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leurs ouvrages toutes les qualités qui réfultent de
cette influence.
Le climat , il faut le dire , ne développe bien
fenfiblement fur le moral des hommes une aâ ion
v ia b le , qu’autant qu’il eft lui-même doué de qualités
bien diftinâes & bien prononcées.
J’entends par un climat de cette e fp è c e , celui dont
la température a une certaine uniformité, une tenue
affez fu iv ie , une a â ion affez marquée, pour que les '
hommes qui en reçoivent l’influence, puiflent en
obtenir des habitudes confiantes. Là où le climat
n’a point de propriété bien apparente , les hommes
paraîtront n’avoir aucune qualité bien décidée, &
cette indécifion les-rendra lég er s, mobiles , fufcep-
tibles de changement, habiles à to u t , fans être
parfaits en rien , toujours voifins de tous les vices _
icomme de toutes les vertus.
U n climat décidé donne aux hommès des qualités
& des défauts fenfibles, & c’eft-là ce qui conftitue
un caraâère.
L ’a â ion des climats fur le caraâère des hommes
eft moins aifé à appercevoir que celle qui a lieu
fur les facultés imaginatives. Pour fe mettre à j
portée de la faifir , il faut fe placer aux points
de diftance convenable. A in f i , quand d’un coup-
d’oeil jetté .vers les contrées brûlantes du m id i,
ou vers les régions glacées du nord , on apperçoit
d’une part l’exubérance, & de l’autre la ftérilité de
l’invention ; d’uns p a rt , l’exagération de toutes les
id é e s , & de l’autre l’inaâion complète des facultés
imaginatives j d’une p a r t , tous les jeux du caprice
& tous les écarts de la fantaifie , de l’autre les
feuls calculs de la méthode & les pas timides de
la plus froide raifon ; quand, réfléchiffant à la diversité
de ces réfult,ats ,ô n trouve qu’ils font uniformes
dans tons les produits de l’efprit , & que
jamais cette différence d’effets ne s’eft démentie ,
malgré tout ce qu’ont pu y introduire de changement
les révolutions politiques ou les inftitutions
morales , il faut a voue r, comme on l’a dit ailleurs,
( voyt[ C a r a c t è r e ) que les arts doivent ê t r e ,
bien plus qu’on ne p en fe , des fruits du climat &
des caufes naturelles de chaque pays.
Selon que les hommes fe .trouvent placés à des
degrés où le plus ou le moins de fermentation &
d’effervefcence , produit par le plus ou le moins
de voifinage du fo îe il, doit les porter aux égaremens
de l’imagination ou aux calculs du raifonriement,
on voit tous les arts participer à cés effets fenfibles.
L ’architeâure, plus peut-être qu’aucun autre a r t ,
doit en éprouver l’influence. Elle y eft fi évidente ,
q u e , s’il le falloit, on pourrait fe fervir de cet art pour
prouver l’a â io n du climat fur les hommes.
O n pourrait d’autant mieux étudier cette efpèce
de rapport dire# du climat à l’architeâure, que
tous les peuples de l’Europe ayant adopté le
même genre de bâtir, les-diffemblances qu’on y
rencontre tiennent moins à vune invention particuc
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Hère, & aux caufes quelquefois fortuites qui y pré*
iid e n t , qu’à un. goût local déterminé avant tout par
le caractère de chaque pays. L ’on trouverait donc
que chaque peuple contra â e dans la nature des
caufes phyfiques qui lui font particulières , une habitude
de goûts , d’humeurs , de fenfations , q u i,
fans, qu’il le veuille ou s’en ap perçoive, fe communiquent
à tous les ouvrages de l’indiiftrie, comme
à ceux du génie.
Mais laéHon direâe. du climat fur les productions
de l’architeâure, a quelque chofe de plus vifl-
ble & de plus inconteftable.
Les befoins les plus impérieux des hommes
tiennent au climat, & ces befoins ont une telle puif-
faiîce q u e , quelles que foient les raifons qui tranfpor-
tent d’une température fous une autre le genre de
bâtir d’un peuple, vous le verrez, au bout d’un certain
temps, prendre l’accord du climat, c’eft-à-dire, fe
plier , fe façonner au gré de la nécelïité & des
befoins de ceux qui en reçoivent l’influence.
