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dit plufieurs fois, quelques imitâtions du goût cliinois
dans l’arabefque ; mais on ne trouvera jamais aucun
élément du goût arabefque dans les repréfentations
à'archiitElurt chinoife. L’arabefque , ainfi qu’on l’a dit
ailleurs, eft un compofé de toutes fortes de formes ,
8c fon goût eft le produit d’une exubérance, d’une
furcliarge d’invention. La décoration chinoife, toujours
une dans fes formes, toujours une dans fon
goût, ne préfente l’idée d’aucune efpèce d’invention ;
& la fbibleffe même des moyens de l’art du deflin,
exclut julqu’à la poflibilité d’aucune analogie avec
l’arabefque.
Il réiulte de-là qu’on doit prendre à la lettre &
comme des copies plus mécaniques, il eft vrai, que
raifonnées, toutes les repréfentations d’architeélure
dont les Chinois couvrent tous leurs ouvrages. Il faut
convenir qu’ils n’ont pas dû plus imaginer en ce genre,
que dans les figures qui les accompagnent, &où l’on
trouve les portraits les plus fidèles de leurs habillemens -
& de leur manière d’être. Ainfi, autant il feroit in-
jufte de juger de l’effet, de la grandeur, de la
difpofition de leurs monumens par ces fragmens
d’édifices que le pinceau timide des décorateurs fe
plaît à répéter, fans aucune vraifemblance d’optique ;
autant il eft jufte de reconnoître comme véritables
& non équivoques toutes les formes partielles de
ces bâdmens, dans lefquelles l’artifte a pu être maladroit
, mais jamais menteur ; dans lefquelles fa main
a pu tromper fon intention , fans que jamais celle-ci
ait commandé à l’autre aucune impofture.
Toutes les fois donc que les formes décrites par
les voyageurs européens feront conformes à celles
que les Chinois eux-mêmes décrivent fur leurs
meubles & fur leurs papiers, nous ferons bien
fondés à les croire authentiques. Et cela une fois
convenu, je dis que nous en avons affez pour coh-
jioître F architecture chinoife , fes.. principaux caractères
, la nature de fes principes 8c de fon goût.
„ C e ft d’après ces données qu’a été fait le tableau
qu’on va préfenter de X architeEhirt chinoife. On n’y
admet rien qui n’ait été difeuté entre les voyageurs,
& confronté avec les copies originales dont on a
parlé. Pour mettre plus d’ordre 8c de clarté dans
ces notions, on a divifé cet article en deux parties.
La première, purement de defeription , donnera
ce qu’on a de certain 8c de pofitif fur les édifices ,
leurs parties, & l’art de les conftruire. La fécondé,
uniquement de difeuffion8c de raifonnement, traitera
du cara&ère, du goût 8c des principes de cette
architeéhire.
J)t l’architeéhire chinoife, confidérée dans Us monumens
6* les détails de fes ouvrages.
Comme rien n’eft fi trompeur que les deferiptions
en fait d’architeéhire, fur-tout lorfque les monumens
éloignés 8c peu connus ne peuvent fervir de
préfervatir à l’exagération du narrateur 8c à la crédulité
du le&eur, j’ai cru que dans un ouvrage
où l’on ne cherchoit que le vrai, on devoir compter
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l’agrément pour peu de chofe. C ’eft ce qui
engagé à préfenter, au lieu d’un enfemble de deferiptions
flatteufes pour l'imagination, une efpèce
de diffeéfion de V architeBvre chinoife, dans laquelle
toutes les parties paflant en revue, fùffent mieux
examinées , fùffent plus faififfables à la critique.
Cette defeription anatomique de tout ce qui conf-
titue l’art de bâtir d’un peuple , fi elle ne fert pas
à faire aimer fes ouvrages, eft la plus propre à les
faire connoître; 8c il m’a paru que, fous ce dernier
rapport, la méthode que je me propofe, rempliffoit
encore ce qu’on a droit d’attendre ici de moi.
Les matériaux que chaque peuple emploie à la
conftruéfion de fes édifices, déterminent fi fortement
le genre , le caràétèrc de fon architeéhire,
que la connoiffance de fes reffources fe lie intimement
à la connoiflance de l’art, 8c en e ft, en
quelque forte, le prélude indifpenfable. C’eft ce qui
m’a fait rechercher ce qu’on peut avoir de plus
pofitif fur les matériaux que les Chinois font entrer
dans leurs conftruétions.
