
mais dont les infcriptions font effacées ; ou bien
encore ce font les cimetières de leurs ancêtres, les
foffes & les fépultures de leurs animaux domef-
tiques ; ou enfin tout autre objet qui peut fervir à
marquer la caducité, les adverfites & la mortalité des
chofes de ce monde. ,
» Les différentes feènes , & autres parties des
jardins chinois, tiennent enfemble par des allées,
de grands chemins, des fentiers, des rivières navigables,
des lacs & des canaux. Les Chinois Contiennent
que les jardins ne fauroient être parfaits
-fans eau : cet élément, difent-ils, ranime & enchante
les Cens, & eft uné des fources principales
de la diverfité, à caufe des formes & des inétamor-
phofes dont il eff fufceptible, & parce qu’on peut
toujours le combineravec d’autres objets. Les impref-
fions que l’eau fait fur le coeur humain, font très-
nombreufes & très-profondes ; & comme on peut
la diriger de plufieurs manières, elle donne à l’ar-
rifte de quoi renforcer le caraâère de chaque fcène ;
elle rend plus énergique la tranquillité des décorations
paifibles, & ajoute de la trifteffe aux mélancoliques
, de la gaîté aux riantes, de la majefté aux
nobles, & de la terreur aux effrayantes.
» Les Chinois donnent à leurs lacs toute l’étendue
que permet le terrein, & Couvent même quelques
milles de circonférence. Ils les- difpofent enforte
que d’aucun point de vue on ne puiffe en découvrir
tout le rivage, & qu’ainfi le fpeâateur ne puiffe
favoir où ils finiffent. Çà & là s’élèvent des île s,
les unes petites, les autres grandes; celles-ci cultivées
& garnies de plaines verdoyantes, de bof-
quets & de fabriques ; celles-là incultes, entourées
de rochers & de bancs de fable. Il en eft qui s’élèvent
de terraffe en terraffe jufqu’à une hauteur con-
fidérable. Les terraffes les plus élevées font ordinai-.
rement occupées par de hautes tours, deftinées aux
©bfervations aftronomiques, par -des temples ornés
d’idoles , ou par la ftatue coloffale d’un dieu. On
voit auffi, dans ces lacs', de grands rochers faffices,
percés de plufieurs ouvertures , qui laiffent voir
des perfpe&ives lointaines. Au Commet ils placent
des nermitages & des pagodes, où l’on monte par un
efcalier inégal & tortueux.
» Les amftes Chinois favent difpofer leurs édifices
avec tant de jugement, qu’ils enrichiffent &
cmbelliflent les points de vue en particulier, fans
altérer pourtant l’afpeâ de l’enfemble, dans.lequel
la nature règne prefque par-tout. C a r , quoique
leurs jardins foient pleins de fabriques & d’autres
ouvrages de l’art, on ne les apperçoit cependant
point du tout en plufieurs endroits, ou l’on n’en
apperçoit que deux ou trois tout au plus., tant ils
|pnt habilement cachés dans des vallées, ou derrière
des rocs & des montagnes, des bois & d’épais
buiffons. Il eft néanmoins des endroits o ù , d’un
coup-d’oeil, on apperçoit l’enfemble, ou du moins
la plus grande partie des édifices qui fe pré/entent à
la file, en forme d’amphithéâtre, s’étendent affez
loin, & produifent, par les moyens finguliers qui les
tiennent enfemble , le plus magnifique défordre irna-i
ginable.
” Les places ouvertes & ombragées d’arbres
touffus, font au nombre des parties les plus inté-
reffantes des plantations chinoifes. On tâcne de leur
donner la fituation la plus agréable, & de les décorer
de toutes les beautés naturelles. Le fol de ces
bofquets eft ordinairement inégal, mais non raboteux,
& fait partie, ou d’une plaine parfemée de
monticules, ou du penchant d’une montagne qui
domine de riches lointains, ou d’une vallée entourée
de bois & arrofée de fources & de ruiffeaux.
Ceux de ces bofquets qui font ifolés, font le plus
fouyenv-enyironnés de prés émaillés de fleurs, de
yàftes champs'de bled ou de lacs. Quelquefois ces
bofquets ne font compofés que de limonniers, d’orangers
, de citronniers, de myrthes ; d’autres fois de
toutes fortes d’arbres fruitiers, qui, lorfqu’ils font
en fleurs, & que leurs fruits mûriffent, offrent un
fpeâacle enchanteur. Pour augmenter la volupté
de ces décorations, ils plantent à côté des arbres,
des vignes, dont les' raifins font de diverfes couleurs
, & dont les farmëns rampent le long des
tiges & pendent en feftôns d’un arbre à l’autre.
