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Malgré de fi grands avantages , on peut dire
qu’un canal n’eft réellement utile, que lorfque
le produit des droits qu’on peut efpérer de percevoir
fur les marchandifes qui y feront voitu-
rees, pourra fuffire au rembourfement ou à la
rente de la dépenfe de conftru&ion & aux frais
d’entretien. On n’atteint prefque jamais ce niveau ,
a moins que le gouvernement, à qui il importe
toujours de favorifèr le commerce & l’induftrie,
ne contribue à la dépenfe de ces fortes d’entre-
prifes. Elles deviendroient ruineufes pour des particuliers
; car il rie faut pas que les droits du canal
augmentent le prix des marchandifes, au point
de ne pouvoir plus être en concurrence avec celles
qu’on peut tirer d’un autre pays.
Selon M. Delalande, le canal du Languedoc a
coûté trente millions ; il ne rend cependant que
fix cens vingt à fix cens trente mille livres, dont
trois cens vingt mille font deftinées à fon entretien.
Si ce canal eût été fait aux frais de M. Riquet
ou d’une compagnie, le produit ne feroit pour
eux que d’un pour cent de la dépenfe ; ce qui
Jie fnffiroit pas à beaucoup près : car il faudroit,
a caufe des réparations extraordinaires, que le
canal rendit au moins huit pour cent. Cependant
il -fait un fi grand bien . au pays où il palfe, &
il eft dune fi grande utilité pour le commerce,
que l’état & la province qui en ont fait les frais ,
^n retirent des avantages qui les dédommagent
amplement de leurs dépenles.
Dans un pays aufîi avantageufement fi tué que
la France , & dont les productions font fi variées,
^ ^er°ù poffible, en réunifiant les principales rivières
par des canaux, & en en rendant plufieurs
autres navigables, d’établir un commerce urii-
verfel à l’intérieur, qui vivifieroit toutes les provinces,
en y répandant l’abondance, & en y développant
tous les genres d’induflrie.
De la pojjibilité de l'exécution.
On ne fauroit prendre trop dé précautions avant
c* entreprendre l’ouverture d’un canal, fi l’on ne
veut pas fe laitier féduire par des apparences trom-
peufes. Dans un ouvrage de cette importance, les
moindres fautes font graves : il faut donc tâcher
de prévoir tous les obftacles, & ne fe décider
qu’avec la certitude de réuffir. La première chofe '
eflentielle eft la connoiffance du pays où le canal
doit pafier. Il faut, pour y parvenir , lever une
carte exa&e fur laquelle on marquera la fituation,
la pente & la nature des terreins que le canal
aura à parcourir ; le cours des rivières, r ni fléaux, ;
fources ou étangs dont on pourra tirer parti.
La fécondé chofé à faire eft de s’aflurer par
des nivellemens juftes & par diâerens profils des
endroits où' il fera plus avantageux de diriger le
canal, & de ceux, ou l’on pourra raflembler les
eaux néceffaires à fon entretien. Il faut pour cela
mefurer en différentes faifons la quantité d’eau
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dont on pourra difpofer. Souvent les fources le,
plus abondantes au primeras, diminuent de plus
de monté en été; & quelquefois même elles
tari fient.
Il ne faut pas fe fier aux eaux qui peuvent
provenir des pluies ou de la fonte des neiges
Le grand Colbert fut trompé pour avoir fait une"
mauvaife fpécularion , en voulant profiter des
eaux de pluie qui tombent fur les plaines de Sa-
tory , de Saclé, de Trappe-& d’Arcis , c’eft-à-dire
fur une fuperficie de plus de fix lieues quarrées!
On avoit eftinié que la quantité d’eau que*
pourroit produire , année commune , une furface
fi etendue, feroit plus que fuffifante pour entretenir
toutes les eaux du parc de Ver failles. En
conféqtience on creufa une infinité de rigoles pour
raflembler les eaux dans plufieurs grands étangs
&: réfervoirs, afin de les conduire enfuite à Ver-
failles. Mais après que tous les travaux relatifs
à cet objet furent achevés, on fut bien furpris
de ne pas trouver, à beaucoup près, la quantité
d eau fur laquelle on avoit compté. Ce fut ce qui
détermina à commencer les aqueducs de Mainte-
non, & à faire la machine de Marly.
