
lui-même aucune règle , ne fuit-il aucune des impulsons
du goût ? Et puis, pourquoi ne cher-
cheroit-on pas à corriger par l ’influence de la
raifon ce que certaines pratiques de la décoration
Semblent avoir de trop arbitraire ? Sans changer *
les ufages reçus, l’arc hiteéfe ne fauroit-il donc ,
par un emploi intelligent 6c approprié de certaines
formes, faire dii'paroitre ce qu’on trouve
d’inconfèquent dans l’application qu une routine
aveugle en fait indiftinélemeiK à tout ?
Les rudentures pratiquées dans les cannelures,
& pratiquées le phis fouvenr par une pure routine,
m’ont conduit à cette réflexion. ^
L’ufage le plus général, comme i on fait, ell
de n’en remplir que le tiers inférieur de la-hauteur
de la colonne. 11 n’elt pas beioin .de dire
que ces rudentures ne (ont que le rélultat ou iu-
perflu de matière qu’on néglige d’enlever en creu-
fant les cannelure*. Mais il n e fl pas mutile de taire
©bferver que l’objet principal de cette pratique eft
d’affecter plus de iolidité dans les parties inférieures
de 1a colonne , 6c particuliérement de fortifier
les côtes des cannelures, qui fans cela leroient
expofées à être fraéhirées, 6c à éprouver tous les
accidens qui peuvent menacer des colonnes placées
par bas.
D ’après cela, la raifon indique deux réglés*
la première, que les cannelures rudentees ou remplies
ne doivent s’employer que dans les colonnes
qui font à rez 'de-chaufiée , c’eft-à-dire, en danger
d’être heurtées, & non dans celles-que leur élévation
fur des pièdefiaux met hors d un parefl-
rifque , ou qui le trouvent appliquées à un iccond
ordre. Quand on trouveroit dans 1 antique des
exemples contraires à cette maxime , il taudroit
toujours convenir avec nous que l’autorité de 1 antique
ne tauroit l’emporter iur 1 autorité de la
raifon ( Voye^ AUTORITÉ ). Mai> d'ailleurs L’exemple
qu’on pourroit nous oppoter d.s colonnes
rudentees julqu’au tiers, quoique placées fur des
piédeftaux, à l’arc de Conftantui, ne pr./uveroit
rien contre le fentiment qu’on avance ici. 11 efl
trop évident que cc-t arc a été confirait des ruines
& des démembremens d’nn aut.e, oùles coionnes
en queflion pouvoient être fituées a rez - de-
chaufiée.
La fécondé règle qui rèfulte de cette théorie,
c’ eft que bien certainement les rudentures , quand
on les emploie 3 ne doivent occuper que la partie
inférieure des cannelures, puifque lé béfoin qui
les motive dans cette même partie de la coionne ,
ainfi que nous l’avons dit plus haut , ne lubfifte
plus par rapport à la portion du fut que la hauteur
met hors de iâ portée de tour accident. Ceux
donc qui emploient cet or né ni ont dans des canner
litres, hors des cas indiqués par les radons qu’on
vient de déduire, ainfi que dans toute ki hauteur
des cavités longitudinales, font trop voir qu’ils
emploient des chof~s dont iis ne comprennent ni
l’origine ni la raifon.
Les rudentures forment ordinairement dans U
cannelure un corps arrondi, dont la convexité
contrafte avec la concavité de celle-là. Quelquefois
, au lieu d’avoir la forme d’une corde où d'un
bâton, ce rempliffage efl tout plat & arrive juf-
. qu’auprès des bords de la côte * ainfi qu’on le
voit aux colonnes intérieures du panthéon. Quelquefois
ces rudentures font découpées en orne-
mens, & de leur extrémité fupénèure fort une
tigère qui monte le long de la cannelure. ( Voye^
Rudenture).
6i l’on veut voir de combien de manières on
peut enrichir les cannelures, foit en découpant encore
leurs côtes , foit en introduiront dans toute
leur hauteur des feuillages, il faut confidérer l'ordre
ionique du château des Tuileries du cçté du jardin.