Bois de charpente. Il n’eft pas queftion ici de déterminer
le genre d’imitation qui exifte entre les
arbres 8c les colonnes , puifque la métamorphofe
qui conftitue l’ingénieux fyftême de l’arehiteéhire
grecque, 8c dont on a parlé tant de fois, ne paroît
point avoir été foupçonnée des Chinois. Chez eux
les arbres font des colonnes, fans que ces colonnes
ceffent d’être des arbres. Prefque toutes font de
bois, 8c le prix de ces fupports dépend de la qualité
ou du poli des matières.
Nan - mou. C’eft l’arbre le plus commun à ia
Chine , celui qui fert au plus grand nombre des
conftruéfions, oç, fuivant quelques auteurs, le plus
eftimé. On peut juger , au grand ufage qu’on en
fait 8c aux éloges qu’on lui donne, qu’il y a plufieurs
efpèces de nan-mou. Les uns le mettent dans la
claffe des l cèdres ; les. autres le rangent parmi les
mêlé fes 8c les fapins. Ce qui a déterminé les Chinois
à préférer cet arbre à tous les autres pour l’emploi
des colonnes, c’eft que : i°. Il eft celui de tous qui
donne les troncs les plus droits, les plus gros 8c
les plus hauts : 2°. Son bois gagne à vieillir ;
quatre ou cinq fiècles en adouciffent le grain, 8c
lui font acquérir une odeur douce, aromatique , 8c
durable.
On varie fur la hauteur 8c la groffeur de cet
arbre. Selon un critique moderne ( M. de Paw ) , il
ne faut pas fe faire une idée exagérée de fes di-
menfions. Le plus grand nombre ne fournit, pour
les édifices privés, que des troncs de douze à treize
pieds de haut, depuis la naiffance des racines jufqu’à
l’endroit où il faut les étêter, parce que la diminution
y devient trop fcnfible. Chambers ? qui a mefuré
de ,ces colonnes de bois à une pagode de Canton,
donne à la hauteur ordinaire de leur fut, depuis
huit piëds jufqu’à dix de diamètre. Si cette mefure a
quelque chofe de certain, ce feroit de très-grands
arbres que ceux dont font faites les colonnes de la
fépulture des Ming, qui eft à fept lieues de Pékin,,
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& dont, félon les millionnaires de Pékin, la circonférence
eft de feize pieds, ce qui donne plus de
cinq.pieds de diamètre, 8c produit par conséquent
des troncs de cinquante pieds,«élévation.
Au refte", fur la qualité / la beauté 8c la durée
de ce bois, tous les Voyageurs font uniformes. Et
comme tous s’accordent à dire que c’eft dans la
hauteur , la groffeur 8c l’iiKégrité du fût qiie les
Chinois font confifter la feulé beauté de leurs colonnes,
il en réfulte que le nan-mou doit être un
arbre très-confidérable à tous égards. J’attribuerois
à tous les avantages réels 8c apparens qu’il offre,
l’ufage fi général des colonnes de bois 8c le peu
d’intérêt que ce peuple trouve à échanger une
matière commode , agréable , 8c ^afi'ez folide
pour fes conftruéfions , contre des matériaux de
pierre, plus durables, il eft vrai, mais plus dispendieux
8c moins flatteurs pour l’oeil. La dureté
de ce bois 8c fa denfité*. répondent à fes autres
qualités. On pourroit cirer des colonnes qui ont
plus de mille ans d’ancienneté, 8c qui en fubfifte-
rônt encore autant, s’il ne leur arrive point d’ac- *
cidefft. Comme il eft prefque infenfible à l’aéfion
de l’air 8c aux variations du temps, il s’emploie à
l’extérieur comme à l’intérieur des édifices. Il fert
à la menuiferie, à la marquetterie , 8c paffe pour
incorruptible. Quand on veut^ difent les Chinois,
faire un bâtiment qui puiffe durer toujours , il faut
employer le feul bois de nan-mou.
The-ly-mou, ou lois de fer. C ’e ft, félon le père du
Halde, un arbre aufli haut que nos grands chênes
; mais- il en diffère par la groffeur du tronc,
par la figure de la feuille , par la couleur du bois
qui eft plus obfcure, 8c fur-tout par le poids. Ce
voyageur ne nous dit pas fi cet arbre s’emploie
aux colonnes des édifices, ou s’il ne fert qu’à faire
les ancres des vaiffeaux 8c à former des meubles
comme le
Tfi-tan , ou bois de rofe, Il eft d’un noir tirant fur le
rouge, rayé 8c femé de veines très-fines qu’on di-
roit être peintes. Les meubles qu’on fait de ce bois
fe vendent plus cher que ceux auxquels on applique
le vernis.
