
fculpteur. Si l’on jette an coup d’oeil fur l’antiquité
, on ne fauroit voir fans étonnement legrand
nombre d'architectes célèbres qui réunirent dans d’autres
arts une fupériorité qu’il eft fi rare aujourd’hui
d’atteindre dans un feul 5 & , fans remonter
aux Grecs & aux Romains , n’a t’on pas vu cette
réunion de talens fupérieurs -en un feul homme, fe
reproduire dans les beaux fîèclès de l’Italie ? N’a t’on pas
vu tous les arts du deffin fe difputer en quelque forte
là propriété de ces noms fameux que la Renommée
a infcrit fur les faites de chacun d’eux ? En faire rénumération,.
ce feroit prefque n’en excepter aucun. Il
étoit même aufli rare alors de ne profeffer qu’un
feul art , qu’il l’eft, de nos jours, de voir un feul
homme en pofféder plus d’un.
On feroit une lifte trop nombreufe des peintres &
fculpteurs célèbres qui réunirent à un très-haut point
le favoir & le goût de l’architecture, & qui ont laiffé
douter à la poftérité fous quel titre, & dans quelle
claffe des arts leurs noms doivent s’infcrire. On y
liroit les noms fameux de Giotto , d’Orcagna , de
Mantegna, de Michel-Ange , de Raphaël , de Jules
Romain, de Polidore, de Vafari, de Pellegrin Ti-
baldi, Daniel de Volterre, Cigolh, Jean de Bologne,
Dominiquain , Corrone, Bernin, de Caries Marrate,
de l’Algardi, &c &c. A ce tableau l’on oppoferoit
celui des plus grands maîtres de l’architefture, qui tous
©nt réuni, dans un degré plus ou moins éminent,
la connoiffance pratique des autres arts du deffin. En
tête on y verroit Brunnelefchi & Ammanati, ces deux
chefs de l’école Florentine , qui ont laififé plus
d’un monument de leur favoir en fculpture, ainfi
que Sanfovino , Palladio , San-Gallo qui furent également
d’habiles fculpteurs : Bramante , Vignoïe,
Alberti, Boromini & tant d’autres y paroîtroient
maniant tour-à-tour le compas & le pinceau. Enfin
on prouverait qu’il n’exifte prefqu’aucun beau monument
en architecture , qui ne foit le fruit du favoir
combiné des différens arts dans ceux qui en furent
les auteurs»
La raifon de cette réunion de talens dans plufieurs
arts, jadis fi commune, aujourd’hui fi rare chez un
feul homme , eft qu’autrefois un même génie préfi-
doit à tous les arts ; une feule chaîne les uniffoitj
& ce lien commun étoit le deffin , ou la connoiffance
pratique des proportions naturelles, qui faifoit la bafe
des trois arts. Si l’en prend la peine de lire la vie
des artiftes célèbres de ces premiers teins des arts ,
©n reconnoîtra la vérité de ce qu’on avance ici : leur
première éducation étoit la même : les plus habiles
architectes fe formeient dans l’école des plus fameüx
peintres. Les inftitutions modernes , qui en étendant
Sc rendant plus difficile le méchanifme de chaque art,
en relièrent le génie dans les bornes étroites dû cercle
qui lès ifo'Ie., n’avoient point rompu cette fraternité,.
qui n’eft plus aujourd’hui qu’un nom, & n’exifte
plus que dans les fyftêmes dé ceux qui écrivent fur
les arts. Les arts alors étant réellement frères , les ;
artiftes formaient une. véritable famille qui jouiffoit •
8c s’enrichiiïok d’un patrimoine commun. Infirmes
tout à la fois dans les principes de tous les arts
qui n’en faifoient , fi 011 peut le dire ,, qu’un fe u l,
ils palfoient indifféremment de l’un à l’autre , ou
le bornoient à celui que leur goût ou les circonftan-
ces leur rendoient plus familier 5 mais ils confervoienC
toujours les analogies précieufes que les premières
études leur avoient données : louvent le hazard feul
les portoit à l’exercice d’un art dont ils n’avoient eu
jufques-là aucune pratique , & dév-eloppoit fubite-
ment en eux un talent dont l’acqijifition femble demander
aujourd’hui la vie entière d’un homme.
L ’architefture fur-tout fournit une foule d’exemples
en ce genre : V a fa r i, dans la vie de Baccio d'A -
gnolo, remarque que cet a r t , plus particulièrement
que les autres , avoit été exércé par un grand nombre
d’hommes qui n’en avoient point fait d’études-
Ipéciales , & qui en ignoraient même les termes.
