
449 C A R.
formes générales., & -fur-tout dans les reflbufces
de la con.flruéUon. Ainfi, le plus ou le moins de
faillie dans les membres principaux ; le plus ou
le moins de hardiefle dans les élévations’ , l’art
des voûtes ou l’ufage des plafonds, la rareté ou
la multiplicité .des colonnes ,, leur emploi , leur
difpôfiù'àn., la grandeur des maffes , l’invention
même dés .plans, dépendent plus ou moins de la
nature ou de la qualité d,ès matériaux qui fe prêtent
ou fe refufent plus on moins, à tel ou tel
.genre de caraélère* ( Voye£ Matériaux. )
Il eft inutile, ce me femble, de s’arrêter plus
long-tems aux preuves de cette théorie incon-
teftable ; je renvoie donc pour leur examen détaillé,
aux articles de cet ouvrage oit l’on traite
féparément toutes les dérivances qui pourroient
nous écarter du but auquel 'doit tendre la difcuf-
fion aâueUe , 8c je paffe à la fécondé forte d’influence
que la nature a fur le .caraélère moral ou
inrelleâuel de l’archite&ure.
Quoiqu’il n’exifte pas, arnfi qu’on l’a dit ailleurs
, dans l’art de bâtir, comme dans les autres
arts du deflin, une imitation formelle & direéte
de la nature , cet art reçoit pourtant du grand
modèle tmiverfel une -influence qui , pour être
moins fènfible , n’en eft pas moins réelle. La
nature, a-t-on déjà dit , ne lui préfente que des
analogies à faifir; il imite moins ion modèle qu’il
ne fe conforme à lui; il ne va point à fa fuite,
mais à coté ; il ne fait point ce qu’il vo it, mais
comme il voit faire; il en copie moins les effets
qu’il ne- s’en approprie les caufes. Mais, crôit-on
que cette manière d’imiter l’aflùjetriflè à une moindre
dépendance de la nature & des caufes locales
ou accidentelles qui peuvent avoir de l’aâion fur
tous les arts ? Non, fans doute ; & fi, dans l ’ar-
chite&ure , cette corrélation de l’art imitateur
avec le modèle imité eft moins généralement
apperçùe par-tout & parle plus grand nombre des
hommes, c ’eft que , lorfqu’ïl ne faut que des yeux
pour appercevoir le rapport matériel de la peinture
& de la fculpture avec les objets de leur
imitation, il faut toute la fineffe de l’efprit & du
raifonnement, pour diftrnguer la liaifon intellectuelle
des formes idéales & du caractère moral
de Parchitefture avec les formes naturelles & lés
propriétés intrinfèques d’un pays.
Lorfqu’on veut apprécier ce genre d’influence
& cette aâion fecondaire de la nature fur le
goût des peuples & le caraélère de leur architecture,
il faut s’attendre à toutes les cootradiéKons
qu’une manière de voir trop circonfcrite croit
trouver dans les nuances indécifes des ouvrages qui.
l’environnent. Ce n’eft pas par des moyens suffi
bornés qu’il faut efpérer de faifir les points de
vue généraux qui doivent fervir de bafe à cette
théorie. La nature , pour paffer d’un extrême à
l’autre, emploie tant de degrés infenfibles qu’on
u’apperçoit quelquefois point de changement bien
C A R
décidé dans fes intentions, fi l’on ne fe place à
la diftance néceffaire pour que fes effets fe prononcent
avec évidence. Ain fi , pour embraffer
en grand Je fyftème delà nature, faififfons chez
elle les points extrêmes où fes intentions , écrites
d’une manière plus hardie , ne font plus fufeep-
tibles d’indécifion.
• Paflons en Afie & dans ces contrées où la température
eft la plus décidée , où la chaleur du
climat exerce fur le génie des hommes une aélion
inconteftée. Nous avons déjà vu quelles chimères,
quels produits bizarres , quels enfantemens monf-
trueux dans tous les genres d’imagination fem-
blent fe preffer . &fprtir-à l’envi de la tête enflammée
de ces peuples. Coafidérons-y malmenant
l’art de bâtir.
