
de la timidité, delà froideur, in fep arable de l’état
méchanique dans lequel ils doivent tomber. Dégénérés
en routine, ils fs perpétueront, tant qu’un
luxe difpendieux fera mouvoir leur ruineufe in-
duflrie ; mais ces refforts une fois ralentis;, n’ef-
pérez pas qu’ils fe propagent fous aucune forme,
ni fous aucun caraBère. Le defpotiftne eft au moral,
ce que le froid eft au phyfique ; c’eft la mort politique
des peuples.
Nous venons de voir que les différens degrés
de température impriment aux arts un caraBère
exceftif, un caraBère moyen 8c un caraBère neutre,
félon que les hommes qui habitent les diverfes
contrées foumifcs à la variété des climats, reçoivent
de la nature du fo l, de l’aétion du foleil
& de la vertu des caufes phyfiques qui les dominent
, des impreflions plus ou moins énergiques,
des fenfations plus ou moins profondes, des influences
plus ou moins entières. Nous avons vu
que la nature, ce modèle univerfel de tous les
arts , avoit une aélion direéle fur eux , aélion telle
que les' inftitutions politiques peuvent à peine
en déguifer les effets, fans, pouvoir parvenir à les
changer. Nous avons vu enfuite que les caufes politiques
,,qui modifient les peuples, & les hommes,
agiffent d’une manière non moins impérieufe fur
les arts ; que cette aélion, dans les gouverne-
mens ou règne l’anarchie, de voit opérer des effets
à peu près femblables à ceux des climats trop
ardens , & que 1 q-caraBère des arts y devenoit
lui-même licencieux 8c bifarre • que fous l’empire
modéré de la liberté & des lo ix , l’ame des hommes
acquéroit, par cet heureux tempérament, fon
plus jufte degré d’effort, & que les arts contrac-
toientde-là le caraBère hardi & fage tout à la fois ;
que les gouvernemens mixtes , femblables aux
climats neutres, ne produifoient que des qualités
indécifes de demi - vertus, & que de cette action
trop compofée, il en réfultoit, dans les arts ,
un caraBère équivoque 6* bâtard. Nous avons vu
que l’empire, de la force. comme les régions
froides , ne pou voient faire ,éclorre les arts , &
qu’en vain on cbercheroit, dans le petit nombre
d’exceptions à cette grande règle , un caraBère à
ces productions inanimées & décolorées du génie.
Il refteroit maintenant à faire voir comment
chaque homme'imprime à fes ouvrages fon cj~
raBère particulier ; comment , en raifbn de la
cornbihaifon des qualités quHl tient de la nature
, & de celles qu’il reçoit des caufes politiques
& des inftitutions fociales , il le fait paffer
dans fon ouvrage ; comment & à combien ^d’indicés
on reconnoît la trempe plus ou moins
décidée du climat qu’il habite , des moeurs de fon
p ay s , des habitudes de fon éducation. Mais l’application
détaillée de toutes ces obfervations com-
porteroit l’étendue d’un grand ouvrage. Obligé de
refferrer ces notions dans l’efpace d’un article de
Diélionnaire, je me contenterai d’avoir indiqué
les bafes générales du caraBère dans la nature en
général, chez les peuples & dans les arts. Si ces
principes font vrais, chacun en pourra faire les
applications partielles à tous les objets & à* tous
les fujets que renferme cette matière infinie. Je
me hâte d’arriver à l’archireélure qui eft mon but,
8c à laquelle j’ai réfervè un plus grand nombre
de ces applications détaillées.
Caraétère conjîdèrê dans l*art de bâtir des dljférens
peuples.
