
nom , fa nature & fa deftination. Les théâtres
modernes exigent la même forme intérieure. Qu elle
étrange bifarrerie a voulu établir entre leur conformation
interne & leur configuration extérieure
une contradiction te lle , que fans le fecours d'une
in ic r ip t'on , il feroit impoffibie de favoir devant
quel monument on fe trouve ? Lorfqu’une forme J
eft auffi rigoureulément ordonnée par le befoin
& la nature des ch ofes, que celle dont on pa rle,
elle devient le motif effentiel & comme le type
de l’édifice. Il n’eft pas plus permis de s’en éloigner
& d’innover en ce genre-, qüe dans la forme
d ’une colonne. Les anciens, chez qui ces fortes
d’édifices furent fi multipliés , furent en varier les
dimenfions , les proportions, les décorations &
tous les acceffoires ; mais on ne citeroit aucun
exemple de variation dans la forme générale &
élémentaire qu’on donne ic i pour bafe du caractère
d’ un théâtre.
Les galeries en portiques ouverts ou les corridors
qui fervent à la libre circulation du peuple.,
étoient en co re, chez les anciens, des formes ca-
raétériftiques & des parties effentielles de tous les
théâtres & autres lieux de fpeélacles. Ces p romenoirs
de dégagement ne feroient pas moins
indifpenfables autour de nos théâtres'; ces divers
étages d’arcades, fi bien placés à l’ extérieur d’un
édifice , dont l’ intérieur comporte également plu-
fieurs rangs de fpeâa teurs, n’ont jamais pu entrer
dans là penfée d’aucun architecte : l’extérieur
de nos théâtres ne préfente aucune forte de différence
avec les maifons voifines, & rien pourtant
ne fe prête plus facilement à tous les genres de
décoration , que des bâtimens qui n’exigent point
d’habitation , & dont les percés ou les ouvertures
font pre fqu’entièrement libres de toute efpèce de
fujétion.
O n peut donc affirmer qu’un théâtre de figure
quadrangulaire éft en foi-même une chofe auffi
abfurde & auffi contraire au fens commun que le
feroit un chapeau dont la forme intérieure feroit
quarrée ou un lit circulaire. Les architectes, je le
fais, ne mettent pas ordinairement une fi haute importance
à cette connexité e x a â e entre les formes
extérieures & celles de l’intérieur. Cependant ce
défaut de rapport q u i, lors même qu’il n’eft pas
néceffaire , eft toujours un abus, devient un vice
de la première cia fie , lorfque de cette identité
de relation dépend l’ expreffion déterminée du
caractère de l ’éd ifice. Si tous les monumens d’une
v ille avoient pour type de leur configuration des
données auffi précités que celles qu’on vient de
vo ir appartenir aux théâtres , l’art du caractère
feroit le réfultat d’une étude de peu de durée.
Mais moins il y en a qui foient doués d’une propriété
auffi confiante, plus il importe de l’y ob-
Jerver fcrupuleufement. Affez d’autres rentrent &
fe confondent dans le petit nombre de formes g é nérales
dont l’architeCture peut difpofer , pour qu’ il
foit intéreffant de bien particularifer ceux qui fe pré-
Tentent fous les traits d’une phyfionomie vraiment
originale.
