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toutes les reffourçes poffibles de l'induftrîe; les j
rtftes de leurs travaux en ce genre font peut-
être les plus véridiques témoins de leur magnificence.
Se rencontroit-il des eaux, des tacs, des
rivières , les dépenfés des ponts n’ètoient rien
pour eux. On admire, à Urbin en Italie, depuis
réglife Sainte-Marie-du-Pont jufqu’à un endroit
appelle Cailli, la voie Flaminienne fufpendue fur
des arcs qui donnent palïage au fleuve Mètaurus;
les murs de foutenement, qui font en pierre de
taille , ont une hauteur fu-r prenante.
Falloit-il percer les montagnes & les rochers
pour abréger ou adoucir une route, ils faifoient
des chemins fouterreins qu’ ils. eclairoient par des
efpèces de puits ouverts de diftance en dif-
tance dans les flancs de la montagne. Tel étoit
le paffage que l’empereur Vefpafien fit percer au
travers de l’Apennin pour la voie Flaminienne. 11
y avoit auprès de Naples deux routes fouter-
reirfes: une fous le mont Misène, pour aller de
Bayes à Cumes ; l’autre , qui fubfifte encore,
traverfe le Paufilipe. La longueur de ce paffage
eft d’environ un mille : fa largeur eft de 30 pieds;
fa hauteur moyenne de 50 : il eft éclairé par
deux foupiraux & une ouverture au milieu. Ce
grand ouvrage paroît remonter à une très-haute
antiquité. Varron, Senèque & Strabon en parlent
comme d’une chofe déjà très-ancienne de leur
tems.
Dans d’autres lieux on voit des chemins tailles
aux dépens des plus durs rochers , comme à
Pivernum, appellé aujourd’hui Piperno, & à
Terracina, fur la route de Rome à Naples. Auprès
de Sifteron en Provence , eft un refte de chemin
antique que Claudius - Pofthumus - Dardanus fit
couper dans le roc, où il gravâ^l’infcription qui
fit donner à ce lieu le nom de Petra-Scripta,
Augufte f it , par le même procédé, ouvrir
plufieurs chemins dans les Alpes; mais le récit
le plus merveilleux, en fait de travaux itinéraires,
eft celui de 'T i te -L iv e , par rapport aux moyens
qu’Annibal employa pour fendre les rochers des
Alpes & y ouvrir des routes pour fon armée.
Qn a long-tems rejette, dans la claffe des fables,
les procédés du vinaigre & du feu que Tite-Live
dit avoir été mis en ufage. Le récit fuivant de
M. Gauthier, ingénieur des ponts"& chauffées,
va faire voir que le merveilleux n’eft, pour la
plupart des hommes, que l’ignorance des fecrets
de la nature.
« Voici, dit cet écrivain, ce qui m’eft arrivé
dans les Pyrénées. Je fus chargé , du tems, de
jyj. Arnou, intendant général de la marine, de
faire éçlufe au bout de la vallée d’A ure, fous le
village d’F g e l, près du fond de la rivière, afin
d'y faire paffer les mâts du roi. J’employai pour
cela l’ufage des mines ordinaires pour couper les
rochers en les perçant avec des aiguilles & les
chargeant de poudre, &c. Cela raifoit d’^ffez
bons effets; niais un payfan, plus habile que
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moi; me dît que fi je voulois le laiffer faire, if
enleveroit tous les rochers que je faifois miner
avec bien moins de dépenfe & avec trois fois
plus de diligence. J’acceptai fur le champ l’offre
obligeante de ce payfan ; je l’afîùrai de ma recon-
noilîance. Il commanda à une douzaine de filles
ou ■ femmes d’aller faire des fagots dé bois &
autres brouffailles qu’il fit ranger autour des
rochers que je faifois miner. Il mit le feu aux
fagots, & après que les rochers furent bien
échauffés, il y fit jetter de l’eau. Ils fe fendirent
aufivtct de tous côtés avec beaucoup de bruit &
en plufieurs éclats aux endroits où ils avoient été
échauffés, de manière qu’on les féparoit aifément
avec des pinces. Ce moyen, dont je me fervis,
épargna de la peine; l’ouvrage, alla plus vite,
& je chargeai le payfan de continuer fa manoeuvre.
