
du marbre où le ftatuaire a voulu le forcer de
v o ir de la chair.
Les peintres q u i, dans leurs décorations ont emp
lo y é des caryatides^ ont pu tomber dans cet exeès
toujours vicieux , mais cependant avec moins d'in-
convéniens , parce que la peinture , qui donne à
chaque objet fa couleur caraSériftique , peut ai-
fément faire paffer ces caryatides pour des ftatues,
en leur donnant les tons de la pie rre, du marbre
ou du bronze , & c’eft ce q u ’ o n t fait prefque toujours
lès décorateurs en queftion. La bifarrerie
des figures v ir ile s , qui portent le plafond de Lan-
franc à la villa Bo rgh è fe , ainfi que d’ une multitude
d’ autres du même g en re , fe trouve corrigée
par la couleur de marbre, qui ô t e , en quelque
forte le mouvement 8c l’expreflion de la v ie à
ces figures ; enforte que là i l n’y a point de
cloute qu’elles ne foient de fimples fimulacres,
des effigies inanimées , des repréfentations enfin
des ftatues plutôt que d'hommes, des imitations
de la fcupture plus que de la nature. Sans approuver
ni préténdre juftifier le s écarts où , malgré
cette précaution, ont pu tomber les décorateu
rs , j’ infifte fur cette attention qu’ils ont eu
prefque tous , de pétrifier, fi l’on peut dire, leurs
figures caryatides, parce que j’y trouve la meilleure
p reu ve de la vérité de la théorie que je
foutiens.
Mais cette diftinftion , qui n’ a rien , ni de problématique
, ni de difficile dans les repréfenta-
tions de l’architeôure feinte, où la couleur fait
donner à chaque chofe fa mefurede vraifemblance,
de v ie & de vérité , n’eft-elle pas une chimère
pour la fculpture ? C e t art peut-il fe mentir à lui-
même , peut - il opérer une imitation de lui-
même , & n’éft-ce pas jouer fur les mots comme
fur les id é e s , que de vouloir qu’une ftatue_ceffe
de prétendre à l’illufion de l’objet repréfenté,
pour ne s ’envifager que fous le rapport matériel
de la pierre ou du métal qui la forme ? Les exemples
& les faits vont répondre à cette objeSion ,
en répondant à la fécondé queftion que nous nous
fouîmes- faite.
Comment doit-on admettre les caryatides dans 1’architecture
?
L a réponfe à cette queftion fe divife naturellement
en deux parties, l’une qui regarde les figures
caryatides en elles-mêmes, & l’autre l’ar-
chite&ure „ ainfi que tous' les détails de formes
qui doivent les accompagner.
Puifque les caryatides ne font p lus, dans l’archi-
îecture moderne, qu’un objet de décoration fans
rapport a v e c aucune des allufions religieufes &
politiques qui leur avoient donné naiffance dans
l’antiquité, le goût doit fe montrer plusfage &
plus févêre dans leur remploi. Nous avons vu
que ces figure s , deftituées chez nous de toutes
les idées qui pourroient exeufer en elles l’apparence
du caprice, ne p o u v o ie a t , aux y e u x de
la raifon, fe montrer que fous le rapport matériej
de ftatne. C ’eft au goût qu’ il appartient de
faifir & de fixer cette nuance délicate, qui feule
peut fauver le ridicule & Pinvraifemblance dont
cette invention eft toujours fi voifine.
Et d’abord je pourrois in vo q u e r , à l’appui de
cette th éo r ie , la pratique même des anciens dans
la compofition des caryatides. On y voit ces figures
dans un état de roideur apparente & d’immobilité
morale. Leurs attitudes font fimples ; la
plupart tiennent les bras abavffès le long du corps
ou enveloppés dans leurs amples vètemens. Si
l ’on en croit quelques autres monumens & fur-
tout un paffage d’Athénèe , quelques-unes auroient
eu cependant les bras élevés au-deffus de la tête ;
mais' puifqu’on eft convenu que la raifon feule
devoit décider dans ce g en r e , point de doute
qu’il ne faille, dans le choix des attitudes, fe décider
pour celles qui impriment aux figures un. air
de gravité , de fageffe & de. tranquillité compatible
a vec le caraftère qu’on en exige. Et a cet egard,
il faut dire que le ftyle antique , ou ce qu’on eft
convenu d’appeller ainfi, quand il ne feroit pas,
dans tous les ca s , préférable à tout autre , méri-
tero it, fur-tout i c i , la préférence, comme celui
q u i , par fa fimplicité , la grandeur de fa manière
& la privation de tous les détails minutieux , peut
donner aux fiâmes - colonnes cette apparence de
force , de folidité', capable de leur faire pardonner
le rôle qu’elles jouent.