Je ne penfe p o in t, par une conféquenc.e toute
naturelle de ces principes de con v en an ce, qu’on
paille fupporter, ni même en aucun ca s , excu-
îer la forme circulaire dans la conftfu&ion des
maifons. Qu oiqu ’on puiffe dire à cet éga rd, le fens
fimple & d ro it , & qui eft le meilleur guide qu’on
puiffe fuivre dans cette matière, vous avertit que
ce n’eft pas ainli que le b e fo in , type & mefure
de toute invention , veut qu’une maifon foit dif-
pofée ; il y a même, dans ces fortes de plans
adaptés aux habitations , je ne fais quoi de gênant
pour la pen fée, & cette gêne de l’imagination
, fi l’on en confulte bien la caufe, vient de
l’efpèce de gêne réelle que cette forme circulaire
doit produire dans tout l’ajuftement intérieur. On
introduit quelquefois encore fort à contre-fens,
des parties circulaires de murs ou de périftiles
à rentrée des maifons ou des édifices civils qui ,
par là forme , rentrent dans leur claffe. Je ne crois
pas qu’ il y ait rien de moins heureux en général
; mais ce qui eft bien antipathique avec la
j convenance la moins délicate , c’eft la convexité
que l’on donne à ces formes ceintrées. T ou te forme
convexe eft plus propre à repouffer le fpeCtateur
qu’à lui indiquer une entrée. Q ’on ne dife pas
que ces critiques font pointilleiifes & que ces
convenances font imaginaires, puifque le befoin
réel n’eft point contrarié, & ne fouffre pas de
ces prétendues contraventions. On auroit raifon
fi 1’architeCture, n’agiffant que pour des êtres matériels
8c dépourvus du fentiment de tous les rapports
, ne devoit pas auffi faire entrer dans fes
néceffités, celle de parler à l’efprit & de flatter
l’entendement. Une porte n’eft qu’une iffue pratiquée
à un lieu quelconque ; pourvu que fes di-
menfions fu f fifen tà ce qui doit y paffer, le befoin
eft fatisfait & ne demande rien de plus. C e pendant
je doute que jamais aucun architecte emploie
de fang-froid certaines formes de. portes chi-*
noifes qui décrivent un cercle parfait. Tant que
la formation humaine ne fera pas changée, je ne
crois pas qu’il y ait lieu à changer celle de nos
portes.
Il y au ro it, à fuivre en détail toutes les formes
partielles de l’ architeCture , une longue énumération
à faire de préceptes du même g en re, fondés
fur les convenances effentielles & propres de
chaque chofe. Les colonnes , les piédeflaux > les
niches , les croifée s, les entablemens & jufqu’aux
moindres profils que l’oeil apperçoiî & diftingue
à peine dans l’efpace des plus grandes mafles,
tout a des relations avec des befoins plus ou
moins feofibles, ou avec des convenances plus
ou moins impérieufes. C ’eft de la connoiffance
, & de l’obfervance de tous ces rapports ; c’eft de ■
leur indication précife & réfléchie, que refaite ;
dans le détail comme dans L’enfeinb le, cette vertu
I qu’on nomme earaftère propre, Mais ce n’eft point
dans.
dans cet article , deftiné à une théorie g én é ra le,
qu’on doit chercher tant d’applications détaillées.
On en trouvera d’ailleurs de plus longs développer
a s qu’on ne pourroit le faire ici , aux articles
particuliers où chaque partie des édifices doit
paffer en revue. j B '
r Et puis ,le s préceptes que l’on donne ici font
de la nature de ceux qui s’adreflentpour le moins
au fentiment autant qu’au jugement. Ce tte faculté
de notre ame , qu’on appelle jugement ,
veut être convaincue par des preuves & des
faits ; il faut lui multiplier les exemples; il faut
le forcer à là perfuaüon ; il faut lui faire, en
quelque fo r te , toucher les raifons ; il faut lui
montrer les objets fous toutes leurs fa c e s , & l’on
ne fauroit, avec lu i , defeendre dans trop de détails.
Le fentiment, au contraire, cet inftinCt du
génie , s’éteint & meurt fous les glaces de l’ana-
lyfe. Il veu t deviner plus que comprendre; il ne
faut-que lui montrer l’enveloppe de la v é r i t é ; i l
veut des indicateurs, mais point de guides ; des
éclairs, mais point de flambeaux : le moindre fil
lui fuffit pour régler fa marche. C ’eft ce f i l , foible
en apparence, mais bien fûr & bien précieux
quand le fentiment s’èn empare , que l’on cherche
à fuivre dans cette matière in fin ie, en épargnant
au leCteur les détails fuperflus de tout ce qui pourroit
embarraffer fa marche fans l’accélérer.
Si les exemples & les principes généraux qu’on
a développés font vrais , c’eft à lui de tirer tous
les réfultats qui en dérivent , & d’achever le
tableau de toutes les inconféquences qu’un dénuement
entier de principes a f u , depuis long-
tems, accumuler dans l’architeCture moderne. Il
trouvera la raifon d e .e e défaut de caractère, q u i ,
comme une maladie o c c u lte , attaque tous les
édifices, fans qu’on ait pu en connoîrre la caufe
ni le remède. I l y verra fur-tout la raifon de cette
grande difparité d’ effet & d’impreffion, quoique
avec des moyens femblables , entre les ouvrages
des anciens & ceux des modernes.
