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Nous ne nous étendrons pas davantage ici fur
toutes les obfervations de goût & les maximes de
convenance dont Y architecture trouve la raifon &
l’explication dans 1 a cabane , qu’elle s’eft impofé
la nécefftté de repréfenter, Nous avons affez fait voir
que cette cabane , 'fo it qtfelle ait reçu de fes premiers
inventeurs, toute la perfection & toute la régularité
q u o n lui fuppofe , foit qu’elle ,ait été com- '
pofée après coup par l’art qui fe fit & fe donna volontairement
un modèle, eft devenue la fource de toutes
les beautés dont elle contenoit le germe, fource toujours
féconde, ou l ’art ne doit pas défefpérer.de puifer
encore de nouvelles riclielTes. Nous avons indiqué
comment cet art remontoit en quelque for te , quoique
par une ligne indirecte , à la Nature : fuivons en le
développement dans la Grèce , fon pays n a ta l, où
un nouveau genre d’imitation devoit l ’aflimiler en
quelque forte à la Nature même.
L 'architecture jufqu’ici ne s’eft préfentée à nous'
que dans les types groffiers qui én conftituent, fi l’on
peut dire, le fquelette. On a vu cet art , créateur de
lui même, fe donner en quelque forte un corps , &
les caufes les plus heureufes concourir à fa formation.
Cependant l’imitation dont on a parlé jufqu’à
préfent ne l’eut jamais élevé au rang des arts imitateurs.
Il lui falloit , pour y parvenir , une efquiffe
déjà préparée, & difpofée à des formes plus choifïes
& plus parfaites : & le fquelette de bois que nous
venons d’examiner , fut la préparation la plus heu-
reufe à l’accroilTement qui devoit furvenir. C ’étoit
une ébauche bien commencée, qui n’attendoit plus de
l ’ouvrier que la perfection dont elle étoit fufceptible.
O n peut affirmer, d’après ce qu’on a dit plus h a u t ,
qu’aucune autre n’eût offert à l’art des moyens d’em-
beiliffement auffi sûrs & auffi variés. Mais il falloit le
concours des autres arts , imitateurs direéts de la
Nature , pour faire fortir Y architecture du point où
elle feroit reftée fans eux. Jufqu’ici elle reüemble à
la ftatue de Pfométhée • qui attend le mouvement
& la vie du flambeau de Minerve. C e mouvement,
qui vivifie en quelque forte Y architecture, va lui
être communiqué par ces arts q u i, 1 aflociant a eux,
la feront participer à leur commune imitation. L ’imitation
exio-e une connoiflance d’objets variés, le choix
& l a comparaifon de plufieurs modèles: Y architecture
jufques là n’en avoir pu fuppofer même la poflibilité.
Rêftreinte aux formes commandées par le b e fo in ,
elle n’a fuivi que les groffiers rapports que l’inftind
feul lui faifoit appercevoir. Elle pouvoir en refter à
ce point chez les G re c s , comme il eft arrivé chez
bien des peuples où elle n’eft point fortie de l’enfance.
Mais le fol heureux de la Grèce ne pouvoit être
infnnftueux pour aucun art. Sous le ciel le plus beau,
au milieu des înftiturions politiques & civiles les plus
favorables au génie , la fculpture, marchant à pas
lents mais sûrs , avoit fuivi une route jufqu’alors
inconnue. S’élevant par dégré de l’indication des
fignes les plus informes, à la diftinétion des dimen- <
fions principales dans les termes, des termes ou hej> 1
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mès , aux figures appellées dédales, elle étoit enffa
parvenue à la connoiflance raifonnée du corps de I
l’homme & de fes proportions. Cette imitation rai- I
fonnée du corps humain fit appercevoir à Y architecture, I
finon un modèle nouveau, au moins une nouvelle
analogie de modèle. Elle y vit une fimilitude de prin- I
cipes qu’elle pouvoit s’approprier , 8c elle parvint I
par l’application de ce fyftême- de proportions & de I
rapports naturels à fe faire adopter de la Nature, I
qu’elle fçut en quelque forte tromper par cette reffem- I
blance.