On ne cite, au refte, ces ornemens que pour
l’exécution & non pour le goût qui 'es a prodigues
là avec, fi peu de discrétion. Il faut obferver , lori-
qu’on affeéle des ornemens aux cannelures, ou qu on
les enrichit feulement de baguettes ou de doubles
fi fléaux, de ne pas les orner indifféremment. Leur
richeffe, aufii bien que leur élégance, doit être
en rapport avec la folidité ou 1* légèreté de 1 ordre.-
II faut éviter fur-tout, lorfque l’on place un ordre
corinthien fur un ordre ionique, de faire les
cannelures de Tordre d’en haut plus fimpies -que
celles de l’ordre d’en bas. G’eft un- defaut de
convenance que l’on remarque cependant à quelques
portails d’églifcs à Pâtis. .
Ce qu’on a dit des cannelures par rapport aux
ordres ionique & corinthien, s’applique en entier
à celles de Tefpêce tLordre qu’on appelle com-
pofne. Quant à celui que les modernes diftinguent
encore par le nom d. tofean, il n’en comporte pas
d’après les.règles de progreflions de richeffe, déterminée
entre les cinq ordres^ & fi o» lui en donnoit,
la fini pie au fl évité dont cet ordre fait profefiiofl
ne pe metiroit de lui adapter que les cannelures
doriques, du peut-être celles à pans dont il a été
queflion.
Par une fuite de cette proportion progreffive
de richeffe & de variété dan* les'cinq claffes de
colonnes qui compofent le fyftême moderne de
l’architeffure , on pourroit affeéler à l’ordre compote
les cannelures torfes- ou en fpirales , fi cfette
méthode n’offroit un exemple dangereux de La bus
dans lequel on' peut tomber , lorfqu’on veut tirer
des ccuiféqu.nces dé pratiques qui ne font elles-
mêmes que des licences tolérées. C ’eft bien fans
doute ce qu’on peut dire des cannelures en général,
dont il n’eft pas pofiïble de rendre aucune raifon
fondée fur la nature. Si l’ufage & le plàîfir des
yeux auforifent cet ornement ,-le goût & lé bon
fens i. diquent qu’on ne fauroi-t pafïer au-delà ,
ni renchérir fur la forme. Les cannelures torfes
fur une furface perpendiculaire font un effet aufii
faux que déplaifant. Pour en juftifier l’emploi,
1 on accuferoit en vain les cannelures droites d’être
[ également un réfuhat du caprice. Le caprice des
unes n’aiitonleroîr pas le caprice des autres. Et tout
ce qu’on pourroit dire , c’eft qu’un abus en auroit
produit un autre encore plus grand.
Les cannelures fpirales ont pu donner ridée des
colonnes torfes , ou celles-ci faire imaginer les
premières. Il nous irpporre peu de lavoir lequel
Ses deux vices eft le père de l’autre. L’architetlure
régulière les repouiïe tous deux également, comme
la compofitîon de certaines décorations peut les
admettre enfemble. ( Voye{ BALDAQUIN , celui de-
Saint-Pierre ).
Cependant on trouve dans l’antique des exemples
de cannelures torfes autour d’un lut perpendiculaire.
C ’eft de cette forte que font cifelees
deux colonnes du petit temple de Clitumnus , fi tué
entre Spoleto & Fuligno. {Fo'Je[Spo l e to ). Ces .
cavités fpirales commencent du bas de la colonne,-
& fe terminent à l’aftragale. Il eft vrai que ce
chétif monument ne s’annonce pas pour être des
bons tems même de l’architeaure romaine. Un
retrouve cette vicieufe pratique aux colonnes^ de
marbre qui forment les por.ches des premières
éelifes chrétiennes de Rome , c’eft-a-dtre , de mo-
numens élevés dans la décadence de l’architeâure
& de tous les arts. On la retrouve principalement
à toutes les petites colonnes des Sarcophages du
bas-âge c’eft-à-dire, à tous les ouvrages dont le
goût, le travail & l’époque nous avemffent que
ce n’eft pas là. qu’il faut aller chercher ni les
maximes du vrai, ni les autorités même qui pourraient
juftifier des licences. Ce ne fera pîs non
plus dans une belle lampe du cabinet de Portici
qu’on ira chercher les motifs d’accueillir cette invention
bâtarde. Auprès de l’enfant qui tient la
lampe fufpendue, eft une colonne avec des cannelures
tournées en fpirale. Mais on voit trop
clairement, quelle que foit l’époque a laquelle on
peut faire remonter Ce petit ouvrage de bronze ,
qu’il n’eft lui-même, comme tous ceux de la même
efpèce , qu’un badinage de l’anifte, très-permis fans
doute dans des objets d’une fi légère importance;
Cet exemple , fut-il des meilleurs^ fiecles de la
Grèce, prouveroit feulement que 1 idée àzs cannelures
torfes étoit alors connue. Mais cequiferoit
bqn pour prouver un fait-en matière d antiquité,
feroit bien infùffifant, pour antorifer une pratique
quelconque en matière d’art & de goût.
