
tion fu t pour les Grecs un éloquent avis du péril qui
les menaçoic toujours. C e ne fu t , en e f fe t , qu’après
la. fuite du général de Xercèfc, 8c la vi&oire de Thé-
miftocle , qu’on travailla à cette reftanration générale
dts monuméns, & à la réconftru&ion d'Athènes dont
l ’enceinte s’embellit d’édifices qui dévoient être comme
autant de trophées d e là vidoire de Salamine. Telle
e ft l’époque, tout à la fois du plus grand 8c du plus
beau ftyle de l'architecture. Si l’on compare les rao-
numens de cet âge avec les ftatues du même tems *
on verra qu’il y règne le même caradère de grandeur 8c
de force , cette hardieifé 8c cette fierté que les circon-
conftances ne pouvoient pas manquer d’imprimer à
tbus les ouvrages des arts : car les arts , n’étant que
les oeuvres de l’homme, ils font toujours ce que
l ’h omme eft forcé d’être. Les édifices d’ordre Dorique
qu’on éleva alors,-refpirent cet air d’héroïfme Sc
cette mâle énergie dont on voit la caufe dans la pofi-
tion^ politique de la Grèce. C e t ordre, dont on calcule
lès âges par les degrés de force 8c de pefanteur qu’il
offre dans fes divers monuméns, paroît avoir rencontré
a Athènes, 8c vers les tems dont nous parlons, Je point
de fa perfedion, 8c le terme moyen entre les deux excès.
L e parthénon ou temple de Minerve à Athènes, en
eft le plus beau modèle connu.
L ’ordre Ionique , fi l ’on en juge d’après un monument
de cette même v ille , y avoit atteint également
toute lagrâce 8c toute la déîicateffe doue il eft fufeepti-
bîe. V architecture Grecque paffant dans l’Afie mineure
y avoit contradé le goût de parure, 8c la mollefî'e qui
caraderife cette contrée. Sous ce climat voluptueux,
elle avoit perdu une partie de fa force : 8c l’élégance
qu’elle avoit acquife étoit le prix du facrifîce de
plufieurs attributs de la folidité. L ’arrondifTement de
la volute avoit été fubftitué à l’âpreté vigoureufe des
tailloirs 8c des échines en bizeau. Les colonnes du
temple d’Ephèfe fe couvrent d’ornemens en relief j
la fculpture amollit infenfiblement la mâle fierté de
la conftrudion. (F o j c ç O rdre Ionique. ). Q u ’on
doive la perfedion dë cet ordre aux Ioniens, ou à
d’autres peuples, c’eft ce qu’il import^peu de lavoir :
ce qui eft confiant, c’ eft que, dans le temple de Minerve
Poliade , dont M . le Roi fait remonter la conftruc-
tion aux tems dont nous parlons, il avoit acquis toute
fa beauté , toute fa légèreté, 8c ce goût exquis d’ornement
qui ne permettent plus d’y rien ajouter ou d’en
rien ôter. Les chapiteaux Ioniques de ce temple font
les plus parfaits modèles qu’on puifle propofer aux
artiftes.
Callimaque avoit déjà précédé le fiècle dont nous
parlons : 8c par conféquent, le chapiteau Corinthien
n avoit plus rien à attendre, pour fa décoration , du
génie des âges fuivans , comme l’expérience nous l’a
prouvé. En fubftituant aux feuilles d’olive 8c de laurier
, ou aux nymphées de l’Egypte , la plante de
l ’acanthe, Callimaque fomble avoir impofé à tous
les fiècles, la néceffité d’imiter la belle diftribution
dont un hazard heureux lui avoit fuggéré l’idée. (Vo y e z
Acanthe 8c Corinthien'). Cependant il nous refte peu
de monuméns.vraiment Grecs*, d’ordre Corinthien,
qu’on puiffe faire remonter au fiècle d’Alexandre , 8c
qui foient dignes d’être imités. Peut-être les édifices
dè cet ordre , comme plus fomptueux 8c plus magnifiques
du côté de là matière , excitèrent-ils davantage
la cupidité des Roinains qui en emportèrent à
Rome les colonnes Sc les chapiteaux.
Lorfqiie Y architecture 3 avèc les autres arts de la
G rè ce , fut trànfportée en Etnîrie par les Pélafges,
fuivantl’opinion la plus générale , il paroît que l’ordre
Dorique feul régnoit eh Grèce : du moins c’eft le foui
que les Etrufques ont employé chez eux. Get ordre
cependant , dans cette tfanfmigration , ' oublia plufieurs
formes de fon origine , 8c changea plufieurs
caractères propres de fa nature. Il fe dépouilla des
triglyphes j il adopta les'bafes ; il dénatura fes proportions.
