
* o ir prévu celles de fes fucceffeurs. C e grand édifice
attendoit Brunelefchi.
C ’eft dans cette enfance de l’archite&ure qu’il
naquit l’an 13 7 7 . Son père Lippo-Lapi ne v it d’abord
en fon fils qu’un fhjet propre à lui fuccèder
dans fa profeflion de notaire. Il dirigeoit vers ce
but fon éducation ; mais l ’étude des belles-lettres &
des humanités, fit naître de bonne heure en lui
des qualités précoces d ’efprit & le dégoût de l’état
paternel. L’appât des lettres n’entroit cependant pour
rien dans la caufe de cette averfion. Elles avoient
fait naître en lui le goût des arts ; une aptitude
naturelle à toutes les chofes d’adrefle, un penchant
irréfiftible pour le deflin étoientdes fymptomes auxquels
on ne pouvait fe méprendre. L e père les
v o y o it avec p e in e , mais.il ne voulut pas combattre
cette inclination. L e jeune Brunelefchi fur
mis chez un orfèvre ; fon intelligence & fon adreffe
lui firent faire des progrès rapides dans un état
qui étoit propre à développer en lui des talens
d’un autre genre. L’art de l’orfèvrerie étoit alors
lié à celui de la fculpture, il en étoit mêm e,
fi l’on peut d ire , l’école. Les plus grands fculpteurSÎ
de ce temps y avoient puifé les élémens de leur,
art. Une v o ix fecrète avertiffoit Brunelefchi qu’il
n ’étoit point né poiir les travaux obfcurs &
fnbalternes d’une profeflion qui offroit à Ion ambition
une route plus glorieufe.
Les charmes de la fculpture captivèrent fon goût :
la liaifop qu’il forma avec Donatello lui infpira le
defir d’être un jour l’émule de fon ami. Il le devint
en effet; & le premier feuIpfeur de ce temps s’avoua
dans une occafion vaincu par Brunelefchi. Celui-ci
fut admis au grand concours qui s’ouvrit dans ce
temps pour les portes du baptiftère de Florence.
I l fut un des fept fculpteurs choifis pour entrer en
lice. Il remportoir même le prix fi Laurent G hi-
berti n’eût été dn nombre des contendans. Cette
défaite fit moins de tort à fon talent que d’honneur
à fa générofité. A peine les ouvrages des
concurrens font-ils e x p p fé s , que Brunelefchi &
Donatello s’empreffent de couronner leur vainqueur:
ils le proclament eux-mêmes & follieitent
pour lui l’entreprife dé'Fouvrage. Notre artifte
même refufa de le partager a v ec Ghiberti.
Son amour pour la gloire ne fonffroit pas non
plus de partage. Il vouloir être le premier dans
un art. L ’archite&ure lui offroit çètté perfpé&iÿe
flattéüfe : l’étude approfondie qu’ ri avoit fait dè
la géo'méirfë, & des règles de l’optique dont
il devina les procédés ; le poftdit encore' dan$
cette utile carrière. L e p rojet que Donatelîo âvôit
formé d’aller à R om e , apneva de le défciae'r. Ces
deux amis partirent pour y étudier l'es grands modèles
, l’un de la fculpture , l’autre de Farchi-
te&ure.
La première vu e des monumens de l’antiquité
Fait éprouver à l’ame fêttfible d’un artifte un genrè
d’émotions «ÿu’ il n’éft pas aifé de définir. On la
comparerbir prefque aux premières' injpre/fions
de l’amour. C ’eft d ’-abord une forte de ftupeur mêlée
' de refpeâ . O n croit à peine fes y e u x , on veut revoir
ce qu’on a v u , on veut le voir toujours, on doute
encore de l’avoir vu . Un befoin jufqu’alors inconnu
s’eft fait fentir à l’am e , un charme incom-
préhènfible l’enchaîne, elle fe t rou b le, toutes
fes penfées fe confondent dans l’objet de fon admiration.
Rien déformaisne peut détacher l’artifte de
ces fublimes images qui vont faire l’unique entretien
de fa penfée. Elles feront préfentes à fon
r é v e i l, elles l’occuperont le jo u r , elles embelliront
encore pour lui les fonges de la nuit.
Q u ’on juge de ce que dut éprouver Brunelefchi
traniporté dans cette efpèce de nouveau monde
ou il portoit le premier lès pas , & dont il devoit
être en quelque forte le premier conquérant. Rome
alors offroit & bien plus de monumens antiques en
a rch ite â u re , & de bien plus entiers qu’aujourd’hui.