Q u e le ftatuaire chargé d’ animer , par le cifeau,
ces fupports fantaftiques des édifices, n’aille donc
pas fe livrer à une imitation du genre de celle par
laquelle les modernes ont fi mal-adroitement cru
furpaffer les anciens. Q u ’ il n’aille point, fi ce font
des caryatides viriles , ployer leurs corps dans des
attitudes fouffranres ; qu’ il n’y exprime point la
contrainte & l’effort ; qu’il ne roidiffe point leurs
mufcles & tous leurs membres contre le fardeau
qui les preffe ; qu’il fe garde fur-tout de mettre
l'expreflion de la douleur dans leurs têtes. Qu ei-
qw’effort qu’il ait l’habileté de représenter, quelque
vérité qu’ il ait l’art de faire fa illir, ces figures
paroîtront d’autant plus foibles qu’elles feront plus
d'effort; elles feront d’autant plus fauffesqü’elles
paroîtront plus vraies. Si ce font des figures de
femmes qu’il deftine à l’emploi de caryatides, qu’iL
ne fe méprenne pas jufqu’à leur donner la molleffe.
de la grâce & la foupleffe d’une attitude recherc
h é e , ou des poftures trop variées ; car on ne préfume
pas que jamais le travers d’une bifarre fllii-
fion puiffe le porter jufqu’à offenfer les plus fimples
convenances, par des pofvtions forcées & contraires
à la nature même du fexe qu’il repréfente.
Q u e ces figures , fimples dans leur maintien ,
droites dans leur attitude , févères dans les airs de
tê te , préfentent au fpeâateur une immobile tranquillité
dans leur perfonne , une forte de fym-
métrie dans leur ajuftement, dans leur phyfiono-
m ie , dans leurs acceffoires ; que des treffes de
cheveux ou des draperies accompagnent leurs c o ls ,
pour
-our corriger M p è c e de foiblefle apparente
cette partie du co rp s , eu égard au fardeau de 1 en-
„bleôient. Q u e leurs draperies accufent agréable-
nient les contours de leurs corps , mais que leurs
jets perpendiculaires dans leurs chutes , rappellent
en quelque forte les cannelures d’une colonne ,
fortifient la figure par en bas, & donnent au tout
l’apparence de là folidité ; je m’apperçois que j ai
prefque décrit les caryatides d'Athènes ou celles
de Jean Goujon à la M e des antiques. Cet artifte,
fculpteur & archhèéte , avoit fi bien compris
toutes les convenances de goût propres au genre de
fculpture en queftion, que pour ne lai fier aucun
doute fur l’intention qu’ il eut de faire {apporter
fa tribune par des ftatues de femmes , & non par
des femmes , & pour ôter tout prétexte d’équivoque
à c e fu je t , il les a repréfentées, comme on a eu déjà
occafîon de le dire , fans bras , & fous'Tafpeâ
'd’effigies mutilées. Ces bras ainfi tronqués font bien
faits pour détruire toute éfpèce d’illufion du genre
de celle que les modernes ont fi fort ambitionne ;
mais rien atvfli ne contribue mieux à réfuter toutes
les; ob’jeftions qu’on a faités contre la vraisemblance
des caryatides. A u' reftè ,ians pouffer fur cet article
le fcrupule aufli loin que Jean G ou jo n , il fuffira
de l’imiter dans le caractère général de gravité ,
d’auftérité qu’ il a fu répandre dans cet ouvrage ,
pour faire exeufer , même aux y e u x des plus/févères
cenfeurs , une invention que la raifon ngou-
reufe peut preferire, mais-que l’ archite&ure aime
Ce qui refie à dire fur la manière dont les caryatides
doivent être admifes dans les-,édifices , con- '
cerne i’architeéfe plus que le fculpteur. Les modernes
ont voulu croire que les anciens avoient
fait un ordre à part de l’ordre caryatide-t ceft-à-
dire, qu’ils en avoient fixé d’une façon plus ou
moins précife les formes, les profils d’entablemens,
de chapiteaux, les ornemens & les proportions quelconques.
