vrages, où la connoiffance des proportions & la
beauté de l’art eft pouffée très-loin, & où les
figures faites pour exprimer enfemble une a&ion
ti’y font placées qu’à la file l’une de l’autre, &
fembîent aiTujetties comme les lettres de l’écriture
ou les phrafes du difcours, à ne rendre que fuc-
ceflivement l’idée qu’elles doivent exprimer. Nous
ne citerons point d’exemples de ce genre, ils font
trop nombreux & trop connus ; la marche de l’art
n’avoit pu encore s’éloigner de celle de l’écriture ;
mais elle devoit enfin fortir de ces entraves.
Le fécond ftyle de l’art des bas-reliefs en Grèce ,
eft celui où les figures , liées enfemble par la com-
pofition, & mifes en mouvement par la fculpture ,
devenue plus hardie, font fufceptibles de repré-
fenter un fujet, & d’exprimer une a&ion quelconque,
à laquelle elles concourent enfemble. Cette
amélioration dans l’art du bas-relief tenoit à la découverte
des plans dont il eft fufceptibie. La fculpture
, comme on peut s’en convaincre, n’en devina
que tard l’heureufe poflibilité ; c’eft-à-dire,
que le bas-relief eut chez les anciens le fort inverfe
de celui qu’il eut chez les modernes : nous croyons
en voir la raifon dans la progreffion très-différente
des arts chez .les Grecs. Il eft indubitable que chez
e u x , comme chez prefque tous les peuples anciens^
la fculpture devança là peinture. Qui connoît le mé-
canifme de ces deux arts , confidérés dans leur enfance
, fait que celui de la fculpture, quoique en
apparence le plus difficile, eft cependant celui qui
fe prête le plus à la timidité de l’art, tandis que celui
d’un fimple trait ou linéament demande une har-
dieffe de main 8c de conception, dont les premiers
tâtonnemens de l’imitation font moins fufceptibles.
Les preuves de l’hiftoire r s’il en étoit befoin ,
& celles de l’art lui-même, viendroient à l’appui
de ce qu’on avance. Les defcriptions des plus anciens
tableaux , faites par Paufanias, les peintures
monochromes des vafes, celles même qu’on a découvertes
à Herculanum & à Pompeii, tout nous
indique que chez les anciens la peinture, fubor-
donnée à la fculpture , en reçut la lo i, en contraria
le goût, même dans les plus beaux fiècies
de l’art. La fculpture, nous dit Winckelmann,
comme la foeur aînée, amena & introduifit fa cadette
dans le monde. Pline croit même que la peinture
ne remonte pas au - delà de la guerre de T roye.
La lenteur avec laquelle elle fe perfeétionna vint
en partie de l’art même, en partie de l’ufage &
de l’emploi qu’on en fit. Comme la fculpture éten-
doit le culte & en quelque forte le domaine des
dietix , on peut dire auffi que la religion favori-
foit cet art, 8c qu’elle fervoit à le perfeétionner.
La peinture n’avoit pas les mêmes avantages ; ce
ne fut que plus tard qu’elle fut vouée aux dieux,
& introduite dans leurs temples. La fculpture &
la peinture eurent entre elles la même raifon que
l’éloquence &-la poéfie : celle-ci, regardée comme
plus facrée que l’autre , fervoit aux myftères, &'
en général au culte religieux : auffi fe perfe&ionnat
élle’ plutôt que l’éloquence ; ce qui fait-dire à Cù
céron qu’il y a eu plus de« bons poètes que de
bons orateurs. .
La perfe&ion tardive du bas-relief doit donc s’attribuer
à la lenteur du progrès de la peinture. La
fculpture, q u i, dans tout le re fte , donna le ton f.
l’on peut d ire , à la peinture, attendoit cependant
de celle-ci les leçons 8c les exemples qui dévoient
étendre les limites du bas-relief & en agrandir le
reffort. L ’ufage de la perfpe&ive dans les tableaux
les notions de l’optique, la dégradation des teintes’
la fcience du clair-obfcur, q u i , en multipliant les
plans, avoient introduit des lointains dans la dif.
pofition des objets, indiquèrent enfin à la fculpture
une analogie dont elle fut profiter. Dès-lors les
bas-reliefs acquirent la multiplicité des plans, &
devinrent des efpèces de tableaux, privés de couleurs
, il eft' v r a i , mais fufceptibles de rendre 80
d’exprimer une partie des fujets qui jufques-là n’a-
voiènt pu être que du diftriâ de la peinture. On
v it les figure s , difp.ofées fur des plans différens
indiquer, par une dégradation fenfible dq reliefy
leur plus ou moins grand éloignement ; on les vit
grouppées entre elles »former un enfemble de coiut
pofition, repréfenter une aéiion, & , fans ceffer
d’être utiles à l’hiftoire dans les monumens, fe.
prêter à toutes les inventions du g én ie , fous le
rapport feul de l’art 8c du plaifir.
