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la falubritê de l’air, & bleffé les feflS éfl attrifi-
tant la raifon.
Cependant, comme le mot de cimetière eft pafle
dans notre langue , fans que l’idée qui y eft attachée
foit paffée précifément dans notre efprit, 6c
fans que les conséquences de cette idée aient produit
dans nos ufages les mêmes réfultats, eflàyons
de mettre ce mot d’accord avec fa lignification ;
c’eft-à-dire, voyons jufqu’à quel point il nous ferait
poffible de concilier avec nos moeurs 6c nos
idées religieufes, les faines vues de la police des
villes, les fentimens de l’humanité 6c l’intérêt même
des arts.
Comme c’eft par fes rapports avec l’architecture
que ce mot doit uniquement trouver ici
fa place, c’eft aufli vers ces rapports que va fe
diriger uniquement cet article. Je me propofe de
dire moins ce que font & ce qu’ont été nos cimetières
, que ce qu’ils devroient 6c pourroient être.
Si je parle aufli des lieux publics de fépulture chez
les anciens, ce n’eft ni pour en faire h defcrip-
tion, d’autres articles font deftinés à cet - objet,
( voye^ Catacombes , Sépulture, &c. ) ; ni pour
entrer dans le détail des ufages relatifs aux fé-
pultures des différons peuples de l’antiquité , d’autres
ouvrages doivent en traiter spécialement ,
( voyez le diSlion. d'antiq. ) ; ni dans la vue de
les propofer pour modèle, des différences eflentielles
de moeurs s’y oppofent, mais uniquement pour
faire voir que le refpeâ pour les morts' étoit peut-
être chez eux moins une fuperftition puérile ,
qu’une opinion naturelle, dont une fage politique
fut tirer adroitement parti.
Que ce foit au dogme de la tranfmigration des
âmes qu’il faille attribuer la paflion des anciens
pour les fépultures , ou que la religion n’ait eu
dans l’obfervance de ces pratiques qu’un but politique
, tel, par exemple, que celui de la fa-
lubrité de l’air, c’eft ce qu’il importe peu ici
d’examiner. A quelque- caufe qu’on les rapporte ,
il faut reconnoître dans ces ufages un efprit de
fagefle qu’il feroit fort à fouhaiter que les modernes
puflent imiter en partie.
Le plus ancien cimetière que l’on connoiffe, &
fans doute le plus vafte de tous ceux qui peut-
être exiftèrent jamais , eft celui de Memphis, qu’on
découvre hors de cette ville dans une plaine ronde
d’environ quatre lieues de diamètre, & qu’on appelle
la plaine des momies. Indépendamment des
puits qui conduifent aux fouterreins particuliers
dont eft rempli ce champ de morts, on y a
découvert une manière plus économique d’enfevelir
les corps , & qui ne fauroit laiffer de doute fur
le nom de cimetière que je lui donne. Des lits de
charbon y étoient difpofés pour recevoir les corps
embaumés d’une manière plus commune; ceux qu’on
y a trouvé étoient emmaillotés feulemen» de quelque
langes 6c couverts d’une natte fur laquelle étoit
wne épaifleur de fable d'environ fept à huit pieds.
Tout cela indique un lieu qui fervit inconteftac
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I blemént de fépulture à la multitude \ ou à CÊttè
clafle du peuple qui n’avoit point le moyen de
faire les frais de l’embaumement.
On diroit que les foins des Egyptiens dans la
fépulture des morts, tendoient moins à là conferva-
tion de la mémoire des hommes qu’à celle de leurs
corps. C’étoit la matière qu’on cnerchoit à rendre
indeftruâible, 6c ce but, que tous leurs ufages indiquent
, que motivoient toutes leurs opinions
religieufes, forme un grand contrafte avec celui que
les modernes femblent s’être propofé.