Q u’y verrons - nous , finon les caprices de
l’arabefque réalifés en matière durable ? J’ai fait
voir au mot Arabesque ( voyc{ cet article ) que
tous les caprices d’architecture qu’on remarque
dans ces décorations, qui ne font pour nous que
fantaftiques , font des imitations pofiriv.es des
monumens afiatiques. D ’après les preuves certaines
que nous donne du génie de ces peuples
la tradition la moins douteufe ; d’après les reftes
de Perfépolis ; d’après ce qu’on a dit du goût
afiatique à l’article qui en traite , rien n’eft mieux
connu que le caraélère de cette architeéhire. Mais
je ne crois pas non plus qu’il y ait rien qui s’accorde
mieux avec le caraélère de tous les autres
arts, rien qui foii plus conforme à l’influence néceffaire
de la nature fur. ce caraélène..
Comment ne pas reconnoître, dans ces tours
gigantefques, q u i, de tout tems , ont fait le principal
ornement des villes de l’Afie , le génie
de l’hyperbole , qui ne voit rien de grand que ce
qui fort des bornes du pofliblé ? Comment mé-
connoîtte, dans ces fouterreins cifelés, dans ces
monumens coloriés 8t d’après de toutes fortes de
couleurs, ce goût du merveilleux qu’on retrouve
dans totites les autres produirions de l’efprit de ces
peuples ? Comment fe réfuter à voir , dans toutes
les formes de farchite&ure , dans ces colonnes
élancées en manière de tofeaux , torfes ou évui-
dées comme des découpures , contournées en
forme de candélabres , - déchiquetée« & brodées
comme des filigrammes , Paâion immédiate du
climat qui tourmente, fi l’on peut dire , la fan-
' taifie des hommes , & la porte à tous les jeux
de cette impulfion irraifonnée qu’on- appelle -îe
hafard ? Et comment , dans tous ces ôrnemens
parafites , qui naiflènt en fouie & fe reprodnifent
à l’infini fous la main de l’art, ne pas fentir l’influence
d’un génie tourmenté de fa propre a£fi-
vité ?• Qui ne voit. -, .dans cette exubérence de
facultés pfoduâives , l’effet inconteflable du oa-
raélere de la nature fur celui de l’architeélure ? Il
n’eft pas mal-aifé de prévoir dès-lors quel fera Je
caraélère d’un art qui, ne recevant que l’impulfion
C A R
Je la fantaifiè, loin de fe foumetlre aux entraves
d'aucune proportion , ne foupçomiera même jamais
la poflîbilité d’aucune règle. Ce caraélère fera
licencieux & déréglé. ■
Ce caraélère, qui eft le propre des architefturcs
orientales, a bien certainement fa fource dans le
caraélère exceffif que nous avons vu être le propre
des climats ardens. C ’eft à la même caiife
encore . qu’on peut rapporter un autre caraélère
effemiel dans les ouvrages de ces pays , celui
de l’invariabilité. Lorfque les caufes phyfiques
ont une force aufli décidée , les changemens
politiques , les inftitutions fociales ne peuvent
prefque rien contre elles. Bien des philofophes
ont penfé que les gouvernemens <v toutes les
caufes politiques n’étoient que des effets plus où
moins fenfibles. des caufes naturelles. Ce principe
qui, dans le détail & l’application partielle , pourvoit
fouffrir tant d’exceptions, ne paroît cependant
s’êire jamais démenti dans les régions dont
on parle ; & quand on fait à quelle prodigieufe
antiquité y remontent plufieurs des ufages & des
formes politiques ou morales, fans qu’aucune révolution
ait jamais pu les altérer , il faut croire
qu’il y a , dans la vertu du fol & de la température
de certaines contrées , un reflôrt puiffant
que rien ne peut détendre. C ’eft bien particulièrement
fur les arts que cette influence a,dû
exercer fon empire. Quand on penfe que tout
changement de goût dans un art, eft 1 effet, ou
d’un génie épuifé, ou de l’inconftance des moeurs ,
ou d’une comparaifon difficile de l’an avec fon
modèle, ou d’une réaélion pénible de l’efprit fur
lui-même, on voit que rien de ce qui amène ailleurs
de fi fréquentes révolutions dans le goût des
arts, n’a pu avoir en Afte la même puiffance , 6c
que celle du climat , toujours prédominante , a
dû y maintenir celui qui y fubfifte de tems immér
morial.
