
Poor s’en dîftra.re, il réfoint d’aller en Lom-
Itârdie : mais ’a difopadon du vo y ag e ne put chaffer
fon en n ui, qui le ramena bientôt à R om e ; 8c fon
mal devint incurable. En v a in , pour le calmer,
donnok-U iis libre cours à tous les caprices de fon
imagination, dont il projcttoit de faire graver le
recueil. Il préfidoit à 1 imprcffion de fon ouvras*
lorfqu’un accès d’hypocondrie fit (lèfefpcrcr de
fa vie. Sa fituation devint fi terrible, qu’il nmif.
foit comme un lion. O n crut que le moyen le
plus propre à lui tranquillifcr l’e fp r it , étoit de W
louftrairc abfolument tout ce qui pouvoir l’applU
quer à fon art. La nature de fa maladie cmpûchoit
qu’on ne le laiffât fcul. Ce tte contrainte irrita fon.
mal : loin de le gué rir, on ne fit que l’aggraver
encore. Bientôt il dégénéra en une oppremon de
poitrine, 8c en une efpècc de frénéfie. Il deniandoit
lans celle fes inftrumens de tra v a il, & on les lui.
refufoit toujours. Une nuit d’é t é , ne pouvant rc-
p o fe r , il demanda plufieurs fois une plume 8c du
papier pour éc r ire, lans qu’on voulut lui en donner,,
A ig r i de ce nouveau genre de fupplice, au milieu
des plus terribles imprécations il s’élance de fou
l i t , fe foifit d’une épee & s’en perce. Ses domef-
tiques accourent à les c r is , 8c le trouvent,baigné
dans fon fang. I l vécu t encore quelques, heures,,
8c allez de temps pour pouvoir fe repentir du fui-
cide qu’il venoit de commettre. A in fi p é r it, en
1 6 6 7 , à l’âge de foixante-huit, a n s ,.c e t artifle ,,
viéfime de la jaloufie qui avoir empoifonné fes.
jours & corrompu, fon goût.,
Qu elque penchant en effet que la nature lui eut,
donné pour,la b izarrerie, la manie de fe fingularifer
en augmenta l ’afeendant. L e dépit de là gloire du.
B e rn in , l’envie de l’éclipfer, furent les caufes principales
d e s . excès de licence où il porta fon art.
Sans doute au fli, le goût affez général de. fon fiècle
pour le faux brillant , dont.le Ca v. Marini donnoit.
en d’autres genres de R dangereux exemples ; cette,
fureur d’in n o v er, qui n’efi jamais plus forte que
dans les fiècles foib le s , & qui reffemble. aux. der*
nières convulfions du génie expirant; d’autres caufes.
générales & particulières concoururent à. nourrir
& à augmenter dans Borromini cette efpèce de fièvre,
qui lui tint lieu de génie. Qu oiqu ’il ait été l’in*
venteur d’un goût original & nouveau , auquel il
a eu l’efpèce de gloire de donner fon. nom ; quoiqu’il
ait été le fondateur d’une école qui ne compte,
encore que trop de. difc iples, & qu’on le. mette
ordinairement fur la lifte des inventeurs & . des
Hommes de g én ie , on nous permettra de.douter que
la peftérité confirme le fuffrage de fes feâateurs.
Ceux qui lui accordent cet honneur,.penfent
apparemment que le génie confifte dans une forte
de conftitution excefiive de l’a r a e .d a n s une.im-
modération défordonnéé , qui l’entraîne, aux extrêmes,
dans une impulfidn.aveugle & irraifonnée,
dont les effets, font bons ou mau vais , fui vaut la
nature du but. auquel le hafard des circonftances
les dirige : mais alors combien de brigands ledif-
puteroient aux plus grands guerriers , combien de
lcélérats figureroient auprès ■ des héros , combien
de fous iroient fe ranger à côté des vrais fages &
des plus grands hommes 1 Si c’eft ainfi que Borro»
mini prétend trouver place au milieu des hommes
de génie, fans doute on ne lui en eonteftera pas
le droit : mais on ne penfe pas qu’ il p u iffe, fou»
aucun autre titre, en augmenter le nombre. Quand
les facultés inventives qu’il paraît avoir reçues de
la nature , feroient préfumer en lui le pouvoir
qu’il atiroit eu d’en faire un meilleur emploi ; l’abus
révoltant qu’il en a fa it , fuffiroit feul pour faire
à jamais rayer fon nom du livre de la poftérité.
Mais l’invention , ce don fi précieux 8c fi rare,
fur-tout en architeélurc, dont Borromini femble, aux
yeux de quelques-uns, avoir épuifé tous les tréfors
& déployé toutes les reffources, feroit-il vrai c/u’on
pût encore lui. en refufer l’honneur l N’auroit-il été
qu’un furieux , uoffédé de la manie de la célébrité,
un nouvel Eroftrate, dont le talent fe ferait borné
à incendier 8c à détruire ; & chez qui le défefpoir
d’inventer auroit produit une nouvelle efpèce d’in- ;
vention ?
Pour apprécier au vrai Borromini 9 il femble qu’il
faille féparer un moment l’inventeur de fes inventions
& L’homme de fo n ouvrage.. Peut-être le premier
mérite-t-il plus d’indulgence qjue le fécond..
Peut-être, ce qui paroîtra fans doute in c royab le,
l’excès du vice qui domine dans fes prodn&ions ,
peut-il jufqu’à un certain point en juftifier l’auteur.
