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On n’ a point, ainfi qu’il eft naturel de le penfer,
trouvé de briques c ru e s , dans les relies qui nous
font parvenus des édifices antiques. A u d i les commentateurs
de V itru v e ont été d’avis différent fur
leur forme ; les u n s , comme Barbaro & R u fcon i,
ont penfé qu’elles étoient cubiques ; les autres ont
cru qu’elles étoient méplates, ou dans la forme des
briques cuites que l’on fit depuis. Cependant, fi l’on
fait attention à la manière dont V itru ve s’exprime,
lorfqu’il parle des briques que les Grecs appelloient
pentadoron, on verra qu’elles étoient ainfi nommées
parce qu’elles avoient cinq palmes en tout fens :
q u o i ejl quoquo verfus quinque palmorum ; d’où il
réfulte qu’elles étoient cu biqu es, félon le fenti-
ment de Barbaro & de Rufconi.
M . de la F a y e eft auffi de la même opinion.
C e s briques, dit-il, avoient le volume des pierres
de taille que nous employons communément dans
nos bâtimens. Le temps très-confidérable qu’il fal-
loit pour fécher ces briques, feroit encore une preuve
de leur volume 8c de leur épaiffeur. I l eft à croire
que l’efpèce de briques crues appellée didoron , dont
fe fervoient ordinairement les anciens R om a in s ,
pouvoir être la demi-brique ou la moitié du tetra-
doron des Grecs , qui avoit quatre palmes , ou un
pied romain fur tout fens ; de forte que le didoron
devoit avoir un pied en quarré fur un demi-pied
d’épaiffeur, ou , ce qui revient au même , quatre
palmes èn quarré fur deux palmes d’épaiffeur.
V itru v e , en parlant des briques entières qui
étoient cubiques, ne leur donne, par le mot quoquo
v e r fu , qu’une feule dimenfion, parce que cette
mefure eft la même pour tous les côtés : mais il
indique au didoron deux mefures différentes, en
difant qu’ il avoit un pied fur un demi-pied , c’eft-
à -d ire , quatre palmes en quarré fur deux palmes
d’épaiffeur. La raifon fur laquelle M. Galiani fe
fonde pour prétendre que les briques crues des anciens
étoient méplates, eft qu*on n’en trouve que
de cette dernière forme dans les ruines des édifices
: mais comme il ne nous eft parvenu que des
briques cu ite s, on ne fauroit conclure de la formé
des unes à celle des autres ; & M. Galiani lui-
même avoue qu’on ne trouve plus de briques crues
dans aucun édifice antique.
Il paroît donc qu’il étoit plus naturel aux anciens
d’imaginer dans les briques c ru e s , & d’employer
la forme cubique , à l’imitation des pierres
de ta ille , que la forme méplate dont ils n’avoient
point de modèle, 8c qui n’auroit pas donné, à beaucoup
p rè s , la folidité & la confiftance néceffaires.
D ’ailleurs, auroit-il fallu deux ans pour les fécher,
ou cinq , comme le preferivoient les magiftrats
d’Utique ? I l eft donc probable que l’on n’a commence
à foire les briques méplates, que lorfqu’on
s’eft avifé de les faire cuir.
M. de la F a y e a fait un mémoire, pour prouver
que les briques crues des anciens n’étoient qu’un
çojnpofé 4e mortier. I l cherche à appuyer fon fyfo
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tème de plufieurs paffages 8c autorités de Vitruvç
8c de Pline. Rien fans doute n’empêche de croire
qu’il foit poflible de foire, avec du ciment, des
pierres fa&ices, fur-tout en le préparant félon la
méthode de M. de la F a y e : mais on ne voit pas
la néceflité de cette fuppofition, pour expliquer
la méthode des briques crues des anciens.
E t d’abord , fi ces briques crues euffent été faites
de c im en t, fans doute on y eût employé la même
compofition que l’on remarque aux liaifons des
briques cuites ou des pierres. Mais a lors , d’après
la dureté reconnue du ciment des anciens, qui
égaloit celle des pierres les plus du res, pourquoi
ces briques, qui auroient eu la propriété de réfifter
à toutes les injures de l’air, fe feroient-elles anéan-
ties toutes au point qu’on n’en ait jamais trouvé
dans aucunes ruines d’ édifices antiques.
