
diverfes que les im préfixons bornées du befoin ;
que l’art qui imite la nature dans fes principes ,
encore plus que dans fes effets, peut & doit l’imiter
jufques dans cette efpèce d’indécifion que celle-ci
a attachée à plufieurs de fes impreffions ; mais
que comme e lle, il doit tout au plus laifl’er à douter
de l’exiftence de la néceflité , qui dans certains
cas a l ’air de mettre la liberté du hafard à la place
de la règle uniforme des befoins ; qu’il eft permis
quelquefois de cacher la main du befoin fous celle
du plaifir ; mais que fi de ce doute agréable on
paffoit jufqu’à une illufion complette, le charme
difpàroîtroit : enfin que fi le défordre peut quelquefois
être un effet de l’art, l’art ne fauroit jamais
l ’être du défordre.
C ’eft au goût particuliérement qu’il convient de
plaider la cauf^ de l’ornement, d’en expliquer
les convenances , & de faire voir que fi les volutes
du chapiteau ionique, par exemple, ou les feuillages
du chapiteau corinthien femblent dans leur forme
& leur ccmpofition, échapper au fyftêm.e habituel
de la raifon, l’architeéfure ne fait encore ici qu’imiter
la nature dans fes intentions les plus fines..Que fi
l’on pénètre bien tous les fecrets de la nature, on croit
voir que celle-ci, après avoir pourvu dans fes ouvrages
à tout ce qui pou voit en affurer la cpnfervatiôn,
après avoir établi entre eux des rapports fixes,
femble avoir voulu douer chaque être de qualités
moins relatives au befoin qu’au plaifir ; y établir
un genre de rapports avec nous, defiinés principalement
à nous les faire aimer ; une relation
enfin plus conforme à nos affeéfioas qu’à nos perceptions.
Que de même l’architeéfure qui n’imite
la nature qu’en épiant fes motifs, imprime à fes
ouvrages certaines qualités, dont les rapports avec
la raifon & l’entendement font moins_dire<fts , &
cpi s’adreffent particuliérement à cette faculté de
lame , faite pour apprécier les rapports du plaifir.
Le goût forcera le caprice de convenir encore
que le tems & l’habitude doivent aufll entrer pour
quelque chofe dans l’obfervance de certaines inventions,
q u i, confacrées par une antique &
immémoriale approbation, fenibleht s’être intimement
liées avec le plaifir.
Que le droit de les changer & de leur en fubfti-
tuer d’autres ne fauroit s’acquérir par la facilité
de le faire, mais par la poffibilité de faire mieux.
Que dans l’architeéfure, comme dans la plupart
des inftiturions des hommes, il règne certains
préjugés qu’on ne fauroit détruire , de peur
d’y occaficsiner un vuide qu’on ne fauroit plus
remplir.
Que l’expérience des tems modernes a trop
prouvé, par l’inconftance même des inventions
nombreufes qui n’ont pu encore jufqu’à préfent remplacer
les anciennes, l’inutilité de}leur recherche.
Que l’invention ne confifte pas dans la nouveauté;
& que Pimpreffion du plaifir attachée
à ees changemens perpétuels, n’eft autre chofe
que l’inconftance du malade , qui ne change point
de place pour être mieux, mais pour être autrement.
C’eft enfuite à la raifon de fortifier les preuves
du goût, & de faire voir leur relation & leur
correipondance avec fes loix les plus abfolues. C ’eft
de cet accord enfin que peut réfulter la défaite
du caprice.
Le développement de ce concert de forcés entre
la raifon & le goût, & des moyens que ce dernier,
qui n’eft que le fentiment vrai du plaifir, peut
employer pour combattre le caprice qui en eft
l’abus, ne trouvera point ici fa place.^
Il fuffit en ce moment d’avoir connu & démaf-
qué cet ennemi le plus dangereux du plaifir en
architeéfure ; d’avoir découvert fa marcÈe oblique,
fes rufes ordinaires, fes détours infidieüx; il fuffit
d’avoir reconnu, par quels moyens on peut le
combattre, quelles armes on peut lui oppofer. Je
réferve pour d’autres articles ce combat décifif.
