
où tous les arts réunis formèrent cette flamme
dont la lueur éclaire encore l’Europe.
Cependant la France offùfquée par fes bâtimens
gothiques comme par d’épaiffes forê ts , ne recevoit
que lentement les reflets de cette lumière. On
la vo it encore , au feizième fiècle , fe débattre
dans l’ombre de la nuit qui commence à fe diffiper.
Mais ces premiers mouvemens annonçoient l’inf-
tant du réveil.*'
Jean Bu liant fu t , fi l’on peut dire , un des précur-
feurs de ce beau jour. Ses ouvrages, mélange affez
informe de la barbarie nationale & des grands
modèles de l’Ita lie , forment la nuance qui fépare
en France le gothique du bon goût. Sous ce point
de v u e , l’hiftoire de cet art in c ne peut qu’être
pré c ie tfe & intéreflante pour ceux qui a’iment à rechercher
dans l’enfance des arts ces traits cara&érif*
tiques dont ils portent toujours l’empreinte , même
dans leur plus grand développement. A u refie, par
l’hiftoirede cet arrifie . il ne faut entendre que celle
de fes ouvrages. On chercheroit en vain des détails
qui lui fufient perfonnels. C e n’efl que par la date
de fes monumens que nous pouvons à peu près
déterminer l’ époque de fa saiuance.
On fe confoleroit encore de cet oubli de l’hiftoire.
Q u ’importe en effet aux grands hommes
qu’orr fixe avec une rigoureufe précifion ces deux
point- où fe renferme l’efpace étroit de la vie? Leur
véritable vie efl celle de la poftérité, qui ne con-
noît ni d a te , ni époque, & dont la mefure ne peut
fe définir. Mais combien l’hiftoite des artiftes devient
fugitive & périffable, lorfqu’à l’oubli de leurs
perfonnes fe joint encore la deftruélion de leurs
monumens ! & combien cette expérience ne doit-
elle pas engager l ’hiftoire à prévenir les révolutions
du temps ! _
Je ne trouve plus qu’un feul veftige du grand
palais que Bullant avoit bâti pour la reine Catherine
de Médicis : c’eft cette colonne fi mal-adroitement
engagée dans les mu fs de la nouvelle balle aux
bleds. Nous en parlerons dans un moment. T o u t
le refie du palais, connu d’abord fous le nom
d’hôtel de la R e in e , & puis d’hôtel Soiffons, a
difparo. pour faire place aux nouvelles conftruc-
tions de la halle & des maifons environnantes. A
peine la defeription de Paris a - 1 -e lle confervé
quelques fôuvenirs de cette grande produ&ion de
notre architecte. On y apprend feulement que
c’étoit un très-vafie afièmblage de bâtimens & de
jardins, & le plus grand palais de cette v ille après
le Louvre.
Au-delà de la grande cour extftoit un parterre
dont le milieu étoit occupé par un baffin de
marbre,que portoient quatreconfoles. O » y v o y a it
une Vénus de marbre d u n e excellente beauté;
c’étoit l’ouvrage de Jean Goujon. A un des coins
du grand jardin étoit fituée la chapelle. Elle étoit
là plus grande & la mieux ornée qu’il y eût à
Paris. Son po rta il, des plus élevés & des plus
j&tgni fiques , étoit couronné par deux clochers ou
campaniles portés fur deux trompes. A u x deux
côtés du p ortail, on admiroit deux feftons qu;
furent faits en concurrence par Colin & Huguenm
deux des meilleurs fculpteurs de ce temps. Cettfc
chapelle qui tomboit en ru in e , a été détruite avec
tout' le refte du palais.
On ne fauroit fe plaindre de la perte des monti-
mens, lorfqu’ils fuccombent fous le poids du
temps, ou lorfqu'un grand intérêt de falubrité,ou
de commodité publique en commande impériéu-
fement la ruine. C ’eft le fort des hommes comme
de leurs ouvrages de fe fuccéder. C ’eft le propre
du génie de triompher de cette fucceflion, & de
l’oubli qui en eft la fuite. D e tous les arts qui
peuvent fauver du naufrage du temps la mémoire
des peuples qui les ont e x e r c é , Farchite&ure n’efl
pas celui qui peut le moins produire cet effet;
mais elle ne le devra qu’au foin des générations
futures, & à leur refpeél pour ces ouvrages qui
deviennent comme les titres de nobleffe d’une
nation. C e foin & ce refpeft ont toujours caractérisé
les peuples amis des arts & jaloux de la
gloire qui en réfulte. Un fentiment contraire
femble avoir été pendant, long-temps celui de la
nation françoife. Son indifférence pour les monumens
, fon mépris pour tout ce qui eft ancienne
peuvent fans doute s’expliquer que par fon amour
inconcevable pour le changement. J’ai été conduit
à cette réfle xion, lorfque j’ai voulu parler de ce
monument unique dans Paris, & fauvé comme par
miracle des mains barbares des entrepreneurs, de
la colonne aftronomique que Bullant érigea, &
qui faifoit un des ornemens de ce palais qui n’efl
plus.
