
' ner en lui, ce que l’ufage femble avoir confacré
depuis £ long-tems à Vornement. Vitruve qui ne s’élève
point contre les invraifemblances de celui-ci,
reproche a l’Arabefque de contredire la raifon, & de
choquer les yeux par la réunion de toutes ces incohérences.
Il n en eft pas ain£ du troifiéme genre d’objets
qui conftitue l'Arabe fque. Les rinceaux , enroulements
& feuillages qui entrent dans fa compofition,
ne lauroient avoir d’autre origine que celle que nous
ayons^ indiquée pour Y ornement en général. Ce goût
tient a celui de l’imitation, & fe retrouve chez tous
les peuples. La critique la plus févère ne fauroit y
rien condamner ; & cette partie eft la plus belle de
\ A rabefque , lorfquelle eft employée & traitée avec
goût. On en trouve des modèles inimitables dans les
peintures des thermes de Tite & de Pompeii. La
fculpture en offre d’aufti beaux dans les montans des
pilaftres de l’arc de Pola en Iftrie, à l’arc de Titus
a Rome , & dans les beaux fragmens de la villa
due dici. Tous ces chefs-d’oeuvre font devenus des
modèles de goût & d’exécution dans lefquels le décorateur
& l’archite&e trouveront des reffources toujours
nouvelles pour l’embellifTement des édifices.'
On ne les confondra point avec les bizarreries dont
Vitruve réprouve fi juftement l’emploi.
Il réfulre de cette décdmpofition de Y Arabe fque ,
que la partie qui tient à la décoration , c’eft-à- i
dire f architecture feinte , n’étant en foi-même qu’une j
imitation du goût Afiatique , & de ftyles étrangers ,
ne doit fe confîdérer, prife à part, que comme un
objet de euriofité pardonnable aux caprices ,d’un
peuple riche & blâfé.
Aufiy, lorfque ces fortes de décorations choquent
aujourd’hui les yeux habitués à la régularité de l’archi-
tecture Grecque, il faut moins s’en prendre à ce août
en lui-même , qu’à la fantaifie du peuple qui y trouva
du plaifir. Ce qu’on peut reprocher à l’Arabefque, c’eft
de s’être tellement approprié ce genre d’architeâure
irrégulière & bizarre, d’avoir même tellement enchéri
fur ces puérilités, qu’il femble avoir exclu tout
autre genre, & fur tout celui-Me la raifon & de la
vraifemblance. Un autre reproche à lui faire, c’eft
d’avoir mêlé les formes de l’architecture avec celles
de l’ornement, en forte que les unes & les autres fe
trouvent toujours dans des combinaifons impoffibles,
& fi outrées , qu’il n’y exifte plus l’efpèce de vérité
qui peut encore accompagner la fiction.
Le même défaut fe fait remarquer dans les figures
d’animaux fabuleux qui font la fécondé partie de Y A-
Tabefque. Leur invraifemblance eft, à la vérité, moins
choquante dans Y ornement, parce qu’en quelque forte,
elles n’y jouent qu’un rôle inanimé , & paroiffent toujours
y tenir de l’hiéroglyphe qui leur donna naiffance :
au lieu que , dans l’Arabefque, miles en«aéfcron, employées
a fupporter, animées de plus parla couleur
qui les vivifie , mêlées & confondues avec une foule
d'objets qui leur font étrangers, elles ne préfentent à
l ’ceil que la réunion de tous les impoffibles*
Le troifiéme genre d’objets dont on a parlé, quoique
le plus vraifemblable, perd auffi lui-même à ce mélange
, une partie du plaifir & des jharmes, que feul ailleurs
il peut offrir aux yeux. II participe à la fauffeté
générale d’un enfemble , qui ne produit qu’un amas
de détails incohérens , unis fans rapport, rapprochés
fans raifon , & mêlés entr’eux fans autre deffein
que le ^caprice & la fantaifie de l’artifte.