En appliquant à rarchiteélnre toutes les notions
8c tous les développemens qu’emporte avec foi
l’idée de caraBère ,. je ne reviendrai pas fur les
explications élémentaires déjà données de ce mot,
8c qui ont fervi d’introduétion à cet. article. La
fuite, je crois, prouvera que toutes les définitions
par lefquelles j’ai fait paffer le mot caraBère font
de la plus grande jufteffe pour l’architeéture. On
conviendra que la triple diftinélion déjà faite s’adapte
particuliérement, foit à l’art de bâtir pris
généralement, foit aux ouvrages particuliers &
aux plus petits détails de cet art. Et pour anticiper
un moment fur les rèfultats de cette théorie
, ne remarquons-nous pas que félon les idées
ou fenfations qu’on vent exprimer, on dit que
tel ouvrage a un caraBère, a du caraBère , a Jon
caraBère, félon que les différentes qualités qu’oil
veut énoncer par ces trois acceptions ex'ftent à
la fois ou féparément dans cet ouvrage ? N’eft-il
pas certain , quand vous dites d’un édifice, il a un
caraBère, que vous entendez exprimer une efpece
d’originalité , une phyfionomie fpeciale, une manière
d’être à lui particulière ? Mais, lovfque vous
dites qu’il a du caraBère, n’entendez-vous pas parler
de ces. qualités impofantes qui frappent le
fpeélateur, & particuliérement de l’élévation, de
la hardie fie, de la folicHtè de tout ce qui fe rapproche
des idées de grandeur &' de force ? Et
quand , en voyant un édifice, vous dites qu’il a
fon caraBère propre, ne voulez-vous pas défigner
par là l’idée de convenance & de propriété, &
n’eft-ce pas comme fi vous difiez : cet édifice annonce
, par fon extérieur & fes qualités apparentes,
fa clèfti nation , ou ce pourquoi il eft fait?
Ces trois efpèces de caraBère font donc applicables
à l’architeélure confidérée en elle - même
abftraélivement ou partiedement dans fes ouvrages.
Mais avant d’en faire l’application féparée aux
ouvrages partiels de notre architeélure, on attend
fans doute, de tout ce qui précède, une application
plus univerfellé à l’art de bâtir, pris généralement
chez tous les peuples. C ’eft aufii par-là
que je vais commencer, les notions générales devant
paffer les premières.
On va dire ce que c’eft que le caractère dans
Tarchiteélure des différens peuples , d’où il réfuhe,
8c en quoi il confifte. Ce fera le fujet de la prejTuère
fe&îon, La fécondé envifagera le caraBère
dans les édifices conftruits d’après les règles de
l’art, ou dans les principes de l’architeaure'grecque,
„„j eft devenue la nôtre.
■ Ce feroit toujours une chofe curieufe en fo i,
indépendamment des confédérations relatives à
l’utüirè & à la coniioiffance de l ’efprit humain , ,
que le tableau des variétés qui modifient l ’art de
bâtir d’après- les diverfes influences qui ont fur lui
quelqu’aaion. Qui ne fe plaît , en confidérant
cette multitude d’êtres que la nature a doués de
la propriété de fe loger & de fe conftruire des
demeures, à examiner la diverfité de leurs formes,
de leurs couleurs, de leur dilpofition, de leur
ftruélure, de leurs goûts? Mais combien ce premier
fentim.ent de curiofité ne devient-il pas puéril,
au prix de celui qui, tend à rechercher & à
connoître les raifons de ces variétés , les rapports
de l’animal à la maifon qu’il habite , les relations
intimes de fes moeurs, defesufages, de fes befoins
, avec les différences d’organifation & les
nuances de conformation qu’on remarque dans fes
habitations 1 Pourroit-on fe refufer au même genre
d’intérêt, en jettant un coup-d’oeil fur cette multiplicité
de formes imaginées par les différentes
familles d’hommes qui peuplent ce globe, pour
la conftruélion ou l’embelltffement de leurs demeures
? Mais pourroit-on auffi borner là les m©u- !
vemens d’une futile admiration , ou croiroit - on
que, pour exercer une portion plus confidérable
de raifon , de faculté & de liberté que les autres
animaux, l’homme entièrement dégagé de toute
dépendance envers la nature , ne lui foit comptable
d’aucune de fes inventions , 8c qu’elles foient
ou l’effet du hafard, ou le réfultat d’une détermination
dont la nature ne dirigeroit pas l’effor ?