L e contrafte de leur goût étoit bien plus frappant, &
lame de Brunelefchi bien propre à en recevoir les
plus fortes émotions. Au ffi l’hiftoire nous le repréfente
comme frappé de ftupeur à la vue.de
ce fpe&acle inconnu : la force de l’étonnemertt fem-
blo.it lui avoir aliéné l’efprit. A b ym é dans l’admiration
, fes y e u x & fes pas s’égaroient fous les
voûres 8c dans tous les détours de ces ruines immortelles.
On eût pu dire de lui ce que Ammien
rapporte de Confiance à la vue du forum de
Trajan. Hoerebat attonitus per Gignnteos contextus
circumferens mentent, nec relatu ajfabiles, nec rurfus
mortalibus appete'ndos.
Revenu de ce premier fentiment, Brunelefchi
ne connoît plus le repos ; il oublie les foins de
la v ie , les heures des repas & du fommeil. Me-
furer , lever des p lan s , defliner des ruines & des
voûtes antiques, ordonner par-tout des fouilles
pour retrouver les vraies proportions des édifices
& reconnoître le caractère propre des ordres étoit
fon unique travail. Point de monument qui échappe
à fes recherches, point de ruine qu’il n’ interroge
tant au-dedans qu’au-dehors de Rome. L ’ambition de
devenir le reftaurateur de Fàfchiteélure & de placer
fbn nom à coté de ceux de Cimabué & de Giotto s‘
foutenoit fon courage , échauffoit fon génie : elle
avoit aufli épuifé fa fortune. D o n a te llo , le compagnon
de fon v o y a g e & de fes t ra v au x , étoit
retourné à Florence. Brunelefchi eût été obligé
de le fuivre , s’il n’eût trouvé1 dans fa première
p^ofeflîon d’orfèvre le moyen de fe foutenir encore
à R om e : il mit donc à profit pour ion nouveau
talent les' réfioufees de fon ancien métier.
• 'U n motif particulier lui avoir fait prolonger
ftyh féjour à( Rome. C ’étott le fecret favori de
fôn ambition. Il ne l’avoit cbmmuniqtïé à perfonne,
pâs même à D o n a te llo , fon ami le plus intime.
Depuis .long-tems Brunelefchi méditoit en filénee
Fekécution d’une entreprife pOur laquelle fon génie
F a v ertiflo if‘qiVil étoit né. L e p r o je t t e réunir par
une grande cptipole les quatre nèfs; de fainte
Marie-des-Fl'eurs, paflbit âloris pour imte !de ces
cftitnères
éhimèrfitf dont l’ Imagination feule p ou voît embellir
l’empire des fixions. Brunelefchi n’y v o y o it
qu’un problème dont la folution lui étoit réfervée.
Mais les études qu’il avoit faites jufqu’alors d’après
l’antique, ne le rafluroient pâs encore affez fur
toutes les difficultés qu’il auroit à combattre. C ’eft
le propre de la médiocrité de ne jamais mefurer
fes forces; c’eft fouvent le propre du génie de les
ignorer & d’en douter long-tems.
Brunelefchi avoit retrouvé les proportions des
trois ordres, c’eft-à-dire les élémens de l’archi-
tefture. Il s’étoit approprié le génie des anciens
par les deftins exaûs qu’il avoit faits de toutes les
efpèces de temples, des bafiliques, des amphithéâtres,
de tous ces édifices enfin dont fe compofoit
l’antique magnificence de Rome. Rome toute entière
revivoit dans fes deffins. Il comprit qu’il lui
falloit acquérir un autre genre de favoir fans lequel
les plus riches inventions du génie ne font
fouvent que de brillantes illufions. C ’eft fur la
fcîence de la conftrudion qu’il va déformais interroger
les anciens. Il apprendra d’eux cet accord
parfait entre la partie utile de l’architeélure
& fa partie agréable, qui fujiordonnant réciproquement
l’une à l’autre, fait contribuer la conf-
tru&ion même à la décoration , & oblige celle-ci
de fe prêter aux befoins de l’autre. I l y remarquera
ce jufte équilibre des forces néceffaires à
la fo l io t é , comme à la beauté des éd ifice s, cet
heureux tempérament, cette jufte mefure de har-
dieffe d’autant plus admirable qu’elle n’étonne
point. Il y étudiera ces moyens aufîi Amples que
grands , ces refloiirces variées & fécondes, ces
procédés économiques auxquels les édifices doivent
leur grandeur & leur durée. I l trouvera des
leçons jufques dans les moindres débris ; les pierres
même lui enfeigneront les moyens d’affurer leur
union , de faciliter leur tr-anfport & leur p o f e ,
enfin tous les expédiens méchaniques dont il
devoit renouveller la découverte.