En cherchant à découvrir l’origine des cannelures,
j’ai plutôt prétendu retrouver les traces de
cette intention, que lui faire acquérir par cette
découverte un degré de vraifemblancetOU de convenance
qui fût fondé fur la nature & la nécef-
fité. Je le répète : les cannelures font ùn ornement
purement arbitraire , dont l’origine ne fauroit fe
voir dans aucune des caufes premières^ de l’ar-
chiteâure, & dont l’objet unique eft d’enrichir
plus ou moins le fût' des colonnes, félon la proportion
de richeffe convenable à chaque ordre,
ou au cara&ère particulier de chaque édifice.
Ce qui le prouveroit encore, c’eft l’emploi que
de tout temps on a fait fur divers membres d ar-
chiteâure, & fur des objets étrangers en quelque
forte à cet art.
Les cannelures fe pratiquent, comme l’on fait,
dans l’ordre corinthien fur la face antérieure du
larmier. Elles s’emploient aufii dans certaines feoties
ou cavités de profils. Mais on ne croit pas qu il
y ait un exemple plus remarquable de l’emploi
de ces cifelures qu’au temple de Junon a Samos.
La plinthe & le tore qu’on-voit à la bafe de la
feule colonne encore exiftante à cet édifice, font
cannelés horizontalement, & les côtes des cannelures
forment un double liftel. ( Voyeç Samos ).
Les confoles, les gaines ou terrais, les piè-
douches reçoivent auffi. des cannelures•. On les verra
fréquemment fur les vafes antiques, & particu-
; fièrement dans cette partie qui forme le fond du
vafe. Il n’eft pas rare non plus de trouver fur les
vafes des cannelures en fpirale. La forme de ces
fortes d’objets femble laiffer plus de carrière au
* caprice de l’ornement ; & la diminution inferieure
du vafe femble aufii rendre cet effet moins défa-
gréable que dans les (urfaces perpendiculaires.
Nous apprenons des anciens, & quelques exemples
modernes nous confirment encore , que quelquefois
les cannelures s’appliquent aux colonnes ,
moins par un motif d’enabelliffement-, que pour
augmenter & faire croire à l’oeil leur diamètre plus
grand .qu’il ne l’eft en effet.
On voit par un paffàge de V itruve , que les
anciens, qui avoient deviné tous les fecrets de
l’optique dans l’archite&ure (voyeç Optique ) ,
mùltiplioient quelquefois le nombre des cannelures
à certaines colonnes, pour ajouter en apparence
à l’épaiffeur de leur diamètre. « Si l’on veut ( dit
» Vitruve , trad, de Perr. p. 126) i que l’ inégalité
î» de diamètre entre les colonnes amincies qui
n font entre les autres & celle's de 1 extérieur,
» ne foit pas fenfible, on la fera difparoître en
)j donnant aux premières vingt-huit ou trente-
» deux cannelures, fuppofé que les colonnes -du
» dehors n’en aient que vingt-quatre. On*ajoute
ainfi, par l’augmentation des cannelures, à ce qui
»> a été diminué du corps de la colonne , qui
w parce moyen paroîtra plus groffe qu’elle ne l’eft:
jj en réalité , & perdra l’effet de fa difparité avec
jj les autres. La raifon eft que les objets partagés
jj en plus de parties, & donnant à parcourir à
jj l’oeil un efpace plus fubdivifê, paroiffent plus
jj grands à la vue. Et en effet, fi^ l’on conduit
» un fil fur deux colonnes d’une même groffeur ,
» dont Lune foit cannelée & l’autre fans canne-
jj lures, il eft certain que la ligne <jui aura été-
j> condnite dans toutes les cavités & fur les angles
j> des cannelures, fera la plus grande. C ’eft pour-
jj quoi on peut mettré en des lieux étroits des
jj colonnes plus grêles, fans qu’elles paroiffent
jj l’être à caufe du remède que l’augmentation des
jj cannelures y apporte ».
<1 Cette raifon, ajoute Perrault, eft belle & fubtile,
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