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par la divhîon des efpèces, fe multiplient encorè
bien plus par la fubdivifion innombrable des individus
qui les compofent. Cependant, comme on
eft convenu de n’appliquer l’idée de caraElère effentiel
ou par excellence, qu’au petit nombre d’individus
dont la conformation fe fait remarquer par
les traits les plus propres à dèfigner leur effence ,
ou la force & la grandeur ; de même, quoique
chaque être ait une modification particulière &
une marque qui en eft l’indication, on n’applique
ridée de caraElère diflinEtif qu’à ceux qui l’ont à
un degré fuperlatif, comme auffi on ne reconnoît
caraElère propre ou relatif qu’en ceux où ce rapport
de propriété a quelque' chofe de faillant & de
très-remarquable. Dans tous les cas, caraElère pris
métaphoriquement eft un figne indicatif. Quelles
que loient les qualités , modifications ou propriétés
qu’il défigne, on ne l’emploie jamais que
pour celles qui ont quelque chofe de plus authentiquement
énoncé.
A in fi, vous dites d’un cheval qu’il a du caractère^
lorfqu’il eft conftitué d’une manière fortement
«rticulée, lorfque fon allure , fes membres, fa
mufculature fe trouvent vigoureufement prononcés.
Vous dites que tel cheval ou telle race
de chevaux a un caraElère , lorfque vous y apper-
cevez une conformation diftinfte de la conformation
des autres chevaux & des autres races.
Vous dites que tel cheval ou telle racé de chevaux
a fon caraElère propre » lorfque vous découvrez
dans fa conformation une aptitude bien apparente
, une propriété fenfible pour l’emploi bu
à la fin, quelle qu’elle foit, que, vous jugez être
celle à qui la nature l’appelle..
Avoir fon caraElère fignifie donc être doué de
la marque diftinâive qui indique ce à quoi l’on
eft propre. Un cheval de courfe pourroit avoir
du caraElère , il pourroit avoir un caraElère 3 mais
il n’auroit pas fon caraElère, fi en le voyant vous ne
pouvez connoître par fon extérieur fa véritable
propriété.
Quelle que foit la confufion que le langage
ordinaire mette dans ces trois acceptions , quelle
que foit auffi celle qui femble exifter quelquefois
dans la nature même, qui agi {Tant par
des moyens à nous inconnus , arrive fouvent
à fon but ;ivec tout ce qui fembloit devoir l’en
écarter, & trompe par 1des exceptions affez nombreufes
la théorie des fyftêmes les plus vrais,
comme lorfqu’elle met les qualités réelles en
eontradiCtion avec leur apparence, c’eft-à-dire,
le caraElère effentiel moral avec le caraElère relatif
phyfique : nous n’avons; pas moins appercu trois
fortes de ca racler es bien diftinEls.
L’un qui exprime l’efïence de chaque être ou
de chaque efpèce, lorfs:Ju’cn le prend au fuper-i
latif,& par excellence, & d’où réfulte ordinairement
l’idée de force & de grandeur, lorfqu’on
dit du caraEtere.
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L’autre qui exprime les .modifications particulières
à chaque individu , fans qu’il en réfulte l’ex-t
preffion pofitive de qualités bonnes ou mauvaifes
comme lorfqu’on dit un caraElère,
Le troifième qui exprime particuliérement une
modification apparente & conforme à tel ou tel
emploi , lorfqu’on dit fon caraElère.
Le premier eft ordinairement fynonyme de force
& de grandeur.
Le fécond eft'fynonyme de phyfionomie ou
d’originalité.
Le troifième l’eft de "propriété ou de convenance.
Cara&ère confédéré dans la nature prife en général.
L'a nature donne toujours à tous fes ouvrages
un caraElère quelconque, c’eft-à-dire, qu’à un petit
nombre d’exceptions près -, toutes fes productions
font douées des qualités qui forment les trois genres
de caraElère qu’on vient de définir. Mais comme
félon le véritable efprit de ce mot, il ne défigne
dans chacune de fes acceptions qu’une marque plus
diftinéfive , qu’une empreinte mieux frappée, il
en réfulte qu’on ne l’applique point, à toutes les
oeuvres de la nature.