Une tradition populaire veut qu’elle foît un
monument de la fuperftition de Catherine de
Médicis , qui la fit bâtir après la mort de Henri II,
pour fatisfaire fon penchant à l’aflrologie. On
prétend même que cette princeffe y alloit fduvent
étudier avec les mathématiciens & les aftrqlogues
dont elle s’entouroit. J’ignore ce qu’on doit penfer
de l’objet qui donna naiffance- à ce monument.
Mais quant au goût de fon architeéfrire, il n’eft pas
difficile de v o ir qu’elle fut une imitation de celles
que Médieis avoit v u en I ta lie , & principalement
de la colonne Trajane, au moins quant à la eonf-
truélion. D u re fte , elle ne lui reffembleni parles
dimenflons, ni par la décoration. Celles de But-
lant n’a pour ornemens que dix-huit cannelures,
dont les vuides font ornés par efpace de couronnes
, de fteurs-de-lys, de cornes d’abondance, de
miroirs ca ffés , & de las d’amonr déchirés. Le
chiffre ou l’on voit une H & un D avec un croiffant
entrelacés, eft celui Lde D iane de Portiers, mal-
treffe de Henri I I , & que ee roi fit graver fur tous
les bâtimens élevés de Ton règne , & jufques fui*
les autels. C e chiffre fe retrouve à Vincennes dans
l’ églife des Minimes, & fur les pièces d’artillerie
qui ont été fondues de fon temps. Le croiffant,
fymhole de la lune ou de D ian e , eft là comme
celui du nom de baptême de cette ducheffe. C ’eft
ce qui prouveront que cette colonne n’a point été
élevée pendant la viduité de Catherine de Médicis,
mais du vivant de Henri IL . ? .
Elle a douze toifes de h a u t , y compris la bâte
& fon chapiteau, fur neu f .pieds huit pouces &
demi de diamètre par b a s , & huit pieds deux
pouces par le haut. En comprenant fon focl$ &
la fphère qui la furmonte, on compte de hauteur
totale cent quarante-trois pieds. Si la bafe de cette
colonne, le nombre de fes cannelures, la nature
de fes proportions nous annoncent qu’elle eft
dorique ; d’un autre c ô té , fon fo c le , fon chapiteau,
fon couronnement & fa grandeur^ femblent lui
affigner le cara&ère tofean. C ’e f t , à proprement
parler, un mélange de ce's deux ordres toujours
faits pour fe confondre, & fur - tout dans une
colonne folitaire.
Ce lle-ci, comprife dans l’adjudication totale du
palais dont elle faifoit partie, alloit devenir la proie
des entrepreneurs , qui déjà en hatoient la démolition,
lorfqu’un particulier, amateur zélé des
beaux-arts ( M . de Bachaumont ) , conçut le p rojet
de l’arracher de leurs mains. I l l’acheta 1800 l iv r e s ,
& la vendit enfuite à la v ille , afin qu’elle eut le
droit de conferver ce monument, le feul en ce
genre qui fe vo ie en cette capitale.
Comme cet amateur citoyen vouloit plus que fa
Confervation , deux habiles méchaniciens s’étoient
offerts de la déplacer, & de la tranfporter dans le
milieu de la nouvelle halle. C ’étoit la feule occa-
fion de rendre ce monument utile au pu blic, en
le faifant fervir de gnomon ou ftyle d’un cadran
circulaire tracé fur le p avé. La colonne eût eu pour
couronnement un globe p e rc é , par où l’image du
foleil en paffant eût marqué les heures décrites fur
le pavé. On eût joui par ce moyen d’une horloge
folaire infiniment plus jufte que toutes ces méridiennes
tracées fur des murs, où l’inclinaifon produite
par l’affaiffement des conftruftions, &. le peu
de folidité de la tringle qui fert de f t y l e , oc ca-
fionne un mouvement prefque inévitable.