Dans la formation & l’imitation des types , Y ar- I
chittClure n’avoit connu que les Amples dimenfions I
de la néceffité j il lui falloit un modèle de propor- I
tions applicables & conformes à cette première difpo- I
fition ; & qui, fans en contredire l’efprit, pût en em- I
bellir la forme. L’application dés proportions humai- I
nés pouvoit feule parvenir à ce but : il fe rencontra I
une telle analogie entré les premiers effais de l’ébau- I
che , & les moyens de la perfectionner , qu’on feroit I
tenté d’y voir, moins un concours foicceffif & inopiné I
de caufes dues au hazard, qu’un fyftême réfléchi,
prémédité & calculé d’avance. Cependant l’expérience I
nous prouve que toutes les inventions des hommes I
. font dues au hazard , c’eftrà-dire à cet enchaînement I
invifible de caufes qui font liors de la portée & de I
la prévoyance humaine ; & Y architecture , plus que I
tout autre art , fut fubordonnée à cette influence I
fecrète qui eft en quelque forte le deftin des arts. I
Mais on doit obferver, en comparant tous les com- J
jnencemens des arts chez les Grecs , que déjà ils por- [
tent en eux le germe de la perfection. On ne voit pas I
qu’aucune caufe eût pu les empêcher d’arriver à leur :
maturité. Sans jamais rétrograder, comme il eft arrivé I
chez les nations modernes qui ont reçu du Gothique I
un principe vicieux , tous les arts, dès leur origine , |
marchent en Grèce d’un pas sûr , & décrivent fan s I
vacillation le cours qu’ils doivent naturellement Cuivre. [
Ainfi les groffières repréfentations de Thefpis préfa- [
geoient les chefs-d’oeuvre de Sophocle.
h'architecture conftituée & fondée fur les types de
la charpente, offrit de même dès fon origine, à l’art I
de l’imitation un champ- fertile , qui n’attendoit que I
des circonftances plus favorables, & une culture plus f
heureufe. La fcience des proportions ’ devoit achever I
l’ouvrage. L ’on fentit ,qu’on pouvoit améliorer les |
formes de la charpente en les refondant, fi l’on peut |
dire, & les rapportant à des points de comparaifon I
d’un autre genre : & l’homme n’en trouva point |
de plus parfait que lui-même. On vit qu’en imitant |
le plan, la difpofition , les convenances & les moyen» |
que la Nature a employés dans fon plus bel ouvrage, I
l’art rivaliferoit en quelque forte avec elle. On comprit I
qu’un édifice , ordonné d’après le même efprit & le I
meme principe que la Nature fuit elle-même, feroit I
beau comme elle, & plairoit par les mêmes raifons
quelle nous plaît. Dès lors, on vit dans un édifice un
corps qui devoit avoir fes membres , fes divifions „ [
fe.s parties fubordonnées à l’enfemble. L ’on obferva |
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que la Nature a tellement difpofé le corps de l’homme
, qu’il y exifte une corrélation néceflaire de la
plus légère partie au tout. On ne voulût dès lors
admettre dans Y architecture que ce dont on pourroit,
comme dans la Nature , juftifier ùn emploi néceflaire
& dépendant d’un ordre général.
C e fut fur ce nouveau plan que fe rédigèrent toutes
les formes inventées par le befoin, & confacrées par
l’imitation des type$_, mais dont l’emploi n’avoit
point encore trouvé de bafe dans une raifon & un
ien riment éclaires. A in fi, cette heureufe divifion du
nombre tro is , cette partition ternaire qu’on remarque
dans la cabane, va déformais fe fonder fur la Nature,
même, dans les ouvrages de laquelle cette même divifion
eft généralement adoptée. L ’architecture, dit M.
d’Hencarville, fe compofe de trois parties : la colonne',
l’entablement & le fronton, auxquelles on ajouta
dans la fuite le foubaffement. Chacune de ces trois
parties fe fubdivife en. rrois autres. L a raifon de cette
divifion eft qu’elle feule peut donner le plus grand
nombre de rapports que l’oeil puiffe faifîr tout à la
fois , & obferver avec attention fans trop fe fatiguer.
L a Nature avoit donné à la fculpture une mefure
déterminée de rapports , une échelle de proportions
du corps humain qui prife, foit dans le pied , foit
dans, la tête i fervoit de module à la figure : elle
régloit les nuances les plus légères de proportions en
érabliffant un accord confiant des parties, indépendant
des variétés des modèles & des erreurs de la vue.
L 'architecture , à fon iiiftar, s’en créa un femblable,
qui dans le Dorique fut le triglyphe , & dans les
autres ordres, le diamètre de la colonne. Dès lors, un
édifice devint une efpèce d’être organifé , fubordonné
à des loix confiantes dont il trouvoit en lui le principe
& la raifon. Il fe fit un .code de proportions qui
affigna à chaque partie fa mefure & fon rapport, en
raifon des variétés du tout enfemble 5 lia tellement
le tout à la partie , & la partie au tou t, qu’il les mit
dans une dépendance réciproque , faite pour afsûrer
entr’eux un accord inviolable. L ’étude approfondie
du corps humain dans toutes les variétés, avoit fait
appercevoir à la fculpture ces différences-d’âge & de
Nature qui formèrent les divers modes que Polyftete
avoit fixés dans fon traité des fymétries, & dont les
ftatues antiques nous ont confervé les règles vifibles.
