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d’ornement, fur-tout dans l’ordre dorique, où ü
s’en trouve pour le moins feize & au plus vingt.
L ’ufage d’admettre à cet ordre des cannelures paroi
t aufli ancien que l’ordre lui-même ; du moins
on en voit aux plus anciens monumens doriques.
On oie dire même, malgré quelques exceptions
qui peut-être encore ne fauroient fe compter,
que cette pratique fut univerfellement affe&ée au
dorique. Dans le grand nombre de monumens
grecs de ce genré , parvenus jufqu’à nous, il s’en
trouve quelques-uns fans cannelures dans la longueur
du fût des colonnes; mais des indications de
cannelures commencées ne permettent pas de douter
que l’intention étoit de les continuer dans toute
la hauteur de la colonne. C’eft ce qu?on voit à
«n temple de Thoricion , à dix lieues d’Athènes,
cité par M. Leroi. Je fais que, félon cet écrivain
architecte , ces cannelures ne font qu’une manière
particulière d’orner le gorgerin du chapiteau.
Mais cette opinion ne trouve-t-elle pas fa réfutation
dans un autre temple dorique, dont parle
le même M. Leroi, & qui a des cannelures commencées
dans le haut & dans le bas de la colonne
? Pareille chofe fe voit au temple de Sé-
gefte en Sicile, où les cannelures fe trouvent
commencées au-deffous du chapiteau, comme au
pied de la colonne. On avouera aifément que fi
des cannelures peuvent être une manière d’orner
le gorgerin du chapiteau , cette répétition des
mêmes cavités, à l’à-plomb exaâ de celles du
haut, feroit' tout au moins une idée extraordi-
. naire dans l’embellifTement du pied d’une colonne
fans bafe. L e temple de Ségefte peut mieux qu’aucun
autre expliquer le motif de ces cannelures
fupérieures & inférieures. Tout annonce dans ce
monument que jamais il ne fut achevé. Les tenons
reftés encore à un très-grand nombre de pierres
non ravalées , le prouvent fuffifamment. Ces cannelures
ainfi placées ne prouvent autre chofe finon
que le temple ne fut pas terminé. Mais elles nous
indiquent deux autres méthodes des anciens.
Nous voyons d’une part que les cannelures
etoient l’opération par laquelle on finiffoit le ragré-
ment & l’embeUiflement de l’édifice ; ce qui étoit
naturel, puifque ces cavités pratiquées dans le
dorique , & taillées à vive arrête auroient couru
le rifque d’être endommagées par tous les chocs
des matériaux & des ouvriers.
D ’un autre côté, nous apprenons la manière
fimple & facile des anciens pour tracer & décrire
leurs cannelures. La première & la dernière aflifes
de lacolonneainfi commencées fervoient de repaire
à l’ouvrier chargé d’en rachever le ragrément;
il n’avoit qu’à fe diriger fur les points donnés
en haut Sc en bas, pour ne pas s’égarer dans leur
direction perpendiculaire , Sc il trouvoit encore
le modèle de la largeur Sc de la profondeur qu’elles
dévoient avoir.
Ainfi, comme on ne fauroit en douter, ces
cavités qu’on vo.it aux parties fupérieures Sc infé-
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rieures des colonnes de^uelqués temples doriques'
n’étoient que des commencemens de cannelures
reftées fans exécution. Elles n’atteftent point dans
ces inonumens une plus haute antiquité que dans
les autres ; & loin de prouver contre l’ancienneté
de ce genre d’ornement dans les colonnes d’ordre
dorique, elles ne font au contraire que juftifiea
l’univerfalité de cet ufage.
Les colonnes doriques, félon les. préceptes dé
Vitruve, doivent avoir vingt cannelures. La manière
des Grecs étoit de les faire très-peu concaves
dans cet ordre, & de les tailler à vive
arrête, à peu près femblables à celles que Ser-
van doni a fait tailler aux colonnes du périftylei
de Saint-Sulpice à Paris. Si l’on veut-, dit Vw
truve, faire au dorique des cannelures, on s’y|
prendra de cette forte. On tracera un quarré donc
le côté fera aufli grand que toute la cannelure ; fa
plaçant une des branches du compas au milieu:
du quarré, on tracera d’un angle de la cannelure
à l’autre une ligne courbe qui fera la forme da
la cavité qu’on veut pratiquer.