( Foyei G o û t 6* P l a is ir ) . >
Caprices, L’article précédent n’a envifagé le
caprice que dans fon acception abftraite & mé-
taphyfique, plutôt comme qualité que comme
produéfion vicieufe, & plus dans fes caufes que
dans fes effets.
Si i’on vouloit nombrer dans celui-ci les productions
appellées du nom de caprices, que le fol
amour de la nouveauté a introduites dans l ’archi-
teéfure, on feroit un article fans aucune compa-
raifon, plus confidérable que le premier. Mon but
n’eft ^point de faire ici l’infipide revue de tous
les caprices de l’architeéfure ; & fans doute on me
faura gré d’avoir épargné au leéteur ce long récit
' de fottifes , que le progrès des arts & l’honneur
des modernes ont tant d’intérêt à faire rentrer
dans l’oubli.
Je dirai feulement qu’on obferve dans l’archi-
teéf-ure trois genres de caprices ; les caprices de
conftruéfion, ceux de plan ou de difpofition , &
les caprices de décoration ou d’ornement. Je dirai,
encore quel degré d’indulgence il me femble permis
d’accorder à ces différens écarts de l’imagination.
J’appelle caprices de conftruéfion tous ces jeux
d’une vaine & puérile hardieffe, au moyen desquels
le conftruéfeur, pour faire montre d’un favoir
inutile & quelquefois dangereux, impofe à l’admiration
de la multitude ignorante. Le prétendu
merveillèux de ces fortes de conftruéfionS confifte
le plus fouvent à déguifer les points d’appui par
le moyen d’une coupe de pierre fouvent irrégulière
& très-vicieufe, ou , ce qui eft pis encore,
à employer les refforts cachés d’un mécanifme de
charpente ou d’armature étrangère à toute bonne
conftruéfion. On peut affurer que jamais les anciens
ne fe font permis de pareilles jaéfances dans leurs
édifices ; je fais auffi que l’art moderne de la coupe
des pierres, ou celui qu’on appelle l’art du trait,
leur fut heureufement affez inconnu, pour qu’ils
n’aient jamais pu foupçonner la poftibilité de ces
reffourees. Cet art fi utile dans les pays où les
matériaux
ftiatériaux nront point de ténacité, & dont les
moyens induftrieux, lorfqu’ils font fagement employés,
peuvent remédier aux refus de, la nature
, eft devenu cependant une des caufes principales
des caprices de conftruéfion dont on parle
en ce moment. Les modernes ont pris le change
encore fur cet objet & d’une manière bien remarquable.
Cet art du trait, qu’ils ontperfeéfionné,
peut-être plus qu’il ne falloir, a pour but de donner
à un affemblage de petites pierres taillées la
folidité qu’une feule pierre d’une égale étendue
ne fauroit avoir; & à cet égard on ne fauroit
encontefter l’avantage. Mais bientôt ce qui n’étoit
que la reffource de la néceflité eft devenu le
jouet d’une vaine adreffe. Une puérile oftenration
de difficultés gratuitement vaincues, a fait regarder
comme indignes d’un homme habile les procédés
fimples d’une conftruéfion ordinaire & facile , on
n’a plus voulu rien faire que difficilement, la
conftruéfion la plus belle eft devenue celle qu’on
jugeoit la plus téméraire.
De-là font nés ces tours de force prétendus,
où le conftruéfeur , par un principe bien contraire
à ceux des anciens, n’eft occupé qu’à faire dif-
paroître l’apparence de la folidité. De-là ces coupes
bifarres de voûtes & de vouffures ou arrière-vouf-
fures elliptiques ou excentriques. De-là ces com-
binaifons extraordinaires dans la coupe des efca-
liers, & d’une multitude d’autres objets où le
caprice femble. avoir pris plaifir à infulter ,1a
raifon. Il faut plaindre fans doute les artiftes
qùç l’empiré, de la mode & de l’exemple porte
à rfiéconnoître & à dégrader ainfi leur art. Jamais
aux yeux de l’homme dégoût, la difficulté vaincue
fans néceflité ne fera d’aucun mérite. Il condamnera
ces rampes d’efcaJiers fufpendues d’une
façon fi menaçante ; il ne fauroit faire grâce à
toutes ces conftruéfions fi favamment effrayantes,
où l’on n’ofe fe hafarder que fur la foi de l ’ar-
chiteéfè. Mais il méprifera bien davantage ces
petits moyens par lefquels on ambitionne l’apparence
d’une difficulté qui n exifte même point.
