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il a excellé , je me garde rois bien d'approcher de
fa fia tue une main téméraire; je Témoin rois de
celles de tous fes rivaux , ik on la verrou s 'J e ver
autant au-deflus d’e lle s , que le jupicer d’Homèie
l’emporte fur les autres dieux.
Mais je ne dois çonfickrer ici Michel-Ange
que dans l’art qui fait l’objet de cet ouvrage. Ce
n’eft qu’ une partie de lui-même qu’il m’eft donné
d’examiner. Je me permettrai donc dans cet ex amen
partiel ce que je me ferois interdit, peut-
être , s’il eût fallu embrafler Tenfemble d e ce
grand homme. Cependant c’eft parce qu’on l’a
imité partiellement qu’on l’a mal imité ; gardons
- nous aufli de trop iloler nos ju g emen s ,
& de ne vo ir que Parchite&e dans le génie univ
e r s e l, qui lut embrafler tous les arts du deflin.
L hiftoire des artiftes confifle encore plus dans
Thiftoire de leur g én ie , que dans celle de leurs
ouvrages. C e lle que je vais donner de Michel-Ange
ne contiendra pas de nombreufes- delcriptions de
fes monument en architeélure. J e dirai quel fut
te génie de Michel-Ange dans les arts, ce qu'il devoit
produire dans l architeélure , quels en ont été les effets
& I Influence qu'il a eue Jur cet art. Les détails abrégés
de fa v ie v on t précéder ces réflexions.
Détails kijloriques de la vie de Michel-Ange.
} Michel-Ange naquit en 1474 , dans le territoire
d A r e z z o e n Tofcane. Il defeendoit de l’ancienne
& illuftre maifon des comtes de Canofle. Son
pere , Léonard Buonaroù Sim on i, alors podeflat
A r e z z o , ne v o y o it dans fon fils que le foutien
d une maifon célèbre : une éducation conforme à ces
vues attendoit le jeune Buonaroù. Les difpofitions
extraordinaires de celui c i pour le deflin com-
mençoient a déconcerter les projets de fa famille.
François G ran ac ci, élève de Dominique Guirlan-'
d a ï, frappé des talens dont il appercevoit le germe,
fe faifoit un plaifir de coopérer à leur développement
; il lui donnoit à copier les deflins de
ion maître. Le père & l’oncle de Michel-Ange re-
gardoient -la pratique des arts comme peu honorable
à leur famille ; ils traitoient aflTez rudement
celui qui s’y livroit fans leur aveu. L e progrès
du jeune homme en ce genre nuifoit à fon avancement
dans l’ étude des lettres. Ses eflais prodigieux
pour fon âge , meritoient déjà l’admiration
des meilleurs juges , & perfuadèrent enfin fon
père de l’inutilitê^des obftacles.
Le jeune Michel-Ange fut placé chez Dominique
& D avid Guirlandaï, les plus célèbres peintres
de ce temps, pour y demeurer trois années.
C ’étoit une efpèce d’apprentiflage qu’on lui faifoit
faire mais c e qui va paroître nngulier , c ’eft que
le maître, loin de recevoir aucune rétribution de
fon e lè v e , s’étoit engagé par un écrit parvenu juf-
qu’à n ou s , à payer progreflivement par an la
Tomme d e f ix , huit & dix florins à un jeune homme
de quatorze ans ; preuve certaine que Michel-Ange
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5 cet âge s’étoit déjà fait connoître de fes maîtres *•
moins comme un élève qui venoit leur demander
des le ço n s , que comme un coopérateur digne de
partager leurs travaux.* Et de fait fa fupérioritô
lur tons fes condifciplei & fes maîtres même ne I
tarda pas à fe nianir'efter. Si la témérité de l’âge
6 du génie le portent à corriger jufqu’aux deflins I
de Dominique Guirlandaï, celui-ci eft moins jaloux
qu’étonné de cette précocité de ‘ talens : il* 1
avoue de bonne-foi que fon élèv e eft en état
de lui donner des leçons II eut plus d’une fois l’oc-
cafion de s’en convaincre, en vo y an t l’extrême pré-
cifion & la facilité merveilleufe avec laquelle ce
jeune homme copioit les deflins dès plus grands I
maîtres.
L ’école de Guirlandaï ne pou vôit plus fuffire I
au génie de Michel-Ange. Il lui falloit des maîtres
proportionnés à une capacité extraordinaire. Mais1
dans cetre enfance des a r ts , commentp ou voit-il
en efpérer? & quelles leçons pouvoit-il attendre
de maîtres, qui étoient à la vérité les premiers
de leur f iè c le , & s’avouoient les élèves d’un jeune
homme de quinze ans ?
