
lion unique fi l’on v e u t , ou qu’il ne touche ces
cordes différentes par des impreffions de plus d’un
genre. Cela nous fuffit pour appercevoir les raifons
de la diverfité des opinions (des hommes fur cet
objet. O n voit que les jugemçns qu’ils en portent,
peuvent & doivent varier fuivant la différence
des impreffions, ou fuivant les diverfes modifications1
des facultés de l’ame qui les reçoivent.
A in fi quelles que foient les qualités conftitutives
du beau , le beau fe fait fentir plus ou moins aifé-
m en t , en raifon du nombre plus ou moins grand
de rapports exiftans entre l’objet & Lame qui. en
eft juge ; ou en raifon du nombre de facultés de
l ’ame néceffaires pour en juger. Par e x emple, la
beauté d’une couleur eft plus facilement fentie
que celle d’un tableau, parce que le nombre des
rapports néceffaires à connoître pour ju g e r , eft
moindre dans le premier objet que dans Je fécond.
D e même, la beauté d’une figure géométrique
eft plus aifément reconnue, parce qu’elle n’affe&e
pas un grand nombre de facultés de l’ame.
Plus il y a de rapports à faifir dans un o b je t ,
plus le beau a de peine à fe faire fentir; & plus
il y a de parties de l’ame qui doivent concurremment
ju g e r , plus il doit y avoir de variété dans
les jugemens des hommes.
C ’eft pour cela que le beau in-telle&uel ou moral
eft le plus fujet à conteftation, parce qu’il affeffe
le plus grand nombre des facultés de l’ame, qu’il
•affe&e, fi l’on peut d ire , l’ame toute entière, &
indépendamment des fens; parce que les rapports
que l’ame doit embraffer & faifir font les plus nombreux
, les plus fubtils, les plus variables, les plus
dépendans de l’opinion & du préjugé. C ’eft pour
cela que l’on difpute & que l’on difputera peut-être
toujours fur l’effence du beau, parce que cette notion
effentielle eft celle qui embraffe le plus grand
nombre de rapports ; parce qu’elle exigeroit un
accord de toutes les facultés de l’ame ; tandis que
l’on s’accorde plus aifément fur les notions fecon-
daires des qualités qui conftittient le beau ou qui en
réfultenr.
C ’eft pouf cela que le beau naturel, ou celui qui
exifte dans les ouvrages de la nature, eft plus difficile
encore à faifir que celui qui exifte dans les
ouvrages de l’a r t , parce qu’éveillant en nous un
très-grand nombre de rapports , & s’adreflant à
un plus grand nombre de facultés de l’am e , il
préfente plus de difficulté à fe faire généralement
connoître & ap précier, quoiqu’ il en trouve peu
à fe faire fentir.
Dans certains ouvrages de l’art, le beau-eft plus
généralement fen ti, reconnu & goûté que dans
ceux de la nature, parce que fon empire y .eft
plus b orn é, 8 c qu’on l’y remarque plus diftinâe-
ment. Le beau imitatiffembl.e être un beau de réflexion
que l’oeil apperçolt plus nettement. Semblable à
ces verres qui concentrent en un point le vague
de la na tu re , & dans lefquels les peintres diftin-
guent plus clairement toute la variété des o b jets ,
l’art,' qui n’eft fou v en tq u e le miroir de la nature1
écartant tous les détails qui multiplient les rap*
ports de l’o b je t , facilite la perception de ceux
d’ou réfulte particuliérement le beau. Il faut que
cela fort ain fi, à en juger par la difficulté avec la.
quelle on s’ accorde fur le beau naturel, & la facilité
au contraire avec laquelle on fe réunit fur
le beau d’imitation, qu’on admire dans certains
ouvrages de l’art.
Il eft des arts dont le beau eft plus aifé à appercevoir
: ce font ceux dont l’ imitation plus pofi-
ti v e , fuppofe moins de rapports à connoître, exige
un mbindre nombre de facultés de l’ame pour en
juger. Dans un même art il eft des parties du
beau ou dés qualités1 fur lefquelles on s’accordera
plus univerfellement -• telles, feront celles qui
s’adrefferont particuliérement aux fens.
