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tournant extérieurement autou-r de la rotonde. C e j
plan a quelque chofe d’ingénieux ; & la place qui
eft en face , décorée de deux fontaines, femble offrir
en petit lin fouvenir de celle de S. Pierre. L ’intér
rieur de la rotonde eft orné de pilaftres cannelés ,
d ’ordre corinthien , avec des arcades formant huit
renfoncemens , où font fept autels , 8c la p o r te ,
qui eft vis-à-vis de l’autel du milieu. Sur les pilaftres
s ’élèvent des arcs doubleaux, qui fe réunifient fous
la lanterne, & entre ces arcs doubleaux font de
petits cailfons. L e dedans de ce monument eft une
des meilleures çhofes qu’ait faites l e Bernin; on y
admire un goût fhge , une compofition heureufe,
au milieu de laquelle l’oeil fatisfait fe trouve tranq
u i lle , 8c une exécution parfaite. La décoration
de la coupole eft la feule chofe où l’on puiffe délirer
un peu plus de repos.
En 16 6 4 , Louis X I V , dont la noble ambition
s’étendoit à tous les genres de g loire, jaloux de fur?
pafier les rois fes prédécefleurs, voulut que le
Lou vre fût achevé fur un defiin & plus grand 8c
plus riche que celui qu’ils avoient adopté. Plufieurs
habiles architeâes avoient donné des plans; on
n ’en fut pas fatisfait. Les grands ouvrages du Bernin,
dont on a pa rlé, lui avoient aflùré la réputation
du premier archite&e de l’Europe. Colbert en parla
au r o i , qui le chargea de lui en v o y e r les plans
faits pour le Louvre * & de le confulter à cet égard.
C e t artifte-, après les avoir examinés, les fit remettre
au r o i , avec deux defiins de fon invention
, qui en- furent goûtés. Le monarque lui env
o y a fon portrait, enrichi de diamans, de la valeur
de trois mille é'cüs, accompagné d’une lettre qui
le follicitoit à venir en France ; elle étoit conçue
en ces termes :
« M. le chevalier B e rn in i,
» J’ai une eftime fi particulière pour votre mé-
» r ite , que je defire avec empreflement de voir
» & de connoîtrè" de plus près un artifte aufli
>» célèbre que v o u s , pourvu que mes fouhaits ne
m nuifent point au fervice de fa fainteté', & quais
57 ne vous dérangent point. T elle s font les raifons
w q u i m’engagent à expédier ce courier extraor-
» ainaire à R om e , pour vous inviter à me pro-
3> curer la fatisfaélion de vous vo ir en France. J’ef-
ï j , père que vous profiterez de l’occafion favorable
» que vous fournit le retour de mon coufin le
3) duc de C ré q u i, mon ambafiadeur extraordinaire,
3> qui vous expliquera plus amplement les raifons
j; qui me font defirer le plaifir de vous pofleder,
3> & celui de parler avec vous fur les beaux defiins
» que vous m’avez en vo y é s pour la conftrudion
33 du Louvre. A u ré f te , je m’en rapporte à ce
3> que mondit coufin Vous fera entendre par rap-
33 port à mes bonnes intentions. Je prie D ie u ,
33 Monfieur le chevalier Bernini, qu’ il vous ait en
n fa fainte garde' 33.
LOUIS.
Ce 11 avril 1665, 4
B E R
Le monarque écrivit au pape de la manière foi*
vante :
« Très-faint père ;
33 Votre fainteté m’ayant déjà fait remettre deux
33 defiins pour mon palais du Louvre , de la main
>3 d’un artifte aufîi célèbre que le chevalier Bernini
33 je devrois plutôt la remercier de cette grâce
» que de lui en demander une nouvelle : cepen-
33 dant, comme il s’agit d’un palais qui fert de*
33 puis plufieurs fiècles de réfidence aux rois les
3» plus zélés pour le Saint-fiiège, parmi ceux de
33 la chrétienté, je crois recourir à elle en toute
33 confiance : je fupplie donc votre fainteté ," fi fon
33 fervice n’en fouffre pas, d’ordonner au chevalier
33 Bernini de venir en France pour y faire exécuter
33 fon projet. Votre fainteté ne pourroit me faire
73 une plus grande faveur dans la circonftance ac-
33 tuelle : j’ajouterai même qu’elle n’obligera per-
33 fonne qui foit avec plus de vénération 8c plus
33 cordialement que moi,
Très-faint père , . '
V o tre très-dévoué f ils , LOUIS.