C ’eft fous le nom d’ordre Tofcan-, que lès
Romains , qui empruntèrent des Etrufqües leur première
architecture reçurent l’ordre Dorique dont on
a cherché depuis, . par de faillies diftinétions, à faire
un ordre différent de celui des Etrufques. ( Voyeç
Ordre T oscan,
Si l’on confuite en Etrurie les monuméns deThi-
fto ire, 8c les veftiges informes de plufieurs édifices
très-authentiques , tout indique-que l’art de bâtir s’y
développa fous les formes les plus grandes ,8c les plus
hardies. M a is , fi l’on interroge l’analogie des autres
arts avec Yarch teClure , celle-ci fomble y être reftée
au même point où elle étoit çn Grèce , lors de fa
tranfplantation , 8c n’aVoir point acquis tes nuances
précieufos ou les modes, qui conftituent dans les trbis
ordres l’âme de Y architeCtur . A u furplus , fi , dans fon
origine en E’trurie, elle fo confond avec l’art des
Grecs ; dans la décadence de cette n ation, elle fomêle
avec le goût dés.Romains.
Les premiers ouvrages des Romains en architeChire%
font dus aux Etrufques : ce fut à eux que#Tarqum
confia la conftruérion de ce fameux égout , ouvrage
immenfe , 8c dqns lequel'on vit depuis un préfage
afsûré de la grandeur à laquelle Rome marcha dès £es
premiers p a s , 8c dont elle fèmbloit alors avoir deviné
toute l’étendue. L e goût de conftruérion fimple 8c
pèu orné des Tofcans , cônverroit à là rudefie 8c à
^’auftéfité d’une république belliqueufe 8c pauvre.
Aufli l’art de Y architecture y fut long-:terns méconnu
ou négligé : le chaume 8c l’argile y couvrirent lông-
téms les temples des Dieux 8c les palais des Grands.
Les marbres ne dévoient y paroître qu’avec les fers de
la fervitude : Augufte les y incroduifit.JLes richeifes de
l’univers avoient déjà courbé les'âmes fous le j,oug de
la moliefte : Rome, en enchaînant tous les arts à fon
char dé triomphe , n’apperçut pas la fçrvitude qui
marchoir après eux.
Augufte fentit que le's plaifirs des arts- pouvoient
fouis dédommager de la perte de la liberté j 8c il employa
tout fon pouvoir à les faire fleurir. Il fe vantoit
d’avoir transformé en marbre Rome qu’il avoit trouvée
d’argile. Tite-L ive l’appelle l’auteur 8c le. reftaurateur
des teinples. Accueillis par ce monarque, tous; le's
grands maîtres de la Grèce accoururent dans cette
nouvelle capitale des arts : ce fm'foùs fon règne que
V architecture parvint au plus haur degré qu’elle ait pu
atteindre à Rome, 8c qu’elle fo trouva réduire en
méthode 8c en principes par le livre de Vitruve. Le
Panthéon , monument le plus beau qui foit refté de
la magnificence Romaine, fut bâti par le gendre
d’Augufte , Agrippa , qui fe plut à 'embellir Rome
d’une foule innombrable d’édifices fuperbes j il y
introduifit les- thermes , y fit conftruire un grand nombre
de fontaines, de temples, 8cc.
L a paffion pour ces grands monuméns augmenta
encore fous les fueceffeurs d ’Augufte. Cependant, fous
T ib è re , Caligula' 8c C lau d e , le goût avoit déjà dégénéré.
Néron montra pour tous lésants moins d 'amour
que de cupidité. Que doit-on penfer du goût d’un
prince qui fit dorer la ftatue d’Alexandre , qui tron-
quoit les plus belles figures pouryfubftituer fa reffem-
blance ? Les colofles de tout genre fous iefquels il fo
plut à fo faire repréfenter , annoncent un-génie porté
aux vices 8c à toutes fortes d’excès. Le même efprit
d’exagération le eonduint dans les édifices qu’il fit
conftruire. Il s’épuifa en prodigalités de tout genre,
cherchant dans fon orgueiîleufe magnificence à laiffer
desmonumens .de fa fiépenfe plus que de fon goût.
Cependant fon règne fut un des plus favorables aux
grandes- entreprifes de Y architecture. Sévère & Celer
conftruifirent pour lui le palais qu’on appella la Mai-
fon doré:- : rien ne fut fi riche, ni fi brillant : toute la
pompe de la décoration y avoiri été épuifée j & , au
milieu de taut de rich.efiès,on ne pouvoir méprjfer que
iepoflefleur.
Sous le règne heureux de Traj-an , Y architecture
reprit un goût de fageflè '8c de grandeur que devoir
lui- communiquer le caraélère-de ce grand empereur.
Les arcs de triomphe , la colonne 8c le forum bâtis
par ce prince, attellent avec le plus grand éclat le deoré
de fupériorité ou cet art s’éleva fous fes aùfpieés.
L areniteéle Apoliodore eut la plus grande part à tous
les édifices qui immortaliforent la mémoire de Trâjan.