Je veux parler de ces formes qui tendent à faire
croire une voûte plus plate qu’elle n’eft, une
faillie plus confidérable, des port-à-faux plus hardis
qu’ils ne le font en effet. Tous ces caprices de
conftruéfion font indignes de l’architeéfure fage
& régulière ;• & je ne crois pas qu’il y en ait dans
ce genre qu’on puiffe autorifer fous aucun prétexte.
On obferve au palais du T à Mantoue une efpèce
de caprice qu’on ne fauroit s’empêcher de
ranger encore au nombre des caprices de conftruc-
tion , quoiqu’à le bien prendre, ce ne foit au fond
qu’une plaifanterie, qu’on aimeroit mieux cependant
ne pas rencontrer au milieu de la gravité
avoir baiffé naturellement par l’effet d’ufc écartement
de l’architeéfure qu’elle dépare. L’architeéfe Jif.es
Romain a difpofé tous les claveaux, des arcades,
de manière que celui qui forme la clef femble |
■ Ürchiteflure. Tome 1,
dangereux dans les pierres qui forment la
voûte. Le fentiment pénible 8c défagréable qui
réfulte de ce premier coup-d’oeil ne tarde pas à
s’affoiblir, quand on obferve que cette défeéfuofité
eft générale dans tout le bâtiment; & bientôt
raflùré par la folidité réelle de la conftruéfion ,
le fpeéfateur paffe à un fe-ntiment tout oppofé,
& rit lui-même de fon erreur. Je laiffe le leéteur
juge du degré d’indulgence que peut mériter ce
badinage; & quelle que foit l’autorité du grand
homme qui fe l’eft permis, j’oferai dire que comme
il y a des fujers qui excluent toute efpèce de plaifanterie
, de même la conftruéfion ne permet jamais
de badinage , 8c cela pour deux raifons : la
première, c’eft que fi le badinage eft dangereux
il doit fe profcrire; la fécondé, que s’il ne l’eft
pas, il devient infipide.
Les caprices de plan ou de difpofition ne font
pas moins nombreux dans l’architeéfure moderne.
A cet égard on peut dire que les anciens, fans
être abfolument exempts de reproche, nous donneraient
encore l’exemple de la réferve & de la
modération. En comparant les plans des anciens
8c ceux des modernes, on y obferve deux fortes
de différences qui femblent d’abord •- contradictoires
entre elles, mais qui ceffent de l’être quand
on en.connoît l’origine.
On trouve dans les plans des anciens beaucoup
plus de fageffe 8c' fouvent beaucoup moins de
régularité que dans les plans modernes. Cela
s’explique aifément, quand on fait comment les
anciens faifoient leurs pians , & comment fe com-
pofent ceux des modernes. L’architeéfure chez les
anciens étoit toute en pratique ; chez les modernes .
cet art n’eft devenu qu’une fcience de combinaifons
& de compofitions très-fouvent fpéculatives. Pour
me faire mieux entendre, je dirai en deux mots
que l’architeéfure étoit chez les anciens l’art de
conftruire des édifices,' 8c que chez les modernes
l’architeéfure n’eft depuis long-tems que l’art de
deffiner des édifices. Aufli, plus l’art de conftruire
s’eft fe pare de l’architeéiure , plus l’art de deffiner
a pris d’éclat & d’étendue. Pour s’en convaincre,
.il-n’y a qu’à comparer les deffins de Palladio a ,
ceux du moindre de nos élèves en architeéfure,
vous prendriez au premier, coup-d?ceil Palladio pour
l ’é lè ve , & . l’élève pour un Palladio. C ’eft que
l’architeéfe réfervoit autrefois toute fon habileté
pour l’édifice, aujourd’hui il ne la met que dans
le deffin de l’edifice. .
De cette méthode nouvelle de faire l’architecture
, 8c de la borner aux feuls procédés de l’art
de deffiner & de laver, font réfultés les deux
effets , contraires en apparence, de la grande régularité
dans l’en femble & du caprice^ clans les parties
du détail des édifices. C ’èft que la règle , le compas
& le crayon ont fait de la difpofition des batimens
une efpèce de jeu dans lequel l’imagination a eu
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