
indiqué la manière dont on pourroit s*y prendre
pour en trouver la folution ; & fi nous n’arrivons
point au b u t , nous croirons avoir beaucoup fait
que d’avoir trouvé la route qui peut y conduire.
L e beau en architeéhire ne peut ê t r e , ainfi qu’on
l ’a dit plus haut, qu’une qualité qui eft le principe
de plufieurs autres, ou que le réfultat des différentes
qualités que cet art peut mettre en oeuvre
pour affeâer agréablement notre ame.
Nous entendons par qualité, une propriété adhérente
aux objets qui en font revêtus, & qui nous les
fait connoître pour ce qu’ils font.
Les objets ont des qualités diverfes ; & ces qualités
font comme des moyens différens par lefquels
les objets agiffent fur notre ame.
Les différentes qualités des objets s’adreffent aux
différentes facultés de notre ame ; car notre ame a ,
fi l’on peut dire, ainfi que le corps , des fens dif-
fé r en s , relatifs aux diverfes qualités des objets. D e
même que les diverfes propriétés des corps s’adreffent
à des fens différens, de même les diverfes
qualités des objets affe&ent des parties différentes
de ramé.'
Pour Connoître donc les différentes qualités qu’un
art peut mettre en oe u v re , il faut connoître les différentes
facultés de l’ame auxquelles cet art peut
s’adreffer. Il faut connoître de quelle manière, &
jufqu’ à quel degré ces facultés peuvent être affectées
par cet art. Ce tte cônnoiffance doit être la
bafe & la mefure des différentes qualités qui conf-
tituent le beau dans un art.
Tou s ceux qui auront examiné l’aéfion de l’archi-
teéhïre fur nous, conviendront que cet art émeut à
la fois nos fenfations , nos perceptions & nos affections.
L e beau fera donc la réunion des qualités qui
peuvent émouvoir & flatter les fen s , l’entendement
& le goût.
O n définit la fenfation un jugement excité par la
préfence des objets extérieurs, & porté en confé-
quence de l’impreflion qu’ils font fur nos organes,
fans que les caufes de cette impreffion aient été
examinées.
La perception eft un jugement qui fe fait en con-
féquence de la faculté intelligente, ou des moyens
par lefquels l’ame combine & apprécie les rapports
des chofes.
L ’affe&ion eft un mouvement de l’ame qui la
porte à aimer certains o b je ts , certains rapports,
fans lui faire approfondir les rarfons de cet amour.
L ’architeéture agit fur nos fens. Il faut examiner
de quelle manière & jufqu’à quel degré l’art peut
émouvoir nos fenfations.
Qu oiqu e prefque tous les arts n’agiffent fur notre
ame que par l ’entremife des fen s , il ne s’enfuit pas
que tous aient fur les fens une a â ion d i r e â e , un
pouvoir efficace ; que tous enfin dépendent également
& de la même manière , du fens qui fert de
route pour parvenir à l’arae. L’a rch iteâu re, qui
femble être l ’art le plus fùbordonné à la matière,
eft j comme on l’a dit ailleurs [voye^ ARCHITECt
u r e ) , celui qui', peu t-être, eft le plus intellec-
tuel. M a is , en même temps que cet art fe trouve
être le plus indépendant des impreflions des fens il
fe trouve peut-être' le plus fùbordonné à l’organe de
l’oe il, non par les affections fenfuelles qu’il peut y
e x c ite r , mais par le rapport qui doit exifter entre lui
j & les facultés optiques. Les autres arts dépendent de
l’oeil pour les effets qu’ils doivent produire ; l’archi-
te&ure dépend de cèt organe dans les m oyens même
qu’elle met en oeuvre pour produire fes effets. Les
autres arts font déjà furs de flatter le fens de la vue
quand l’architeâure n’eft pas certaine de la mefure
qiii doit fe trouver entre elle & l’organe.'Ce qui
n’eft pour les uns qu’un effet de la nature, eft pour
l’autre le réfultat d’une étude. Enfin , les uns s’adreffent
à la v u e , lorfque l ’autre s’adreffe à la vifion.
Cette a&ion de l’architeâure fur l’organe de la
v u e , eft la feule que l’art ait fur les fen s , abftrac-
tion faite de l’entendement. Elle ne l’a que dans un
petit nombre de cas & de rapports. I l eft important
de les connoître & de les bien diftinguer.
