Ce que Bernin fit de plus remarquable fur la
fin du pontificat d’innocent X , c’eft le palais de
Monte Citorio pour le prince Ludovifi, qu’innocent
XII deftina à fervir de palais de juftice. C’eft
un vafte corps de bâtiment dont la façade préfente
une ordonnance affez noble. On ne fait pas les
raifons qui .purent engager l’artifte à rompre la
ligne de Ion plan, de manière à décrire une portion
de cercle, ou plutôt un poligone dont les angles
font très - obtus , enforte que cette façade paroît
compofée de cinq corps de bâtimens, aux angles
defquels règne un ordre corinthien, qui ne fe trouve
point répété dans le refte de l’ordonnance générale.
Le pontificat d’Alexandre VII ne fut pas moins
favorable aux arts & à notre artifte. A peine élevé
lur le fiège de S. Pierre, il manda le Bernin, &
lui communiqua le defir qu’il avoit de décorer
d’une manière aufli grande que magnifique., les
avenues de la bafilique du Vatican. Tous les
jours il l’admettoit à fa table, & après le dîner on
tenoit en fa préfence des conférences favantes
dans lefquelles Bernin faifoit briller fon efprit. Le
pape le déclara fon archite&e, ainfi que de la cham-
\bre apoftolique ; chofe qu’on n’avoit jamais vue,
parce que chaque pontife ayant le lien, lui don-
noit ordinairement cette place. Dans la fuite on
refpeôa l’ufage établi par Alexandre VII.
Les magnifiques portiques de la place de S.
Pierre furent bientôt entrepris. C’eft la fameufe
«solonnade qui feule eût fuffi pour immortalifer
^e nom du Bernin, fous lequel elle eft aufli connue
, que fous celui de S. Pierre. Depuis les vaftes
entreprifes des empereurs romains, où les richeffes
de l’univers étoient venues s’engloutir, jamais l’ar-
chite&ure n’avoit rien produit de fi grand & de fi
fomptueux ; peut-être même eft-il permis de
douter que l’empire romain ait jamais offert pour
la décoration d’aucun édifice, un enfemble aufli
riche. A peine les temples de l’Egypte, & lés
merveilles de Thèbes ou de Memphis, dans leurs
ruines immortelles, font-elles foupçonner dés efforts
aufli prodigieux : à peine ces magiques tableaux
qu’enfante le génie des poètes, donnent-ils une idée
du véritable enchantement qu’éprouve au milieu
de cette place, le fpe&ateur tranfporté dans la région
des preftiges. Cette entreprife, la plus grande que
les fiècles modernes puiffent oppofer à l’antiquité ,
avoit été projettée par Michel Ange. Bernin cependant
y réunit au -mérite de l’exécution celui
de l’invention dont on ne fauroit lui contefter
la gloire. Si la première idée d’une vafte place
avoit été conçue avant lui, il lui étoit réfervé de
réfoudre toutes les difficultés que l’imagination
n’apperçoit pas d’avance, ou que la folution du
problème fait compter pour peu de chofes, quand
le génie les a applanies. ( Voye^ au mot Colonnade
la defcription de ce grand ouvrage).
L’hiftoire de ce célèbre artifte demanderoit celle
du temple de S. Pierre. Il eft plein du Bernin &
de fon génie. La chaire de S. Pierre placée au
fond de l’hémicycle, eft encore de fa main : c’eft
après le Baldaquin , le plus grand ouvrage de
bronze connu. Il avouoit modeftement n’avoir
réuffi que par hafard dans l’accord fi jufte & f,
heureux des proportions du Baldaquin. Ses grands
fuccès ne l’avoient point rendu préfomptueiix,
A peine eut-il achevé de placer les quatre co-
lofles qui foutiennent la chaire de S. Pierre \ qu’il
alla trouver André Sachi, peintre célèbre, & le
prier de venir avec lui pour juger l’effet de fon
ouvrage. Le peintre, d’un caràâère mélancolique
& auftère , fe rendit avec peine à fon invitation.
Arrivé à S. Pierre, il s’arrête à^la porte de l’èglife.
C'efl d'ici, lui dit-il, qu'on doit juger le monument.
Bernin eut beau le prier d’avancer , il ne voulut
jamais faire un pas de plus .■ Vos figures , lui dit-il
devroient avoir un pied de plus , & il s’en retourna.
Bernin s’apperçut que la critique d’André Sachi
étoit jufte, mais il n’y avoit plus de remède.