C ’eft donc cette compilation extravagante d’objets
étrangers à la Nature que Vitruve femble le plus
blâmer. On voit que le principal vice de Y Arabefque-
confiftoit, fuivantlui, dans cette aggrégationd’invrai-
femblances , dans cette réunion de chofes qui n’ont
pour liaifon- entr’elles que l’impoflïbilité de pouvoir
fè lier naturellement : on en va juger par fa de-
fcription. -
Après avoir parlé du goût de décoration des anciens
, q u i, en toutes fortes de peintures, repréfen-
toient exactement les chofes telles qu’elles font naturellement
, ce Je ne fais , d i t - i l , par quel caprice
» on ne fuit plus cette régie que les anciens s’étoient
as preferité de prendre toujours pour modèle de leurs
33 -peintures , les chofes comme elles font dans la
33 vérité. Ca r on ne peint à préfent fur les murail-
»3 les , que des monftres extravagans , au lieu de
sa chofes véritables & régulières. On met pour c o -
3> lonnes des rofeaux qui foutiennent un entortille-
33 ment" de tiges , de plantes cannelées, avec leurs
33. feuillages refendus & tournés en manière de v o -
33 lûtes. On fait porter des petits temples à des can-
33 délabrés d’où , comme s’ils avoient des racines,
3». on fait élever des rinceaux fur lefquels font alfifes
33 des figures. En d’autres endroits l’on voit d’une
33 fleur fortir des demi figures les unes avec des v ifa -
33 ges d’hommes , les autres avec des têtes- d’ani-
33 maux : toutes chpfes qui ne font point,, ne peu-
33 vent être & n’ont point été. T e lle eft la force de
33 la mode, que , foit indolence , foit faute de ju^e-
33 ment, on femble fermer les yeux aux vrais prin-
3> cipes des arts. Car comment' fuppofer que des
33 rofeaux foutiennent un toit 5 que des candélabres
33 fupportent un édifice 5 que de foibles branches
33 portent des figures , & qu’il forte de leurs tiges,
33 de leurs racines ou de leurs fleurs des moitiés de
33 figures ? Cependant perfonne ne réprend ces im-
>3 pertinences 3 on les aime au contraire fans prendre
33 garde fi ces chofes font poflibles ou non , tant
33- les elprits font peu capables de connoître ce qui
»3 mérite d’être approuvé & autorifé. Pour m o i, je
33 crois qu’on ne doit eftimér la peinture qu’autant
33 qu’elle reprêfente la vérité 5 que ce n’eft pas affez
33 que les chofes foient bien peintes ; mais qu’il faut
33 aulfi que le delfin foit raifonnable & qu’il n’y ait
33 rien qui choque le bon fens. 33
Vitruve en nous défîniffant d’une manière aulfi
vraie la nature de-1’Arabefque, nous en indique aulfi
l’origine & l’hiftoire. On voit que ce goût commen-
çoir de fon tems , & qu’il n’avoit pas encore fa it
tQûs les progrès qu’on y remarque depuis. On conçoit
qu'étant une corruption de l’ornement & de la
décoration , il dut prendre naiffance chez un peuple
raffafié des jouiffances fimples de l’art. A u lf i, quoique
le génie d’une partie des objets qui conftituent
YArabeJque , foit naturel aux Asiatiques j quoiqu’il
foit probable que les Romains , dont l ’ambition s’é-
tendoit à tout , ayent dû rapporter de leurs conquêtes
le goût des Grottefques j il ne faudroit pas
en conclure que le genre Arabefque appartient entièrement
à l’Afie. C e feroit mie erreur que d’y
rapporter exclufivement un genre trop compliqué ,
pour avoir pu être le fruit du génie d’un feul
peuple. L 'Arabefque ne paroît pas avoir été plus
comiu des Grecs , quoique l’ornement dont ils furent
les inventeurs , en foit une des branches les
plus importantes 5 ils y contribuèrent pourtant, de
même que les Egyptiens , qui fens l’avoir, jamais
connu, lui prêtèrent leurs fymboles & leurs allégories.
cette v ille , devenue le centre & la capitale de l’Univers
, voyoit tous les peuples connus lui porter leurs
langages, leurs moeurs, leurs religions & leurs arts.
L à fe trouvèrent réunies toutes les combinaifons qui
pouvoient concourir à fa formation. Telle eft l’époque
a laquelle on doit la fixer , d’après les preuves
que Vitruve en donne. C e fut alors , comme Pline
le reproche à ceux de fon tems: que le prix de la
peinture confifta dans l ’éclat dès couleurs j & , qu’in-
fenfiblës aux beautés de l ’art , les yeux n’attachèrent
de valeur qu au brillant des -peintures , & à la fin-
gularité des formes. C ’é to it , fans doute , un beau
champ que Y Arabefque pour faire valoir les belles
fubftances colorantes q u en tiroit de l’Àfîe. Aulfi la
peinture s’en empara 5 & l’on vit les arts y épuifer
toutes leurs reffources , pour aiguifer & flatter un
moment le goût ufé de leurs maîtres dédaigneux.
