
plus grande légèreté. Ainfi, l’on voit que ce bas•
relief préfente trois plans très-diftinâs de figures ,
toutes dégradées de faillie , & même l’indication
d’un quatrième. On en citeroit, s’il étoit befoin,
un plus grand nombre, tels qu’un fatyre jouant avec
un chien, deux facrifices, dont le plus grand repréfente
T itu s , & qu’on admire à la villa Albani.
Sans doute , on doit attribuer la caufe de ces
critiques liafardées à la grande quantité de bas-
reliefs , vicieux dans leurs principes & dans leur
exécution , que les farcophages du bas empire nous
ont tranfmis , & au peu de difcernement que l’on
a apporté jufqu’à préfent dans les différens âges
de l’art. Le plus grand nombre des bas-reliefs qui
fe voient à Rome, & qui frappent davantage
la v u e , provient des tombeaux ou des urnes
fépulcrales dont ils ornoient le plus fou vent la
face antérieure , & dont ils ont été fciés & enlevés.
On fait que ces farcophages fe faifoient ordinairement
d’avance, & s’achetoient tout faits ,
& l’on voit affez que, devenus un objet de commerce
plus que d’art , ils furent livrés à la routine
d’ouvriers mercenaires , qui ne favoient qu’y répéter
ou y changer, de la manière la plus bannale,
les mêmes fujets & les mêmes comportions. L’ar-
tifte clairvoyant peut fans doute y retrouver les
fouvenirs les plus heureux, & , fous l’enveloppe
d’un travail groflier, reconnoître & fuivre encore
la trace prêcieufe, & la tradition , fi l’on peut
dire, du génie ; l’antiquaire y lira les autorités &
les leçons les moins équivoques : mais l’un &
l ’autre font forcés d’y voir le déclin de l’art, &
les derniers efforts de la fculpture mourante.
Cependant on ne cherchera point à diffimuler
ici le reproche que l’on fait généralement aux bas-
reliefs des anciens, reproche commun à ceux des
différens âges, & qui çonfifte dans le défaut d-*
perfpe&ive par rapport aux açceffoires , aux fonds
d’archite&ure , & autres objets femblables. Nous
ne croyons point effectivement qu’il en .exifle un
feul où les règles de la perfpeâive aient été ob-
fervées. Nous fçmmes biejî loin de penfer, avec
quelques écrivains , que cette fcjence , dont Aga-
tarchus avoit fait un traité, ait été inconnue aux
anciens (vqyeçPerspective) : mais, comme on
n’en retrouve ni la pratique, ni l’emploi dans tous
les ouvrages en relief des anciens , la queftion doit
être de fa voir fi ce défaut de perfpe&ive fut l’effet
de l’ignorance des fculpteurs, ou d’un fyfiçme réfléchi
de la fculpture.
Il femble abfurde d’attribuer uniquement le défaut
de perfpeCHve, dans les beaux ouvrages de
l'antiquité, a l ’ignorance du fculpteur. puifqu’il
eft bien prouvé que cette fcience fut particuliérement
connue des anciens,comment pouvoir fup*
pofer que des fculpteurs fi habiles , fi confomiçés
dans toutes les parties les plus difficiles de l’a r t,
auroient manqué de joindre, à toutes leurs études,
çelle de la perfpe&ive , quand on en connoît fur-
tout & k facilité & le petit nombre de rapports J
néceffaires à la fculpture? E ft-il aifé de fe pefj
fuader que le fa van t Apollodore, le premier architecte
de fon temps , eût laiffé fubfifter, dans le
chef-d’oeuvre de fon génie, & du fiècle de Trajan,
des fautes auffi groflières dans la perfeCHon de fon
ouvrage, s’il les eût cru de vrais défauts, ou qu’il
ne fe fut pas apperçu de ceux qui dévoient être
vifibles, lippis <S- tonforibus ? A qui pourroit-on per-
fuader que les défauts de perlpeClive dans l’exp.
cution dès bas-reliefs de'la colonne Trajan ne doivent
s imputer' à l’ignorance de ceux qui l’exécutèrent,
lorfque cette même colonne, par la manière
dont elle fut conçue , par l’intelligence de
fçs proportions, & par l’entente de fes détails,
fuffiroit feule pour attefier qu’ils en connurent
toute l’étendue, & qu’ils en avoient pénétré les
plus petits fecrets ?