Sommo piacere mi piglio alcuna volta nel vedere i pria-
dpi degli arte fici nofiri, per vedere falire molti tal orct
di bajjb in alto fiecialmente ne II architeCtura, lafciençoe
délia quale non ejlata efircitatadaparechi anni addietro9
fe non da perfone— che facevano profeffione fin \a fa -
perne pure i termini e i primi principi d'intendere la per-
fpettiva„
À quoi cet écrivain , peintre & architefte, ajoute
qu’on ne fauroit exceller dans l’architefture, fans
un très-bon jugement, fans la connoiffance du deffin
ou la pratique habituelle dé la peinture 8c de la fculpture
: £ pur è vero che non (i puo efercitare l'archi-
tettura perfettamente , fe non da coloro che hanno ottimo
gindifio, e buon difigno , 0 che in pitturc fculturey 0 cofe
di legname abbiano grandemente operato»
L a caufe de cétte facilité qu’ont les peintres & leS^
fculpteurs à apprendre F architefture, continue Vafari,
eft que lès uns & les autres, foit dans les rapports
des ftatues avec les édifices , foit par la néceffité de
faire & de compofér Farchitecture dans leurs tableaux,
font forcés de prendre connoiffance de-cet a r t , &
d’étudier les mefures qui y font relatives..
Mais il- eft un autre rapport plus immédiat qui
unit ces arts enfemble 3 & l’on apperçoit aifément
comment la fcience du deffin , c’eft - à - dire , la
fcience des proportions qui en réfùlte , s’applique
néceffairement à l’architecture. Si les proportions
données à cet art furent le réfultat de celles du
corps humain, ( Voye^ A rchitecture. ) i l n’y a
point de doute que, celui qui fera habitué à les étudier
dans le livre même de la Nature , en fera des
applications bien plus vraies & bien plus juftes , que
ceux qui fe conduifent dans cette étude par l’imitation
routinière des ouvrages & des édifices où elles font
moins fenfiblement imprimées.. Non pote f i cédés ulla.
fine fymetria atque proportione rationem kabere cpm-
pofitionis , nifi uti ad homhüs bene figurati membro-
mm habuerit exaCtam rationem , Vitruv..
On- ne fauroit dire, combien ( même indépendamment
des grandes lumières que Xarchitecte peut tirer
de k pratique des autres a r ts , pour f’ invlntion , Je
•Sentiment vrai du caraftère , pour les reffources de
la décoration ) cette pratique lui eft utile dans l’execution
de fes deffins. L a connoiffance du clair obfcur,
des effets de la lumière , du contrafte des parties ,
de leur accord où de leur antipathie.., lui fournit des
reffources de toute efpèce : elle lui indique des défauts
que la peinture plate & muette de fes projets ne lui
fera jamais appercevoir , qui ne fe décélent que dans
l’exécution, &c lorfqu’il eft trop tard pour pouvoir y
.remédier.
Il.réfulteroit de cette réunion des arts un avantage
bien précieux pour l’architecture, avantage qui ne s’y
rencontre plus depuis que chaque artifte s’eft concentré
dans les notions ifolées de fon art. C ’eft l’harmonie
& l’accord des différentes parties qui concour-
xent à la compofîtion des édifices. ( Voye%_ A c c o r d .)
Une foule de conftruftions modernes nous p-réfentent
les difparates les plus ridicules , & la profufion la
plus infenfée d’ornemens abfurdes, contradictoires &
inutiles. Semblable à ces plantes parafites , que le
hazard fait germer dans les édifices abandonnés à
toutes les intempéries de l’air , l’ornement dans les
bâti mens en queftion , livré au hazard de la routine
par Xarchitecte qui n’en connoiffoit point les règles ,
inonda tous les membres de l’architecture. Obligé
d’abandonner au décorateur avec lequel il n’a point
de rapport, le foin de finir fes édifices , il en a vu
plus d’une fois difparoître la forme & le g o û t , fous
les amas burlefques d’ornemens infipides qui en dégradent
l’afp eft.
L ’expérience de cet abus en fait naître un autre.
Trop en garde contre les délires du décorateur qu’il
dëfefpère de conduire, & qu’il ne fauroit faire aller
de concert avec lui , X architecte prend le parti de
s’en paffer entièrement 5 il bannit 'des intérieurs
la peinture dont il ne peut modérer les licences, &
à laquelle fon ignorance dans cet a r t , l’empêche de
pouvoir mettre un frein , & de preferire des règles.
L ’extérieur de fes édifices dénué des reffources 4e la
fculpture , ne préfente plus qu’un fquelette d’archi-
tefture, privé de vie , de mouvement & de grâce.