Ce fut lui qüi érigea cette fameufe colonne, encore
fubfiftante , le chef-d’oeuvre de ce fiècle , 8c peut-
être de l’empire Romain.
Hadrien Sc les Antonins favorisèrent Y architecture :
le premier l’exerça lui-.même. Marc-Aurèîe avoit
le deflin du peintre Diognete. Antonin le Pieux
bâtit a 1 antique Lanuvium , une maifon de campagne,
dont les relies prouvent encore aujourd’hui la grandeur
8c la magnificence.''^ On peut en juger par un
robinet d’argent du poids de quarante livres par lequel
1 eau couloit dans les bains: il a été trouvé dans fes
décombres. Néanmoins, comme l’obferve Winckel-
mann , l’art alors touchoic à fon déclin j l’éclat qu’il
jette a cette époque reffemble à Ja lueur vive d’une
lampe au moment de s’éteindre. Sous les empereurs
iuivans on le voit s’anéantir Sc difparoître. L a Grèce fo
trouva dépouillée de tous les privilèges dont elle avoit
joui jufqu alors. Déjà les Grecs avoient oublié leur
pi opre langue : il y en avoit peu parmi eux qui fçufTenî:
* & entendre les meilleurs écrits des anciens.
L ’arc de Septime Sévère fait une des époques remarquable
du commencement de la décadence. On a de
la peine à concevoir comment la fculpture , depuis
Marc-Aurele , avoit pu s’aftoiblir â un tel point.
L ’arc , appelle vulgairement des orfèvres, n*’a plus-
rien de la forme 8c du cara&ère de la bonne architecture.
Les profils en! font vicieux : les orhemens ccra-
font 8c forchargent les membres.
L ’amour d’Alexandre Sévère pour les arts, foutint
encore quelque tems YarchiteCtue : mais il ne put
l’empêcher de fuccombet fous la chute Je l ’empire
d’occident. C ’ejft cependant ordinairement au régné
de Galien, qu’on fixe la date de ranéanttffement total
dép arts. L ’arc de ce prince nous prouve l’état d’avi-
liflement oii ils étoiènt réduits.
YY architecture, ou ne îa v o i t pas entièrement partagé,
ou s’en étoit relevé pour un temsj du moins elle paroît
avoir furvécu à la ruiné univërfelle des ^autres arts.
Dans un fiècle ou il n’exifloit plus un ftatuaire, Dioclétien
étaloit dans fes thermes une Grandeur que
forcent encore d’admirer les reftes prodigieux oui nous
en font parvenus. Mais les hiftoriens nous ont tranfmis
une preuve du mauvais goût qui règnoit dans cet édifice.
Les entablemens, les p lafonds, les architraves fo trouvèrent
tellement fur chargés d’ornemens, que, dans des
jeux publics que l’empereur y donna, plufieurs des
fleurons fe détachèrent 8c ôtèrent la vie à un o-rand
nombre de fpedateurs. L ’immenfité du palais de Dioclétien
h Spalatro, prouve encore de quels efforts l'arcki«
te dure étoit alors capable. C ’eft: à peu-près à-la même
epoque , ou au fiècle d’Àurélien , qu’on rapporte les
vaftes coîifcrlierions,.de Palmyre Sc de Balbeck dans
la Cælofyrie. Malgré des défeôluofîtes de g o û t , 8c
des détails vicieux , il faut s’étonner de la Grandeur
des .plans , ' de la hardiefte de l’enaeprile, & de la
riehefle qui s’y trouvé prodiguée.
' On pourroit demander pourquoi, Yarchhcffure dénuée
du focours des autres arts ,‘ fo fondent foule 8c
fi long-tems fans eux j pourquoi, après s'être élevée
avec e u x , Sc pà'r eux , elle ne les fuit pas immédiatement
dans leur chute. Nous pourrions rendre de cela
plus' d’une î-aifon. E t d’abord : peut-être cet art plus
lent à fe former , doit-il décroître avec moins de
rapidité. Enfuite il eft aifé d’apperceyoïr que les autres
arts, dépendant d’une imitation plus direéie de la
Nature , doivent s’éteindre fitôt qu’ils perdent leur
modèle de vue. L ’architecture au contraire , dont le
modèle eft imaginaire , dépend moins précifément de
toutes les caufes ou circonftances qui viennent à
enlever aux autres arts l’objet <le leur imitation.
D ’ailleurs cet a r t , opérant avec des mefures 8c des
règles une fois déterminées, d iitaux loix qu’il s’impofa,
l’avantage de le préferver plus sûrement de les touteà
variations qui pouvoient en précipiter la ruine. L ’imitation
des monuméns antérieurs , 8c des chefs-d’oeuvre
toujours exiftans , pût aufli la retarder ; & cette
imitation peut fo faire par des procédés conftans 8c
invariables qui n’exigent aucun talent.' Remarquons en
outre , que les caufes politiques influèrent dans cette
f J