Quoique de fiècle en fiècle on ait répété jufqu’à
nos jours ces inculpations erronées , par lef-
quelles on a cru diminuer la gloire des anciens,
nous avancerons hardiment que toutes ces critiques
ne prouvent autre chofe que l’ignorance la plus
honteufe des arts & de leurs principes : elles prouvent
que ceux qui les ont hafardées ne connoif-
foient ni les routes du v ra i, ni celles même de
l’erreur, & qu’ils n’ont pas même fu diftinguer
comment l’efprit humain agir lorfqu’il fe trompe.
En effet, ces erreurs- tant reprochées à la colonne
Trajane, loin de porter le caractère de l’ignorance,
indiquent au contraire dans çe monument
la connoiffance la mieux fende de l’art même
de la perfpe&ive. Cette vérité de plans & de détails
linéaires, qu’on peut employer dans les ouvrages
qui font à la portée de la v u e , eût été la
plus grande de tontes les fauffetés dans ce vafle
monument, puifque l’éloignement en eût fait dif*
paroître entièrement l’effet. Celui qui le conçut fut
donc obligé , pour être v ra i, de facrifier, fi fon
peut dire, à l’erreur : mais de quel nom dpit-on
appeller cette favante erreur de détail, qui produit
la vérité de tout l’enfemble ? Comment appeller
ce menfonge véridique , auquel on doit, de pouvoir
l’niyre diffinéfement, jufques dans fes cjeux,
où la main de l’art ofa les rendre encore liftbles,
les exploits du plus grand empereur de Rome?
C ’eft une heureufe contre-vérité , fruit du fydêine
le plus réfléchi, ou du fentiment le plus fin des
reilources de l ’art. Si les figures de certe colonne
augmentent de faillie & de grandeur, à mefure
qu’elles s’éloignent de la vue & s’élèvent en l’air,
pour que l’oeil puiffç jdifeerner celfes d’en haut auflï
facilement que celles du bas j fi la dégradation dans
les plans des figures n’y eft qu’impgrfajtement ex*
primée, pour ne point trop effacer à la vue celles
du fond, & pour ne point altérer le galbe de-U
çolopne ; fi les acceffoires & le$ fonds d’arçhi-
te&ure n’y font point fournis aux loix de la péri*
pe&ive , dont ils n’étoient point fufcepr.bles, &
qui euffem rendu invifible ce qu’il étoit néceffaire
de faire voir : qu’en dpitron conclure ? Ou que l’aft
tifle qui exécuta ce monument connôiffoit plus
que les loix de la pe r fp e â iv e , puifqu’ il cbnnut r e f ont
de ces loix même , & ne les viola que pour
Jes mieux obferver ; ou que fi leur tranfgreffion
fut involontaire, cette erreur de l ’inexpérience
feroit un des plus heureux & des plus étonnans
effets du hafard. ( V oyeç C o lo n n e T r a j a n e . )
Cependant'ce feroit peut-être Tunique & première
fois que l’ignorance eût produit quelque
chofe de bon ; & ce n’eft pas ainli que les hommes
fe trompent. Si donc Ton ne peiit attribuer rai-
ibnnablement ces effets au hafard de l’ignorance
dans le fculpteur, on ne fauroit en rejetter la caufe
que fur la fculpture, dont le fy flêm e chez les anciens,
très-différent du nôtre , ou ne fit jamais au
fculpteur une loi d’apprendre la p e r fp e â iv e , ou lui
en eût interdit l’emploi dans l’exécution de prefque
tous fes bas-reliefs. C e qu’on v a dire expliquera
pourquoi, dans certains ouvrage s, le manque
de perfpeélive y paroît néceffité par la perfpeâive
même, & par le fyftême de l’a r t , tandis qu’en pfu-
fieurS autres ces défauts ne paroiffents, & ne furent
en e f fe t, que le réfultat de l’ignorance de
Tartifle.
Pour bien apprécier Tefprit & le fy flême de la
fculpture des anciens dans le bas-relief, il faut con-
noître l’emploi qu’ils en firent, c ’efl-à-dire , qu’il
faut difcern’er à quels objets ils rappliquèrent, de
quelle manière ils en admirent l’em p lo i, & fous
quel rapport ils l’y énvifagèrent.