Le grand efcalier qui conduit au portique de
S. Pierre, & qu’on appelle fcala regia, fut peut-
être l’ouvrage du Bernin, qui, de fon temps, échappa
le plus à la critique. Il fut aufli celui qui lui
demanda le plus de peines & de foins. L’endroit
où Sixte IV l’avoit fait conftruire étoit très-obfcur.
-Ori ne pouvoit point démolir les anciennes murailles
, parce qu’elles foutenoient la chapelle Pauline
, la grande-falle & la chapelle Sixtine. On
abattit cependant l’ancienne falle, quelques-unes
des murailles voifines ; & tout l’édifice étayé refta
en l’air pendant long-temps. C’eft un tel lieu que
notre artifte eut le talent de métamorphofer en
un bel efcalier très-doux , très-bien éclairé & décoré
par des^ colonnes ioniques. La voûte eft ornée
de rofaces & de compartimens en ftuc. A voir
ce magnifique efcalier, on ne diroit jamais qu’il
ait été adapté à un emplacement donné , & le
plus ingrat qui puifle fe rencontrer ; le lieu paroît
au contraire, avoir été fait & difpofé pour
l’efcalier.' Lé principe de Bernin étoit que l’habileté
de l’archite&e confifte principalement à tranf-
former en beautés réelles, les défauts même d’un
local ingrat. Jamais il ne le mit en pratique d’une
manière plus heureufe & plus brillante. Aufli fes
ennemis, même avouèrent que cet efcalier étoit
le moins mauvais de fes ouvrages d’architeélure.
On y a de tout temps admiré l’effet de perfpeftive
qui en fait le mente aux yeux de bien desper-
fonnes. On fait que les deux rampes dont il eft
compofé y vont en fe retréciflant. Il peut être
permis de croire cependant, que cet effet ne, doit
-jamais avoir lieu dans les ouvrages réels de l’ar-
chiteâure; que la nature y produit affez les ilhi*
fions optiques, fans que l’art, anticipant fur fes
moyens, cherche à les prévenir, ou à les exage*
:rer ; & que l’artifice du peintre néceflaire & vrai
dans l’imitation qu’il fait des objets réels par
des lignes fur une furface plate , n’eft, dans j»
réalité de l’architeâure, qu’un menfongemal-adroit,
-ou tou* ^ moins, lin pléonafme inutile de l’art,
qui affaiblit l’effet même qu’il croit augmenter.
4 Outre le mérite que le Bernin eut dans la com-
pofition de cet efcalier, on ne peut s’empêcher d’ad-
mirèr l’art avec lequel il fut unir tant de parties
d’un enfemble aufli vafte que celui de S. Pierre-,
de fon périftile, de fa colonnade, de l’efcalier du
Vatican ; de manière que toutes ces chofes, faites
en des temps fi éloignés les uns des autres, fruit de
tant de génies drfférens, ne paroiffent que le réfultat
d’un feul plan. On diroit que la nature eût exprès
formé le Bernin, & l’eût produit pour mettre l’accord
dans tout ce vafte tableau, & en fondre en
quelque forte toutes les parties, toutes les nuances ,
•enfin, pour y mettre ce que l’on appelle l’enfemble.
Les deux ftatues équeftrcs qu’il plaça aux deux bouts
du périftile de S. Pierre, dont l’une repréfente
Charlemagne , & l’autre Conftantin, agrandiflent
encore le vafte coup-d’oeil de ce veftibule, & donnèrent
lieu à une décoration magnifique à l’entrée
de l’efcaiier. L’on peut lui reprocher dans ces objets
un goût peu fage & peu correâ. En général
le Bernin paroît s’être plus attaché aux grands
partis de l’effet dans la décoration, qu’à la pureté
des formes. Mais la grandeur des idées corapenfe
toujours en lui lesx négligences du ftyle.
Les grands travaux de S. Pierre n’occupoient pas
le Bernin tout entier. 11 conftruifit encore, par ordre
du pape, plufieurs édifices , parmi lefquels on dif-
tingue le palais des faints apôtres, qui appartient
aujourd’hui au duc de Bracciano. L e rez-de-chauffée
eft orné de refends, dans la hauteur du foubàffe-
ment, fur lequel s’élève un ordre de pilaftres com-
pofites. Il comprend la hauteur des deux étages
dont le palais eft formé. Les fenêtres du premier
étage font d’une belle proportion ; elles font ornées
de frontons foutenus par des colonnes, dans le
goût de celles du palais Farnèfe. O n ne parle
que de celles -de l’avant-corps du palais ; car les
deux arrière-corps font plus Amplement décorés.
