
nombreux des maîtres vivans en euffent peut-être
suffi diminué le crédit 8c affoibli l’autorité. Du
moins on n’apperçoit pas dans les n ou ve lle' pro-
duétions de la fculpture de ces premiers tem p s , que
les leçons de l’antique aient influé fur fon goût :
on n’y reconnoît que celles de la peinture moderne
q u i , dès ce momen t, n’a celle de lui donner
le ton.
La fculpture, pour partager avec fa rivale un empire
que celle-ci avoit envahi préfque tout entier,
le v it donc obligée d’emprunter fes reffotirces,
d’étudier une partie de fes fecrets 8c d’imiter fa
marche. Gelle; de la peinture étoit encore Ample :
la perfpeélive introduite dans les tableaux de ce
temps', étoit réduite à l ’entente des lignes dans
les fonds d’architeéïure 8c à celle d’üri petit nombre
de plans dans les figures. La fculpture contrefit
donc ces. fortes d’ effets dans les bas r reliefs.
Nous en avons la preuve par ceux de Lorenzo
G h iberti, qui ornent les montans de cette belle
porte dont Michel A n g e vouloit faire celle du
Paradis. On vo it que ce font de véritables tableaux
en r e lie f , ou la perfpeéfive linéaire eft obfervée
avec un fcrupule qui donne même à la compofition
un air de petiteffe & de puérilité. Les figures y
font dégradées d’épaiffeur, les lointains y font
obfervés , une foule d’objets qui n’étoient jamais
entrés dans la compofitioh du bas-relief antique,
parurent pour la première fois dans ceux-ci. On y
v i t des montagnes, des arbres , des d eu x , des
nuages, des pa yfages, tout enfin ce qui prouve
l ’imitation de la peinture, & l’envie de rivalifer
a v ec e l l e , par l’emploi dés mêmes moyens & la
recherche du même goût.
C e premier f ty le du bas-relief chez les modernes
eft celui qui nous préfente les modèles les plus parfaits
de la fculpture, appliquée à cette forte d’effet 8c
de compofition. L ’on ne fâuroit imaginer, fans parler
des,autres mérites de l’ouvrage qu’on vient de cite r,
rien de plus précieux, de plus léger, d éplus pur, que
ce travail, ni rien peut-être, o iil’efpèce d’accord qui
peut unir les reffources des deux arts , foit mieux
8c plus difcrétement employé. Le feul défaut qu’on
puiffe y remarquer, eft un goût minutieux de détail,
qui convient mieux à la cizelure qu’ à la fculpture.
Mais ce goût étoit celui de la peinture du fiècle.
Quand on v o it les fonds de ces bas-reliefs, on croit
v o ir ceux des tableaux de Perugin. Le même
genre fe retrouve dans tous les bas-reliefs de ce temps.
Ceux qui accompagnent le tombeau de Sixte-quint
à Ste Marie Majeure, font dirigés d’après cette
même imitation des tableaux. Us ont peut-être le
défavantage d’offrir trop peu d’accord entre les perf-
p e â iv e s du fond 8c les maffes des figures , inconvénient
propre du bas-relief, mais très - fenfible
dans ceux-ci.
Cepen d an t, à mefure que tous lès arts mar-
choient en Italie vers la perfeélion dont ils étoient
fufceptibles, la prééminence de la peinture deve
noit toujours plus remarquable. L ’emploi général
que l'on en faifoit tant au dedans qu'au dehors
des édifices, avoit accru le nombre des peintres
8c multiplié leurs écoles. La fupériorité de plu-
fleurs d’entre eux , peut - être le manque de com-
paraifon immédiate entre leurs ouvrages 8c ceux
de l’antiquité, tout contiibuoit à affurer à la peinture
moderne une fupériorité fur la fculpture. La
peinture devenue univerfelle dans les édifices, y
jouoit un double rôle ; dans l’enfemble, par la
décoration qu’elle s’étoit appropriée ; dans les
détails, par les tableaux h ftoriques qui étoient de
fon reflort, 8c dont la fculpture n’avoit pas encore
entrepris, fur-tout en grand, de partager l’empire
avec elle.