Les Grecs & les Romains, fans prendre d’auffi
grandes précautions que les Egyptiens pour la con-
fervation des corps , femblent avoir attaché à leurs
pratiques de fépultures , des idées qui fe Iioient autant
à la politique & aux affeâions de la fenfibi-
lité, qu’aux dogmes de leur religion. Ils fe conten-
toient d’inhumer les corps fans les embaumer;
Tufage de les brûler 6c de recueillir leurs cendres ,
qui fut commun à ces deux peuples , prouveroit
encore qu’ils?- attachoient moins de prix à la con-
fervatiôn matérielle des hommes, quils ne met-,
toient d’intérêt à perpétuer leur mémoire, qu’ils
cherchaient enfin à lés préferver de la violation
plutôt que de la deftruâion. Ce fentiment, quel
qu’il foit, fut en Grèce comme à Rome, un de ces
principes féconds qui vivifièrent les arts, 6c fur-
tout l’architeêhire.
On doit mettre au rang de ce qu’on peut ap-
peller des cimetières publics, ces aflemblages nombreux
de fépulcres qui formoient, fi l ’on péutdire,-
les fàuxbourgs de prefque toutes les villes antiques.
De fages loix avoient profcrit les fépultures dans
l’intérieur des cités. Les tombeaux en petit nombre
qui s’y rencontraient, étoient élevés à quelques clafles
privilégiées, ou étoient l’objet de diftinâions 6c
de récompenfes particulières. Tantôt les avenues
6c les routes , tantôt des champs réfervés à ces
pieux ufages, tantôt des fouterreins creufés ou du
moins appropriés à cet objet, devenoient de véritables
villes, dont les fépulcres étoient les mai-
fons. Chaque famille y avoit la fienne. On vi-
fitoit à certaines époques les mânes de fes ancêtres,
6c le foin qu’on prenoit de leur mémoire, fem-
bloit avoir prolongé leur exiftence. Les tombeaux
des grands hommes étoient en quelque forte des
temples, du milieu defquels leurs ombres tutélaires
veilloient encore au falut de la patrie.
On donnoit quelquefois à ces villes funèbres le
nom de Champs Elyjéens. Même après des fiècles
de deftruâion, on ne fauroit fans émotion^ vifiter
ceux qu’on trouve autour des villes dePouzzolen
Italie , ôc d’Arles en France.
De tous les lieux de fépulture chez les anciens,
aucun n’a plus de conformité que ce dernier avec
les cimetières modernes. Une grande plaine parfemée
de farcophages, de cippes 6c de monumens funéraires
, offre encore aujourd’hui les veftiges les plus,
remarquables de cette ville détruite.
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Dans les premiers fiècles qui ont fuivi l’établif-
fement du chriftianifme, les cimetières fe pratiquoient
de même hors des villes, 6c fur les grands chemins
; il étoit fur-tout défendu d’enterrer dans les
églifes ; mais ces défenfes falutaires furent abrogées
par l’empereur Léon.
L’ufage d’enterrer dans les églifes ou* dans leur
voifinage, doit avoir eu deux raifons.
On pourroit croire que la première remonte
aux plus anciens ufages même du pagànifine. Nous
voyons chez les Egyptiens les fépultures fe conf-
truire dans le voifinage des temples. On regar-
doit comme un bonheur de pouvoir placer fou
corps auprès des lieux deftinés aux expiations. On
croyoit que la vertu du lieu faint 6c celle des fa-
crincçs avoit de plus près une aâion plus puif-
fante ; 6c peut-être encore dans le refpeâ attaché
aux faints lieux, voyoit - on une fauve-garde de
plus contre les violations 6c les profanateurs. Ce
ne feroit pas la feule opinion qui du paganifme,
feroit paffée dans la croyance des premiers chrétiens.
La fécondé raifon eft l’ufage où furent ces derniers
de célébrer leurs myftères dans les catacombes,
( voyez ce mot ) ou les cimetières, fur les corps des
martyrs 6c des faints. Aufli ce fut dans des cimetières
ou fur des terreins fanâifiés par les corps de
quelques martyrs, qu’on bâtit les premières églifes.
De-là la coutume de ne confacrer aucun temple
ni même aucun autel, fans y renfermer des reliques
de faints.
Le defir de partager la demeure terreftre des
faints, 6c l’opinion piëufement erronée que la célébration
des myftères avoit de plus près une influence
plus efficace, rendirent en peu de temps
les temples de véritables hypogées. Leurs fouterreins
devinrent des catacombes. Bientôt l’empref-
fement de ceux qui vouloient y avoir une place,
6c le peu d’efpace, firent imaginer aux prêtres de
mettre à prix cette faveur. Les églifes furent les cimetières
des riches. La majefté du lieu fe trouva
enfin déshonorée par les images rebutantes des
dépouilles de mort qui en dégradent l'afpeâ, ou
bleffée par les monumens d’orgueil qui infultent à
l ’être qui l’habite.
