& ce n’eft que d’après des impreffions Superficielles
qu’on apprécie l’art de la Chine en Europe, comme
peut-être en Chine on juge notre goût & les inventions
européennes. f
La première de toutes les confiderations, lorsqu’on
prétend juger des arts d un peuple, doit
tendre à juger ce peuple lui-meine, les habitudes
de fon efprit, Ses facultés , leur direétion habituelle
, & le rapport de Ses arts avec fes befoins
comme avec fes. plaifirs. _
n y a fans doute de peuple à peuple les mêmes
différences que l’on remarque d’homme a homme;
car la nature , infinie & incalculable dans fes
effets, Semble plus bornée dans fes principes, &
les mêmes caufes s’appliquent aux plus grands
rapports comme aux plus petits. L’on remarque que
les hommes reçoivent de la nature une qualité
dont la mefure, bien inégale fans doute, conflitne
prefque toute la différence qu’on trouve entre eux,
entre leurs facultés & leurs ouvrages. Cette qualité
eft la pafcflitilité ou le pouvoir de fe perfèâionner
& de s’améliorer. Elle eft, en quelque forte, le complément
de toutes celles que L’homme a reçues de
préférence aux animaux. On fait, & il n’eft pas
néceffaire de dire ici d’où elle réfùhe. Mais ce
qu’il importe de reconnoître', ç’eft que le plus ou
le moins de cette faculté , qui n’eft , en quelque
forte, que la r&âion de l’efprit fur lui-même, décide
, dans prefque tous les hommes, & de leur
aptitude à certains emplois plus qu’à d’antres , &
du progrès qu’ils font capables d’y faire. A in fi,
Fon remarque dans certains hommes une trempe
«Fefjuit courte &. fans flexibilité , qui ne peut
s’appliquer qu’à ces profeffions - où la routine
difpenfc de toute réflexion , où le travail de ht
main ne concourt jamais avec celui de la penfée,
& quin’exïgênti ni comparaiïôns, ni rapprochemens ,
ni le pouvoir, ni le defir de changer & d’innover.
L’on obferve que la trop grande mobilité de l’efprit
produit chez d’autres des réfultats à-peu-près fèm-
blables ; c’eft-à-dire, que la grande maffion de
l’efprit & fon exceflive aétivîté lui ôtent cette propriété
de réagir fur lui - même & d’améliorer fes
produirons; ,
C e qui eft vrai chez les individus , ne Feft pas
moins dam ces affemblages d’individus qu’on appelle
peuple ou nation. Seulement il fe joint aux caufes
naturelles qui forment le fond dtr caraâère & des
habitudes d’un peuple , des raifons politiques ou
morales qui tendent à rendre fbuvenc encore pins
fenfibte & plus durable cette propriété à tel goût, à telle manière de faire dans les arts, ot qui
donne à leurs produits cette apparence mécanique
jdê la routine plutôt que du goût.
Quand on confidere le point auquel fe font
arrêtés, depuis tant de fièdes, les arts d’imitation à
la Chine, il faut néceffairement conclure, quelle
qu’efi'foit la caufe , que le peuple chinois manque
de cette faculté dont on a parlé, & qui a porté
ailleurs les arts à une fi haute per.èâion. En parlant
des arts de FÂfie, au mot Architecture asiatique,,
j’ai rendu compte de quelques-unes des caufes qui,
dans ces contrees^avoient influé de tout temps fur les
produits de l’imagination. Mais j’ai annoncé au fit.
qu’une région fi immenfe & fi peuplée, foumife
à la cliverfité des climats & des goirvernemens,
nous offriroit des nuances différentes. Et le peuple
chinois en forme une bien diftinâe.
En effet, fi l’on compare ce qui a été dit de
l’architeâure de l’Inde avec ce qu’on a vu déjà de
Varchitecture chinoife, & fi l’on met en parallèle ce qu’on
connoît de la décoration & des arts d’ornemens des;
deux pays, on verra entre eux cette différence
qu’on a déjà fait fentir au commencement de cet
article, èntre le goût fantaftique & bizarrement
hardi de l’arabefqne & la timide monotonie de
l’imitation monochrome.
Nous avons vu dans les produétions afiatiques
l’intempérance de toutes les idées, & l’exubérance
de l’invention, portée au plus haut degré. Et nous
voyons à la' Chine l’effor de toutes les inventions’
comme comprimé & refferré par Pétat de mécanisme
& de fervitude où font réduits les-arts, d’imitation.