Je remarquai cependant qu’il n’y avoit qu’une
forte de pierre que le feu & l’eau faifoient ainfi
éclater, qu’on appelle pierre fondante , infiniment
plus dure que les grais les plus durs, mais que
le feu & l’eau, employés aux rochers ardoifés;
ne faifoient pas le même effet. Donc je conjecture
que le vinaigre qu’on dit avoir été employé
par Annibal, pour diffoudre les rochers des Alpes
avec le feu , étoit fort inutile, & que Peau auroit
pu faire le même effet à ces fortes de rochers ,
qu’on nomme pierres fondantes, dont les fommets
des Alpes [& des Pyrénées font ordinairement
couverts »>
Des chemins modernes.
Autant les anciens & fur - tout les Romains
mirent de folidité dans la conftru&ion de leurs
chemins, autant on peut dire que les modernes
ont négligé cette qualité fi importante ; qualité
plus néceiîaire cependant encore pour eux dont
les charrois & les voitures ont fans compara.ifqn
plus de charge que chez les anciens. Les chemins
modernes ne font ordinairement que des allées
dont on applanit le terrein; & les moyens même
les plus difpendieux qu’on emploie aujourd’hui,
ne fauroient, fans de continuelles réparations,
procurer des routes long-rems folides ; encore
moins doitron en attendre une durée qui puiffe
apprendre, après des fiècles de deftruâion, fi
jamais nous aurons en des routes.
Les chemins modernes furpaffent cependant ceux
des anciens en un point, c’eft en largeur; car
il ne faut pas croire Bergier, lorfqu’il avance que
les grandes voies militaires des Romains avoient
jufqu’à éo pieds de largeur. Ce qui l’a induit en
erreur , c’eft une voie ferrée de 20 pieds de large
qu’il a trouvée en Champagne, d’où il a conclu,
fans autre preuve, que ce qu’il voyoit n’étoit
que le tiers de la totalité de la route ; comme f i ,
en fuppofant qu’on pût découvrir un jour une
partie de nos chemins ferrés de 72. pieds de large,
on çoncluoit que la largeur des chemins de France
étoit de 216 pieds, Il eft certain que la largeur
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:ges plus grandes voies militaires ] confulaîres i
prétoriennes n’avoient, au fortir de la capitale,
que 32 pieds romains, qui reviennent à 29 pieds
j pouce 4 lignes de pied de roi ; fit voir, 14-j pour
tagger ou la partie du milieu qui étoit pavée ,
& 7 pieds ~ pour les meirgines ou berges. La
jriéprife de Bergier, qui n’avoit pas vu d’autres
chemins antiques que ceux qu’il avoit découverts
en Champagne, a été adoptée & répétée par tous
ceux qui ont copié fon ouvrage, entre autres par
Gauthier,
Les chemins pavés modernes, appellés grandes
routes ou chemins royaux, font aufii divifés,*
comme les voies romaines, en trois parties; la
partie pavée & les deux berges. On donne à la
première le nom de chauffée ; elle eft bombée,
c’eft-à-dire que fon profil, fur la largeur, eft un
arc de cercle, afin de donner un libre écoulement
aux eaux. Dans les environs de Paris, le pavé
eft formé par des cubes de grais , qui ont 8 pouces
fur tous fens. Ces cubes font djfpofés- par rangs
parallèles, félon la largeur de la chauffée, & en
liaifon comme les pierres qui forment les aflîfes
d’un mur. Ils font rangés fur une couche de fable
qu’on, appelle forme. Le terrein lotis la forme
doit avoir été bien affermi pour que la charge
des voitures ne puiffe pas enfoncer & défunir les
pavés.
Les berges ou les deux parties collatérales de
la'chauffée ont de largeur 18 à 20 pieds; la
longueur des efïieux des voitures ayant été fixée
à 3 pieds 10 pouces, il en réfulte que dans une
route de 60 pieds de large il peut paffer neuf
voitures de front. Dans ces chemins, dont la
largeur eft fans doute un abus, il n’y a de folide
que la partie pavée : les deux berges exigent un
entretien perpétuel. Au lieu d’être formées par
des mafiifs de maçonnerie comme les marges des
chemins antiques, e les ne font ordinairement
compofées que de la terre des fofles ereuîés au-
xlelà des berges pour l’écoulement des eaux pluviales.