Le deftin qui préparoit Michel- Ange à devenir
le maître univerfel des générations futures, lui avoit
refufé jufqu’à la poftibilité d’en trouver un parmi fes
contemporains. C ’étoit peut-être à Ce dénuement
total de refîburces en ce genre , qu’il devoir être
redevable de celles qu’il fut obligé de trouver en lui.
C e qui eût fait la foiblefle de tout autre , devint
le principe de fa force ; & c’eft pour n’avoir eu
perfonne à fu iv r e , qu’on le vo it marcher à la
tête de tous les artiftes.
L ’orgueil d’une fupériorité aufli -rare que pré*
c o c e , n’entroit pour rien dans ce fentiment intime
qui avertifloit Michel-Ange de chercher en lui
feul des m o y en s , que fes contemporains étoient
incapables de lui fournir. Il cherchoit par-tout
des lumières ; il mettoit à contribution les meilleurs
ouvrages de fon tems. Les peintures de Ma-
faccio.pouvoient lui donner quelques leçon s , il
les c o p ie , & la fameufe chapelle de l’églife del
Carminé devint fa fécondé école.; E lle le fut aufli
de Raphaël & des meilleurs artiftes de ce temps.
Fa fupériorité de Michel-Ange, dans les études
qu’il y fa ifo it, avoit éveillé l’envie. Ce tte paflion
dans un de fes rivaux ( un certain Torregiani ) ,
éclata un jour contre lui d’une manière fanglante.
Un coup de poing terrible fur le v ifa g e , lui fra-
caffa le nez & lui laiffa pour toujours la marque
d’un attentat qui eût pu devenir plus funefte,
mais qui ne laifla pas de le défigurer pour la vie.
La protection que Laurent de Médicis accordoit
ouvertement à Michel- Ange n’étoit pas entrée pour
peu dans la jaloufie de fon ennemi ; mais elle l’en
vengea bientôt, & le traître fut exilé de Florence.
Laurent, furnommé le magnifique, avoit
conçu le projet de former une école de fculpteurs.
Un des premiers choix tomba fur Michel-Ange.
Cette occafion développa en lui le goût de la
fculpture,
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fculpture, qui fut toujours chez lui le prédominant.
Il difoit quelquefois qu’il avoit fucè l’art
de la fculpture avec le lait de fa nourrice, qui
étoit femme d’un fculpteur. Plus d’une fois il regretta,
dans le cours de fa v ie , d’avoir été d if-
trait de l’exercice de l’art qu’il cKérifloit le p lu s ,
par tant d’autres occupations, & d’ avoir été ju fqu’à
dix ans de fuite Taris manier le cifeau.
Scs premiers eflais dans -cet a r t , n’éionnèrent
pas moins fon illuflre protecteur. L e palais & les
jardins de celui-ci étoient remplis de ftatue^ antiques
& defragmens de toute efpèce. MichelfAnge
y apperçut une tête de faune rongée par lés injures
du temps , & en grande partit? défigurée. Il
fe faifit d’un cifeau , & en fait une copie dans
laquelle il fupplée à tout c e qui manquait 'à l’original
, & y ajoute des détails de vérité qui h’ap-
partenoiem qu’ à lui. Il lui ouvrit la bouche , coin m e
celle d’ un homme qui rit. Laurent v it cette tête :
elle lui parut moins l’eflai d’un commençant, que
l’ouvrage d’un maître confommé dans l’art. Tu
as fait y lui dit-il en rian t, ce faune vieux y & tu
lui as laiffé toutes les dents : ne jais-tu pas qu il en \
manque toujours quelqiiune aux vieillards 7 A peine ;
le duc fu t - il p a rt i, que Michel- Ange cafla une ;
dent à fon Faune, & lui creufa la g e n c iv e , de '
manière à laifler croire qu’elle étoit tombée. L aurent
s’apperçut de ce changement, & admira l’in-
tëlligence du .jeune artifte. Il s’affectionna de plus
en plus-à l u i , &. voulut l’avoir dans fon palais.
Il le traita comme fon propre fils , lui-aftxgna une
chambre particulière, le fit manger avec Lui. Enfin
il.lui donna à table une place plus diftinguée que
celle de fes enfans. Il fe plaifoit à lui montrer
fes pierres gravées, fe s médailles, •& routes les
antiquités dont il avoit Tait la plus magnifique
collection.