Dans ces bofquets clair-femés, ils mettent des fai-
fandeaux, des perdreaux , des paons , des poulets
d’inde & des volailles privées, de toute efpèce, qui fe
raffemblent à certaines heures du jour pour prendre
leur nourriture ».
Nous allons rapporter les préceptes d’un lettré
chinois fur les jardins, & la defeription que donnent
de ceux de la Chine les miffionnaires de Pékin : ce
rapprochement mettra le leéleur à portée de juger fi
l’exiftence des jardins chinois doit encore être regardée
comme un problème.
« Que cherche-t-on dans un jardin de plaifànce, dit
le lettré Lieou-Tcheou ? Qu’y goûte-t-on perfevéram-
ment? Tous les fiècles en ont fait l’aveu : c’eft l’adou-
ciffement de la privation pénible du fpeftacle toujours
aimable, délicieux & nouveau des campagnes ,
qui font le féjour naturel de l’homme. Un jardin
doit donc être une image vivante & animée de
tout ce qu’on y trouve, pour produire dans Pâme
les mêmes fentimens, & raffafier la vue des mêmes
plaifirs. L’art de les tracer confifte donc à raffembler
fi naïvement la férénité de la verdure, l’ombrage ,
les points de vue, la variété & la folitude des
champs, que l’oeil trompé fe méprenne à leur air
fimple & champêtre, l’oreille à leur filence, ou à
ce qui le trouble, & tous les fens à l’impreffion
de jouiffance & de paix qui en rend le féjour fi
doux.
» Ainfi la variété, qui eft la beauté dominante
& éternelle de la campagne, doit être la première
à laquelle il faut vner dans la diftribution du
terrein d’un jardin ;«& quand il n’eft pas affez vafte
pour fuffire à tous les modèles fur lefquels la nature
range les collines, élève les montagnes, fépare
les vallees, étend les plaines, affemble les arbres
ou les ifole, fait tomber des ruiffeaux en cafcades,
©u les embarraffe dans mille détours, déploie des
nappes d’eau ou lés ombrages de fleurs aquatiques ;
fufpend des rochers en précipice, ou les laiffe à
fleur de terre ; creufe des cavernes obfcures, ou
forme des berceaux de feuillages : alors variez vos
plans comme elle, & que le faux éclat d’un premier
coup-d’oeil ne vous faffe pas tomber dans les
contraintes & les affujettiffemens d’une fymmétrie
encore plus fatigante que froide & monotone. Si
votre terrein eit refferré dans des limites trop
étroites, & ne vous permet pas d’y faire entrer
tant de chofes, faites vos choix & affortiffez-les
de manière que leur enfemble porte cette empreinte
de fimplicité, de négligence oc de caprice qui rend
la vue des campagnes fi gracieufe & fi riante. En
quoi le génie peut fe fignaler & lutter de près
avec la nature, ou même la furpaffer : c’eft en
plaçant tellement fes collines, fes bois & fes eaux,
que leur difpofition en relève la beauté, en augmente
l’effet, & en varie les points de vue en mille
manières. Rien ne peut être grand dans un petit
efpace ; mais rien ne doit être refferré, contraint,
ni exagéré. Dans les plusvaftes emplacemens même,
l’harmonie feule des proportions peut produire ce
beau vrai, touchant & invariable qui plaît à tous
les y eux , & ne raffafie jamais les regards.
» Obfervons néanmoins que chaque climat a fes
befoins & fes convenances. Si on n?y avoit pas
égard, un jardin de plaifance fortiroit de fa def-
tination. Ici la féchereffe de l’été demande qu’on y
multiplie fans fin les baflïns, les canaux & les
petites îles, les bofquets, les collines & tout ce
qui peut y appeller ou entretenir une paifible &
agréable fraîcheur. L à , pour éviter l’humidité malfaine
des longues pluies, il faut que le terrein foit
plus découvert, plus aéré, plus dégagé, & tellement
difpofé, que fes pentes ne permettent aucun
féjour aux eaux, & foient néanmoins tempérées,
rompues & écartées, pour que les courans ne caufent
aucundommage. Dans une expofition trop échauffée
par les ardeurs brûlantes du foleil & de la canicule,
il faut beaucoup d’ombrage , de longs abris contre
le midi, & des allées , dçs gorges, des défilés,
des recoudes adroitement ménagés pour appeller le
zéphyr. Les lieux où Ton craint les fougueufes fur-
prifes des orages & des aquilons, doivent avoir
des vallées plus enfoncées., plus abritées, moins
ouvertes, & des collines placées de biais à la di-
re&ion la plus impétueufe des vents ».