On a beau couvrir la fuperficie de ces
terres rapportées, en gravier ou en pierrailles,
comme le fonds n’a pas affez de fermeté, il s’y
fait toujours des orpièfes. De plus, elles s’imbibent
d’eau, & lorfqu’elles en font pénétrées, cette
partie du chemin devient impraticable, fur-tout
l’h iver, & la pouflière, l’été., la rend très-incommode
; £’eft pourquoi il feroit plus avantageux de
ne donner aux berges que la moitié de la largeur
de la partie pavée, ainfi que le pratiquoient les anciens,
& de les faire plus folides. En donnant
18 pieds de largeur à la partie pavée , les berges
feroient de 9 pieds, & là largeur totale de la
route de 36 pieds, c’eft-à-dire un efpace plus
que fuffifant pour que quatre voitures y puinent
paffer de front.-
Pour que les berges enflent toute la folidité
requife, il faudroit quYl'les fnffent, comme lés
margines des anciens , formées par un mafiif de '
Architecture, Tome 1,
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maçorfrierle, couvert de béton ou de gravier. Ce
procédé , qui pourra pa.-oître d fpendieux, le
feroit peut - être moins que celui dont on fe
^fert pour former & entretenir les grandes berges
de nos grands chemins : on y gagneroir d’abord
la largeur, & enfuite tout l’entretien dont elles-
n’auroient plus befoin ; on. y trouveront de l’économie,
en ne faifant point ufage de chaux, ou
en'la réfervant pour les parties les plus effen-
ti elles.
A in fi, après avoir formé la maffe générale
du chemin en terre ou en pierrailles, félon les
pentes & direélions qu’il „doit avoir, à 18 pouces
au-deffous de fa fuperficie, on pofera fur cette
maffe, bien con fol idée, un rang de pierres plates,
d’environ \j pied de fuperficie. Sur ce premier
rang, qui pourroir avoir 8 à 9 pouces d’épaiffeur ,
on mettroit une couche de maçonnerie en blocage,
à bain de mortier, recouvert d’un lit de fable
ou de gravier, le tout bien battu & retenu par
des murs de foutenement. Lorfque la partie du
milieu devra être pavée, fur le premier rang de
pierres plates on étendra un lit de fable ou de
mortier pour recevoir le pavé.
Pour mieux fentir la néceffité de donner à
toutes les parties d’un chemin, t\ne fermeté uni-,
forme, capable de réfifter, dans tous les tems,
au roulage des voitures, il faut dire iç i que la
charge d’iine voiture à deux roues va jufqu’à 6
milliers, & que celle d’une voiture à quatre roues
va jufqu’à douze; ainfi-'l'effort de comprefficn
de chaque roue eft d’environ trois milliers : cette
charge ne porte pas fur une furface plus grande
qu’un demi-pied fuperficiel. Il n’eft pas étonnant
qu’un fi grand poids, pofé fur une fi petite fuperficie,
creufe, dans toute la largeur des chemins,
des ornières qui, fe rempliffant d’eau de pluie,
s’apprefondiffent de plus en plus par les voitures
dont les roues paffent par les mêmes ornières.
Les terres qui s’élèvent de chaque côté font
encore un nouvel ^bftacle pour les voiturés.
Dans les chemins conftruits comme on vient
de le propofer, la fermeté feroit fi grande, que
les roués des voitures les plus chargées ne pourvoient
faire que de légères traces fur le fable qui
les couvriroit. Ces traces, qui ne feroient pas
capables de fixer les roues, tendroient plutôt à
affermir la fuperficie du chemin qu’à la détruire;
d’ailleurs, comme les matières tfont ce mafiif
feroit compofé ne pourroit pas fe ramollir par
les.ploies, il en réfulteroit que la furface du
chemin feroit, dans tous les tems, ferme & folide.
De la manière dont on difpole les grands
chemins, tout» l’eau qui tombe fur le pavé s’écoule
fur les berges ; ce qui contribue à accélérer leur
dégradation. Au lieu de faire le pavé bombé,
ne feroit-il pas plus à propos de le faire avec un
ruiffeau dans le milieu ? Il en réfulteroit deux
avantages, i°. de ne point verfer l’eau fur les
berges; 2P. de divifsr le pavé en deux parties.