Lorfqu’oa eft à portée de tirer l’eau-de quelque
grande rivière, il vaut beaucoup mieux s’en
fervir, que de chercher à raflembler les eaux de
plufieurs fources & ruiffeaux , quoique beaucoup
plus près, à caufe de la certitude q u’une rivière
pourra procurer en tout tems une quantité d’eau
fuffifante; & parce qu’on n’a pas befoin de conftruire
des réfervoirs , objet difpendieux & fujet à bien
des inconvénients.
Il n eft guère poffible d’évaluer au jufte la quan-
tite d eau néceffaire à l’entretien d’un canal, parce
qu’indépendamment de celle qu’il faut pour la
navigation , il s’en perd beaucoup par l’évaporation,
& fur-tout par les filtrations au travers
des terres. Cette dernière perte, qui fouvent eft
rrès-confiderable, varie fui vant la nature du terrein,
& fui van t qu’on a pris plus ou moins de précautions
dans 1 exécution du candi. De toutes)ces
obfer varions, il réfulte qu’il ne faut fe déterminer
a ouvrir un canal, que lorfque la quantité
d’eau qu’on peut fe procurer, eft le double de
celle qu’il faut pour la navigation*
S’il ne s’agiffoit, pour faire un canal., que de
creufer un fofle dans un terrein uni, il n’y auroit
rien de plus funple ni de plus facile , fur-tout fi
on pouvoù y détourner l’eau de quelque grand
& i*y faire couler comme une petite rivière.
Ce moyen eft prefque toujours impraticable,
parce que datas les pays les plus unis, il eft rare
qu’on puifle donner au canal une pente uniforme*
Pour peu que cette pente foit trop roide, le cariât
devient impoffible à établir. Lorfque le pays eft
irrégulier , c’eft une infinité d’autres obftacles à
furmonter. Tantôt il faut que le canal paffe.au-
deflùs de vallées profondes, tantôt qu’il traVe'rfe
des montagnes ; quelquefois il faut qu’il tourne
l’entour, ou fe fafiè un paffage 'au-deffus. Toutes
-ces difficultés & mille autres qu’il feroit trop long
de détailler , rendoierit les canaux impoffibles en
beaucoup d’endroits, avant qu’on eût imaginé
les" éclufes à baffin. Les Italiens attribuent cette
invention à deux ingénieurs de Viterbe, qui la
réalifèrent en 1481, pour retenir les eaux du
canal de la Brentd. En France , les premières
éclufes qui y furent conftruites, font celles de
la partie du canal de Briare , qui fut faite vers
la fin du règne d’Henri IV. Depuis ce tems elles
ont été beaucoup perfectionnées ; & on en a introduit
l’ufage dans prefque tous les canaux qu’on
a conftruits, parce qu’on a reconnu qu’en toutes
circonftances, elles étoient d’une très - grande
Utilité.
Des bajjins à éclufes•
Les canaux à éclufes font ordinairement contrôlés
de plufieurs parties de niveau, qui forment
gradins le long des pentes qu’ils ont à parcourir*
Ces parties fe communiquent par le moyen des
bafiîns à éclufes , qui fervent à faire monter ou
defeendre les bateaux d’unepartie de canal à l’autre.
On appelle chûte la différence de niveau des
parties dz canal qui aboutiffent à un même baffin
d’éclufe. Cette chûte peut avoir jufqu’à douze
pieds ; il y a même des éclufes où l’on a porté
cette hauteur jufqu’à vingt pieds. Cependant on
a reconnu qu’une fi grande hauteur fatiguoit trop
les portes d’éclufe ; la maffe d’eau à foutenir de-
venoit trop pefante. D’après l’expérience, la hauteur
la plus convenable eft de huit à dix pieds.
Au canal de Languedoc , elle n’eft que de fept
pieds neuf pouces. Chaque baffin d’éclufe peut
contenir deux grands bateaux. La forme de ces
bsffins , repréfentée par la figure 3 1 , eft un eîlipfe
tronqué par deux paffages plus étroits A D , C F ,
dans lefquels font placées les portes d’éclufe.
