 5 & comme fon étude eft de chercher
à plaire par les mêmes caufes , il découvrit quelques
unes des routes qu’elle fuit elle-même pour parvenir
à ce but. U architecture, qui jufqu’alors n’avoit
fait que preffêntir fes renources, les vit diftinélement,
& en comprit toute l’étendue. Elle vit que leurprin-
pal objet devoir tendre à connoître, ce qui affefte
agréablement notre âme par l’imêrpofîtion du fens
de la vue. En décompofant davantage cette obferva-
tion , elle s’apperçut que , malgré la liaifon intime
qui unit notre âme à nos fens , chacun d’eux pouvoit
néanmoins avoir des jouilfances indépendantes , ju f-
qu’à un certain, point, de l’entendement ; que l’oeil
avoir les Sennes 5 & que fon plaifîr pouvoit être attaché
à de certaines impreflions dépendantes des rapports
que la Nature a mis entro l’objet & l’organe.
Delà naquirent deux études ciui, depuis que l’art &
fon imitation furent une fois fixés, devinrent Ig bafe
des comioifiances achite&oniques. L ’une eft celle de
l’optique qui n’eft autre choLe que la fcience de la
vifion en.général , dé la manière dont elle fe fa it ,
des différentes raifons, modifications ou altérations
des rayons dans leur paffage au travers de l’oe i l , des
caufes pour lefquelles les objets paroifTent quelquefois
plus, grands , plus petits , plus diftin&s , plus
confus , plus proches , plus éloignés. ( Voye\ O p t i que.)
L a fécondé eft celle de l’harmonie , appellée
par les Grecs eurythmie. La fcience de l’harmonie
confîfte dans la connoiffance générale de la Nature,
de fes deffeins, de fes moyens, des propriétés relatives
des objets entr’eux.
C ’eft par là que, généralifant de plus en plus l’idée
de fon modèle , Y architecture parvint à étendre la
fphère de l’imitation. C e n’eft plus ni la cabane dont
elle fo r t it , ni l’homme fur lequel elle fe modéla ,
c’eft la Nature entière qui devient le type de fon
imitation. C ’eft: l’ordre lui même de la Nature qui
devient fon génie. L ’imitation de la charpente , par
les dimenfions heureufes qu’elle y pu ifa, conftitua ,
fi l’on peut le dire, l’ofiature de l’art ; l’imitation analogique
du corps humain , par l’étude des proportions
& l’application qu’elle s’en f i t , revêtit cë fque-
lette des formes raifonnées qui lui donnèrent, en quelque'forte,
le mouvement. L ’imitation générale de la
Nature dans fes principes d’ordre , d’harmonie relatifs
aux affections de nos fens , & aux perceptions
de l’entendement, lui ont donné l’âm e , & en ont
fait un art non plus copifte, non plus imitateur, mais
rival de la Nature même.
Ainfi cet a r t , en apparence , plus affervi à la matière
que les deux autres, eft dans le fait plus idéal,
plus intellectuel, plus métaphyfique qu’eux. Nous
avons vu que.la Nature ne lui offre pyàr-tout que des
analogie's. Il imite moins fon modèle qu’il ne fe con>
pare a lui ; il ne va point à fa fuite , mais ï f côté ;
il ne fait point ce qu’il voit , mais comme il voit
faire ; ce n’eft point l’e ffe t, c’eft la caufe qu’il étudie;
& dès lors il eft original jufques dans fon imitation.
Emule de la Nature, c’eft à étudier fa marche, fon
génie & fes moyens que fe borne fon fecret. Les
autres arts ont des modèles créés qu’ils imitent ou
rectifient : Y architecture crée le fien. Son modèle étant
l’ordre de la N a ture, il eft exiftant par-tout, fans
êtrevifible nulle part. Elle le trouve, tantôt dans l’harmonie
des cieux, dans le mouvement des corps eé-
leftes 5 tantôt dans l’économie admirable de l’homme &
des autres créatures. C ’eft dans la luprême intelligence
qui règne fur l’univérs , que réfide le véritable type
de fon imitation. Elle agit en petit dans fes ouvrages,
comme l’Etre Suprême dans la fabrication du monde
c’eft - à - dire que , fans modèle palpable & fen-
fible , elle tire des idées d’ordre & d’arrangement, les
heureufes applications dont elle nous fait fentir les
effets.