C ’eft-à-dire, que la circonférence de la colonne
étant divifée en vingt parties, on trace un quarré
dont le côté eft égal à l’une de ces vingt parties.'
Du centre de ce quarré , on tire une ligne courbe
qui forme un quart de cercle d*un des angles du
quarré à l’autre. Pour faire que ces cannelures}
foient encore moins profondes, au lieu d’un
quarré on fait un triangle équilatéral, du centra
duquel on trace la ligne courbe. La première ma-i
nière décrite par Vitruve eft plus ufitée.
Mais la méthode des cannelures à pans, donô
on a déjà parlé, & qu’il affe&e particuliérement
au dorique-; ne femble pas avoir été fort en vogue:
en général, cette pratique employée dans la totalité
du fût d’une colonne ne fauroit être agréable
à l’oeil. Il eft impoflible que des angles aufli obtus
que ceux qui réfultent des lignes de deux faces,
dont chacune n’a que le vingtième de la circonférence
d’un cercle, ne caufent une véritable con-
fufion, par la difficulté qu’il y a de rendre la
féparation des deux faces affez fenfible & affez
diftinéte. C’eft peut-être aufli par cette raifon qu’on
préfère les cannelures tracées fui van t le procède
de Vitruve, c’eft-à-dire décrites par le centre d’urt
quarré , à celles dont la cavité l’eft par le.fom-
met d’un triangle, parce que cette cavité, dans
la méthode du premier ,, étant plus c-reufe , rend
l’angle des cannelures plus aigu , & par conséquent
celles-ci mieux marquées Sc plus diftin&es;
Les Grecs n’admirent point ,dans le dorique
l’ufage pratiqué depuis , de canneler le fût de la
colonne jufqn’aux deux tiers, Une colonne de ce
genre fe trouve cependant a Agrigenre , & ren-
verfée parmi les débris dé cette ville antique-
Mais cet exemple, unique dans un monument ifole
& dont on ignore l’époque, ne fauroit être d’une
grande autorité. On ne s’appuierolt pas avec plus
de vraifemblance du temple antique de Gora déjà
çité
\
C A N .
c ité çp t i ne doit, fous, aucun rapportj pafler pour
un ouvrage g re c , & dont les colonnes font encore
taillées dans leur partie inférieure a p^ns
correfpondans aux cannelures du refte de la co-
. Ion ne.
Les cannelures de ce temple , ainfi que celles de
tous les monumens doriques grecs, ne fe terminent
point aii-deflbus de l’aftragale en manière
de niche, comme oh l’a pratiqué depuis indiftinc-
tement à. tous les ordres. On remarque dans plu-
fieurs des plus anciens temples doriques, que la
cannelure fe termine aufli quarrément dans le haut
que dans le bas , c’eft-à-dire, qu’à fon extrémité
lupérieure elle eft coupée horizontalement par
les petits filets ou liftels du chapiteau. C’eft ainfi
qu’on les voit au temple de Thoricion, à ceux
de Syracufe & à plufieurs autres. Mais aux colonnes
des temples d’Athènes , la cannelure fe
termine par une légère portion de cercle.
Il eft inutile de dire que la févérité de l’ordre
dorique exclut abfolument de fes cannelures toute
efpèce de rudenture. Cette recherche d’ornement
prife aux dépens d’un autre ornement, ne fe permet,
comme on le verra, que dans les ordres dont
la richefîe ou la variété forment le cara&ère.
Les plus grandes cannelures doriques que l’on
xonnoiffe font certainement celles du temple de
Jupiter olympien à Agrigente. Leur largeur, quoi-
qu’en proportion avec la colonne, avôit été remarquée
par les anciens. Diodore, en parlant dqs
colonnes de ce temple coloffal, nous dit qu’un
homme pouvoit fe placer dans la cavité d’une
de fes cannelures, S'lci£yç(/.et. Un fragment de fçes
colonnes ne femble être échappé à la deftruôion
entière de ce temple , que pour juftifier la vérité
du récit de Diodore. On y Voit encore des cannelures
dont la largeur mefurée dans la partie voi-
fine du chapiteau , c’eft-à-dire, dans la plus étroite
delà colonne, eft de dix-neuf pouces, efpace fans
doute plus que fuffifant pour contenir un homme.