Ceux qui penfentainfi , fe fondent fur certaines
contràdiélions apparentes entre les habitudes de
certains peuples & les formes de leur architeélure ;
fur des exceptions affez nombreufes que le commerce
des nations entre elles ont introduites, dans
les principes' qu’on pourroit pofer à cet égard ;
fur la confufion qui doit réfulter des nuances,
quelquefois affez foibles, qui diftinguent les produits
de l’art de bâtir , chez des peuples d’ailleurs
fort différens dans leurs goûts , leurs ufages &
leurs climats ; enfin, fur la difficulté fou vent
très-grande, d’apprécier au jufte les véritables
caufçs qui ont, fur -les oeuvres de l’archite&nre ,
une influence bien décidée.
A cét égard,.il faut avouer qu’il y a peu de
notions plus fujetres à équivoques que celles que
j’ai entrepris de développer. Et comment ne le fe-
roient-elles pas, lorfque les ouvrages même de
la nature préfentent au philofophe qui en recherche
les raifons, tant d’obfçurité 8c d’incertitude
fur le but qu’elle-même s’eft propôfé ? La
plus grande partie de fes produélions annonce ,
il eft vrai, l’intention qu’elle.a eue ; on y découvre
en général, des rapports de propriété & de convenance
qui ne fauroient échapper à l’oeil le
moins clairvoyant. Mais dans combien d’autres
de fes ouvrages n’eft-on pas réduit à fuppofer ce
qu’on ne fauroit appercevoir ? Combien d’exceptions
ne trompent-elles pas la théorie la plus vraie,
combien d’objets ,de formes, de détails » dont on
ne fauroit deviner ni les caufes, ni le befoin ? Con-
clueroit-on de-là qu’il n’exifte point de motif à
tout ce dont nous ne faurions rendre raifon ; ou ,
au contraire, n’eft-ce point à notre ignorance , a
la foibleffe de nos organes, à l’imperreélion de
notre intelligence, que nous attribuerons c,e défaut
de raifons ?'
S’il eft abfurcle de penfer que la natnre, dans
fes moindres produélions , à gifle fans motif 8c
fans raifons , il me fembie bien plus impoffi-
ble encore que l’homme, doué de plus d’intelligence
que les animaux, foit, dans les ouvrages
qui fortent de fa main , le jouet de ces caufes impoli)
blés à développer , & que l’on nomme le hafard.
Mais j’avouerai auffi que le hafard n’étant
qu’une réunion de combinaifons, dont il n’eft pas
poffible à l’efprit de fuivre ou de prévoir les effets
8c les rèfultats, plus il entre dans la formation
& l’exiftence d’un être d’élémens variés, ou d ac-
cidens multipliés, plus il devient.difficile de feru-
ter quelquefois les caufes de fon organifation 8c
des effets qui en dérivent ; 8c c’eft bien ce que
l’on obferve à l’égard de ces êtres eolleclîfs qu’on
appelle peuple ou nation. Si chaque homme, vivant
ifolement, eût été chargé feul, à l’inftar de
plufieurs races d’animaux, du foin de fe fabriquer
une demeure , fan.s aucun autre rapport que
celui de fon befoin individuel, félon les climats
qu’il habite, on pourroit claffer dans un petit nombre
d’efpèces ces produélions d’une induftrie locale
& fubordonnée'aux mêmes genres de caufes ou
de combinaifons. Mais l’art qui conftruit une demeure
à chaque homme, faifant partie d’un peuple,
c’eft - à - dire , d’une agrégation d’hommes liés
entre eux par des relations' infinies., - & dépendant
d’une multitude de circonftances. que la (ociété a
rendu incalculables; cet art, dis-je, n’appartient
point à chaque homme , il fe combine de tous
les befoins réciproques de tous les hommes entre
eux il fe compofe de formes fouvent étrangères
au peuple même qui les adopte, de contradictions
réelles entre fes befoins & fes plaifirs ; cet
art enfin n’eft plus le fruit d’un inftinél borné , dans
chaque animal à la faculté de faire ce qui lui eft
convenable , mais il eft le produit d’une réunion
d’inftinéls qui concourent à une convenance générale
, d’autant plus difficile à apprécier que fes
rapports font plus compliqués , que fes caufes
font plus nombreufes , que fes effets font pius fuf-
cepttbles de modifications & d’exceptions.
Si donc j’avois à dire ce que c’eft que le caraBère
dans l’art4 e bâtir les demeures d’hommes vivant
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