La nature exerce donc bieq pofitivement une
aftion fur les ca relier es de l’architefture, en tant
que celle-ci eft le fruit des facultés morales &
imaginatives qui, chez tous les peuples , dépendent
inconteftablement de la vertu première des
climats & des facultés phyfiques de chaque pays.
Mais elle a encore une manière plus fine & plus
abftraite de façonner le caraélère des arts ; c’eft
par cette tranipofition intelleélüelle , 6c par-tout
plus ou moins évidente des propriétés ou qualités
phyfiques aux propriétés & qualités morales des
arts. L’architeélure, plus particulièrement encore,
n’imite la nature qu’en tranfpofant dans fes ouvrages
les qualités de fon modèle. Cet art n’imite
aucune forme , mais bien l’efprit de celles qui
l’environnent. C ’eft de cette maniète , 8c dans ce
fens métaphyfique , que le caraélère de la nature,
dans chaque pays . parvient à s’empreindre dans,
le caraélère de l’architeélure.
.Cette théorie, je-le fais, eft tout à fait neuve,
& pourra bien paraître fophiftique. Je ne huilerai
pas d’en hafarder les applications, 6c l’architeelure
de l’Egypte va m’en fournir la première.
Quoiqu’il n’y au point de pays où l’influence
des caufes morales fur les ouvrages des hommes
foit plus fenfible qu’en Egypte , je ne faurois cependant
m’empêcher d’y reconnoître une aftioq
particulière de la nature fur l’architefture ; je parle
fur-tout de celle qui réfulte des impreftions qui
fe répercutent dans les oeuvres de l ’art. O u i, je
trouve entre le caraélère de l’architêfiure égyptienne
8c celui de -l’organifation phyfique de ce
pays le rapport le plus décidé. Nulle part , en
effet, la nature n’agit par des moyens plus grands,
& ne fe développe fous des formes plus impo-
fantes. Nulle part les deux grands principes qui
meuvent toute la nature , ne fe prononcent
avec plus d’évidence & de fimplicité. Un foleil
que ne ternit jamais le moindre nuage ; un
foi périodiquement fertilifé par une mer bienfai-
i fante; cette éternelle & fublime uniformité delà
nature ne femble-t-elle pas avoir pafié dans l’immobile
monotonie de l’architeâure ? Croit-on que
de fi grands principes n’agiffent point grandement
fur l’ame des hommes , & que les caufes natu».
relies, quand elles font aufli fortement pronon-
‘ çées , produifent de légères impreflions fur les
réfultats de la pe«fée?Tout porte à croire, d’après
les rapports de température qui exiftent entre
. l’Egypte St l’Afie, que l’imagination des homme,*
eût été travaillée des mêmes délires , & que l’art
de l’architeélure auroit dû y éprouver le même
déréglement de la fantaifie. Cette grande diffé-
. rence cependant qu’on trouve entre le caraElhre de
l’une St de l’autre archite&ure , je la vois réfulter
de la différence du caraélère de la nature des deux
pays.
En Egypte, la nature s’eft aftreinte elle-même
à des loix qui femblent lui ôter tout l’effor apparent
de la. liberté. On diroit qu’efclave d’elle-,
même , elle s’y feroit aflùjettie à une forte de mé-
chanifme vifible, dans lequel fes reflorts fe montrent
à découvert. Elle femble enfin y avoir tout
fait pour la raifon , St rien pour l’imagination.
L’Egypte avoit été préparée par elle pout devenir
comme une forte d’obfervatoire , comme une-,
efpèce d’école de fciences. Son ciel pur St fans
nuages devoit donner les premiers élémens de
l’aftronomie. La géométrie devoit naître du befoin
de reconnoître les propriétés confondues par
l’élément qui les féçondoit. Les fciences du calcul
fe lioient naturellement aux befoins de la v ie ,
liés eux-mêmes au fouvenir du paffé comme à la
prévoyance de l’avenir. Tout devoit porter l’efpriî
de’ ce peuple aux calculs de la nécefliré , plutôt
qu’aux caprices du plaifir. Aufli vous y voyez les
marbres fortir des carrières , 8c taillés avec la
plus grande fimplicité, pofés les uns fur les antres,
félon la direction des quatre points cardinaux ,
( former les pyramides, Aufli vous y voyez Larf