A mefure que l’architeâure grecque , quittant
fon pays n a ta l, s’eft v u e , par la communication naturelle
des peuples qui l’ont adoptée, tranfportée
fous d’autres d e u x , on lui a vu perdre aufli plus
ou moins des caraâères qui conftituent fon effence ;
on y a vu fur-tout s’empreindre d’une manière inconteftable
, les caraâères des climats & les befoins
analogues à chacun.
Un des effets les plus fenfibles de ces change-
mens, fe remarque dans cette partie des édifices
que nous, appelions fronton. D u parthenon d’A thènes
au panthéon de Rome , la différence eft
telle qu’on fe croit déjà , devant ce dernier , tranf-
porté fous les frimas d’un ciel trifte & pluvieux.
A mefure qu’on remonte vers les régions difgraciées
de la nature, le fyftême de l’architeâure grecque
v a toujours perdant cette harmonie qu’il devoit
en grande partie à l’heureufe température fous laquelle
il s’étoit développé. Les combles des édifices
femblent s’agrandir pour oppofer plus de réfiftance
aux intempéries des faifons ; leurs faîtes acquièrent
plus de raideur, comme pour faciliter l’écoulement
des neiges & des pluies ; dès-lors le fronton, qui
eft la repréfentation du comb le, perd tous ces rapports
heureux qu’une pente douce & légère lui don-
noit en Grèce : cette différence eft une de celles qui
frappent le plus les y e u x , même les moins connôif*
feurs.
L ’architeâure, quelqu’effort que puiffent faire les
artiftes dans les monumens qui femblent ne dépendre
que de leur g énie, dépend plus qu’ils né le
croient des Amples élêmens qui conftituent les confl
truâions ordinaires , enfantées par le befoin & les
néceflités de chaque pays. Il fe forme, malgré
qu’on en ait , des cabanes aux maifons ordinaires,
de celles-ci aux palais & aux monumens publics ,
aux temples même , un rapport d e . formes & de
difpofitions affez uniformes dans chaque pays ; en-
forte que pour celui qui fait diftinguer oc appré-
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t ie r de tels rapports , la plus Ample cabanè offre
les caraâères généraux & comme le type des
plus riches monumens. ( Voyti A r c h i t e c t u r e &
C a b a n e . ) O r , perfonne ne conteftera'au climat ,
ou aux caufes naturelles , une aâion très-direâe
fur les effais que le befoin fa it , dans chaque pays.,
de l’art de bâtir. L’on peut donc affirmer que
A la corrélation dont on a parlé exifte , l’aâion
du climat fe fait fentir jufques dans les édifices qui
paroiffent le moins fournis par leur emploi, aux befoins
& aux néceffités ordinaires qui en réfultent.
L ’oeil un peu clairvoyant la remarque cette
a â io n , tantôt dans la multiplicité , tantôt dans l’ab-
.fence même des colonnes. En vain , dans certains
pays , a- t-on cherché à introduire ce luxe de périf-
tiles , de colonnades & de galeries , dont le coup-
. d ’oeil charmant femble A d’accord avec certains
climats ; on fouffre , fans que fouvent on en puiffe
dire la raifon , de la çontradiâion que l’intempérie
de l’air & la rigueur des frimas, mettent entre
le ciel & les monumens. La raifon de cette im-
preffion, eft l’inutilité fenfible de tous ces objets
auxquels on n’attache réellement du plaifir qu’en
raifon du befoin qu’on en a.
Il eft bien difficile aufli qu’on ne-foit pas choqué
du contrafte trop frappant que l ’art veut
introduire entre les conftruâions indigènes d’un
.pays*, & les formes qui tiennent à un ordre d ’inventions
étrangères. V oilà pourquoi l’on voit toujours
s ’opérer entre e lle s , un certain rapprochement qui
tend à reprendre l ’uniflon du climat.
