
Plufieurs ont été faits long-temps après les églifes,
auxquelles on lés a attachés ; d ’autres ont été élevés
en même temps , & ils n’en font que plus condamnables.
Paffons aux clochers de la troifième efjpèce. Ils
préfentent un enfemble étonnant de délicateffe &
de force , d’élévation 8c de folidité. Prefque tous
s’élèvent fur un plan carré jufqu a une certaine hauteur
, 8c là commence une pyramide circulaire
ou à plusieurs pans. Ces pyramides s’appellent ai-
çuiUes ou flèches. ( F ’oy. ces mots). Celle de-[Saint-
Denis^ eft l’une des plus anciennes de la France. On
la croit du règne de Charlemague , 8c fa beauté
l’en rend digne ; cependant il faut qu’elle cède à
celle de Lei&oure en Gafcogne. Ici un efcalier conduit
à la pointe même où la croix eft p lacée, mais
îl eft extérieur 8c fans rampe ; fes degrés tournant
fu r eux-mêmes 8c diminuant toujours, compofent
eux feuls la flèche qui, par là , repréfente une fpirale.
O n vante juftement encore les clochers de Reims
8c ceux de Chartres , dont l’un a , dit-on , foixante
toiles d ’élévation , 8c eft couvert de pierres taillées
eii écailles de poiflon.
Mais celui que les hiftoriens 8c les géographes
appellent la merveille de l ’Europe , le clocher de
Strasbourg l’emporte for tous, autant par fa hauteur
que par l’exécution. Une ancienne infcription qu’on
lit au-defllis de la porte de cette églife, nous apprend
q u e larchiteéle Erwin de Steimbach, en jetta les
premiers fondemens le jour de. S. Urbain 1277.
Celui-ci étant mort en 1318, fon fils Jean commença
à faire' fortir la tour de terre. Il mourut en 1339:
Je an Hiltz, de Cologne, lui foccéda, 8c conduifit
l ’ouvrage jufqu’àla plate-forme ; mais étant mort en
1365 , plufieurs architectes continuèrent alors l’en-
trepriie. Celui qui l’acheva, & pofa le globe 8c la
croix en 3 4 3 9 , é to it, d it-o n , de Souabe.
Le portail a deux cents quarante pieds de haut ;
le clocher qui eft à la gauche du fpeCtateur , s’élève
d e trois cents trente-quatre pieds au-defliis de ce
portail : ainfi la hauteur totale de l’édiflce eft. de
cinq cents foixante-quatorze pieds, m’efore de Strasbourg.
Il eft caffé dans la partie qui tient à la façade
de l’églife 8c dans celle qui s’élève feule ; . il
eft oétogone & flanqué de quatre tourelles, qui
contiennent chacune une efcalier , 8c fe réunifient
p a r un paffage à la naiffanee de la pyramide. Cette
pyramide eft formée par fept retraites, 8c eft
terminée par une efpèce de lanterne. Le clocher
eft entièrement ,à jour ; le nombre des colonnes
qui le décorent eft prodigieux. La pierre dont il
eft bâti ne paroît ni taillée ni fculptée, mais elle
eft découpée , mais on crpiroit qu’elle a été malléable
6c duétile comme les métaux, La plus haute
pyramide de l’Egypte ne le.furpaffe que de vingt-
cinq p ied s, 8c elle eft cpnftriïité de pierres énormes.
Elle eft le monument le plus élevé que l’on çon-
iioifle : le clocher de Strasbourg eft le fécond.
On ne porte plus maintenant les clochers à cette
élévation e*ceflive| leur utilité ne le demande pas.
Ceux que l’on érige aéluellement font en forme
de to u r, le plus fouvent quarrée. ( Voy. ce mot).
Une Ample plate-forme les couvre. O n a renoncé
aux pyramides. La phyfique nous ayant appris
qu’elles attkoient la foudre, nous avons été dociles
a fes leçons, juftifiées par plufieurs événemens terribles.
Cependant les plus hautes flèches ont jufi-
qu’à préfont bravé les orages 8c les fiècles, 8c il
femble que dans les grands ouvrages de l’homme,
la nature refpe&e celui qui tantôt eft fon rival 8c
tantôt fon vainqueur.
La difpofition 8c la décoration des clochers ont
finguliérement tourmenté le génie des archite&es
modernes, 8c il faut avouer que c’eft un malheur
pour la plupart de nos temples, que cette néceflité
d’un édifice par lui-même fans rapport avec eux.