Genre de conJlruCtion. Un des moyens qu’a l’ar-
chiteCte de particularifer encore le genre de fes
édifices & d’en exprimer le caractère propre, ou
la convenance & la propriété, confifte dans une
modification intelligente des reffources de la conf-
truCtion. J’entends ici , par le mot conftruCtion,
cette partie de l’ architeCture qui a plus particulièrement
rapport à la m a tiè re ,•& qui peut difpofer
de l’emploi & de l’effet des différens matériaux,
de manière à concourir immédiatement à la v éritable
expreffion des qualités que comporte chaque
édifice.
Le genre de conftruCtion qu’adopte l’architecture
pour la formation de fon monument ,e f t d’une
très-grande importance dans l’ordre des moyens
relatifs au caractère. L’effet de ces moyens eft très-
puiffant & très-aCtif, foit qu’on les confidère dans
leur plus grande étendue, foit qu’on les envifage
dans leur moindre reffort.
Architecture, Tome J,
L’art de bâtir , du côté feul de la matière, a 1*
plus ..grande influence fur nos fenfations. Je l ’ai fait
voir au mot B e a u , & je ne le répéterai pas i c i :
mais il a des rapports communs avec le goût &
l’art du caractère ; & c’eft ceux-là qu’il eft effentiel
de faire connoître en ce moment. Quelles impref-
fions différentes ne réfultent pas pour le fpeCta-
teur des reffources variées de la conftruCtion ! Ici
des percés: hardis & multipliés qui fe détachent
fur le ciel ; là de lourdes mafles de pierres qui
obflruent la v u e , vous porteront à des idées bien
différentes. Tantôt la hardieffe des voûtes ; tantôt
la fageffe des plafonds ; tantôt le furbaiffement des
couvertures exhaufferont, agrandiront ou rabaiffe-
ront votre penfée. Quelquefois le rapprochement
& le contrafte des liffes & des faillies ; l’expreffion
très-prononcée de la charpente & de l’offature d’un
édifice ; une coupe hardie de pierres ou la diffi-
mulation adroite de tous ces moyens matériels ,
agiront d ’une manière moins décidée , mais pourtant
affez fenfible fur les jugemens de l’entendement
& fur les affeCtions même du goût. La conf-
truCiion a donc auffi fes modes , &• leurs nuances
ne font point celles que les fens faififfent le moins
aifément ; au contraire , elles ont avec eux une
corrélation plus groflière , fi l’on peut ainfi*s’ex-
prime r, & qu’il eft par cela même très-important
de né jamais négliger.
L ’emploi des matériaux ne doit point fe faire
non plus fans difeernement. Une règle affez g é nérale
, c’eft que leur grandeur doit être proportionnée
à celle des édifices. Cependant on peut la
proportionner encore au caractère de c e u x -c i, félon
qué des idées de force , de délicateffe , de majefté
ou d’agrément, de magnificence ou de légèreté ,
décideront du caractère d’un monument : la qualité ,
l’étendue, la dimenfion de fes matériaux devront
entrer pour quelque chofe dans la mefure des convenances
requifes à l’expreffion de l’enfemble. D e
grandes mafles de pierre folidement appareillées.,
équarries & ruftiquement taillées, vous défigneront
des fortereffes , des arfenaux , des murs de villes ,
des prifons , des monumens faits enfin pour réfifter
aux attaques des hommes comme à celles du tems.
Mais le fentiment de l’ indeftruCtibilité ajoute encore
dans tous les édifices à ceux de l’étonnement
& de l’admiration. I l en eft, comme les.temples, où
il devient l’expreffion de l’éternité. L ’on ne fauroit
trop l’y prononcer. Mais alors, en donnant à vos
matériaux toute la grandeur poffible » excluez de
leur appareil tout ce qui peut offrir une idée de
réfiftance. Q u e leurs jo in ts , au lieu de fe relever en
boffages, foient infenfibles ; qu’on apperçoive à
peine cette multiplicité de parties qui eft le préfsge
de leur décompofition. Q u e l’unité, qui doit faire
le motif moral de votre conception dans le plan ,
femble exifter encore jufques dans la matière qui
lui fert d’enveloppe. Quand je vois tous les joints
des pierres ; quand je compte toutes les aflifes du
1 tem p le , je calcule d’ avance fa deftrnCtion ou les