Algardi ofa tenter cette entreprife, il ofa faire
d’un bas-relief un vafte tableau d’hiftoire, où les
figures liées par un feul motif & par un intérêt
capable d’animer une grande fc èn e , déploieroient
tous les effets que la peinture feule avoit mis
jufqu’alors en aétion. Il effaya de s’approprier par
l’art des grouppes, & une dégradation calculée
dans la faillie des objets;, ces moyens puiffàns
que la peinture doit à la magie de fes couleurs
8c à l’ entente du clair - obfcur. La peinture étoit
alors fort éloignée de ce fty le q u ia y o i t guidé
Lorenzo Ghiberti dans fes précieux tableaux. Des
partis larges, des compofitions où l’entente de la
lumière commençoit à^être le feul fecret de l’art,
8c où l’effet avoit pris la place du deflin pur & de
l’expreflion : tels étoient les modèles dont Algardi
s’étoit propofé l’imitation , c’eft - à - d ire , qu’il fit
paffer dans fon bas-relief le f fy le dominant des
peintres, de fon temps.
C e fécond ftyle de bas-relief trouve encore dans
ce grand o u v rag e , qui ouvrit à la fculpture une
route n ou ve lle , le modèle le plus parfait de ce
nouveau goût. Son fuccès fut prodigieux. Dès ce
moment, la fcuplture , affociée en apparence à la
peinture , fit du bas-relief une nouvelle manière
de peindre, où les principes des deux arts ne
tardèrent pas à fe confondre. A u re f te , l’hiftoire
de la peinture peut donner celle du bas - relief.
Tant que la première, fidelle aux convenances du
deflin 8c de la compofition, refta dans les bornes
d ’une certaine modération , on v it aufli le bas-
relief, refpe&er celles de la vraifemblance, dont
Algardi ne s’étoit point éloigné ; on le v i t , réfervé
dans l’étalage de fes moyens fa&ices, ne point
en compromettre la foibleffe par une prétention
démefurée à vouloir promettre plus qu’il ne peut
tenir. Mais fi-tôt que la peinture, dégradée fous le
pinceau des maîtres modernes, ne devint plus qu’un
jeu de lumières & d’ombres , d’ôppofitions & de
repouffoirs, que .l’effet eut pris la place de l’expref*
fion , qù’on ne v it dans les figures que des moyens
de contrafte, propres, non plus à toucher 8c à émouvoir
l’am e , mais à flatter l’oeil par les illufions
d’un enchantement fantaftique , le bas-relief, oblige
d’outrer toutes fes reffources pour fuivre fon
modèle, d’enfler tous fes moyens pour atteindre
iufqu’à lui, en vint au degré qui en conftifue le
Jroifième f f y l e , 6c qui devoit en difcréditer le'
goût...
On y voit l’art a rrivé juf^u’au délire, méconnoitre
& ce qu’il doit à la nature, & ce qu’il fe doit à
lui-même. Pouffé au-delà des limites , non du v r a i ,
non du vraifemblable, mais, fl l’on peut d ire ,
même du poflible, il s’égare dans tous les travers
de la licence la plus extravagante. Les formes du
deflin difparoiflent dans la confufiôn des effets
& des contraires : un affemblage de maffes qui
s’entrechoquent, fl l’on peut d i r e ,.l’une l’autre ,
forme tout le mérite de la compofition ; les figures
fe grqupp.ent, s’éloignent ou fe rapprochent fans
autre raifon que celle d’une faillie harmonie qui en
règle l’einploi & leur afligne leur place. C e n’eft plus
la nature du fujetôc la convenance des perfonnages
qui décident de leurs attitudes, & dé leur rapport
avec la fcène ; tout eft facrifiè à la dégradation des
teintes,à l’art défaire gliffer la lumière, au fecret de
réunir les maffes-, à l’intelligence d’une prétendue
perfpective aérienne D e nouvelles'pratiques de
tailler le marbre crurent avoir ravi, en quelque forte,
à la peinture une partie de fes moyen s; on crut
rendre jufqu’à la couleur des objets par le plus
ou le moins de rudefl'e ou de poli dans le travail
de la pierre ; 8c plus d’un fculpteur s’eft cru colo-
rifte pour avoir luftré des draperies.
. On pourroit fuivre ainfl jufqu’à nos jours l’hif-
toire du bas-relief, 8c on le verroit toujours efclave
de la peinture, recevoir de celle-ci fon goût 8c
fes principes. Mais on en a dit allez pour faire voir
.combien la différence de fon origine chez les modernes
dut en communiquer à l'emploi qu’on en
fit. Il eft ytfible que la plupart de tous ces bas-
reliefs ’ne font que des tableaux ifo lé s, indépen-
dans de l’architedure , fans liaifon avec fes formes,
fufceptibles enfin d’être déplacés, 8c qui ne forment
dans les édifices qu’une décoration locale ; il eft
vifible par conféquent qu’on ne fauroit établir un
point fixe de comparaifon entre eux 8c les bas •
reliefs antiques , dont le fyftème 8c l’emploi furent
fl différens.