Les enclos de l’églife furent réfervés à la fépulture
de la multitude, 6c c’eft à ces emplacemens
que convient plus particuliérement le nom de cimetières:
Chaque églife originairement avoit un champ
plus ou moins étendu, confacré félon les rites eccle-
fiaftiques 6c affeâé à la fépulture. Cet ufage , qui
ne s’obferve plus guère en France que dans les
campagnes, eft affez général dans les pays où règne
la religion prétendue réformée. Chaque paroifle
eft environnée .d’un terrein clos, 6c quoique les
inhumations dans les églifes y foient réfervées à
ceux qui peuvent payer ces places privilégiées ,
fes fépultures extérieures ou les cimetières ne manquent
ni de décence , ni de propreté, ni de tcut
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ce qui peut exciter dans l’ame des paflans, des
idées analogues à la nature du lieu.
En Angleterre, les foins de la fepulture ont con-
fervé quelque chofe des antiques ufages. Les cimetières
qui environnent toutes les eglifes , font
parfemés de pierres fépulcrales ., tantôt couchées^
6c placées horizontalement, tantôtdrefféesperpendiculairement
fur le corps de la perfonne inhumée,
ou de véritables farcophages, auxquels il ne manquerait
que la forme des urnes antiques pour donner
l’idée des champs-élyfées, tels qu’on les voit
aujourd’hui dans la ville d’Arles, dont on a déjà
-parlé.
Plus certaines villes fe font agrandies, plus les
emplacemens deftinés aux cimetières publics font
devenus hors de toute proportion avec la population.
Alors l’infuffifance de leur local a mieux fait
fentir tous les inconvéniens de. leurs ufages. Abandonnés
aux clafles les moins fortunées des citoyens
, 6c enfin dénués de tous les fentimens religieux
qui pouvoient leur concilier du refpeâ, ces
fieux fe font transformés en dépôts hideux de cadavres
6c de fquelettes, où ce que f’image 6c l’idée de la
mort, pouvoient avoir d’utile 8c de faiutaire, fe trouve
détruit par tout ce qu’elles y offrent de fétide 6c de
repouffant. C’eft fur-tout des cimetières de Paris que
je veux parler , 6c fans doute on me pardonnera
de ne pas arrêter plus long-temps l’imagination
fur ces defcriptions humiliantes.
Sous tel point de vue que l’on confidèrePufage,
plus que barbare de nos fépultures publiques, re-,
ligieufemeqt, civilement ou politiquement, on n’y
voit rien qui ne répugne à l’efprit bien entendu de
notre religion, à la bonne police des villes., aux.
intérêts de la fociété, comme au refpeâ dû à l’humanité.
De quelque faux prétexte de philofophie
qu’on veuille juûifier ce mépris des morts 6c cette
incurie de fépultures , pour moi je n’y faurois voir,
qu’une de ces nombreufes inconféquences fi difficiles
à concilier avec ,1a civilifation dont certains
peuples fe vantent.
On fe confoleroit facilement des pertes que le
changement d’opinion fur le foin 6c le refpeâ pour
les morts, a fait fouffrir aux arts 6c fur-tout à
l’architeâure, fi l’on avoit gagné en falubritê ce
que l’on a perdu en décoration. ( Voyez Mo-,
NUMENS ).
Il eft vrai que déjà l’oeil vigilant de quelques
princes ( i) , a porté la réforme dans les ufages des
fépultures publiques. Des loix falutaires en rejettant
les cimetières hors des villes, leur ont ôté ce que
les anciens abus offraient de défagréable 6c de dangereux.
Cependant les peuples où ces loix ont commencé
de fe faire entendre,, ont murmuré de la
rigueur inutile du législateur, qui, en contrariant fans,
objet d’antiques habitudes fondées fur les fentimens'
les plus naturels, n’a pas fu concilier avec la faine
(i) L’empereur Jofeph I I , & Léopold , grand duc de
Tofcane.