Cependant l’influence de la peinture fur le bas-
relief ne parvint pas en G r è c e , comme dans les
temps modernes , à en altérer le véritable efprit.
Peut-être l’efpèce de prépondérance que la fculpture
paroît y avoir toujours confervée , & qui empêcha
la peinture de prendre un effor trop indépendant
d’elle , contribua-t-elle à maintenir dans celle-ci
ces principes de fageffe, 8c cette tranquillité de coin-
pofition dont il ne paroît pas qu’elle fe foit jamais
écartéè, 8c qui a fait dire à plus d’un mauvais critique
, que les tableaux dès anciens n’étoient que
des bas-reliefs colorés. \
Peut-être en doit-on chercher la raifon dans ce
fentiment fur & délicat, qui fit appercevoir aux
Grecs les vraies limites de tous les arts , dans ce
goût éclairé 8c ju dic ieu x, qui leur fit préférer l’ex-
preffion vraie de la beauté pure 8c tranquille, dont
l’effet agit profondément fur l’am e , à la puérile
oftentation d’une vaine hardieffe, qui n’en impofe
qu’aux y eu x . Si le bas-relief fut profiter des ref-
fources que la peinture lui avoit communiquées, il1
fut connoitre auffi le point où il devoit s’arrêter.
S’il emprunta de l’art de peindre, ce fut avec dif-
cretion : fans avoir l’orgueilleufe préfomption dé
rivaliser a vec lu i , il fut agrandir fon empire, fans’
empiéter trop fur le domaine de l’autre; il fut
étendre fes droits, en refpeâant ceux de la pein-!
ture ; 8c fans ufurper les moyens de c e lle - c i, il'
parvint à améliorer les fiens. C e t accord refpeftif
des facultés limitrophes de tous les arts' chez les
G re c s , fe remarqué particuliérement dans l’art du
bas-relief, 8c c ’eft à lui qu’on doit attribuer cette
efpèeé de modération dans l’emploi de fes moyens ,
cette fobriété de compofition , qui fut l’effet d’une
intelligence heureu fe, 8c non de l’impuiffance,
comme bien des gens l’ont imaginé.
On ne v o it pas, dans les plus belles compofitions
en bas-relief des anc iens, dans ces ouvrages qui
auroient dû fervir de règle immuable à l’a r t , que
jamais la fculpture y ait multiplié les plans comme
l’ont fait les modernes. Il ne paroît pas que l’on
y en ait employé plus de tro is, 8c peut-être l’art
rifque-t-il, lorfqu’il v eu t enchérir fur ce nombre,
de perdre, par la fauffeté trop évidente dont il
avertit Toeil, l’efpècc d’illufion qu’on ne lui con-
tefte pas , lorfqu’il refte dans les bornes d’une mo-
defte vraifemblance.
C ’eft ici le cas de juftifier les anciens des reproches
inconfidérés que l’ignorante partialité de
quelques écrivains modernes s’eft permife à cet
égard. On l i t , dans un écrivain d’ailleurs eftimable
( l’auteur des réflexions critiques fur la poéfie 8c
fur la p e in tu re ) , que les fculpteurs anciens ne
favoient que couper des figures de ronde boffe,
parle milieu ou par le tiers de leur épaiffeur, 8c
les plaquer, fi l’on peut d ire , fur le fond du bas-
relief, fans que celles qui s’enfonçoient fuffent dégradées
de lumière. Ce tte critique en contient deux ;
elle attaque les figures ifo lé es , 8c celles qui forment
tab la it ou compofition.
Quant au premier o b je t , il faut que le critique
n’ait eu aucune connoiffance des ch efs -d’oeuvre
de l’antiquité dans ce g en re , ou ait confondu ,
avec les monumens du bel â g e , ceux de l ’art dégénéré
fous les fiècies de la décadence.' Nous
voyons que les anciens employèrent aux figures
ifolées trois efpèces de reliefs, c*eft-à-dire , celles
dont nous avons parlé au commencement de cet
article ; 8c l’antiquité nous fou rn it , dans chacune
de ces trois manières , des modèles inimitables.
L’art n’a rien produit de plus beau que le bas-
relief des heures à la villa B o rgh è fe , fous la forme
de jeunes filles danfantes en fe tenant par les mains.