Notre auteur, que nous abrégeons, entre ici
dans des détails également curieux & inftniélifs fur
les différens climats de fa province, 8c fur le plan
qu’il eft à propos de clioifir pour les jardins de
plaifance de chaque canton ; puis il reprend ainfi
fes préceptes :
a A quelque choix que vous vous arrêtiez, fou-
venéz-vous que rien ne pourra plus réparer les mé-
prifes dexvos préférences. Si le terrein eft mal
difpofé & mal diftribué, la parure qui cache quelquefois
les défauts, ne fert qu’à donner plus de
faillie aux difproportions, aux difconvenances 8c
aux difformités qu’un plan mieux entendu auroit
ou réparées ou effacées. Au refte, le plan le mieux
entendu & le plus heureufement imaginé, ne peut:
donner un beau jardin , qu’autant que la main qui
en difpenfe les ornemens, les place avec choix r
les diftribué avec économie, les varie avec goût „
les affortit fans affe&ation, 8c les unit, non pas
pour effacer les caprices & les négligences de la belle
nature, mais pour en conferver les grâces Amples
& relever l’agrément. Q u ’on ne dife pas que ce
font là les propos auftères que la politique moderne
& la philofophie ont fait entendre autour du
trône, pour détourner les empereurs des profufions
de fafte & de magnificence, qui ont été funeftes
à tant de dÿnafties. Le dégoût, la lafîitude &
l’ennui ont dit encore plus vivement, que tout
ce qui annonce dans un jardin de plaifance les
efforts ou le travail, les affeffatioris ou les raffi-
nemens de l’a rt, eft un mafque qui chagrine d’autant
plus la vue , qu’il contrafte plus groflïéreinent
avèc le coloris & la teinte de la belle nature ».
Telles font les réflexions du lettré Chinois ; elles
décèlent un fentiment très-délicat du vrai beau.
Ecoutons maintenant les miffionnaires de Pékin.
I « Les Chinois cherchent, avant tout, dans la
fituation de leurs jardins, la falubrité de l’air,
la bonté de l’expofmon, la fertilité de la terre,
un agréable mélange de monticules & de coteaux,
de petites plaines & de vallons, de bofquets &
de prairies, d’eaux plates & de ruiffeaux.. Autant
on aime à y voir des montagnes du côté du nord ,
pour fervir d’abri, appeller le frais en été, affurer
des eaux, terminer agréablement la perfpeélive à
l’horizon , & montrer toute l’année les premiers &
les derniers rayons, du foleil, autant on eft fpi-
gneux d’éviter que ces jardins foient dominés par
les terres voifines, & ouverts aux regards de la
curiofitê publique.
» Le terrein, la pofition & l’emplacement des
jardins chinois ne font pas affujettis au même choix
que ceux d’Europe. Le grand art de ces jardins
eft de copier la nature dans toute fa fimplicité ,
de fe parer de fes défordres, & de fe cacher fous
le voile de fes irrégularités. Tout ce qui eft alignement,
fymmétrie, eft loin de la nature ; elle n’offre
point des arbres plantés en allées, des fleurs raf-
femblées en parterres, des eaux enfermées dans
des baflins ou des canaux réguliers. C’eft d’après
ces notions qu’on a tracé la . décoration des jardins
chinois. Les collines, les coteaux, les monticules
y font prefque toujours couverts en entier de différens
arbres, tantôt plantés fort près, & ferrés
comme dans les forêts ; tantôt épars çà & là , &
ifolés comme dans les champs. La teinte de leur
verdure, la fraîcheur de leur feuillage, la forme
de leur tête, la groffeur de leur tronc, la hauteur
de leur tige, décident s’ils feront placés au nord
au midi, au fommet ou fur le flanc des collines ,
dans les gorges ou dans les défilés qu’elles forment»
.N n n n a