L’expérience nous apprend que l’oeil eft affe&é de
deux manières par l’archite&ure, foit dans les dimenfions
générales qu’il embraffe, foit dans les
rapports généraux des dimenfions qu’il fe trouve
obligé de faifir. L ’oeil ne peut embraffer commodément
qu’ une certaine étendue : il a une mefuiu
qu’on ne fauroit outrepaffer fans le bleffer phyfi-
quement. Au-delà d’un certain p o in t, la grandeur
& la force ceffent d’être de's qualités; elles deviennent
des excès v ic ie u x , parce que l’organe fe
trouve offenfé par l’effort qu’il eft obligé de faire
«pour les apprécier. L e n e r f optique lui-même en
fou ffre ; & le phyficien qui en a décompofé les
refforts, prouve qu’il eft certaines dimenfions que
là vifion ne peut faififf- fans faire éprouver à l’oeil
une contrainte, dont la continuité tendroit à ladef-
tru&ion même de l’organe. A in f i , une galerie trop
longue & dont l’oeil ne peut appercevoir le bout ;
une colonne trop haute, un édifice trop large; toute
dimenfion qui fort de l’ouverture que peut avoir
l’angle vifuel ; toute dimenfion exagérée enfin
fatigue l’oeil ; il s’en trouve bleffé comme il peut
l’être par une lumière trop v iv e . Les dimenfions trop
petites l'ont également contraires à fon organifa-
tion ; elles le gênent & l’importunent de même
qu’une lueur foible. Les dimenfions exagérées
tendent à trop agrandir l’ angle vifuel ; les autres
paroiffent le rétrécir trop. Un édifice bas & étroit
refferre l’oe i l , & l’empêche de prendre l’effor qui
lui convient ; fes facultés comprimées, fi l ’on peut
dire , dans un trop petit e fp a c e , fouffrent &
éprouvent un mal-aife prefque égal à Fautre.
Nous avons dit qu’outre les dimenfions générales,'
il é toit des rapports généraux qui agiffoient auffi fur
l’organe de la vue. On ne fauroit le nier en penfant
combien l’uniformité & la v ariété lui font éprouver
de fenfations pénibles & agréables. Une trop gras de
uniformité allanguit l’organe ; une trop grande variété
le fatigue. La diffufion relâche, en quelque
forte, les nerfs ; la confufion les tend Iaborleufe-
ment. La divifion dans les o b je ts, plaît à l’oe i l ,
parce qu’elle l’aide à voir ; le trop de divifion
lui nuit, parce qu’elle l’empêche de vo ir commodément.
Si un édifice eft trop large relativement
à fa hauteur, il eft certain que la largeur
fera une impreffion fur la v u e , plus grande que
celle qui proviendra de fa hauteur. D ès- lo r s, l’oeil
préoccupé dé cette largeur, ne faifira que labo-
rieufement l ’enfemble de l’éclifice. L ’organe étant
afteâé en fens différens, éprouvera un certain
mal - a i fe , une certaine diffonance d’impreffion ,
effet d’un embarras défagréable. A in fi un' édifice
qui a trop peu de rapports, ou dans lequel ils ne
font indiqués que par des raifons toujours fymmé-
triques, déplaît à l’oe il, foit parce qu’il n’a prefque
aucune fonéüon à ex erc er , & que tout eft vu
d’un coup-d’oeih, foit parce que la répétition d’aâes
toujours femblables eft fatigante. L’organe veu t
agir, il en a befoin ; mais il veu t que fes a â e s foient
variés. S’ils le font trop, ou s’ils font brufqués par
des çontraftes trop v io le n s , ces chocs le bleffent.
Ainfi farchite&ure gothique n’eft point analogue
à nos fenfations, parce que la plupart de fes dimenfions
font exagérées, & que l’oeil ne peut les- faifir
fans fatigue ; parce que les rapports exiftans entre
fes diménfions, font de nature à ne pouvoir être
apperçus fans une contrainte extrême ( voyeç
Angle visuel) ; parce que le rapport des parties
ou des dimenfions particulières, s’y trouve dans
une combinaifon, qui en rend à-i’oeil le développement
impoffible,, ou fi laborieux, que l’organe en
doit refter défagréablement affeâé.