Les figures font prefque entièrement en faillie ;
mais il s’y trouve une entente de toutes les parties
faillantes avec cèlles qui fe rapprochent du fond ,'
telles que les draperies 8c autres objets, qui laiffe
fegner dans toute cette compofition la plus heu-
teufe harmonie : rien ne leur donne l’air d’être
Appliquées au fon d, q u i, orné lui-même d’un ordre
de pilaftres, fe lie a vec les figures, fans le dif-
puter à leur faillie.
pteuve de l’habileté des anciens le bel Endimion du
Apitoie, le fameux apothéofe d éMorte-Citorio : mais
nous n’en rapporterons d’autre que le célèbre Antinous
de la villa Aïbani. O ù trouver un plus étonnant
exemple de l’intelligence avec laquelle les
parties faillantes doivent fe rapprocher des parties
ayantes, 8c celles-ci s’unir au fond ', fans qu’on
Pperçôive, en quelque fo r te , la ligne où elles
®nt expirer ; 8c le contour où- elles vont fe
perdre ? O n multiplierôit à l'infini ces témoignages
de la prodigieufe intelligence des anciens dans cette
manière de bas-relief, fi l’on vouloit citer le grand
nombre de pierres gravées où cette entente eft
portée au plus haut degré.
La troifième efpèce de bas-reliefs proprement
nommés , c’eft-à d ire , de ceux dont la faillie eft
confidérablement diminuée, nous offre des modèles
encore plus nombreux 8c plus inimitables de cette
forte d'artifice, qui doit donner aux objets leur rondeur,
ou du moins la faire croire ré e lle , quoique
avec une très-légère épaiffeur de matière. Une foule
de vafes , d’autels', 8cc. font remplis de pareils bas-
reliefs , où l’on obferve l’art avec lequel les objets
les plus plats n’ont cependant point l’air applatisj
Le beau fragment de Bacchus au palais Farnèle ;
eft le ch e f-d ’oeuvre de ce genre porté en grand
à fon plus haut période de perfection 8c de difficulté.
L ’entente de la dégradation y eft d’autanf
plus étonnante, que cette figure nue n’eft accompagnée
d’aucun acceffoire qui puiffe en faciliter
l’e x é cu tio n , 8c que le contour en eft deffiné fur
le fond avec la plus exaéte précifion 8c la plus
févère correétion. Malgré le peu de faillie du bas-
relief , chaque partie commande à celle qui doit
lui être fubordonnée ; un raccourci infenfible fait
approcher dü fond celles qui doivent s’éloigner;
la précifion des formes y eft auffi grande que dans
une ftatue de ronde boffe, les contours auffi variés;
les parties fuyantes y font fi bien ménagées, que
la figure tou rn e, 8c qu’on a peine à fe perfuader,
avant de s’en être affuré, du peu d’épaiffeur que
l’artifte eut à mettre en oeuvre.
D ’après cela , il paroît que la fécondé partie de
la critiqu e, celle qui attaque les bas-reliefs com-
pofés des anciens , mériteroit peu de' répon fe, fi
l ’art de réunir dans un feul enfemble ces trois
fortes de bas-reliefs ne conftituoit un genre nouveau
, dont il faut prouver que les anciens connurent
parfaitement la pratique.
Les bas-reliefs de l’arc de T itu s , ceux de l ’arc
de Conftantin, fuffiroient pour en convaincre : mais
le fuperbe bas-relief du palais Rufpoli doit répondre
à toute efpèce d ’objeéiion fur cet article. ‘Win ckelmann
noiis en donne l'explication. La figure
principale qui repréfente T é lep h e , eft fi faillante
hors du fond , qu’entre ce lu i-ci 8c la tête du héros
il fe trouve un vuide de deux doigts. Derrière
Télephe eft un c h e v a l, dont p a r conféquent le
relief doit être , comme il eft effectivement, moins
fo r t ; près du c h e v a l, eft placé le vieu x é c u y e r ,
dont la faillie eft encore diminuée. O n voir en
a v an t , 8c vis-à-vis de Télephe , une figure affife ,
c’eft A u g é fa mè re , dont le fils d’Hercule prend la'
main droite : le plan de cette figure , quoique
venant en avant de ceux de l’écuye r 8c du ch e v a l,
eft cependant plus bas que celui de Télephe. Dans
le fo n d , le fculpteur a repréfenté fufpendus le
bouclier 8c l’épée du jeune guerrier ; ces objets
encore plus fu y a n s , ne font qu’ indiqués avec la