Au re fte , ces projets pour fe réalifer, euflent
demandé dans le bâtiment principal une étendue
qui, proportionnée aux befoins de la v i l le , & telle
que l ’architeéle l’avoit propofée, pût laiffer toute
liberté à l’aire du milieu. Ils moururent dans la
tête de ceux qui les avoient conçus ; chofe affez
curieufe l ce qui d^evoit faire le centre du diamètre
n’eft devenu qu’un point de la circonférence. Un
fentiment de pitié plus que d’eftime permit à cette
colonne ifplée , de s’adoffer contre les nouveaux
bâtimens, & de fe cacher à leur ombre. Sa tête
feule jouit des regards du fo le il, & fixe ceux des
paffâns par un cadran circulaire qui la défigure.
Son focle eft devenu une fontaine.
Telles font les métamorphofes qu’a éprouvé de
nos jours ce monument de Bullant, & l’un des
premiers de l’archite&ure françoife.
De plus grand^ehangemens attendoient encore
un autre édifice de notre arehîfceôe ; je parle du
château des T u ile r ie s , dont il jetta les premiers
fondemens de concert avec Philibert de Lorrne.
On ne fait pas bien au jufte quelle part chacun
d’eux doit avoir féparément dans ce grand ouvrage.
C e qu’on fa it, c ’eft: que ces architeâes
protégés tous deux de Catherine de Médicis qui
les y employa , avoient conçu l’idée d’un palais
bien plus étendu que celui qu’on vo it aujourd’h u i ,
malgré les augmentations qu’il a reçues depuis.
D ’anciens plans que Ducereeau nous a confervés',
nous le repréfentent accompagné de cours latérales
, de baffes - c o u r s , & de vaftes écuries. Le
travail de Bullant & de fon collègue s’étoit borné
au gros pavillon du milieu, aux deux corps-de-
logis contigus, & aux pavillons qui les terminent.
Les deux autres ailes flanquées des deux gros
pavillons qui terminent toute la façade a âu e lle ,
font un ouvrage de Ducereeau. D e chimériques
prédirions dégoûtèrent, à ce qu’on d it, la reine du
palais des Tuileries ; elle en abandonna la conf-
ti.uélion, & fit bâtir par Bullant celui dont nous
avons parlé.
Le palais des Tuileries a tellement changé dans
fon plan & fon élév a tion , dans fes maffes & fa
décoration, depuis fur-tout qu’on imagina de le
joindre à celui du L o u v re , qu’on à bien de la peine
à retrouver aujourd’hui ce qui appartient en propre
à fes deux premiers inventeurs. L ’oeil du
connoiffeur retrouve dans la façade du Carroufet
des caraâères diftinétifs du goût de ce temps. Mais
la façade du jardin a fubi bien plus de mutations.
I l faut avoir fait des recherches fur cet objet pour
favoir qu’il ne refte du gros pavillon du milieu que
l’ ordre inférieur ; que les galeries collatérales fup-
portoient jadis un étage au lieu de la terraffe qu’on,
y vo it aujourd’hui , & qui forme une retraite
confidérable à l’édifice ; qu’enfin des deux pavillons
ornés des ordres Ionique & corinthien, il n’eft
refté que l’ordonnance générale, mais que tous les
détails des niches & les ornemens de l ’étage
fupérieur ont été enlevés & ravalés. Si l’on en
croit J. F. B lon de l, la plupart de ces ornemens ,
ceux-fur-tout de l’étage porté par les galeries, au-
foient été de Bullant. Ils font moins propres fans
doute à faire l’éloge de fon goût qu’à prouver
combien ce fiècle tenoit encore au go th iqu e,
par la recherche puérile des ornemens les plus
parafites, & par leur profufion indiferète fur les
objets qui en exigeoient le moins.
I l feroit inutile de chercher davantage à découvrir
dans l’état aétuel du palais des Tuileries
des traces du génie de Bullant. Elles s’y trouve-
roient confondues avec celles de fes fucceffeurs.
D ’ailleurs, on fait affez communément honneur à
Philibert de Lorme de la première ébauche de ce
palais. Nous renverrons donc à la vie de cet
artifte les détails qui.en confia feront l’origine & les
changemens fucceflifs ; car ce grand monument
o f f r e , comme le L ou vre , autant de manièresdiffe-
X x z