Les croifées du fecond étage ., paroiffent avoir
été compofées par un autre architêéle très-inférieur
à Bernin ; le goût en eft bizarre & mefquiii.
L’entablement eft r ic h e , mais lourd & con fus,
& en général mai profilé. La frife eft remplie
de groffes confoles d’un mauvais co n to u r , & de
eaiflons entremêlés, qui ne laiffent aucun repos à
la vue. Cependant la maffe générale de ce palais
eft élégante , & fon ordonnance a quelque chofe
de riche. Nous ne dirons rien du refte , qui i f appartient
point, à Bernin, le plan étant de Carie
Maderne.
Mais un des jolis monumens du Bernin, & le
terme de joli doit lui co n v en ir , eft l’églife de S.
André à Monte - Ca va 'llo, o u le noviciat des Jé-
fuites : Pexterieur offre un parti pittorefque & v a rié;
la maffe générale même en feroit belle,, fans
les contreforts en manière-de confoles ou d’ enrou-
emens, dont Futilité peut à peine juftifier l ’afpeét
défagréable qu’ils forment autour de la coupole.
Archite&ure. Tome I,
Le-petit porche d’ordre ionique qui eft fur un plan
circulaire, quoique affez élégamment penfé , ne
laiffe pas de paroître hors d’oeuvre : l’amortiffement
qui le couronne eft bizarre; & ce grand cartel, placé
au milieu d’un fronton coupé , ne fauroit trouver
grâce aux yeux de l’homme de goût. Deux murs ,
dont le plan eft circulaire, accompagnent la façade
, & lui font comme une efpèce de petite
place. L’intérieur du monument eft une coupoie
ovale, bien difpofée, & décorée par un ordre
corinthien. Cinq chapelles, y comprife celle du
fanâuaire vis - à - vis la porte. d’entrée, font pratiquées
autour de cette rotonde, dans l’enfoncement
des murs; elles font entremêlées de portes,
au -deffus defquelles fe trouvent des tribunes.
Les piédroits des arcades que forment les chapelles
font ornés de. pilaftres. Il n’y a de colonnes
qu’au maître autel. La coupole eft portée
par l’ordre, & diftribuée en compartimens formés
par les côtes de la voûte qui répondent aux
pilaftres. De beaux caiffons exagones en ftucs
dorés , forment fa principale décoration. Elle fup-
porte une lanterne. L’exécution de ce monument
n’en eft pas le moindre .mérite, ni le moins
admiré par les maîtres de l’art : mais ce qui enchante
tous les yeux, c’eft l’heureux emploi des
plus beaux marbres, dont le Bernin fut tirer un
effet aufli riche que varié. Les pilaftres de marbre
blanc fe détachent fur un fond de marbre roifge
de la manière la plus douce & la plus harmo-
nieufe. En voyant cet ouvrage, il faut convenir
que fi la richefle & la beauté de la matière ne
font point le mérite intrinfèque de Farchite&ure ,
elles y ajoutent beaucoup , & fervent encore plus
à compenfer ce qui manque quelquefois du côté
de l’exa&e régularité des proportions, & de la
févérité desTormes. L’églife de S. André préfen-
teroit à la critique plufieurs points répréhenfibles ,
& plus d’un objet condamnable, tels que l’apo-
théofe du faint, au milieu d’un fronton mutilé ;
le trop de mouvement dans les acceffoires de la
décoration de ces enfans, qui fupportent des guirlandes
, 8c femblent ne plus appartenir à l’archï-
te&ure; d’autres détails minutieux & irréguliers :
enfin , on pourroit lui faire, ainfi qu’en général,
aux ouvrages du Bernin, le reproche d’un peintre
de l’antiquité à çe tableau d’Hélène, couverte de
colliers & de bracelets : mais il fembie que la ma*
gnificence du total impofe filence à la criîkjue ;
que la grâce de ce. charmant édifice fafle oublier
fes défauts ; &- qu’il n’appartiendroit qu’à la mau-,
vaife humeur de vouloir les faire trop appercevoir, \
La rotonde que Bernin bâtit à la Riccia, bourg«
firué à quatre lieues de Rome, eft moins magni-«
fique du côté de la matière : mais le parti en eft plus -
grand, la forme plus fage, & les détails en font plus
réguliers. L’extérieur fe compofe d’un porche affez
Taillant, formé par des arcades doriques , auquel^
correfpondent deux corps de bâtimens de même
ordonnance, qui donnent entrée à des portiques-
Mnj