Tchou-tfe, ou Bambous. On doit joindre aux arbres
utiles à.la conftruéfion, les cannes de ce nom,
qu’un ufage, un peu différent de celui qui leur eft
propre en Chine, a fait depuis quelques années
connoître en Europe 8c fur-tout en France. On
jugeroit mal au refte de ce que font ces rofeaux,
8c de ce qu’ils peuvent dans l’architeéfiire, par ceux
qu’on nous envoie. En Chine, leur jet parvient
à égaler en hauteur le tronc de la plupart des arbres.
Quoiqu’il foit creux 8c n’ait de plein que fes
noeuds, fi ne laifle pas que d’être très-dur, capable
de foutenir de grands fardeaux, 8c en certains
endroits des maifons de bois affez vaftes. Le
bambou eft encore d’ufage dans les conduits d’eau,
dans les canaux 8c dans plufieurs autres circonftances,
dont le détail feroit trop long.
Briques. Selon les millionnaires de Pékin, la bri-
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que s’eft employée à la Chine dès la plus haute antiquité.
Les images de brique 8c de tuile , difent-
ils , en font la preuve ; mais la manière de la cuire
eft différente de celle ufitée en Europe, 8c cette
différence, ils ne nous l’apprennent pas. Chambers
qui n’a vu la Chine qu’à Canton, mais enfin qui
l’a vue en architeéfe, ne nous indique-t-il pas
cette différence , en nous difant que les briques font
ou cuites au four, ou Amplement féchées au foleil ?
Voici encore, félon cet architeéie, la maniéré dont
les briques s’emploient dans la conftruéfion. Les
murs des maifons ont communément aux environs
de dix-huit pouces d’épaiffeur* Les ouvriers
placent fiir le fondement trois ou quatre couches
de briques entièrement folides ; ils les difpofent
; enfuite alternativement en long 8c en large des
deux faces de mur, de manière que celles qui
font en travers fe rencontrent, 8c occupent toute
l’épaiffeur, au lieu qu’il refte un vuide entre celles
qui font placées en long fur cette couche ; ils en
mettent une fécondé où toutes les briques font en
long. Les joints de briques qui font en travers
dans la première, font dans celle-ci couverts d’une
brique entière. L’ouvrage fe continue ainfi alternativement
de bas en haut, 8c par ce moyen on diminue
extrêmement les frais du travail 8c du tems
8c le poids du rrmr lui-même.
Pierres & marbres. Ce qui a rendu les conftruc-
tions en pierre affez rares à la Chine, ce n’eft
certainement ni le manque de matériaux , ni la
crainte de la dépenfe. La prodigalité de quelques
empereurs ne permet pas de croire à cette dernière
raifon. L’empereur King-Tfong qui monta
fur le trône en 825 , dépenfa huit cens mille onces
d’argent, feulement pour faire traîner une poutre
du fond de l’Empire. Seroit-ce la difette de
pierres ? Mais toutes les provinces en ont en abondance
; 8c les rues de quelques villes font pavées
en marbre de toutes fortes de couleurs 8c qui v
font plus communs que la pierre. Seroit-ce la difficulté
de tranfporter des colonnes 8c des blocs
de marbre ? Mais les jardins des empereurs ont
été femés de rochers énormes, 8c leurs palais font
bâtisi fur des affiliés immenfes de blocs .d’albâtre.
Les marches des efcaliers en marbre blanc y font
toujours d’une feule pièce, quelque larges 8c quelque
longues qu’elles foient. Ce n’eft pas enfin la
difficulté de tailler la pierre, puifqu’on l’emploie
dans tant d’ouvrages publics, 8c que tout eft en
pierre dans plufieurs fépultures , même les bat-
tans des grandes 8c petites portes. Pour la fcience
de travailler 8c de polir le marbre, il eft hors de
doute que les Chinois travaillant 8c poliffant le
yu jufqu’à en faire de petits meubles, la dureté du
marbre ne feroit pas un obftacle.
Pourquoi Von ne bâtit point en pierre. Si l’on
emploie aufli rarement la pierre 8c le marbre dans
les conftruéfions de la Chine, ce n’eft pas feulement
par crainte de tremblement de terre.
Le climat s’oppofe encore plus au choix de cc