L ’expérience de plufieurs peuples modernes dément
encore cette fuppofition, ou la rend inutile,
En E g y p te , 8c dans plufieurs endroits de PAfie,
l’on fait encore ufage de briques c ru e s , compofées
de. la manière indiquée par Vitruve. A u lieu d’être
minces comme les briques cuites , elles ont à-peu-
près la forme de nos moilons. Pockocke dit quelles
ont douze à quinze pouces de lo n g , fept pouces
de la rg e , 8c quatre pouces 8c demi d’épaiffeur.
La terre crue peut donc donner aux bâtimens
des matériaux folides, félon fa qualité , 8c les préparations
qu’on lui. fait fubir. L e pifoy qu’on fait
dans; le Lyonnois & le D au phin é, en eft une
preuve. I l n’eft compofé que de terre franche,
pu lvérifée , enfuiteun peu mouillée 8c bien battue.
Lorfque les murs de pifoy font recouverts à l’extérieur
d’un enduit de mortier , ils peuvent durer
plufieurs fiècles. Quand ils font bien fe c s , ils ne
forment absolument qu’un feul co rps , dans lequel
on perce des trous pour des portes ou fenêtres,
fans avoir befoin d’étalement. O n parle ailleurs de
c e genre de conftruftion. (V o y e^ P i s a y ) .
D e s briques cuites. — Quoique V itru v e foffe mention
de briques cuites , l’on comprend a ffe z , pat h
manière dont il en pa rle, que l’on en foifoit peu
d’ufage à Rome de Ion temps; Comme on ne .peut
pas toujours, dit-il, fe procurer les matériaux qu’on
d e fire ro it,il fout Savoir fe fervir de ceux que l’on
trouve à fa portée. Dans certains endroits,on trouve
des pierres de taille ; dans d’autres, des cailloux;
ailleurs, des moilons, des briques crues ou cuites.
Mais au huitième chapitre du fécond liv r e , il
dit qu’à Rome on ne fe fe rvo it, pour les murs, que
de tuileaux. Il appelle cette maçonnerie firuSitrf
tejlacea. Il nous apprend aufii pourquoi l’on ne
pouvoit ufer à Rome de briques crues. La raifon
étoit, que pour foire avec de tels matériaux des
murs folides , il auroit fallu que leur épaiffeur eût
été de trois rangs de briques, ou tout ail moins
de d e u x , ce qui auroit foit des murs trop épais,
& pris trop de terrein dans une ville telle que
R om e , où il y avoit une fi grande quantité de
citoyens à lo g e r ; que pour ménager l’efpacei les
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I loix ne permetteient pas de donner plus d’un pîed
I & demi d’épaiffeur aux murs mitoyens ; c’eft pour-
I quoi l’on étoit obligé de les foire en petites pierres
I ou en tuileaux , JlruSluris tejlacèis;
Dans le même chapitre, après avoir expliqué
I la manière' de bâtir des murs en briques crues pour
I les édifices hors de Rome , V itru v e recommande
[ de recouvrir le haut de ces murs d’une maçon-
[ nerie en tuileaux d’un pied 8c demi de hauteur,
| qu’il nomme encore Jlruflura tejlacea. Ce la eft in-
I difpenfable, a jou te-t-il, afin que dans le cas où
I quelques tuiles du toit vièndroient à être caffées
I ou emportées par le v e n t , cette maçonnerie en
| tuileaux puiffe empêcher le mur en briques crues
d’être mouillé ou détérioré par la pluie. Il recommande
encore de donner beaucoup de faillie à l’en-
I tàblement qui couronne ces fortes de mu rs, pour
[ en éloigner le plus qu’il fera p o flib le, les eaux de
I pluie qui coulent des toits.
Quant aux tuileaux , continue-t-il, on ne peut
pas connoître tout de fuite s’ils font bons ou mau-
» vais pour la maçonnerie ; il fout qu’ils aient été
éprouvés quelque temps fur les to its , expofés à
la pluie, à la chaleur 8c à la gelée. S’ils ont été
faits de bonne terre , 8c s’ils ont été bien cuits, ils
feront bons à être employés en maçonnerie, 8c
réfifteront à toutes les intempéries de l’air. C ’eft
! pour cela que les murs conftruits de vieilles tuiles,
éprouvées par l’aâ ion de l’a i r , font les plus fo-
I lides.
Tout ce qu’on a rapporté de V itru v e prouve
que de fon temps on ne fe fervoit que de tui-
[ leaux, 8c que ce n’a été. que fous le règne des
empereurs que I’ufage des briques cuites s’eft réellement
introduit, pour la conftruâion des Thermes,
[ & des grands édifices qu’ils élevèrent à l’envie.