C ’étoit au prix de tous ces travaux que Brunelefchi
achetoit le droit de fe croirè digne d’une entreprife
qui fixoit tous fes voeu x. Le terme de toutes ces
recherches devoit être celui de fon féjour à Rome.
En 1407, une maladie caufée par le mauvais air,
altéra fa fanté & accéléra fon retour à Florence.
Dans cette même année les Florentins convoquèrent
une affemblée d’architeéles & d’ingénieurs,
pour délibérer fur la manière de terminer
d’une manière quelconque l’églife de fainte Marie-
des-Fleurs. Brunelefchi y fut appellé. T rop adroit
pour biffer deviner fon p ro je t, il fe contente de
le faire preffentir. Il eft d’avis qu’en attendant la
dècifion de cette grande entreprife, on é lè v e toujours
le foubaffement de la coupole à la hauteur
de quinze braffes. Il infifte fur la néceflité de pratiquer
une large lunette dans chacune des huit faces,
autant pour alléger les reins de la voûte des grandes
, que pour faciliter la conftruâion du dôme.
Son avis eft f u iv i , & l’ouvrage s’entreprend.
■Architecture. Tome /,
Brunelefchi charmé d’avoir déjà donné l’impul-
fion à cette grande machine, préparoit en fecret
tous fes moyens. Plufieurs mois furent employés
à la compofition de fes modèles. Cependant il
apprit qu’on fongeoit à réunir de n ouveaux ingénieurs
pour déterminer l’exécution de la coupole.
Il quitte fubitement Florence 8c retourne à R ome.
Il connoifloit la foibleffe humaine, & ce préjugé
trop commun qui faiteftimer de loin les gens qu’on
néglige de p r è s , fon abfence devoit le faire de-
firer. Il ne fe trompoit pas. A peine eft-il parti
qu’on fe rappelle la fupériorité de fes raifons, fa
noble aflîirance ,Sc cette force de perfuafion, & l’af-
cendant qu’il avoit eu dans la première affemblée
fur tous fes autres compétiteurs. Sa préfence pou-
v o it feule^ranimer les efprits découragés. O n pref-
fentoit déjà que Brunelefchi étoit Fameinvifible qui
devoit animer ce grand édifice ; il en a v o it , fi
l’on p eu t.d ire , emporté avec lui le deftin. O n le
prie donc de hâter fon retour à Florence. Il arrive
à l’affemblée. E llcn ’étoit compofée que d’hommes
timides par le fentiment de leur inexpérience;
moins effrayés par la difficulté de l’entreprife que
par la confcience de leur foibleffe. T o u t le temps
fe confumoit en délibérations oifeufes & publia*
nimes, où chacun exagéroit à l’en v i les obftacles.
Plus le projet devenoit grand , moins on fe c ro y o it
petit. O n n’étoit ingénieux qu’à créer de nouveaux
dangers. .Chaque jour v o y o it naître de nouvelles
alarmes.
Je ne vous diflimulerai point non p lu s , l e u r .
Brunelefchi, toute la grandeur des obftacles attachés
à l’entreprife qui vous occupe. C ’eft le p ropre
des grandes chofes d’être difficiles ; j’entrevois
même ici des difficultés & plus grandes & en plus-
grand nombre que vous ne l’avez peut-être imaginé.
Je doute que jamais les anciens aient ofé
mettre à exécution une voûte d’une fi terrible
étendue. J’ai beaucoup médité fur les moyens
d’en renforcer l’ intérieur 8c l’extérieur ; mais la
hauteur & la largeur de l’édifice m’effraie. Si cette
voûte pouvoit être circu laire, j’emploierois Ie$
procédés des anciens dans la conftruélion de celle
qu’on appelle le Panthéon ou, la Rotonde. Mais
ici nous avons huit faces auxquelles nous devons
nous affujettir, parconféquent huit chaînes de
pierres à é le v e r , & auxquelles il faudra lier toute
la conftruélion. La chofe de vient'plus difficile;
perfonne n’en eft plus convaincu . que moi ; à
Dieu ne plaife cependant que j ’en défefpère.j Q u i
douteroit que le grand auteur de toute fcienc.e ,
en l’honneur de qui doit s’élèver ce temple, fu?
perbe , ne puiffe en vo y e r la force , le courage &
le favoir à celui qui fera choifi pour une fi belle
entreprife ? Quant à m o i, que voulez*vous que je
vous dife en ce moment ? Si la chofe me regatr
doit fe u l, je me fens le courage de l’entreprendre^
j’ofe dire mêine d’en triompher fans beaucoup
de peine ; mais je n’ai encore rien d’arrêté^ fur le
choix de mes m oyens. Mon avis donc eft que lorfV