O n peut remarquer comment il s’opère ; les
colonnes qui font la vie & le mouvement des édifices
, font remplacées par les pilaftres ; b ientôt l’inutilité
de cette froide repréfentation contribue à en
dégoûter les yeux ; les bâtimens reviennent à leur
première nudité. La néceflité d’y introduire le. plus
de jour qu’il eft poflible , v a agrandir toutes les
ouvertures, & forcera de facrifier à cette exigence
toutes les convenances de g o û t , & les loix même
■ des proportions. D e - là , dans beaucoup d’édifices ,
cette largeur d’entre-colônnemens qui ôte tout ca-
;ra â è re à l’architeâure. Le détail de toutes les formes
, générales & particulières qui dépendent du climat
ou des caufes phyfiques dans les maifons & les
habitations des particuliers, eft trop connu pour qu’on
regrette de ne pas le trouver ici. Il fuffira de dire
ue dans certains pays un des plus grands mérites
é l’architeâ e, eft de favoir concilier avec les befoins
de fon climat, les formes d’une architeâüre née
fous l’heureufe influence d’un ciel plus propice.
Mais on fe flatterait en vain de pouvoir trouver
des leçons à cet égard.
L ’arch iteâ e, indépendamment des formes générales
preferites par le climat, fera encore fubordonné
à celui-ci, pour la conftruâion & pour la décora-
tion. : . . . , *
La différence du climat établit des diverfites tres-
fenfibjes dans les fyftêraes de conftruâion,. L ’ou
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cônnoît a ffe z , pour qu’il foit mutile de s’arrêter â
la prouver , l’aâ ion prefque irréfiftible des faifons,
'd e leurs viciflitudes & de leurs contraftes plus ou
moins violens fur la nature des matériaux. O n
préfume dès-lors,quelles doivent être les confidé-
rations de l’art de bâtir , dans l’emploi de ces
matériaux , dans leur difpofition, leur liaifon,
leurs- diverfes combinaifons, pour oppofer le plus»
de réfiftance à l’aâ ion deftruâive des élémens âC
à l’iiifluence de certains climats.
Les Egyptiens, par exemple, ne connurent point?
dans leurs conftruâions, l’ufage des voûtes. D©
grandes dalles de pierre pofées à plat, & d’autre»
placées de champ, formoient 8c les folives des
plafonds & leurs couvertures. Indépendamment de
la ténacité de leurs pierres (qu i cependant n’étoienC
pas toujours des marbres ) , il.fautreconnoître aufli
que le climat de l’E g y p te , où il ne pleut jamais ,
où la rigueur des hivers eft inconnue, pouvoit feu!
permettre à l’architeâure la fimplicité de ces procédés
, & la difpenfer de l’art difpendieux des
voûtes. Qu elle que fût la folidité des matériaux
qu’on emploierait en d’autres p a y s , le retour fuc-
c e fîif& quelquefois brüfque & précipité des diverfes
influences du c ie l, les changemens fubits ou les révolutions
graduelles des faifons, opéreraient bientôt
dans une telle conftruâion., des altérations qui ne
tarderaient pas à en découvrir l’imprudence & le
danger.
Le climat. décide bien certainement de l’emploi
des matériaux.* Les Romains, en étendant leur empire
dans toutes les contrées de l’univers, y portèrent
aufli leurs arts : mais on obferve que le
même efprit de fageffe qui diâoit à ce peuple conquérant
de laiffer aux peuples conquis leurs dieux
& leurs lo ix , fut aufli infpirer aux architeâes
d’adopter dans chaque pays les procédés de conftruâion
analogues aux différens climats.
Quand le Bernin voulut jetter les fondations
du grand palais qu’il avoit projetté de fubftituer au
L o u v r e , les architeâes F rançois lui reprochèrent de
vouloir bâtir à Paris comme à Rome , & l’expérience
juftifia bientôt leurs reproches.
Les colonnades , les périftiles conviennent certainement
très-peu aux climats froids. L ’architeâ©
qui introduit ce genre de luxe dans les maifons des
pays feptentrionaux, leur prépare peut-être beaucoup
plus de foins, de dépenfe ? d’entretien & d’incommodité
, que d’agrément & de jouiffance.
C ’eft toujours l’intérêt qui décide les hommes
dans leurs entreprifes, & ce calcul fe fait involontairement
& fans qu’on y penfe. S’il y a dans un
pays plus d’été que d’h iv e r , les habitations fe dif-
poferont de manière à procurer de la fraîcheur *
& à fuir l’aâion du foleil. C ’eft ce qu’on obferve
en Ita lie, où l’on bâtit pour l’é té , comme on obferve
qu’ailleurs on ne bâtit que poür l’hiver.
Dans les pays froids & p lu v ieu x, l’on donne
moins de faillie aux entablemens , & à tous les
T t t t z