Les cannelures des ordres ionique & corinthien
diffèrent des cannelures dorique par le nombre,
la forme Sc la fufceptibilité d’ornement.
Quant au nombre, dans ces deux ordres, il
eft de vingt-quatre & quelquefois de trente-deux,
ielon Vitruve Sc les modernes. Il fe trouve
cependant des exceptions à cette règle dans l’un
& l’autre de ces deux ordres. Le temple de la
Fortune virile qui eft le fe-ul cannelé des ioniques
antiques de Rome , n’a que vingt cannelures;
même nombre aux colonnes corinthiennes du
temple de la Sibylle à Tivoli.
La forme des cannelures ioniques Sc corinthiennes
a aufli un earaâère particulier à, ces ordres. Elles
ne font pas légèrement creufées comme au dorique;
mais leur enfoncement eft ordinairement de
tout le demi-cercle, ou bien d’une portion de
cercle fou tenu par le côté d’un triangle équilatéral
jmfcrit. Il y a peu de colonnes comme celles de
Intérieur du panthéon, où les cannelures foient
Architecture. Tome I,
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moins creafes que le demi-cercle, ou qui îe foient
davantage, comme celles du temple de Jupiter
Tonnant. Cependant ces deux exemples indiquent
■ quels font les cas & les motifs qui peuvent engager
à cette diverfité. Les colonnes fituées en
plein a ir , Sc qui font partie d’une grande mafle,
admettront quelquefois une profondeur de cannelures.
, qui feroit plus que disconvenante dans les
colonnes d’un intérieur.
Alix ordres ionique & corinthien, les cannelures
font féparées entre elles , non plus par une
fimple arête , comme au dorique, mais par un
lifteau ou liftel qui fait ce que l’on appelle la côte.
Les anciens, félon.Perrault, appelloientflrix la ,
cavité du demi-canal, & flria l’éminence quarrée
qui eft à chaque côté de la cavité : Stria, continue
t-il, eft ainfi appellé du mot flringere, qui
lignifie rejjerrer, parce qu’il femble qu’elle Toit
comme un pli qui fait élever une étoffe à l’endroit
où elle eft ferrée. La proportion du creux
de la cannelurt avec fon entre-deux, qui fait ce
que nous appelions la côte , n’eft pas bien déterminée.
Mais la proportion moyenne eft de donner
à l’entre-deux le tiers de la largeur de la cannelure
, c ’eft-à-dire, qu’il fà-ut divifer chaque vingt-
quatrième partie de la circonférence de la colonne
en quatre; dont trois fe donnent à la cannelure, •
Sc une refte à la côte.
Les monumens nous font voir quelque variété
dans la manière de terminer ces cannelures vers -
les congés du haut & du bas de la colonne, La
plus ordinaire eft de les faire rondes comme le
haut d’une niche. Quelquefois cependant ces extrémités
font coupées en ligne droite, comme au
temple de la Sibylle à Tivoli. D ’autres fois elles
font taillées tout au contraire des premières : le
nud de la colonne rentre en demi-cercle dans la
cannelure. C ’eft ainfi qu’elles étoient à l’édifice antique
des Tutèles à Bordeaux, rapporté dans le
Vitruve de Perrault, p. 2.19.
La méthode la plus ordinaire d’orner les cannelures
ioniques & corinthiennes, eft de remplir
leur cavité de ce qu’on nomme rudenture , c’eft-
à-dire, une forte de bâton fimple , ou taillé en
manière de corde ; c’eft ce qui fait appeller ru-
dentées les colonnes où font ces efpèces d’orne-
mens. ‘
Il y a des exemples de rudentures biffées dans
toute Ta longueur de la cavité des cannelures ;
Sc la nouvelle églife de Sainte-Geneviève à Paris
en offre un remarquable. Mais on croit cette
méthode aufli nouvelle que mauvaife à imiter.
Ce que l’on va dire expliquera le motif qu’on
a de défapprouver cette pratique.
Quoique bien certainement les cannelures ne
foient dans l’architeâure qu’un ornement de caprice
, dont nous avons eu affez de peine à deviner
l’origine , s’enfuit-il qu’on doive s’interdire
toute efpèce de raifonnement dans l’emploi qu’on
en peut faire ? Et d’abord le caprice ne reconnoît-iV
M m m