Il eft encore d’autres rapports dans l’ archite&ure,
dépendans de nos fenfations-, ou du moins qui
peuvent agir fur les fens, abftraâion faite de l’entendement:
ce font ceux de la folid ité; la raifon
en eft, qu’ils font liés- aux rapports ci-deffus. Le
trop ou le trop peu de force produit fur l’organe
les mêmes effets que l’exagération dans les dimenfions
dont on a parlé. Indépendamment de ce que
l’oeil rencontre dans l’excès dont il eft enn emi,
quelque chofe d’incompatible avec fon organifa-
tion ; & que le trop ou le trop peu de folidité
produifent ces difparates de dimenfion dont le rapprochement
eft fatigant pour lui ; il eft vrai de
dire encore que le trop de folidité occafionne trop
de maflifs ou d’épaiffeur dans l’intérieur des édifices
; d’où il rèfulte une gêne pour l’oe i l , qui
cherche à voir & s’en trouve empêché. Le trop
peu de fçlidité occafionne, ou t ro p , pu de trop
grandes ouvertures ; de-là n a ît , ou une fenfation
confufe pour l’oeil qui fe trouve arrêté trop fou-
vent , ou une fenfation diffufe qui ne lui préfente
pas les repos qu’ il aime.
On peut étendre au fens de la v u e , & y rapporter
encore quelques obferyations, foit en dé-
compofant les facultés optiques, foit en analyfant
les diverfes impreflions que les objets, par rapport
a l’ceil, ou reipeftivement entre e u x , félon leurs
combinaifofls, peuvent produire fur l’Prgane. Mais
on en a dit allez pour prouver qu’il exifte dans
l’architeâure yne aâion direâe de cet art fur l’organe
de la vue ; qu’il y exifte des rapports qui ont
pour bafe nos fenfations, & dont l’excès ou la
combinaifon vicieufe mettent l’organe dans une
fituation pénible, contraire à fes facultés, & qui
tendroit à le détruire : c’eft-à-dire, qu’il en eft de
certains rapports en architecture, comme de certaines
couleurs en peinture ; que les uns font amis
de l’oe il, & que les autres en font ennemis. Si l’effet
des rapports outrés ou des rapports difcordans *
femble agir moins puiffamment fur l’oeil que celui
des couleurs inharmonieufes ; cela vient, ou de ce
que l’oeil s’en diftrait promptement, ou de ce que
le fens de la vue a moins de points de compa-
raifon dans ce genre pour fentir le contrafte, qu’il
n’en a dans les couleurs, ou de ce que ce fens ne
receyant prefque point de leçons fur l’objet des
rapports, & fe trouvant là-deffus prefque fans éducation
chez la plupart des hommes, il refte pour
juger, dans l’état d’imperfeâion ou feroit l’oreille
d’un fauvage qui n’auroit jamais entendu de mu-
fique. Peut-être auffi l’entendement partage-t-il
plus aifément & plus vîte avec l’organe, les fenfations
pénibles des rapports outrés, qui, bien
qu’ils puiffent affeâer le fens, abftraâion faite de
l’entendement, n’excluent pas néanmoins la concurrence
de celui-ci. •
On voit par-là que les fenfations peuvent être
affeâée.$ , indépendamment de l’entendement, par
les dimenfions générales & leurs rapports. Nous
avons vu que les qualités analogues à ces effets
font la grandeur & la force.
Si les fens fe conftituent juges de ces qualités
c’eft parce que les impreflions qu’ils en reçoivent
font de nature à exifter fans le fecours même de
l’intelligence. Cependant celle-ci influe auffi fou-
vent dans le jugement même de l’organe ; & de-là
naît la difficulté d’apprécier les limites refpeâives
des différentes facultés de l’ame, auxquelles corref-
pondent les, qualités différentes que Fart met en
oeuvre. Car certainement l’entendement juge auffi
des dimenfions & des rapports de grandeur & de
force : mais les règles qu’on peut établir à ce fujet
poferont fur une bafe plus folide & plus universelle,
quand elles feront fondées fur nos fens ;
voilà pourquoi Fon ne fauroit trop les confulter.
Auffi la fcience de la vifion a-t-elle été regardée
comme la bafe des connoiffances architeâoniques.
D ’après la certitude des obfervations fondées fur
la connoiffance des facultés optiques, & le rapport
des objets avec l’organe, quelques écrivains
ont cherché à appuyer fur nos fenfations tous les
fondemens du beau. De ce que l’organe fe trou-
voit quelquefois laborieufement affeété par des rapports
ennemis ou antipathiques à fa ftruâure, on
a voulu en conclure que tous les rapports pou-
voient également fe mefurer aux facultés optiques.
O n a voulu trouver dans la vifion, des principes
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