L 'Arabefque fe fputint à Rome malgré les cenfures
de Vitruve & de Pline. On voit qu’il partagea
long-tems , avec la manie des marbres réels &
fattices, la décoration des intérieurs ; & qu’il porta
le coup leplus funefte à la peinture hiftorique, qui
en fut totalement bannie. On en retrouve des
veftiges jufques dans les derniers monumens du
bas âge.
On le voit accompagner les édifices gothiques :
les vitraux , les mofaïques & les pavés en font encore
remplis. Les Arabes en lui donnant leur nom , le
propagèrent, & le portèrent en ces 'tems de bar-
bane a toute la perfe&ion dont alors il droit fufeepti-
, • Neanmoins,.1 dans ces plates imitations , on
cjierche «t l’on ne trouve plus Y Arabefque des anciens.
Geluides gothiques n’en a plus que la folie, fans
en avoir la gaieté. Un mélange nouveau de fujets
chrétiens & payens l'a rendu plus burlefque. Le manque
de vérité dans les détails d'imitation, le défaut
dexécution fa lourdeur , le vicieux agencement de
& parités, le d t fe d i r où étoit tombé l'architeatire
gothique, tout enfin eut contribué à faire difparoître
pour toujours l’ sirabefque, lorfque la découverte des
ruines antiques où fes vrais modèles étoient reftés enfé-
Velis pendant tant de fiècles , le fit’toun à coup renaî-
rre , & en reffufeita le goût avec celui des autres arts.
Un fort plus heureux l’attendoit à fa renaiffance
dans la nouvelle Rome. Sous l’empire Romain, on
l’a vu s’établir & s’accréditer aux dépens de la peinture
hiftorique. Ses charmes impofteurs avoient faf*
ciné les yeux d’un peuple devenu lui-même l’efclave
des arts qu il n avoit fçu traiter qu’en conquérant.
Auflî, quand Y Arabefque naquit, la peinture expiroit,
fuivant l’expreffion de P lin e , diElum fit de dignitatc
artis morientis. Dès lors , le fort de Y Arabefque
fut (Letre livre a la routine & au caprice ignoranc
d’une foule de peintres médiocres. Du moins, ni les
hiftoriens ne font mention qu’aucun habile homme
s’y foit exercé , ni les reftes de ces peintures ne le
prouvent.
M a is , au renouvellement des arts , on le voie
reparoître avec éclat à côté des chefs-d’oeuvre des
grands hommes ; il exerce le génie des plus grands
maîtres 5 il s’empare de leur pinceau ; il acquière
enfin dès fes premiers pas un crédit qu’iUi’avoit du autrefois
, comme on l’a v u , qu’à la foibïeffe & à la décadence
de la peinture. V o ic i les raifons de cette
différence :
J antiquité renaiffaote acquirent une valeur & un prix
îneltimables aux yeux fie ceux qui en eurent la première
vue. Chaque découverte nouvelle en ce genre
etoit une mvafion faite fur le mauvais goût. T o u t
ce que. le hazard reproduifoit du génie des anciens,
devenoit des armes puilfantes entre les mains
de leurs nouveaux profélytes. On admirait tout
^ H B h I S S h fatis ch o ix , on recevoit tout avec
avidité, L t doit-on s'étonner que, foitantdes téné-
bres de ce longfommeii des a r t s , charmés, prefque-
ehlouis des C l a r i s . fubites d'un nouveau jour , le s
yeux de ceux qui en furent frappés, fe foient mépris,
lur les véritables objets de leur imiçation î
. Qu'on réfléchifTe, d'ailleurs, à l'efpèce de fupério-
nté q u i, malgré ce qu'on a dit plus haut, accompagne
tous les genres de décoration chez les anciens-
au caractère d'originalité qui s'y. trouve imprimé ■
qu on examine l'incroyable variété de Y Arabefque antique
la h a rd ie * de fon exécution , les charmans
détails qu il renferme, les idées henreufes, les pré-
cieules analogies, qu’on peut-en tirer , 8c l’on verra
pourquoi tant d’habiles gens'en éprouvèrent la f é -
micrion ; on comprendra pourquoi le plus grand
, ™lrf . la peinture mpdenren'en jugea pas avec
la revente de V itruve.
au plus haut point de perfeâion qu'ils pouvoient efpé-
rer des tems modernes. Le génie de Raphaël a prefque
pénétré le fecrec des anciens. Les chefs-d'oeuvre d e
la Grèce environnés de fes. ouvrages , fe retrouyenî