L 'architecture s’en forma de pareils dans l’invention
des ordres. C es modes fe réduifent à trois : l’un exprime
la force, l’autre la grâce , le troifiéme, par la réunioa
des deux autres qualités, exprime la nobleffe & la
majefté qui en reluirent.
Te lle fnt donc la marche de Y architecture. C e fut
en s affimilant encore à un autre modèle qu’elfe parvint
a en trouver un beaucoup plus parfait que le
premier. Il eft inutile de remarquer qu’elle ne fe calque
jamais matériellement fur fon modèle : elle n’en fait
qu une copie iritelleétiielle. L ’imkarion du corps humain
n’y eft pas une imitation pofitive , mais une
mutation figurée. C e n’eft jamais la forme que YarchiÀ
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teCtare s’approprie , mais les rapports, niais les raifons
qui y font contenus. A u fli, lorfque Vitruve nous dit
que l’ordre Dorique fut fait à l ’imitation du corps de
l’homme , & l’ionique à celle du corps de la femme ,
il faut /entendre que c’eft une imitation d’analogie &
non de reffemblance. C ’eft ce qu’il donne à comprendre
, lorfqu’il ajoute qu’on imita dans, l’un la fimpli-
citre nue & négligée du corps de l’homme, & dan*
1 autre là délicatefle & la parure de celui de la femme.
Mais lorfque, pouffant trop loin cette comparaifon, il
trouve de îa fimilitude entre la colonne fans bafe & le
piednud de l’hpmme, entre la bafe ornée de l’ionique,,
& l ’élégante chauffure des femmes , entre les plis de
leurs robes , les boucles de leurs coéffures , leurs
bracelets , & les volûtes ou les cannelures Ioniques,,
que devons nous en penfer ? Que c’eft un abus de
raifonnement qui en bannirait la raifon , ou bien une-
allégorie ingénieufe faite pour déguifer une vérité j
mais q u i , comme toutes les allégories, peut tendre
à l’altérer & à la dénaturer,
D ’autres ont encore été plus loin : par des rappro-
chemens faétices & abfurdes , par l'interprétation-
de cette imitation prife à contre-fens, ils ont voulu
voir dans le chapiteau d ’une colonne la tête de l’homme
, fon corps dans, le fu f t , &c. L ’on peut juger d e
toutes les ap fur dites d’un fyftême ainfi perverti par
de fauflès & puériles inductions.-Ainfi, pour vouloir
être trop , ou mal à propos conféquent, on tombe-
dans les plus grandes inconféquences, & l’on jette dix-
ridicule fur les vérités les plus importantes : car la.
vérité perd plus à être mal défendue qu’à ne l’être-
point.
I l eft évident que cherchant un modèle de proportions
à appliquer à l’ébauche groffière de 1 a charpente
, l’homme ne pût & ne dut pas en trouver un
plus fenfible , plus à fa portée -, plus analogue 8c
plus heureux que le corps humain. Cette analogie
même eft fi naturelle q u e , pour faire l’éloge du corps
humain, on le. compare à un édifice bien difpofé r
& de' même YarchiteCtu're ne plait aux yeux qu’eu raifon
du plus ou du moins de fimilitude avec les principes
de proportions de la Nature. V iituv e nous
le dit formellement : un bâtiment ne peut être bien
ordonné, s’il n’a cette proportion & ce rapport de-
toutes les parties les unes à l’égard des autres qui
fe trouvent dans celles d’un homme bien conformé.
Non potefl cédés idla fine fymetria arque proportions
rationem hahere compofitïonls, nifi uti adhominis benc
figurati membrorum habuerit exaCtam rationem.
C ’eft dans ce livre vivant de proportions, toujours
ouvert en Grèce aux yeux de l’artifte, que les archi-
teftes trouvèrent ces combinaifons heureufes r ce*
rapprochemens de moyens , ces nuances délicates de
caraâ èïe qu’ils tranfportèrent à Y architecture. C e fu t
par là que cet a r t f i peu fufceptible en apparence
de loix fixes, parce que fon modèle eft invifible, parvint
cependant , non feulement à fe créer des loix
mais même à en donner aux autres arts „ «font il fe
rendit le modérateur. Cependant ces lo ix de p ropot