11 faut çonfidérer dans quel fiècle parut Borromini,à
quelle époque des arts , & le degré auquel ceux-ci
étaient parvenus. Nous avons eu occafion de le
dire à l’article du Bernin ; & nous ne répéterons
pas ic i que ce grand homme , le dernier qu’ait eu
l ’arcliiteclure en Ita lie , a v o ir porté l’art au période
le plus voifin du fafte & de l’enflure à ce point
enfin qui ne laiffe plus au x fucceffeurs que le
choix de l’imitation ou. du mauvais goût. Si cette
place.,, la dernière qui reftoit à occuper , n’eût
été prife par le Bernin-, tout porte à croire que
Barrromini s’en feroit emparé 'r rien n’empêche de
croire encore qu’ il eût. pu la partager : mais fon
humeur jaloufe ne foufrrait point de partage ÿ il
eût dédaigné d’être le fécond de fon fiècle. Borromini
d e v in t , par choix & par g o û t , ce que les
circonftances avoient déterminé qu’il fut. Cette
connivence, cette forte de. complicité de fon choix
avec les difpofitions de la nature , eft évidente
dans tous fes ouvrages. T o u t indique en lui l’af-
fbéhtion,la recherche la.plus volontaire des formes
b iz a r re sd o n t il effaya de couvrir la bizarrerie naturelle
de fon humeur.. L ’exagération où il a porté
tous les vices , femble n’avoir eu pour but que
d’en diminuer l’odieux, à force de rid icu le, &
d’échapper à la critiqu e, en- bravant fe s traits.
C ’eft par ces confédérations, par la cdnnoiffance
ou la préfomption de c e qu’il auroit pu ê t r e , que
Borromini peut trouver quelque exeufe de ce qu’il
a. été. Si l’on jugeoit fes in v en tion s, abftraélion-
faite de l’inventeur , peut-être faudrait- il lui refufer
jufquîà l’indignation & ne mériteroit - il que la
pitié qu’on accorde à la démence. Mais l’excès qui
peut plaider, en faveur de l’inventeur, n’a rien qui
puiffe juftifier. l’invention ; 8l l’on s’étonnera fans
doute que les hommes aient pu fe méprendre affex
fur les caractères du g é n ie , pour en donner 1 e
nom aux productions chimériques qu’enfanta
délire de Borromini.
Ce tte méprife fur le g én ie , 8c dont Borromini
fut peut-être tout le premier la v ic tim e , rient au
préjugé trop commun qui a perfuadé aux fiècles
modernes que changer étoit inventer. Le mauvais
goût dans bien des a r ts , n’ a été que le réfoltat de
cette équivoque d’ idées 8c de mots pris a contre-
fens. C e r te s , s’il en étoit ain fi, les moderne s au-
roi en t lieu de vanter leur fupériorité fur les anciens.
Si le changement étoit invention , 8c Vin-
confiance génie , quelle pauvre idée faudroir-il
prendre des anciens? 8c combien »’agrandirait
celle qu’on doit avoir des peuples modernes. C e pendant
c e u x - c i ont été induits & portés naturellement
à recevoir cette foufle opinion. Prefque
tous les arts , ayant reçu du gothique un principe
vicieux , les grands hommes modernes, auxquels
le nom d’inventeurs eft réellement du , avoient eu
dans leurs productions le mérite de réunir toutes
les qualités intrinféques du g é n ie , 8c les dehors
flatteurs de la nouveauté. En fe rapprochant d e la
nature & du v ra i, ils avoient eu l’efpéce d’avantage
de eontrafter avec leur fiècle. L’idée d’innovation
a donc dû fe joindre à celle d’invention. Les effets
■ d’une révolution fe font trouvés liés dans l’imagination
aux efforts du g én ie , & l’on a cru ne
| pouvoir arriver à la meme g lo ire , qu’en ùnûSznt
aufii les cou trafics , en fe mettant enfin en oppo-
firion avec fon fiècle.
T e l fut le fyftême de Borromini ; telles font les
raifons qui nous ont foi t dire , à l’article B i z a r r
e r ie {jvoyc^ ce mot ) , que les maîtres du genre
bizarre auraient peut-être été capables des plus
grandes eh o fe s , s’ils enflent été placés par la
nature dans d’autres f iè c le s , & fi les modèles
du mauvais goût leur euffenr préfeoté des idoles
à abattrer & un faux culte 2 renverfer. Mais quand
on penfe qu’ils n’ont dirigé tous leurs efforts que
contre les monumens les plus refpeâabiesdn génie ;
que tout le fecret de c e fyftême d’inno var ie s n’a
confifte qu’à mettre de nouveau le défordre à la
place de l’ordre , l’erreur à la place de la v é r ité ,
le caprice à la place du g é n ie , de quel nom doit-on
appeller cet efprit d’invention b
II y a p lu s , abftraôion faite de la dîfpariré des
effets , il ne faurok- encore y avoir parité de mérite
dans- les inventeurs , parce qu’on ne fenrott
même établir aucune compaxaifotr de difficulté dans
les deux genres d'innovation.
T o u t c e qu’on peut- fuppoler en foreur de
Borromini, d’après la manie q u l l eu t pour inno
v a* , c’eft q u e , s’il fe fût trouvé dans d’autres
c i r c o n f ta n c e s i l eût peut-être mis le bon à h.
place du mauvais, comme il a mis le mauvais à
la place du bon : mais, dans le parti q u ll a choifi
la difficulté ne fe trouve pas en raifort é g a le , éc
par conièquent l’efpèce de gloire qui reluirereit