Le palais de Laurent étoit le rendez-vous des
fàvans & des artiftes. La réfidence qu’y fit Michel-
Ange; les inftru&ions qu’ il y reçut d’Ange Poli-
tièn , le plus grand littérateur de fon tems, logé
aufli dans ce palais;; les encouragemens que lui
prodigua la libéralité de fon protecteur; la vue
de quelques monumens de l’antiquité, & les études
qu’il eut le 1-oiilr d’ y faire : telle-, font les caufes
qui influèrent le plus fur la deftinée de ce grand
homme.
La mort de fon protecteur le priva bientôt
de toutes.ces reflources. Pierre de M édicis , qui
fuccéda à fon pè re , n’hérita ni de fes q u a lité s,
ni de fon eftime pour les arts & pour Michel-
Ange. 11 fuffir de dire q u e , pendant un h iv e r , il
l’employa au travail ridicule de lui faire des ftatues
de neige.
Un crucifix de bois que fit notre artifte pour
féglife du Saint - E fp rir, lui mérita l’amitié du
prieur., qui lui donna un logement, & lui procura
des cadavres humains pour étudier l’anato-
Michel-Ange fe livra tout entier à ce*te étude ;
n diflequoit lui-tnême & s’o u v ro it , par les pro-
ArchueSture. Tome I .
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fondes comioîflances de la m y o lo g ie , cette route
aufli favante qu’inconnue avant lu i , qui devoit
(le rendre le plus profond & le plus fier de tous
les deflinareurs.
La famille des Médicis fut chaflee de Florence*
Michel-Ange avoit joui de leur faveur ; il craignit
. d’être enveloppé dans leur di (grâce. Réfolu de fe
; fou (traire au reflenriment aufli impétueux qu’a-
. v.eugle d ’un peuple qui croyoit voir autant d’enne-
;mis dans les favoris de fes tyrans, il fe retira à
V enife. Cette v ille n’offrant aucune reflource à
fes talensL il vint à Bologne , où il fculpta pouf
le tombeau de faint Dominique la figure de fainte
Pétron e, & un ange qui tient un candélabre.
T ro is années s’étoient écoulées depuis la mort
de Laurent jufqu’à cette révolution. A in fi Michel-
■ Ange pouvoit avoir vin g t à vin g t & un ans.
L ’envie , qui ne tarda pas à lui fufeiter des
compétiteurs, le fit retourner à F lo ren c e , où le
câline s’étoit rétabli. C ’eft à cette époque qu’on
rapporte l’hiftoire du Cupidon endormi, & vendu
pour antique au cardinal de Saint-Georges, qui depuis,
ayant découvert la fraude, s’en défit en faveur
du duc Valentin. T l fut enfuite donné en préfent
à la marquife de Manroue, qui l’en vo ya dans cette '
v i l le , où on le v o it aujourd’hui. Le cardin al,
plus amateur que connoifîeur , avoit en v o y é à F lo rence
un de les gentilshommes , chargé de découvrir
l’auteur.dç.cette innocente fupercherie. Michel-
Ange, dit-on, fe trahit volontairement, en defll-
nant fur le champ une main qui fembloit annoncer
aflez que celui qui pofledoit ce talent, pouvoit
feul avoir fait le Cupidon. A in f i , par. quelques
traits habilement deffinés, Michel-Ange s’en déclara
l’au teur, comme il ne fallut autrefois à A pe lle
qu’un fini pie trait pour fè faire connoître de Pro-
togène. L e gentilhomme lui propofa de l’emmener
à Rome & de le loger dans le palais de fon
maître. Michel-Ange n’héfita pas de s’y rendre ;
mais le cardinal y laifla fes talens oififs.
Son premier féjour dans cette ville ne fut cependant
pas infruéhieùx pour les arts ; il y fit le
fameux Bacchus, qui repafla depuis à F lo ren c e , &
qu’on admire aujourd’hui dans le mufæum de cette
ville Le cardinal de Saint-Denis lui procura l’occa-
fion de fculpter une Notre Dame de pitié , grouppe
célèbre qui eft à Saint-Pierre fur l’autel de là chapelle,
du crucifix. C e bel ouvrage ne portant point
le nom de fon auteur, Michel-Ange fut un jour
témoin d’un équivoque fait pour blefler fon amour-
propre, en attribuant à un autre fculpteur l’honneur
de- ce morceau. Il Tentendit, garda le filence , &
la nuit fuivante il grava fon nom fur la ceinture
de la vierge.
Les aftaires domeftiques de Michel- Ange l’obligèrent
de retourner à Florence. Un bloc de marbre
gigantefque reftoic, depuis cent ans, ébauché
dans cette ville . L e cifeau mal habile de Simon
da F ie fo lé , n’avott pu réuflîr qu’à tirer d’une
maflè informe un coloffe avorté ; aucun ftatuaire
Y y