Le Panthéon eft un des premiers monumens
confidérables où les Romains aient employé la
brique -cuite. T o u s les reftes des édifices bâtis du
temps de la république , nous font vo ir un autre
genre de conftrudion 8c de paremens de mu rs;
ceft l’appareil à rézeau, opus reticulatum. Il étoit encore
le plus en ufage du temps de V itru v e. Le
maufolée d’A u g u f te , les ruines du théâtre 8c de
| la maifon de Pompée, ne nous en offrent point
! d autres. Les ouvrages antérieurs à cette époque
i etoieut conftruits félon la m éthode d’appareil qu’on
appelloit opus incertum, ou à joints incertains.
Quoi qu’il en foit du temps précis où les R o mains
employèrent la brique cu ite , il paroît, par les
débris de tous leurs édifices, qu’ils les fobriquoient
toutes de forme quarrée.
1 vceS rec^erches que nous avons faites dans les
édifices antiques de R om e , nous en ont fait voir
i dimenfions. Les plus petites ont fept pouces
? en quarré, fur un pouce 8c demi d’épaif-
| ei,rj les moyennes ont leize pouces 8c demi en
^a r re , fur dix-huit à vingt lignes d’épais; 8c les
P us grandes font de vingt-deux pouces en quarré
; ur vmgt-un à vingt-deux lignes d’épaiffeur. On
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employoit les petites de fept pouces 8c demi, pour
revêtir les murs en b lo cag e , 8c pour qu’elles fiffent
une meilleure liaifon avec le maffif; on les cou-
poit tranfverfolement en deux triangles ; le grand
côté^ fe mettoit en pa rement, 8c la pointe dans
l’intérieur.
Pour relier encore mieux les paremens des murs
avec l’intérieur, qui étoit en b lo ca g e , de quatre
pieds en quatre pieds on pofoit un ou deux rangs
de grandes briques quarrées , de feize ou de vingt-
deux pouces. Ces grandes briques fervoient aufli
pour former les ceintres des arcades de conftruc-
tion ou de décharge qu’on pratiquoit dans les édifices.
O n ne rencontre p o in t , dans les bâtimens antiques
, de briques longues , comme celles que l’on
fait a&uellement ; il ne paroît pas que l ’on en fît
ufage. Elles ne font propres en effet que pour les
cloifons d’ une feule largeur de briques : mais pour
les murs plus épais 8c les revêtemens , les briques .
quarrées 8c triangulaires valent mieux.
A la terre deftinée à faire des briques cuites ,
les Romains mêioieat du tu f pilé , connu aujourd’hui
en Italie fous le nom de fperon e, qui eft
jaunâtre, 8c<pii devient rougeâtre dans le feu. Ce tte
couleur fe retrouve encore dans le grain intérieur
de la brique.
Un grand nombre de briques, tirées des conf-
truéfions antiques, portent des figles ou lettres
initiales de quelques noms. Le comte de C a y lu sen
a rapporté une où fe trouve le nom de Trajan..
« Quoique cette brique, dit-il, ne préfente d’abord
qu’un objet de pure curiofité , elle ne laiffe pas
de nous mettre à portée de comparer la conduite
des anciens avec celle des modernes, par rapport
à la folidité des conftru&ions, q u i , pour l’ordinaire
, ne dépend que de la bonne ou mauvaife
condition des matériaux ».
« L ’attention qu’on donnoit à la fabrique, 8c principalement
à la cuiffon de la brique, prouve la
fageffe des anciens. Le fentiment attaché aux idées
de la poftérité s’eft établi dans Rome dès îe temps
de fa fondation, par l’exemple , le fecours 8c les
inipreffions, que les Etrufques en ont donnés aux
Romains : mais ces pratiques raifonnables régnoient
dans le monde long-temps avant l’exiftence de ce
nouveau peuple. On le prouve par une brique égyptienne
très-bien con ferv ée , fur laquelle on a moulé
une fort belle tête d’Ifis. Un pareil exemple, à
dire la vérité , ne feroit pas à fuivre ; car cette
magnificence eft abfolument en pure perte : mais
les inferiptions dont les Romains prenoient foin
de les ch arg er, nous montrent que l’utilité publique
étoit regardée , par les plus grands perfoa-
nages de l’emp ire, avec une confidération qui les
empêchoit de fonger à la matière , pour ne s’o c cuper
que de l’o b je t , c’eft-à-dire , de l’utilité publique
».
L’ufoge de la brique ne s’eft point perdu dans
l’Italie moderne. Il eft des villes qui en font en