L’on fait que Bernin avoit effayé d’en introduire
fur la façade de l’églife de Saint-Pierre. La jalou-
fie de fes ennemis le fervit mieux qu’on ne pou-
roit dire , en jettant fur la folidité de cette çonf-
tru&ion des alarmes qui décidèrent le pape à faire
détruire la production de cet artifte. ( Voye% la
vie de B e r n i n . ) Ces clochers , comme l’on fa it,
étoient placés aux deux extrémités de la façade ;
8c fans d oute, quels que foient les reproches qu’on
peut faire au frontifpice de Saint-Pierre, il n’y a
perfonne qui ne fonts combien il a gagné en perdant
cette addition inutile du Bernin.
O n peut fe convaincre du mauvais effet de ces
édifices parafitcs, élevés au frontifpice d’un temple,
ar les clochers que Chriftophe Wreen compofa à
imitation du Bernin, pour la façade de Saint-Paul
à Londres. Peut-être la bifarrerie de leurs plans 8c
de leur élévation contribue-t-elle à en rendre l’af-
peét faftidieux 8c importun. Ce qu’on peut affirmer
fans crainte d’être démenti par aucun homme de
g o û t, c’eft que la façade de Saint-Paul gagneroit
encore plus que celle de Saint-Pierre à la lupref-
fion de fes ridicules clochers.
Les architectes anglois fe font particuliérement
exercés dans la compofition des clochers, qui font devenus
une partie très-principale des églifes d’Angleterre.
La manière dont on les y difpofo 8c la
place qu’ils y occupent, prouvent peut-être moins
encore l’importance de ces édifices 8c le cas que
l’on en fait, que le peu de goût des architectes. Le
clocher., pour l’ordinaire, ( l’on parle principalement
de la ville de Londres ) occupe le milieu de l’églilè,
8c très-fouvent on en voit qui s’élèvent au-defliis
d’un périftile 8ç d’un fronton , chofe tout-à-fait
invraifemblable,
Jacques Gibbs, architede Ang lo is, 8c l’un de
ceux qui ont le plus contribué\au rétablifîement
8c à la décoration de la ville de Londres , y a
élevé lin grand nombre de clochers tous plus riches
les ùps que les autres , mais dont la difpofition tombe-
dans le défaut qu’on vientde relever. On eft choqué
de trouver ].è beau périftile de i’églifejde Saint-Martin,
formonté par un clocher d’une très-grarfde h au teu r,
&
& q u i, par cela m êm e , rapetiffe & dégrade la vue
.de fon periftile. Au refis, il ne faut pas : s’imaginer
que le clocher porte immédiatement for le fronton ;
cette idée bizarre eût été indigne du talent de cet
architecte célèbre ; il eft au contraire en retraite dé
toute la profondeur du périftile , 8c il porte même
de fond : mais comme il fe préfonte à la vue d’une
manière fi principale , on eft prefque tenté de
croire que le périftile n’a d’autre objet que de conduire
à un clocher.
Celui de i’êglife de Saint-Martin a environ 160
pieds anglois d’élévation , lorfque le périftile en a
tout au plus cinquante. O n font combien la hauteur
du clocher doit attirer à foi les yeux 8c détourner
l’attention de l’objet principal. O n ne fauroit au
refte favoir très-mauvais gré à l’architeâe du goût
plus infipide que bizarre qui règne dans la compofition
de ce clocher , comme dans la plupart de tous
ceux où il a fi inutilement exercé fon génie. Le
befoin de varier fes maffes dans une fi grande élévation
, de diverfifier leur décoration , la néceflité
d’aller infonfiblement par retraite gagner la forme
pyramidale, les différentes foj étions auxquelles on
doit conformer fon invention , tout cela devroit
faire défofpérer les architectes de jamais rien produire
en ce genre qui foit digne d’arrêter les regards
d’un homme de goût.
Le clocher de l’églife de Sainte-Marie de Londres,
dans le Strand, eft un ouvrage du même architecte. Il
fe compofe fans doute d’une manière plus heureufe,
avec la maffé générale du temple : les ordres y font
employés avec beaucoup de magnificence ; mais
on fe garderoit bien de. le citer comme un modèle
à imiter. Gibbs ne fut pas plus heureux dans les
deflins de clochers qui grofliffent-le recueil de fes
ouvrages. Ils fo n t, pour la plupart, un compofé
de formes affez bâtardes, jointes quelquefois à des
ajuftemens affez heureux., mais for leiquels il eft
tout au moins inutile d’arrêter l’attention de leCteur.