S i donc Y architecture eft un art d’imitation, ce
n’eft pas pour avoir con'feïvé, en les embelliffant, les
formes groffières que le befoin avoit imprimées aux
demeures
demeures des-premiers hommes ; mais c’eft parce
qu’elle imite la Nature dans les loix qu’elle s’eft: pref-
crites elle-même ; c’eft parcequ’elle a lu dans le code
même de ces loix ; c’eft: pàrce qu’elle agit par les
mêmes moyens dont elle a deviné le fecret ; c’eft:
parce qu’elle a pénétré ces caufes occultes qui nous
font éprouver telle ou telle fenfation à la vue de certains
rapports qui rebutent ou flattent notre âme & nos
fens. Delà font dérivées les loix de proportion, toujours
confiantes dans leurs principes , toujours variables
dans leurs applications, félon la nature des édifices,
du point de vue, du caraétère, de la deftinà-
tion , des moeurs, des climats 8c des befoins des
peuples. _ -
Les règles que Y architecture fe donne , pofent donc
fur une double bafe : celle de L imitation pofitive des
types, 8c celle de l’imitation idéale de la Nature. Dès
lo rs , ces règles doivent être de deux genres : les unes
foumifes à la méthode , les autres fupérieures à tout
calcul. Les premières cependant n’ont jamais été
fuivies bien positivement par les anciens 5 8c peut-
être ne trouveroit-on pas deux fabriques antiques où
les proportions du. même ordre foient précifement les
mêmes. G e qui doit être en effet, dit M. d’Hencarville
puifque, fuivantles idées des anciens, les édifices n’étant
point faits pour les ordres, mais les ordres pour les édifices,
il paroît naturel qu’ils foient affujétis au caraétère
que chaqué fabrique particulière doit avoir. A in fi,
lôrfque d ’après ces règlesque nons croyons tenir d’eux,
on juge quelques monumens antiques que le tems a re-
fpeétés, fouvent on ne trouve que finguliers des morceaux
& architecture dont la beauté eft très-grande :
C ’eft qu’on ne fent pa s, ' que ce ne feroit pas ces
grandes chofes qu’il faudroit juger par nos petites
règles , mais bien nos petites règles par 'celles
qu’on a fuivies pour faire ces grandes chofes : ca r ,
pour fabriquer fuivant ces règles , il ne faut que de
îa mémoire & de la pratique ; mais, pour exécuter
d’après ces grandes maximes, & inventer d’après ces
principes d’imitation, en y puifant toutes les reffour-
ces qu’elles peuvent fournir , il faut du génie. Les
anciens , avec leur méthode de faire , avoient bien
plus d’écoliers que nous : nous avons certainement
bien plus de maîtres , mais beaucoup moins de bonne
architecture qu’eux.
Il feroit , fans doute , très-intéreffant de fuivre
l’hiftoire du bon goût en architecture , depuis fa naif-
fance jufqu’à fa perfection , & depuis cette époque,
jufqu’à fa décadenee , en recherchant l’ abus ou l’emploi
que les hommes , fuiyant les tems , firent de ces
principes d’imitation. Il feroit aufii curieux qu’in-
itruéHf, d’examiner les révolutions de cet art, félonies
differens fiècles , & chez les divers peuples où il s’eft
propage. Mais la nature de notre ouvrage nous force
de renvoyer ces notions aux articles particuliers qui
traiteront à part de Y architecture des diverfes nations,
qui lui ont afligné un caraétère affez diftinét pour en
fournir des tableaux féparés. Nous avons jufqu’ici
donne, plutôt la généalogie de l’art que fon hiftoire ;
c ç qui va fuivre en fera Amplement la chronologie.
Architecture, Tome / .
Il eft impofîible de fixer une époque précife à l’invention
de Y architecture en Grèce. Les développe-
mens du génie , quelquefois très-lents , fouvent très-
rapides dans l’amélioration des arts, ne font point de
nature à fe fubordonner à aucune date. Un art n’eft:
que le réfultat de connoiflauces acquifes fut un certain
objet ; & l’acquifition de beaucoup de connoif-
fances, eft le fruit du tems & du travail de beaucoup
d'hommes. Il ne paroît pas que, du tems d’Homère
, Y architecture ait été déjà foumife à des principes
& à des proportions bien déterminées. Les de-
fcriptions de ce poëte n’annoncent poinrencore l’ufage
des ordres : les édifices paroiflènt s’y faire remarquer
, plus par le prix de la matière que par celui
de la forme; Le choix & le poli des pierres font leur*
plus grand mérite ; & c’eft par là , plus que par les
belles proportions, que brille le palais d’Alcinoüs.
L ’ordre Dorique, le premier, fans doute , de tous
les ordres , ne nous indique aucune époque plus'
certaine. Sa dénomination ne prouve point que l’invention,
en foit due à Dorus , fils d’Hélene , roi
d’Achaïe & du Péloponèfe. Peut-être en reçut il fon
nom pour avoir été employé au temple fameux que
ce prince , félon Vitruve , avoit bâti à Argos en
l’honneur de Junon. Peut-être le dnt-il auxDoriens*
chez lefquels il paroît qué ce genre de bâtir s’étoic
accrédité avant que de fe répandre dans le refte de la
Grèce. Toujours eft-il vrai que les plus anciens édifices
qui nous foient reftés des Grecs, ceux du moins
qui réunifient le plus de caractères d’antiquité , font
de cet ordre , dont l’invention dut précéder celle
des autres. (Voye^ Ordre D orique). Cependant
on ignore la date de ces anciens monumens : on la
recule même , fans aucun fondement, beaucoup plus
qu’il ne convient. Nous n’entreprendrons ici aucune
difcufîion fur ce fojet ■: elle nous éloigneroit de
notre plan.
Mais il eft certain que, fous le fiècle d’Alexandre
le Grand , les trois ordres qui conftituent Y architecture
avoient déjà reçu toute leur perfection. Toutes les
caufes morales & phyfiques avoient concouru pour
porter l’art à ce point, qui devient bientôt pour les'
ouvrages de l’homme le commencement de leur décadence.
La liberté , l’amour de la patrie, l’ambition
de toutes les gloires avoient rendu Athènes le centre
commun des fciences & des arts ; la défaite des Perfes
à Marathon , & d’autres fameufes victoires avoient
procuré la paix à toute la Grèce. Dans cet efpace de
tems qui précéda la guerre du Péloponèfe , il fe fit
comme une explofion générale de tous les talens :
c’eft à cette époque , comme l’obferve Diodore de
Sicile , que la fculpture fut portée à fon plus haut
point fous le cifeau de Phidias ; qu’on vit la philosophie,
l’éloquence, l’art militaire, toutes les fciences
& tous les arts enfin fe difputer à la fois la prééminence.
Ce fut alors qu’on fe mit à reconstruire les
temples & les édifices que les Perfes avoient. ren-
verfés , & dont une fage politique avoit confervé les
ruines, afin que .ce fpeâftvle de malheur & de défola,-*