Si le fiience de V itru v e à cet egard ne
donnoit à penfer le contraire, on le prouveront aife-
ment & par la difficulté d’établir en ce genre des
règles confiantes, 8c par les monumens qui nous
font parvenus.
La première diverfité d’archite&ure qu’on y remarque
eft celle des chapiteaux , qui , tantôt fe
rapprochent de la forme dorique , comme dans les
caryatides d’A th èn e s , & tantôt fe préfentent fouis
le type corinthien , comme à celle de la Villa
Albani. 11 eft difficile d’en imaginer d’une forme
plus élégante & plus riche que celle de la première
efpèce , 8c qui s’adapte plus agréablement a
la tête d’une figure ; cependant l’èvafement que
produit le chapiteau à campane des fécondés, donne
de la valeur à la tête & plus de légèreté à fe n te
mble. L ’art en ce ge^re eft de tenir un certain;
milieu entre la rigueur des formes archite&oni-
.ques & la fantaifie d’un ajuftement trop capricieux
Archi{e&ure. Tome I.
8c trop idéal. O n ne fauroit approuver autant ni
ces chapiteaux en manière de corbeille que les
anciens , n’ont pas laiffé cl’employér , témoin la
figure caryatide ou perfique du palais Farnèfe ; ni '
ceux dont les tores & les profils trop rigoureufe-
mént prononcés établiffént un paffage trop dur
entre les formes humaines & celles de l’atchitec-
ture. J’approuve encore moins les caryatides dont
les têtes dénuées de chapiteau portent immédiatement
les entablemens, comme cela fe voit 8c dans
l’antique 8c au pavillon de la cour du L o u v r e ,
fculpté par Sarrafin. Q u oiqu e l’on foit convenu
que les figures de cette efpèce ne fe doivent regarder
que fous l’acception de ftatne matérielle , it
ne fandroit pas cependant ab'ufer de cet accord ni
prendre cette explication tellement à la lettre qu’on,
n’eût plus aucun égard à l’objet repréfenté ; il y
a toujours entre la tête d’une ftatne 8c l’entablement
qui femble la prëffer, une forte de difeon-
venance qu’ il faut fauver par l’intermédiaire d’en
chapiteau. Ge font des règles de goût que je donne
i c i , 8c elles ne fauroient, en aucun c a s , fe fou-
niettre à la rigueur abfolue d’une conféquence mathématique.
Les caryatides figureroient également mal fous
la retombée des arcades qui fembleroient pefer fur
elles d’ une manière fatigante pour le fpeâateur.
Si les colonnes font elles-mêmes déplacées dans cet
emploi ( voyc{ A r c a d e ) , on n’aura pas de peine
à prouver que des ftatues doivent être plus particuliérement
encore réfervées au fupport des1 entablemens.
Une autre règle de goût qu’on eft autorifé à
donner , 8c d’après les précédentes , & d’après les
modèles les plus beaux en ce genre, c’eft de fuppri-
mer quelqu’ une des parties de l’ entablement qu’onr
impoie fur les figures caryatides, & cela toujours
pour alléger le fardeau qu’elles om l ’air de porter,
& pour établir un accord de proportions entre
l’entablement & fon fupport. A u portiqu e caryatide
d’A thène s, la frifeeft fupprimée ; cependant, félon
l’obfervation de M. le R o y , l ’entablement a encore
plus du tiers de la hauteur des figures.
« O n ne pourroit guère , continus ce t écri-
iy vain , rendre raifon de cette grande hauteur de
» l’entablement qu’en confidérant qu’une femme
3, habillée comme le font ces ftatues, forme une
» malle qui reffemble plus en gros , par fa pro-
» portion , à une colonne dorique fort courte , qu’ à
» une ionique élégante ; & l’architeâe de cet édifice
» a peut-être craint que l’entablement ne parût
» grêle , s’il l’avoit fait plus petit. Q u o i qu’il en
j» f o i t , cet entablement eft d’ un très-beau profil ;
» il a des denticules dans fa corniche , ce qui
» montre qu’il eft ionique. I l a au fli, fur une des
« faces de l’architrave , un ornement qui fait un
m bel e f fe t , & qui n’eft pas connu dans les autres
1 » ordres. Ce font de petits ronds , placés de dif-
1 » tance en diftance. Les deux faces fupérieurss
Y y y