Plus un art embraflera de rapports , plus ces
rapports exigeront de perfeéiion dans les facultés
de l’ame qui en font juges ; plus ils feront abstraits
, plus ils fe rapprocheront de ceux qui
conftituent le beau intelleéhiel dans la nature prife
en g én é ra l, & plus difficilement les hommes
s’accorderont fur le beau de cet art.
La recherche du beau dans les arts confifteroit
donc à connoître les diverfes qualités conftitutives
du beau, dont chaque art peut faire emploi, & les
diverfes facultés de l’ ame auxquelles ces qualités
s’adreffent.
Par la première recherche, chaque art connoif*
fant bien pofitivement les limites de fon emploi,
l’étendue de fes mo yen s , enfin la nature de fes rapports
avec nous, ne s’efforceroit point d’agrandir
inutilement .fon reffort ^ & ne rifqueroit point à
manquer fon but en l’outrepaffant, comme il n’arrive
que trop fouvent. Par la fécondé recherche,
l ’art connoiflant les routes qui lui font propres &
qu’ il doit parcourir, les véritables cordes qu’il doit
toucher, & ne tendant à agir que fur les facultés de
l’am e , qui font relatives à-fes moyen s , fèroitdes
impreffions plus fortes & plus vraies. I l réfulteroit
de l’une & l’autre recherche, que les hommes s’ac-
corderoient plus aifément fur le beau; & cet accord
feroit peut-être une des chofes les plus utiles à la
perfection des arts.
Mais cette étude des rapports de chaque art avec
la nature qu’ il imite & avec les facultés de notre
ame qu’il affefte ; étude q u i, au lieu de réduire
tous les arts à un principe v a g u e , réduiroit chacun
aux principes qui lui font particuliers , feroit l’objet
d’un o u v ra g e , & ne peut l’être d’un article de
dictionnaire.
Nous ne prétendrons ici faire l’effai de cette recherche
que relativement à l’architeCture. Et d!abora
on va fentir pourquoi dans cet art le beau eft fujet à
tant de contradictions, pourquoi la recherche que
l’on en fait doit être plus difficile que dans les autres
arts imitatifs. C ’eft que fes rapports d’imitation avec
•la nature, font d’un genre différent de ceux des
autres arts. L ’a; chiteCture ne nous préfente q«e
des rapports à faifir ; les autres artsJ qui ont datis
leurs modèles des objets fenfibles & palpables
d’imitation, peuvent être plus facilement appréciés
par la proximité des points de comparaifon qui font
à la portée de tout le monde. L ’archite&ure, dont
le modèle eft Fefprit meme de la nature ; l’archi-
tefture, qui s’adreffe aux parties intellectuelles de
l’ame; l’architeClure, qui ne peint rien , qui n’e x prime
rien de matériel (voye^ A r t ) , doit être,
d’après ce qu’on a dit plus h au t, l ’art dont le beau
fera le plus difficile à apprécier & à expliquer. L e
beau ou la réunion des qualités qui le conftiruent,
fera également plus difficile à rencontrer dans cet
art que dans les autres.
Ce n’eft pas que ceux-ci aient moins de juges
dans les facultés de notre ame ; ce n’eft pas non
plus qu’il y ait en eux un moindre nombre de
qualités relatives à ces facultés. La plus grande
différence eft que les uns peuvent copier les objets
où fe trouvent ces qualités ; lorfque l’autre ne peut
que s’appliquer les qualités des objets. La peinture
tic la fculpture imitent des chofes dont les rapports
font tout donnés ; l’archite&ure eft obligée de créer
les rapports. La peinture & la fculpture peuvent
copier la beauté ; l’architeâure eft obligée de la produire.
Celles-là nous font fentir les qualités (ou le
behu) par des objets connus & vifibies qui touchent
fortement lés fens; l’architeClure ne peut que réveiller
en nous l’idée du beau 8c nous le faire comprendre
par des rapports abftraits. Les uns arrivent à l ’ame
» paffions ; i arcmtecture ne peut qu’ex-,„
citer nos affeâions. Encore les paffions que les
autres arts remuent, ayant leur bafe dans les fens
même les plus g roffiers , font-elles plus aifément
mifes en mouvement, que ne peuvent l’être les
affeftions qui font du reffort de l’architeéhire, &
qui n’embraffent, comme on le verra, que certaines
qualités abftraites des objets.