L’expérience nous fait voir que la nature , dont
nous ignorons les vues, les moyens-, les principes
, les agens, & le plus fouvent encore la
véritable fin , femble avoir des coins différens,
dont les empreintes n’ont pas le même- degré de
force & d’énergie. C’eft ce qui nous paroît être,
lorfque d’après notre intelligence & des points de
comparaifon , nous évaluons , félon les climats &
les différentes régions, les productions d’une même
efpèce, & que nous les jugeons dégénérées & fort
éloignées de ce qu’elles devroient ou de ce qu’elles
pourraient être. Nous difons alors quelles n’ont
point de caraElère. Ainfi, par exemple, les races
-d animaux depayfés , & qui fe perpétuent cependant
fous un ciel qui leur eft moins propice ,
perdent a la fin du caraElère qu’on leur remarque
ailleurs, fans perdre pour cela le caraElère .qui
les diftingue .des' autres races, & qui les fait
reconnoîtfe pour ce qu’elles font. Chaque race,
chaque efpèce de production de la nature femble
appellée par elle à exifter dans une température
qui foit d'accord avec fon organifation. C ’eft de
ce rapport bien intime que dépend le plus grand
développement de leur organifation & de leurs
facultés. Lôrfque celles-ci fe trouvent contraintes
ou comprimées par des caufes quelconques qui
I en contrarient l’emploi & le libre exercice, elles
s’atténuent & s’abâtardiffent à tel pointdans leur
reproduction, qu’on n’y retrouve plus à la fin
que l’intention de la nature, que cette volonté
j qu’elle conferve toujours de parvenir à fes fins,
J quels que foient les;obftacles qui l’en détournent.
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©n obferve cet effet bien particuliérement dans I
chaque pays, à l’égard des plantes & des arbres
étrangers qui, tranfportés d’un chmatfous un autre ,
ne 1 aident pas de fe perpétuer dans cette efpèce
d’exil. Le philosophe & l’artifte qui chercheroient
à connoître , l’un les qualités, l’autre les formes
effenbelles des différentes efpèces, en jngeroient
mal, d’après les connoiffances ifolées d’un feul
pays. Qui nous décriroit ou nous peindroit des
cèâres & des pins , d’après ceux auxquels ? la
nature ne femble permettre d’exifter dans certains
pays que pour fatisfaire la curiofité , ne nous
donnerait qu’une idée bien imparfaite de ce que
font ces arbres dans les régions ou leur végétation
peut acquérir tout fon développement.
Le caraElère , confidéré dans fa première acception
, c’eft-à-dire comme caraElère effentiel ou
par excellence, ne femble donc être autre chofe
dans la nature que l’empreinte vraiment authentique
& grandement prononcée de l’effence de chaque
efpèce d’êtres parvenus au développement de
grandeur & de force qu’ils doivent avoir pour
remplir complètement le voeu de la nature.
Cette grande application générale du mot caraElère
fe fait à la nature , prife dans fon en femble, comme
à fes oeuvres prifes dans le plus petit detail. On
applique cette idée aux régions , aux fîtes , aux
climats comme à leurs productions ; & d apres
cela, l’on voit que ce caràElere , pris fuperlati-
vement, n’exifte pas, à beaucoup près *par • tout,
ni d’une manière uniforme.
Si , parcourant le globe que nous habitons ,
•n juge fes différentes régions d’après l ’intention
qu’on fuppofe avoir été celle de la nature dans
fa formation , on trouve que certaines manquent
du caraElère quelle a imprimé à d’autres.