On a peine à croire ,. par les copies de feuillages ,
de rinceaux , dont les peuples de l’Inde forment leurs
décorations, qu’une imitation tant Soit peu exaâe
des plantes , des fruits , des arbres & de tous les
objets qu’ils y entaffent, préfide à leur exécution.
Un peintre européen raconte que f peignant à la
Chine, au palais des Lien-hoa , fur le devant d’un
grand payfàge „ un peintre chinois lui obferva qu’il
avoit mis quelques, fibres & échancrures de moins
dans les feuilles. Ce trait eft earaâériftique du goût
i & du genre d’imitation de la Chine. J’en ajouterai
encore un qui me difpenféra de toute réflexion.
Un peintre chinois doit lavoir combien une carpe
a d’ecailles entre tête & queue, quelle différence
il y a entre la teinte des feuilles d’une plante
épanouie & celle d’une autre qui oe commence
qu’à fleurir; Les peintres, comme on fe voit T
etudient la nature en naturaliftes plus qu’en ar-
tiftes.
Maintenant,qu’on fe fouvienne* que nous avons
dit que dans L’Inde jamais l’arclüteéhïre n’avoit pu fè
foumettre à aucune r è g l e & qu’au contraire a la
Chine il y avoit des mefures,. non - feulèfnent de
bienféance pour les diverfes fortes de bâtimens &r
de palais, mais de police pour toutes les parties
des édifices ; qu’ennn tout eft aufli uniforme &
réglé dans un pays. * qu’irrégulier & désordonné
dans Fautrer qu’on veuille Bien fonger en outre
que jamais* dans l’un & dans l’autre pays, jfes arts
n’ont fait de véritables progrès, & qu’ils y font
reftés , depuis un grand nombre de fîècks, dans; ce
même état d’enfance. Je doute qu’on, puiffe en-
■ rendre d’autres raifons que celles, qu’on a énoncées-
: plus haut. B ûie fémbfe que les caufes phyfiquôs
; & morales ont condamné Féfprit de ces, peuples,
à relier dans un cercle toujours le jpênie.* & dans
lequel la grande force d'une longue habitude fuffi-
roit pour l’y enferiner à jamais.
Mais à la Chine toutes les inftitutions fociales
ont contribué à appauvrir & atténuer de plus en
plus tous les germes de l’invention & tous les
procédés de l’imitation. Si l’on en croit ceux qui
veulent juftifier la Chine des reproches d’ignorance
dans les arts, le gouvernement ne les enyifage que
finis les rapports de tonimerce & d’utilité. L’on
s’y eft oppofé même à tout ce qui pourrok les
faire fortir d’un état où l’on trouve qu’ils fiiffifént
à l’agrément, où ils offrent des refiources nom-
breufes à l’induftrie. Ce n’eft pas le lieu de pefer
de femblables raifons en elles-mêmes,' ni le degré
d’application qu'on peut en faire à la juftification
des Chinois. Il me uiffit que ces raifons concourent à fortifier l’opinion que j’ai des arts a la Chine,
& celle qu’on doit concevoir du fyftême de leur
architeâure, dans[fes principes, fon caraâère & fon
goût ; I
lîraçonnerie pour enfermer le bétail ; & tel a dû
être, en effet, le premier pas de la vie paftorale &
ambulante vers la vie fédentaire. Quand on con-
fidère, en général, une ville chinoife, on voit
que ce n’eft proprement qu’un camp à demeure*.
L’immenfë étendue des villes prouve que leurs
maifons font trop peu folides pour fupporter plu-
fieurs étages.
Et d’abord , par le mot de principes qu on n aille
point croire qu’il s’agiffe ici de ces règles de
convenance & de vérité que l’obferyatipn de la
nature & la comparaifon de fes analogies avec
f architeâure ont appliqué au fyftême raifonné des •
Grecs. On l’a dit affez : les règles de l’architecture
chinoift n’ont rien de relatif à un pareil ordre de
chofes. Les bienféailces fociales d’une part, la routine
des ouvriers de l’autre ; voilà ce qui a fait & voilà ce
qui perpétue les formes générales & partielles des
édifices ; voilà ce qui décide, depuis fi long-temps,
de l’invariabilité du caraâère & du goût qu’on y
©bferve.