Nous ne v o y o n s point que jamais chez e u x ,
comme on 1 a ait plus h a u t , le bas-relief, rival de
la peinture comme chez les modernes, ait joué
un rôle indépendant de l’architééture. C e n’eft que
dans les monumens qu’il faut le confidérer. Soit que
furies édifices les plus vaftes, il déploie toute la
magnificence de fes m o y en s , comme dans les frontons
des temples, & les couronnemens des arcs
de triomphe; foit qu’il orne la fuperficiè d’une
frife , ou qu il fe reiîerre dans l’étroit efpace d’un
métope; foit qu’il s’adapte aux piédeflaux & aux
jlylobates ; foit qu’admis fur les v a fe s , les autels,
les tombeaux, il en orne les contours, en motive
1 emploi, ou en égaie l’a fp e â ; toujours on le voit
fubérdonné à Tarchiteâure , & à la forme que
celle-ci lui donne à embellir. Dès-lors , ne figurant
jamais que comme ornement acceffoire d’une
forme principale, dont il doit refpeéler l’intégrité,
Ion entrevoit pourquoi le plus fouvent il s’y trouve
admis de manière à biffer paroître la plus grande
partie du fond fur lequel il s’applique.
La maniéré dont le bas-relief fe trouve exécuté
chez les anciens , nous efl une preuve de ce fyf-
teme confiant, & de la fage union qui régnoit
entre la fculpture & Tarchiteâure ; elle nous indique
en quelque forte une efpèce de paéle fait
entre ces deux arts , & un accord qui ne fut certainement
pas le fruit du hafard.
Larchiteâure n’admit l’emploi du bas-relief,
qu’autant que celui-ci n’altéreroit point le plan fur
lequel il pouvoit s’introduire, & ne détruiroit, ni
de fait, ni en apparence, la forme des objets. Subordonné
encore à l ’effet que Tarchiteâure en attention,
il devoit fe conformer à l’épaiffeiir ou à
la faillie qui lui étoit commandée, fuivant les parties
° ù ü fe trouvoit. Enfin , tout nous fait voir qu’il
n eut pas été fibre de franchir les bornes, que rar*
chitefture lui avoit prefçrites.
D apres cela, doit-on trouver étonnant que dans
la plupart des bas-reliefs il règne un principe op-
pofé au fyflême de la perfpeâive ! Tous ceux qui
fe trouvoient placés à une certaine élévation ne
pouvoient en obferver les règles, puifque la dégradation
feule dans la faillie eût fait perdre de
vue les objets que cette efpèce de vérité eût atténués.
Ceux qui faifoient partie des membres ef-
fentiels d’arçhireâure, ou qui fe trouvoient appliqués
fur des formes dont on ne pouvoir, fans
bleffer la vérité, détruire le contour ou l'effence,
dûrent également renoncer au genre d’illufion réfutant
de l'enfoncement des objets dans un fond
■ U nf (alloit point percer. Le cemble du ridicule
, eût été dans la colonne Trajane, par exemple,
d’admettre des effets de perfpeâive qui détruiroient
pour l’oeil l’idée de continuité, d’intégrité que doit
avoir le funTune colonne. On en doit dire autant
des autres parties de l’architeâure, de tous les membres
, des murs même, dont il efl effentiel de ne
point dénaturer la forme & l’apparence de folidité,
par lés percés, illnfoires il efl vrai, mais toujours
trop réels, quand ils font déplacés, que la perfpec-
tive fait employer pour faire fuir les objets.
On voit donc que les fonds de prefque tous les
bas-reliefs antiques, n’appartenant point, fi Ton
peut^dire, à la fculpture , mais étant une propriété
de Tarchiteâure, l’art du bas-relief ne put ni né
dut les regarder comme la toile d’un tableau dont
il pouvoit difpofer en propre : rarement le bas-
relief Ce trouve-t-il employé, chez les anciens,
d’une manière qui le rende indépendant de l’archi-
réélure , c efl-à-aire, ifolé par un encadrement ; il
fit prefque toujours partie des maffifs où il fe
trouve ; & peut - etre encore, d’après le même principe,
n’eût-il point cherché ces effets, qui font
prefque toujours vicieux dans l’arcbiteaure, qui
en rompent l’unité & en détruifent l’harmonie.
Mais le fyflêmé du bas -r elief chez les anciens’ ,
& le manque de perfpeâive , tiennent encore aux
rapports fous lefquels ils envifagèrent le plus fou-
vent ce genre dé feuipturè dans leurs édifices.
Quoique jamais, ainfi que nous l’avons dit plus
haut, les figures des bas-reliefs chez les Grecs
n’aient été , comme en Egypte , des caraâères
conventionnels d’une écriture figurée , cependant
l’art du bas-relief n’en fut pas moins confacré à
l’hifloire. La différence confifle dans la perfeâion
des fignes, q u i, au lieu de fe borner à faire lire
un fujet ou une aâ ion , -parvinrent à la faire voir,
& réunirent ainfi l’utilité de l’écriture, qui ne parie