Ces portes font à deux vantaux arrêtés aux murs
qui forment les paffages auxquels on donne le
nom de Bajoyer. ( Voyc^ ce mot). Lorfqu’elles font
fermées, elles forment un angleoppofé aux eaux
du canal fupêrieur, afin d’avoir plus de force pour
les foutenir. Cette difpofition que l’on défigne par
le nom de porte hufquee , fait que le poids de l’eau
aide à une réunion plus précife des vantaux.
Pour diftinguer les portes bufquées entre elles,
én appelle celles qui font du côté du canal fupé-
rieur, portes d’amont, & celles du côté du canal
inférieur, portes d’aval ou d’en bas.
Lorfque l’eau du baffin eft au niveau de celle
du canal fupêrieur, ce font les portes bufquées
d’aval C , fig. 32 , qui foutiennent les eaux du
canal fupêrieur, de forte que les portés d’amont
A , peuvent s’ouvrir & fe fermer à volonté, pour
laiffer entrer les bateaux dans le baffin, bu les
en laiffer fortir. Mais fi l’eau du baffin fe trouve
au riiveau du canal inférieur, ce font les portes
d’amont A , fig. 33 , qui foutiennent les eaux du
canal fupêrieur. On peut alorà ouvrir ou fermer
les portes d’aval C , pour faire entrer dans le
baffin ou en faire forrir les bateaux qui fe trouvent
ou qui doivent aller dans le canal inférieur*
Afin de pouvoir, fuivant les circonftances, mettre
l’eau du baffin au niveau du canal fupêrieur ou
du canal inférieur, on a pratiquédans l’épaif-
feur des bajoyers, des conduits GHKF , fig. 31,
qu’on appelle permis, qui s’ouvrent & qui fe ferment
avec des vannes G & K. Deux de ces permis
communiquent avec le canal fupêrieur, & deux
autres avec le canal inférieur. D’après cet arrangement
, lorfqu’il arrive un bateau pour palier d’une
partie du canal à l’autre, On met l’eau du baffin
au niveau de la partie du canal ou il fe trouve,
en levant les vannes des permis qui communiquent
avec ee baffin , ce qui demande environ cinq minutes
de temps. On peut alors ouvrir les portes
d’éclufe qui féparenr le canal où fe trouve le bateau
, pour le faire rentrer dans le baffin. Lorf-
qu’il y eft, on ferme les portes, & on baille les
vannes des permis qu’on avoit levées ; on lève
celles qui communiquent avec la partie de canal
où le bateau doit aller, afin de mettre l’eiu du
baffin au même niveau ; ce qui emploie encore
cinq minutes de temps , au bout defquelles s’ouvrent
les portes pour donner pàffage au bateau,
& lui laiffer continuer fa route. Cette manoeuvre
fe répète à chaque éclufe. On dépenfe pour cette
opération environ cent toifes cubes d’eau..
Il faut obferver que lorfqu’un bateau defeend
le réfervoir ne fournir réellement que les cent toifes
qu’il faut pour lui faire palier la première éclule,
parce que cette quantité accompagne le bateau pendant
tout le temps qu’il defeend. Mais lorfqu’il
monte, il faut que le réfervoir dépenfe autant
de fois cent toifes cubes qu’il a d’éclufes à palier.
Comme les baffins d’éclufe du canal de Languedoc
font faits pour contenir deux bateaux, & que prefque
toujours il en pâlie deux à la fois, il en réfulte
que deux bateaux qui partent du port d’Agde
pour aller à Touloufe , étant obligés de palier
foixante-qüatorze éclufes en montant pour arriver
à la partie la plus élevée du canal, qui eft à Nau-
roufe, ils dèpenfent fept mille quatre cens toifes
cubes d’eau. De Nauroufe pour defeendre à Touloufe
il faut que ces deux bateaux paffent vingt-
fix éclufes ,. pour lefquelles ils ne dèpenfent que
cent toifes cubes d’eau, parce'que cette quantité
les accompagne. Ainfi, pour faire naviguer deux
grands bateaux, chargés chacun de deux mille
quintaux , c’eft-à-dire , pour leur faire parcourir
toute la longeur-du canal , qui eft de cent vingt
mille quatre cens quatorze toifes, ou de quarante
grandes lieues , de trois mille toifes chacune, en
partant de fon extrémité la plus baffe, il faut environ
fept mille cinq cens toifes cubes , qui font
fournies par le grand réfervoir de S. Ferriol. Ce
trajet, qui çft de foixante-une lieues de pofte ?