Par principes, jentends parler des caufes primitives
qui ont pu donner naiflance à cette architeâure.
Le caraâère & le goût dans toute architeâure ne
font que des réfultats néceffaires de ces élémens.
Un favant, qui a jugé les Chinois & leurs arts avec
plus de fubtilité que de profondeur, & qui,
malgré l’efprit très-philofopKique de fes recherches ,
eft tombé plus d’une fois dans L’inconvénient dont
j’ai parlé au commencement de cet article , d’appliquer
les mefures de notre goût à des objets qui y
font effentiellement étrangers, M. de Paw eft néanmoins
celui qui a le mieux faijfi l’efprk général, de
Y architeâure chinoife dans fes principes & fes élémens.
A la Chine , dit i l , on ne faurok fe méprendre
fur l’objet qui a fend de modèle aux premiers bâ-
tknens. On y a contrefak une tente ; & cela eft
très-conforme à tout ce qu’on peut lavoir de plus
vrai fur l’état primkif des Chinois, qui ont été,
comme tous les Tartares, des nomades ou des
fcénites, c’eft-ârdire , qu’ife ont campé avec leurs
troupeaux, avant que d’avoir des villes. C’efV- là
fans doute la véritable origine de cette fingulière
conftruâion de leurs logis, qui liftent fiir pied-,
ïors même qu’on en renverfe k s murailles T parce
qu’elles enveloppent feulement la ch;irpente fans
porter le toit, comme fi Fon avoir d’abord commencé
par faire autour des tentés une enceinte dé
A quelques inexàâkudes prés y fur lefquelles-
M. de Paw a été réfuté par les millionnaires de
Pékin, on ne peut qu’applaudir à la jufteffe de ce
rapprochement ;; & fi quelque chofe peut étonner 9.
c’eft que cè critique, qui a fi bien apperçu l’origine
de VarchiteEture chinoife & fe type primitif de for*
imitation, lui faffe, dans la fuite, fe reproche
d’avoir les qualités qui dévoient effentiellemenr ré-*
fulter du modèle qu’elle fut forcée de copiera
Je trouve bien particuliérement La preuve de cette
origine dans la configuration des toits chinois. IL n e
' peut y avoir que k forme des tentes ati des pavillons^
qui en ait donné l’idée ; & quoique la charpente
fok affujettie , depuisjtrès-long-temps, à ces configu*
rations quand on connoît la marche ordinaire de'
Fefprit humain dans toutes les inventions, & fur-'
; tout dans celles du befoin, on ne fe perfuade point
que dans un pays où la charpente auroit été Far—
ehiteâure primitive-, elfe eût procédé par- des-
affemblages Sc des couvertures tout à- La fois auflÜ
légères <k aufli peu fimplès.
Mais ce qui parort devoir s’éloigner des procédés»
naturels à la charpente, eft tellement de FefTence;
des tentes, que fes combles qu’on fak encore aujourd’hui.
à ces conftruâions mobiles ne faurofen^
différer des toits chinois. Prefque toutes fes c o u vertures
de la Chine font recourbées & arrondies^
par le haut, & rien ne prononce d’une manière'
plus diftinâe la propriété d’une toile qui fiik toutes-
les inflexions de la maki qui la dirige fur fe bâtis'
léger qui lui fert de foutien.
On en trouve encore la démonftration dans las
manière dont les combles font portés par les piliers-
ou colonnes ; rien n’annonce qu’il y ak une pièce'
de bois femblâble à notre architrave , deftinéè v -
comme Fon fait, à fe repofer fur fes colonnes &
à fbutenir les autres pièces de la charpente. Les-
toks débordent ^ au contraire, fur lès colonnes, dont
Fextrémité fupérieure eft mafquée par cette d e s cente
, & c’èft une des raifons du manque dé clia^-
piteaux qu’on y obferve.
Cependant une tente de toiîe ne faurok exifter
fans un bâtis léger de charpente. L’efprit de légèreté
qui devient le caraâère de cette conftruâion, eft?
tellement empreint dans les monumens de la Chine
qu’il' fuffirok feiil à. prouver le fyftême d’imkation'
en queftion. J’ai rendu compte dans là feâion
précédente, des procédés de charpenté employés à la
conftruâion générale des maifons & de Leurs combles.
Je n’y reviens que pour en tirer les conséquences
relatives à ce que j,’ai à établi. On a vu que la
difpofition. des pièces de bois ou de bambou*