En vain prétend’il tirer de fon art feul les beautés qu’il
ne veut plus devoir aux autres arts , fes monumens
inanimés, décolorés, fi l’on peut le dire, n’offrent aux
yeux que l’image d’une pauvreté, qui pour -être v o lontaire
, n’en eft pas , moins rebutante.
On 11’ignore pas les reproches que les architectes
de profeffion font à quelques peintres , d’avoir dénaturé
dans leurs édifices le génie propre à F architefture;
d y avoir fùbftkué celui de la décoration^ comme
étant plus de leur relfort $ & d’avoir fait prévaloir
ùans leurs monumens l’art qu’ils poffédoient le mieux,
& dont les reffources leur étoient plus familières. On
fait ce -que 1 architefture, long-tems fubordonnée à la
peinture & a la fculpture qui lui donnoient la loi ,*
perdit de fa grandeur & de fa beauté intrinfeques : mais,
qu’on y prenne garde : c ’eft moins à la peinturç,
au mauvais goût régnant alors dans tous les arts,
qu’il faut attribuer ce genre vicieux, qüe les peintres
.durent plus facilement encore communiquer à l’architefture.
Quon examine les monumens dirigés & inventés
par les peintres ou fculpteurs des beaux tems y
on les verra pleins du goût fage & pur qui régnoit
dans leurs autres ouvrages : ce n'eft donc point parce
qu’ils étôient peintres , que Cortone & Boromini ont
fait de l’architefture liceiicieufe, puifque Raphaël ,
Jules Romain, Jean Goujon & tant d’autres peintres
ou fculpteurs , nous ont laiffé des modèles de
l’architefture la plus régulière & la mieux raifonnée ;
mais les uns & les autres appliquèrent à l’architefture
le goût & le ftyle des autres arts qu’ils profeffoient,
& dont les principes , bons ou mauvais , fuivant les
tems, font également communs à l’architefture.
Quelle que foit la force de toutes ces autorités y
& de toutes les conféquences qu’on peut en tirer ,
on ne fauroit aujourd’hui faire une loi de cette réunion
des différens .arts. Si la Nature les unit , fi leur
intérêt commun les rapproche, la forme moderne de
nos écoles & des études qu on y f a i t , ne tend qu’à
les ifoler & les divifer. La timidité, la foiblelfe même,
fruit de l’efprit de méthode fi. funefte au génie, feraient
regarder comme chimérique le projet de réunir la
pratique d’arts limitrophes , ,il eft vrai , mais féparés
aujourd’hui par des barrières devenues infurmontables.
Si donc on ne peut plus exiger de Xarchitecte avec
Vitruve & V afa r i, qu’il excelle en même tems dans la
peinture ou la fculpture, au moins doit-on lui deman-
.der les connoiffançes théoriques de ces deux arts. Elle»
lui feront indifpenfables pour éviter les abus dont on
a parlé. L a pratique du deffin , ne fauroit lui être
trop familière , foit pour les figures qui doivent orner
fes projets, foit pour les ornemens de tout genre, dont
la compofîtion 11e peut appartenir qu’à lu i , foit enfin
pour la direftion des différens ouvriers ou artiftes auxquels
il doit communiquer fes idées & faire paffer fon
goût & fonftyle. ,
Toutes ce s connoiffances que nous venons de parcourir
ne font encore que les acceffoires de l’archi-
tefture ; celle-ci demande par deffus to u t , le génie ou
lè talent de l’invention. Le génie ne demande point ce que
cefi , dit un philofophe éloquent j Vas tu , tu le fiens
en toi ; f i tu ne Cas point, tu h apprendras jamais ce
qu'il efi. Veux-tu favoir f i queIqu étincelle de ce fea
dévorant t'anime , cours, vole à Rome : vois le Panthéon
5 vois les reftes de La grandeur Romaine. S i tu
te fin s frappé de fortes émotions a la vue de ces objets
prends le crayon , invente.
Le génie de Xarchitecte fe développe à l’afpeft des
monumens de l’antiquité : il doit les examiner au.
flambeau de la raifon , & chercher à y découvrir le
petit nombre de règles qu’elle preferit. En tout genre
d’arts , la raifon a difté peu de règles : la routine &
le préjugé les ont multipliées. De tel côté qu’on fe
tourne , on voit par-tout la médiocrité faire des
loix ,-Jk le génie s’humilier fous leur joug. C ’eft l’image
d’un louverain affervi par fes efclaves. Mais
s’il ne doit pas fupporterla fervitude, il ne doit pas non