Un fol plat & uniforme, un fol dont la configuration
eft mollement prononcée, qui n’eft entrecoupé
que de monticules douces & arrondies ,
fens qu’aucune intention grande & continue s’y
faffe fentir , fans qu’on puiffe y éprouver ni Jè
plaifirdela variété,ni l’impreffion de l’immenfité,
eft un fol fans caraEtere , parce qu’il femble que
la nature, indécife dans fa formation 4 n a eu aucune
vue particulière T & n’a fu lui donner une
empreinte capable de le faire remarquer. Un ter-
reia formé de vaftes plaines* qui, fe fuecédant fans
ceffe, vont fe perdre dans un horifon infini &
reffemblent à l’immenfité de l’océan ; un terrein
hériffé de hautes montagnes , formé de plaines
dont des chaînes de rochers bordent Hiorifon ; un
fol remué par tous les accidens qui peuvent y
introduire la variété & qui nous préfente une
foccelfion continuelle de foènes inattendues, fera
celui que nous dirons avoir du caraElère , & il
l’a u r a e n effet , félon la définition de ce mot ;
c’eft-à-dire qu’il fera doué de cette marque dif-
tinCtive qui néceffairement eft là définition élémen-
feire- du caraEàre - Plus les formes, des montagnes
JfaéBteElure,. Teune. J*
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feront grandement prononcées, plus les contours
des rochers auront de hardieffe & de fierté , plus
les contrafles entre toutes les parues du fol
feront violens & énergiques, plus auffi on pourra
dire qu’il y a du caraElère dans ce pays. C eft
comme fi l’on difoit que la nature a écrit^ en
grands traits les formes & i’effence de cette région.
S i , paffant enfuite des formes purement ma*
térielles d’une région, aux propriétés intrinfèques
de fon climat ou de fa température , on y appliqué
encore l’idée de caraElère, on entend que le climat
qui a du caraElère eft celui qui eft doue d une
permanence ou d’une habitude conftamment la»
même, ou bien celui où l’influence des elemenÿ
fe développe d’une manière forte & puiffanre»
Dans ce fens , les climats chauds & les climats
froids ont du caraElère ; les climats qui fe trouveront
participer des deux contraires , de maniéré
à ce qu’ils fe neutralifent au point qu’en ne fâche
comment les qualifier, feront fans caraEtere* Les
climats où les mêmes influences fe^ feront périodiquement
, fentir, & d’une manière uniforme 9
& conftamment la même , ont du caraElere ,• les
climats fujets à la variation perpétuelle à l’in-
confiance de toutes les caufes qui ont de 1 aCtioa
fur fa température, ne fauroient admettre la même
qualification ; car ce feroit jouer fur^ les^ mots
que de prétendre qu’il y ait du caraElçre a n en-
avoir pas. Chaque climat peut avoir un caraElère-
diftinCtif, mais ceux-là feuls ont du caraElère , oit
l’on voit régner une intention fortement prononcée
de la nature, & qui fe développe par les-
qualités de force, de confiance * d’uniformité, ou
par toutes les autres qui emportent avec elles
l’idée d’unité ou d’une eonftitution entière.
Soit donc que l’on confîdère ta nature dans-
fon plus grand enfemble , foit qu’on l’examine
dans fes moindres productions , foit qu’on ferutê'
fes qualités les plus cachées , foit qu’on en faififfe-
les réfultats les plus évidens, on apperçoit qu’elle
a , fi l’on peut parler ainfi, des moules différens ,
& que les formes qui en fortent n’ont pas toutes»
le même degré d’énergie. Il m'importe peu d exa-
: miner quel a pu être le but de la nature dans ces
nuances qui unifient en quelque forteles extrêmes ;,
; on ne conteftera point leur utilité. Quand il feroit
• vrai qu’on ne pût philofophiquement admettre
, aucune infériorité dans fes ouvrages, parce que
[• les parties nèceffaires du grand tout ne doivent fe
confidêrer que dans le rapport qui les^ lie à ce
■ vafte enfemble , & que tout eft bien a- la place
; ou il eft çr quand il feroit vrai encore que cette
difpenfation que nous fàifons à fes ouvrages des
qualités foibles ou fortes , ne feroit que le réfultat
de nos préjugés comme il nous eft impoffibl®:
de juger autrement que d’après les mefures de
notre intelligence & d’apres, les rapports^ d opinions
fi l’on veut des objets à nous- r rien ne
: peut détruite l’exlftence des rapports que nous