La queftion fe réduiroit donc à favoir lequel
des deux fyftêmes mérite la préférence , abftraâioii
faite de l’emploi des bas-reliefs , mais confidéré feulement
par rapport à l’art de la fculpture.
Cette queftion, pour être décidée, exiget oit peut-
etre auparavant la difcuflion 8c la décifion d’une autre,
qui, étant encore moins de notre reffort, portèrent
trop loin l’étendue de cet article. Pour favoir fi
l’on doit autant prifer, que le font les modernes ,
la [decouverte de ces bas-reliefs tableaux, qui a
tranfporté à la fculpture une partie des reffources
de la peinture moderne, enfin-fi l’on doit tenir
compte à la fculpture de cet agrandifflment dans
fon domaine, qui la met prefqu’en parallèle avec
« peinture; il faudroit, àvant tou t, décider fl la
pemture n’a pas outrepaffé elle-même les bornes
elle auroit dû refpeéter ; il faudroit examiner fi
cet art n'a pas perdu plus de vérité, effemieile r
qu’il ne paroît en avoir gagné par l’extenflon peut-
être exagérée de l’illuflon accidentelle, à laquelle
il a peur-ctre trop facrifiè. Si le réfultat de cette
difeufion étoit que la peinture moderne a affoibli
fon empire, en l’étendant t ro p , a abufé elle-même
de fes forces, quelle idée faudroit-il fe former des
efforts qu’a Lire i l fait fa jaloufe rivale pour la fuivre
dans fes écarts 8c s’approprier fes vices ?
Q u o i qu’il en foit de cette réflexion que nous
nous contentons de mettre en avant , l’agtan-
dilfement de l ’art du bas-relief chez b s modernes*
ne nous paroît qu’une invafion mal-adroite fur le
reffort 8c le domaine de la peinture, une conquête
ambitieufe , dans laquelle la fculpture a énervé fes
propres forces , 8c pour laquelle elle femble avoir
lacrifié les richeffes de fon. fonds à l’éclat d’une
vaine oftentation. Il femble que la fculpture moderne
ait toujours méconnu le fecret de fes forces i
8c qu’elle ait cherché loin d’elle ce qu’elle avoit
en elle-même. Toujours jaloufe de l’empire de
la peinture , elle n’a fu la combattre qu’en lui
donnant des armes contre elle-même; 8c comme
fl une mauvaife politique eût dirigé tous fes efforts,
fes propres conquêtes ont toujours tourné à l’avantage
de fa rivale dont elle fottifioit mal-adroite-
ment la puiffarïte en. affoibliffant la fienne.
Q u e l’on compare ce que la fculpture moderne
dans l’acquifition de ce nouvel empire , dont e lle
paroît fi fière, a perdu du côté de la correéfion du
deflin, de la beauté des formes, de la fimplicité 8c de
l’énergie de la compofition, de la vérité de l’expref-
fion , qui fe retrouvent dans ,l’antique,. 8c l’on
verra qu’elle n’a. fait qu’échanger un langage énergique
ôc con c is, contre une élocution lâche 8c.pom-
peufe. Mais f l , en perdant ce qui lui étoit p ropre,
elle n’a pas même acquis ce qu’elle ambirionnoit,
l’avantage ne fe déclareroit - il pas du côté des
anciens ?
Q u e fignifie en effet cette illuflon de perfpect
iv e , ce jeu de lumières 8c de contraftes que la
fculpture croit avoir dérobé à la peinture ? D e
quelle illuflon peuvent être fufceptibles ces prétendus
tableaux ; o u , pour mieux d ire , à qui ont-
ils jamais fait illuflon ? T e lle vérité que le fculpteur
puiffe employer à tracer , fuivant les règles de
l’optique, les lignes de l ’architeéhire, 8c à dégrader
leur faillie fuivant l’éloignement, cette vérité n’eft-
elle pas toujours démentie par les figures, qui ne
peuvent jamais être dans l’intérieur de l’édifice, &
fortent néceffairement du fond ? Ne voit-on pas que
le fculpteur ne fauroit jamais interpofer entre les
fonds 8c lés figures du devant, l’air que la peinture
y fait introduire, 8c ces dégradations véritables de
couleur, qui feules peuvent lier les figures au local
où elles fe trouvent ? L ’on pourroit dire que les bas-
reliefs antiques font moins menteurs dans leur défaut
de perfpeéfive, parce qu’au moins ils ne fe
donnent pas pour véridiques : les bas-reliefs modernes,
dans leur prétendue v é r ité , ne diffèrent
H h a