Il faut d ire , pour la juftiücarion des architectes
dans la mauvaifo difpofition des clochers, que fou- '
ven t des préjugés vulgairès ont gêné leur goût 8c
contrarié leurs projets. Le droit d’avoir un ou deux
clochers, de les porter à telle ou telle hauteur , de
les avoir à tel ou tel endroit, a plus d’une fois fait
la loi aux architectes. On fait que celui de l’églife de
Sainte-Geneviève à Paris, voulant dégager la vue de
fon périftile de l’attirail faftidieux des clochers, effuya
lès plus grandes contradictions pour reléguer les
tours ail chevet de fon églife. C’étoit dans la né-
cefiité d’adjoindre des clochers à l’édifice, le meilleur
parti à v prendre ; cependant un tel p a rti, outre qu’il
contrarie les habitudes du p euple, ne peut encore
convenir qu’à un édifice d’une très-grande étendue,
8c difpofé de manière à ne point préfenter à l’oeil
un enfemble bien régulier. Dans l’hypotèfo d’un
temple tel qu’il pourroit 8c devroit être à l’extérieur,
J e s tours ou les clochers feraient aufli déplacés
au chevet qu’au frontifpice ; 8c je ne doute pas» j
qu’on n’en vienne quelque jour à débarrafler entière-* I
ArchiteÜurt. Tome 1.
ment tes édifices facrés de ces conftru&ions étrangères
à eux.
Mais , d it-o n , tant que le befoin des cloches
exiftera, , comment 8c ou placer les conftruClions
propres à ies recevoir ?
Je réponds à cette queftion par l’exemple de
l’Italie. Dans ce pays, les clochers, pour la plupart,
font des édifices indépendans 8c féparés du temple
comme je l’ai déjà fait voir au mot C ampanile.
(Voye1 cet article ).
Cette méthode offre deux avantages, l ’un de ne
point embarraffer la conftruélion, 8c fur-tout la décoration
extérieure, de malîifs difpendieux 8c de
compofitions infipides ; l’autre eft de pouvoir donner
à ces tours ifolées des proportions convenables
8c dans le choix defquelles l’art pourroit s’exercer
avec fuccès , comme on en a des preuves en Italie.
E11 général l’archite&ure perd plus qu’on ne fauroit
le dire à ce mélange d’idées compofées , dont le
moindre inconvénient eft d’ôter à chaque objet fon
caraâère propre. Il n ’y a aucune relation d’idée entre •
un temple 8c une tour, 8c cette agrégation indifcrèfe
de formes incohérentes, fait qu’on n’a ni temple, ni
tour. Je fais que rien n’a mieux fervi le goût des
compcfiteurs modernes que cet affemblage de toutes
fortes d’objets, d’où font réfoltées ces maffes foi-
difant impofantes de certains portails ; mais je fais
aufli que la manière de bien fervir l’architeâure ,
eft d’en Amplifier toutes les idées 8c d ’en ramener
toutes les conceptions au principe de l’unité.
Cette théorie ne trouvera point ici fa place. O n
la réferve pour les articles principaux, o ù l'on traitera
en grand de la difpofition des églifes.
Quant à ce qui peut refter à dire fur les édifices
deftinés au uipport des cloches c’eft an
mot T our que je renvoie le leâeur.
L’article foivantva traiter des notions uniquement
relatives à la conftruâion de ces édifices, foit qu’ils
foient en pierre , foit qu’ils ne foient que de charpente.
CLOCHER , f. m. ( conflruÜion ). O e i l un édifice
conftruit en bois ou en pierres, deftiné à contenir
les cloches. Les clochers en bois font ordinairement
des efpèces de flèches ou aiguilles fou-
tenùes par la charpente du comble. O n lés place
prefque toujours à l’endroit où les combles fe croifont,
afin d’accorder la folidité avec la régularité.
Il fa u t, pour la fo lid ité ', que la charpente du
béfroi 8c de la flèche , foit combinée avec celle
du comble , de manière qu’ils fe trouvent fofpendus
au-deffus des voûtes de l’églife.
La difpofition 8c l’affemblage des piècés de bois
qui forment cette efpèce d’ouvrage, peut varier à
l’infini , tant par rapport à fa forme , que par fa
pofition. Il a été un temps ou l’on regardoit ces ouvrages
comme dés chefs - d’oeuvre de- l’art de la
charpenterie. Leur belle exécution faifoit la réputation
des maîtres charpentiers qui les eiitreprenoieni,