A Parisy ce 18 avril 166$,
Quoique le duc de Créqui eût déjà pris congé
du pape, il fut obligé d’y retourner en cérémonie
lui demander cette grâce , que lé pontife accorda.
Il alla enfui te chez le chevalier Bernin lui faire
part de la faveur que le pape accordoit au roi de
F ran c e , & le prier de ne point s’y refufer. Le
Bemin avoit alors foixante-huit ans , 8c il héfitoit
d’entreprendre un fi lorfg vo y ag e : il s’y .détermina
cependant, & quitta Rome en 1665. Paul,
fon fécond fils, Mathias R o f li, a r ch ite â e , & Jules-
Céfar , fes élèves , l’accompagnèrent. O n peut
donner le nom de marche triomphale à fon voyage.
Toutes les villes par lefquelles il pafla lui rendirent
des honneurs' extraordinaires. L e grand due
Ferdinand Corne' de Médicis lui fit faire une entrée
publique à Florence , le logea dans fon palais,
& lui prêta fa litière pour le mener aux frontières
de l’Italie. L e duc de Savoie le reçut a v e c beaucoup
de diftin&ion, & lui fit-des préfens dignes
d’un grand prince. Par-tout on conroit "en foule
pour le voir ; on s’attroupoit autour de kir comme
f i , difoit-il en plaifantanr, il eût été un éléphant.
A r r iv é au pont de Bonvoifin , il re çu t, de la part
de Louis X I V , la vifite de ceux qui commancloienc
la v ille , & fut complimenté félon les intentions
du roi. Toutes les villes du royaume lui .rendirent
les mêmes honneurs. L e nonce du pape alla au-
devant de lui à une lieue de Paris, & l’accompagna
jufqu’au L o u v re ,o ù un magnifique logement
lui étoit préparé.*'
A fon a rrivé e, Colbert vin t le faluer de la part
du r o i , qui l ’attendoit avec imparience à Saint-
Germain-en-Laie. C e prince lui fit l’accueil le plus
gracieux , & s’entretint une heure a v ec lui des
arts qu’il entendoii »fiez bien. La première chofe
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que le Bernin propofa au roi fut de faire fon bufte.
Le plus beau marbre fut choifi, & le cifeau hardi
du Bernin le travailla fans avoir fait aucun modèle.
Un jour que le monarque lui avoit donné une
féance. d’une heure fans remuer \-miracle y s’écria
Bernin, un roi f i a ftif efi refié une heure dans la
même attitude. Une autre fois il s’approcha du r o i ,
& arrangea les boucles de fa ch ev elu re, de manière
à découvrir le front : Votre rnajeflè, lui dit-
il , peut montrer hardiment le front à tout P univers.
Le côurtifan ne manqua pas d’imiter cet accommo-
dage de ch e v eu x , & cette frifure fut appelléé à
la■ Bernine. La reine faifoit à l’artifte de grands com-
pümens fur la beauté du portrait : votre majeflé,
rcprit-il, aime le portrait, parce quelle chérit P original.
’
Pendant qu’il étoit occupé de ce bufte, on faifoit
tous les préparatifs pour l’exécution du projet
du Lou vre , dont le modèle avoit été fait .èn grand
avec beaucoup de dépenfe. I l paroît que .les vues
qui dirigèrent le monarque & fon miniftre dans
la nouvelle confedion du L ou vre , qu’ils méditoient
alors, n’étoient ni bien fixes. ; ni bien éclairées.
On fait que Bernin n’avoit été chargé que de décorer,
d’une manière uniforme & convenable, l’extérieur
du L o u v r e , en refpedant toutes les conf-
tru&ions précédentes, & fur-tout celles de l’intérieur;
qu’il devoit enfin s’adapter aux données de
ce grand palais ; & l’on voit cependant qu’on
adoptoit la totalité d’un plan qui tendoit à abattre
tout ce qui étoit déjà conftruit. O n jetta les fondations
de la face principale ; on y travailla pendant
près d’une année : mais lorfqu’il futqueftion
d’éléver la façade , l’examen qu’on en avoit fait
à loifir en dégoûta. Comme le projet général
àlloit à détruire tout l’anc ien, comme on devoir,
en ie fuivan t, élever quatre grands corps de logis
dans la grande c o u r , qui auroient couvert les
murs de face de ceux qui y fon t , & en auroient
fait des murs de re fen d , en ravalant toute I’ar-
chite&ure & toute la fculpture , ce qui étoit fans
doute faire un édifice entièrement nou ve au , il fut
décidé qk’ôn abandonneroit un defiin dire&ement
oppofé à la condition efientielle dé ne rien abattre,
fur laquelle oh avoit fait v enir le Bernin en France*
C’eft Charles Ferrault qui nous apprend ces détails,
& nous inftruit qu’en conféquence de l’abandon
des projets, du Bernin, il fut réfolu que
l’on fuivroit le plan de Claude Perraulr fon frère ,
laüteur du fameux périftile du Louvre.