L’art qui ne touche qu’ un petit nombre de fen-
fations, qui n’éveille que les affe&ions morales, &
qui s’adreffe particuliérement à l’entendement, doit
être celui dont les rapports avec la nature font les
plus difficiles à faifir, 8c dont la corrélation avec
notre ame eft la moins aifément apperçue.
Ainfi, pour mieux nous faire entendre , la beauté
«ans un beau corps eft plus généralement fentie que
celle du plus beau théorème, . parce que les fens
font juges de l’u n e , & que l’entendement eft le juge
de l’autre. C e n’eft pas que le beau, dans la première
efpècc, ne puiffe affc&er auffi l'entendement, mais
cependant la plupart des hommes u’en jugent que
par les fens, parce que cette manière d é ju g e r eft
la plus fimple*& la pins aifée.
Que Zeuxis v eu ille , dans fon H é lèn e , repré-
fenter une beauté parfaite , il s’adreffe aux A g r k
gent'ms, 8c leur demande cinq de leurs plus belles
temmes. Q u oiqu e chaque habitant de la ville eût
Pù avoir des idées particulières fur l’ effence du
■ drchitetfure. Tome /.
beau; quoique le jugement de l’entendement eût pu
différer dans chaque homme, cependant le jugement
plus uniforme des fens les accorde pour un même
choix. Le génie du peintre v a , en conféquence?
operer par la réunion des différentes qualités vifibies
de fes modèles, ce tout ou cette unité qui doit conf*
tituer le beau. O n fen t, par cet exemple, la différence
qui règne entre les arts d’imitation. O n v o it
combien ceux qui s’adreffent particuliérement aux
fens ont d’avantage, foit dans l’accord des ju g emens
fur le beau , qui eft de leur reffort, foit dans
la facilité de trouver des modèles où ce beau exifte
déjà.
t Mais que l’architeéte qui bâtit dans la même v ille
^ Agrigente le temple de Jupiter O lym p ien , eût
affemblé les habitans, pour leur demander les modèles
du beau qui dévoient le diriger dans la forma-
tion de fon édifice ; ne voit-on pas qtie les diverfes
qualités d’où peut réfulter le beau dans l’architecture
, ne fe trouvant affez fenfiblement réunies dans
aucun ê t re , pour que les fens puiffent en porter un
jugement indépendant de l’ entendement, l’archi-
tefte n’eut retiré de fa confultation que des avis
fii^crens, ou contradictoires ? E t , en fuppofant
même qu’on fe fût accordé fur les qualités qui
doivent conftituer le beau en architecture , ne fent-
on pas que les idées d ’o rdre, d’unité, d’intelligence,
de fym métrie, d’harmonie qu’on eût propofées
à l’archite&e pour règles de fon a r t , loin de lui
donner, comme au peintre, un modèle p o fitif de
beauté, dont on eût néceffairement reconnu Limitation
dans fa c o p ie , auraient pu y être fidellement
appliquées fans qu’on en eût fenti l’application; &
ce la , parce qu’ il y â plus loin du modèle de l’archi-
te&ure à fa copie ; que les rapports d’imitation y
font plus fubtils, plus difficiles à faifir que dans la
peinture, dont le point de comparaifon eft plus près,
plus fournis aux fen s , plus connu de tout le monde.
La différence entre la peinture & l’archite&ure,
eft*que la première, en copiant les modèles fen-
fibles de la nature phy fiqu e, doit néceffairement,
dans fes copies, rendre vifibies à tous les y e u x ,
les qualités de fes modèles ; lorfque la fécondé, qui
n’imite fes modèles qu’en appliquant leurs qualités
morales ou intellectuelles à fes ouvrag e s, n’eft pas
fûre que fa copie trouve aifément des juges qui
puiffent en faire la comparaifon. La raifon de cette
différence , ç ’eft que la peinture à . principalement
les fens pour ju g es, & que c’eft fur-tout par l’entendement
qu’on peut apprécier l’architeéhire.
C ’en eft affez pour faire comprendre la difficulté
que cet a r t , plus que les autres, doit avoir pour
connoître le beau, en faire fen tir , apprécier &
goûter les effets.
Mais enfin qu’eft-ce que le beau en architecture?
C e beau eft-il abfolu ou relatif?
Ces deux queftions, auxquelles on n’a jamais répondu
d’une manière fatisfaifame , nous , n e nous
flattons point de lés réfoudre entièrement dans cet
article. Nous nous tiendrions heureux d’avoir
K k