Il réfulte de ce témoignage bien authentique,
l’époque certaine d e 'la conftruâion de ce pé-
rinile, qui ne fut terminé qu’en 16 70 ; de la date
non moins équivoque du départ du Bernin , qui
pe pafla que huit mois en F ran c e, & en partit
a la fin de 16 6 5 , que cet artifte ne v it point le
périftile du Louvre. Dès-lors, les généreux éloges
^uon prête à B e rn in , la furprife que la vue de :
^ monument lui cailla à fon arrivée à Paris , &
«s vers de Voltaire à ce fu je t , doivent fe mettre
B E R î y j
au rang des nombreufes méprifesi que le défaut
d’une hiftoire des monumens de notre nation, 8c
par-deffus tout, le manque d’inferiptions , ne peuvent
que produire & accréditer. M. le Roi a déjà re*
levé cette erreur, & a fait voir que cette généreufe
franchife appartenoit- à Serlio, q ui, mandé par
François Ier pour donner des defiins du Louvre,
eut la grandeur d’ame de faire adopter, de préfé-?
rence aux fiens, ceux de Pierre Lefçot, abbé de
Clugni. Il .n’eft pas impoflible , fi l’on v e u t, que
Bernin ait eu connoiflance des projets de Perrault ;
il n’eft pas douteux non plus que ce grand homme
n’êût été capable d’imiter la fincérité de Serlio %
s’il eût jugé les idées inférieures à celles d’un autre
artifte : mais ni les détails hiftoriques recueillis à
ce fujet par Charles Perrault, n’en font mention ;
ni le vafte projet d’une refonte générale qu’annonce
fon plan, ne peut le faire foupçonner.
Bernin avoit conçu, dans la difpofition générale
de fon plan, tout ce que la grandeur des parties
qu’il avoit à réunir, & les vues du monarque*
pou voient infpirer à un génie tel que le fien. Nous
rapportons ce plan , & le leéieur pourra le voir
(fig. 227 ), eh parallèle avec celui de Perraulti-
La réunion du palais des Tuileries avec celui du
Louvre, par l’addition d’une galerie parallèle à celle
qui exifte fur le quai, rappelle les vaftes idées des
Thermes, & en eût fait le plus immenfe palais que
peut-être la main des hommes ait jamais conftnuf.
L’on ne peut même y penfer fans enthoufiafme^
On peut croire que l’irrégularité de la grande
place, aflez fenfible dans le plan, & caufée par
le défaut de parallélifme entre le palais des Tuileries
& celui du Louvre , n’auroit pas été perceptible
, & fe feroit perdue dans l’immenfité de cette
vafte cour. Bernin vouloit lui conferver toute fa
grandeur, & ne jugeoit pas à propos d’y conftruire
aucun édifice qui en rapetiflat le coup-d’oeil. Perrault
, ainfi qu’on peut le v oir , penfoit autrement.
Nous croyons cependant, avec J. F. Blondel,
que l’idée du Bernin avoit quelque chofe de plus
grand , 8c n’eût rien eu de difproportionné. En
confidérant l’étendue de la façade des Tuileries,
la place qui l’auroit précédée ne pouvoit être trop
grande. On peut en juger par le jardin de ce palais.^
qui, malgré fon efplanade découverte de cent vingt
toifes de longueur, laifle jouir à peine de toute
l’étendue du bâtiment, qui a cent foixante-huit
toifes de long. Il eût été néçeflaire fans doute que
la façade du Louvre, qiii eût été oppofée à cèlle
des Tuileries , y eût répondu pour là grandeur
& pour l’effet. Auffi Bernin femble avoir été dirigé
par cette confidération dans l’élévation qu’il fit dé
ce côté du Louvre, la plus.belle de toutes 8f. la plus
heureufe. Celle qui devoit être à la plâce ’du périftile
a&uel offre peu de beauté , 8c plus d’un,
défaut ; dn ne fauroit pardonner à 1-inégalité dé
diftribution dans les colonnes qui en font la décoration,
& qui feroit fuppofer moins un projet
dans lequel le génie de l’architeéte pût prendre
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